B- L'effectivité ambiguë des sanctions
Le mécanisme de sanctions prévu par la Charte
des Nations unies offre énormément de possibilités
d'interventions au Conseil de sécurité. Car les mesures
envisageables sont diverses et variées, elles peuvent s'adapter à
tout type de situation. De plus, le Conseil a, dans la pratique,
respecté une certaine graduation dans l'emploi des sanctions. Les
sanctions peuvent être graduées en fonction de leur champ
d'application matériel. Ainsi, les mesures mises en place ont pu
être renforcées, au fur et à mesure, face à
l'absence de résultats positifs. En effet, l'article 41 prévoit
que les mesures peuvent être "totales ou partielles". Le Conseil de
sécurité peut recourir aux mesures coercitives de façon
graduelle en imposant tout d'abord à l'Etat concerné un embargo
sélectif et en augmentant peu à peu la pression sur cet Etat en
instaurant un embargo généralisé. Cette progression dans
l'usage des sanctions permet au Conseil de sécurité d'assortir
ses résolutions d'un «ultimatum», ce qui
«favorise le dialogue par l'invocation d'une contrainte encore
virtuelle»204.
Cependant, malgré la souplesse et l'adaptabilité
des sanctions ainsi que les efforts du Conseil de sécurité pour
"calibrer" ces mesures en fonction de chaque situation, le bilan est
plutôt mitigé quant à leur efficacité. Il est
difficile de déterminer la part de succès attribuable à un
régime de sanction lorsque l'objectif de celle-ci a été
atteint, étant donné la multitude de facteurs qui peuvent
intervenir. Il existe des désaccords dans la doctrine concernant
l'efficacité ou non de certains régimes de
204 MEDHI R., « Les Nations Unies et les sanctions, le
temps des incertitudes », in MEDHI R. eds. Les Nations Unies
et les sanctions: Quelle efficacité?, Huitièmes rencontres
internationales d'Aix en Provence (10 et 11 septembre 1999), Pedone, Paris,
2000, page 31.
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La mise en oeuvre de la responsabilité de
protéger en Afrique : Etude de quelques cas récents (Mali,
Centrafrique, Libye)
sanctions. L'un des arguments qui peut être
avancé pour prouver l'inefficacité des sanctions est celui de la
prolongation dans le temps de nombreux régimes, avant de pouvoir aboutir
à des résultats plus ou moins positifs. Le processus de sanctions
coercitives est effectivement long à mettre en place notamment en ce qui
concerne les sanctions économiques et militaires et un certain
délai peut être nécessaire avant que les sanctions
produisent l'effet attendu. Il faut quelques jours voire quelques semaines pour
que les produits visés par un embargo commencent à manquer. De
plus, à l'annonce d'une future résolution du Conseil de
sécurité, les factions armées des pays concernés
profitent du temps nécessaire à l'adoption et à la mise en
place du régime de sanction, pour établir un stock d'armes. Selon
certains experts, des sanctions appliquées trop longtemps sans produire
de résultats significatifs perdent leur justification205.
Ce qui nuit surtout à l'efficacité des mesures
coercitives et conduit à leur pérennisation est le non respect de
ces régimes de sanctions par les Etats membres de l'Organisation soit
parce qu'ils ne peuvent pas en assurer le respect, soit parce que le respect de
ce régime est contraire à leurs intérêts. Les
sanctions prises par le Conseil de sécurité au titre de l'article
41 de la Charte des Nations Unies sont aujourd'hui confrontées à
une remise en cause de leur efficacité, c'est-à-dire leur
capacité à atteindre l'objectif qui leur est assigné. En
effet, la plupart des régimes ont mis plusieurs années avant
d'obtenir des résultats plus ou moins positifs. Certains régimes
n'ont d'ailleurs pas pu empêcher le recours à la force, n'ayant
qu'un impact limité sur la situation. De plus, même lorsque les
sanctions parviennent au résultat recherché, il est impossible de
déterminer la part de succès imputable aux mesures collectives,
étant donné la multitude d'éléments qui participent
au règlement de la situation (négociations, présence
militaire, menace ou utilisation de sanctions unilatérales).
Mais au-delà de leur capacité à atteindre
l'objectif fixé, l'efficacité des sanctions a été
sérieusement entamée par les conséquences
désastreuses qu'elles ont pu avoir sur les droits de l'homme. En effet,
l'une des critiques formulées par la doctrine, d'ailleurs largement
reprise par les médias, est la dimension collatérale des
205 Selon Kofi Annan, Si les sanctions peuvent, dans certains
cas, apparaître comme des outils performants, certains types de
sanctions, notamment les sanctions économiques, sont des instruments
grossiers, infligeant souvent de graves souffrances à la population
civile, sans toucher les protagonistes°, K. ANNAN dans son rapport de
début 1999 sur l'Afrique.
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sanctions à l'encontre de la population de l'Etat cible
mais aussi à l'encontre des Etats tiers. Dans le Supplément
à l'agenda pour la paix de 1995, le Secrétaire
Général des Nations Unies reconnaît que les "sanctions ont
toujours des effets non intentionnels ou non souhaités". Il est vrai que
les sanctions interviennent la plupart du temps dans des Etats en crise dont la
population est déjà gravement touchée par la guerre, la
disette ou encore l'absence de soins médicaux. Mais alors que leur but
est de rétablir le droit, les sanctions vont aboutir à l'effet
inverse de celui recherché et aggraver une situation déjà
alarmante. L'exemple extrême de l'Irak repris par de nombreux
spécialistes et journalistes n'est malheureusement pas le seul exemple
d'effets "pervers" des sanctions.
La question est alors de savoir s'il faut privilégier
la réalisation de l'objectif visé par la sanction sur les
dommages collatéraux envers la population de l'Etat cible et des pays
tiers. L'efficacité des sanctions oui, mais à quel prix ?
Pour atténuer les répercussions humanitaires des
mesures économiques, le Conseil de sécurité assortit, tous
ses régimes de sanctions "d'exceptions humanitaires". Cependant,
celles-ci ne permettent pas de remédier à la gravité de la
catastrophe humanitaire qui touche les pays sanctionnés. D'où la
réflexion actuelle des auteurs206 mais aussi des experts de
l'ONU sur la notion de "sanctions intelligentes" (smart sanctions),
des sanctions plus humaines et sans répercussion sur les populations.
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