CHAPITRE II : DES INTERVENTIONS
CONTROVERSÉES
La responsabilité de protéger est une
institution neutre, et un instrument efficace pour résoudre les
problèmes de l'heure. Mais sous cette apparence généreuse
et désintéressée, le principe est cependant lourd de
dangers. L'histoire européenne et occidentale témoigne de
conquêtes, des croisades, des génocides, des guerres coloniales,
d'exploitation économique et sociale au nom de Dieu, de la civilisation,
du développement. Il y a lieu alors de se demander avec Jean-Marie
Crouzatier sans être exagérément pessimiste, comment ne pas
soupçonner que l'assistance au nom de l'humanitaire repose sur des
motifs politiques ou opportunistes ?
Les interventions à des fins de protection humaine ont
parfois caché des motifs moins avouables dans l'histoire de
l'humanité, encore que la frontière entre l'humanitaire et le
politique est assez souvent floue197. Ce point de vue pourrait
être justifié au regard des réactions lentes et
relativement efficaces (Section 1) face aux crises en Afrique.
De plus, la reprise des conflits que les interventions étaient
censées régler met le doute sur l'effectivité de la mise
en oeuvre de l'obligation de reconstruire (Section 2).
Section 1 : Des réactions lentes et peu
efficaces
La responsabilité de réagir de la
Communauté internationale n'est engagée que lorsque l'État
n'est « manifestement » pas capable d'assumer la
responsabilité de protéger ou qu'il commet lui-même l'un
des quatre crimes mentionnés. De ce point de vue, la
responsabilité de la Communauté internationale n'est que
complémentaire par rapport à celle de l'État. Cela pose un
problème quant au moment de la réaction internationale, à
savoir, quel est le point à partir duquel il devient « manifeste
» que l'État ne va pas assumer la responsabilité de
protéger ? Une difficulté supplémentaire peut
apparaître lorsque la communauté internationale décide de
réagir en l'absence d'une demande précise de l'État
concerné, car celui-ci peut soutenir que la responsabilité
internationale a été engagée trop tôt. D'un autre
côté, attendre que l'incapacité de l'État de
réagir lui-même devienne « manifeste » peut retarder
beaucoup la réaction internationale et causer des pertes
supplémentaires en vies humaines qui auraient pu être
évitées. Ces difficultés sont apparues en pratique lors
de
197BIAD Abdelwahab, Droit international
humanitaire, Paris, Ellipses, p. 93.
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la crise au Darfour198. En Afrique la mise en
oeuvre de la R2P s'est faite à travers d'une part l'instauration de
mesures coercitives dont l'efficacité reste relative (Paragraphe
1). D'autre part, l'on assiste à des interventions militaires
problématiques (Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : La relative efficacité des mesures
coercitives autres que la force militaire
L'échec des mesures préventives n'entraine pas
automatiquement une intervention militaire, il est important et
nécessaire de réagir par des mesures coercitives constitutives
des sanctions d'ordre politique, économique et militaire (A), ces
mesures ne sont toutefois pas toujours efficaces (B).
A- Les diverses sanctions appliquées
La sanction internationale, mise en place dans le cadre de
l'ONU, ne doit pas être confondue avec la définition pénale
de la sanction qui existe en droit interne. En effet, les sanctions onusiennes
ont essentiellement pour but de manifester publiquement la réprobation
de la Communauté Internationale face au comportement gravement
illégal d'un Etat. En pratique, les sanctions visent à exercer
une pression politique et /ou une contrainte matérielle sur un acteur.
Depuis les premières mesures à l'encontre de la Rhodésie
du Sud en 1966 puis à l'encontre de l'Afrique du Sud en 1970, le Conseil
de sécurité a eu recours à l'outil des sanctions de
manière croissante et dans des situations de plus en plus variées
: intervention dans un conflit armé, déblocage d'un processus
politique, lutte contre la prolifération d'armes de destruction massives
ou lutte contre le terrorisme.
Ainsi, les mesures prises par le Conseil de
sécurité n'ont pas d'autres ambitions que celle de faire cesser
l'acte illicite. La sanction vise simplement à rétablir
l'efficacité de la règle de droit bafouée mais il n'y a
pas, comme en droit interne, l'idée de réparation ou de
pénitence.
Pour donner effet aux décisions du Conseil de
sécurité, la Charte met à sa disposition deux types de
sanctions. Grâce aux mesures exclusives de l'emploi de la force
prévues à l'article 41, le Conseil peut décider la
rupture, partielle ou totale, des
198Bellamy Alex J., « Responsibility to
Protect or Trojan Horse? The Crisis in Darfur and Humanitarian Intervention
After Iraq », Ethics and International Affairs, vol. 19, 2005,
pp. 3154.
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relations économiques et diplomatiques ainsi que toutes
les communications avec l'Etat visé. L'objectif est d'isoler,
économiquement et politiquement l'Etat cible° pour l'amener à
cesser son comportement fautif. Dans le cas où ces mesures se
révéleraient inadéquates, l'article 42 de la Charte offre
alors la possibilité au Conseil de sécurité de recourir
à l'emploi de la force. Le Conseil a, dans la quasi-totalité des
cas, procédé par gradation dans son utilisation des sanctions. Le
recours aux sanctions militaires représente le stade ultime de la
contrainte et leur efficacité, bien qu'entachée par la lourdeur
de la procédure de décision, n'est pas remise en cause.
Le mécanisme de sanctions exclusives de l'emploi de la
force n'a été utilisé qu'à deux
reprises199, dans la période 1946-1990, en raison d'une
utilisation systématique du droit de veto par les deux grandes
puissances, Etats Unis et URSS.
La fin de la guerre froide a amorcé en 1990 un
renouveau dans l'activité de l'ONU et les régimes de sanctions se
sont multipliés. Cette recrudescence de l'utilisation des mesures
coercitives de l'article 41, a débuté avec le régime de
sanctions prévu par la Résolution 661 du 6 août 1990 avec
pour objectif la libération du Koweït. Ce régime de
sanctions subsiste encore aujourd'hui, malgré le retrait des forces
irakiennes du Koweït en 1991 et malgré la chute du dictateur Saddam
Hussein en 2003, mais avec la suspension de nombreuses mesures, notamment
celles relatives à l'embargo généralisé. En
parallèle de cette intervention en Irak, le Conseil de
sécurité a décidé la mise en place d'environ une
quinzaine de régimes de sanctions, dont la plupart en Afrique.
Il s'agit des sanctions qui limitent la capacité de
l'Etat visé dans ses interactions avec le monde extérieur sans
l'empêcher physiquement d'agir à l'intérieur de ses
frontières, et elles ont pour but de persuader les autorités de
l'Etat en question d'agir ou de s'abstenir d'agir de telle ou telle autre
manière.
199 La première intervention fait suite à la
déclaration d'indépendance de gouvernement rhodésien en
1965. Le Conseil de sécurité a rapidement pris une
résolution interdisant toutes relations commerciales et
financières avec cette colonie anglaise. Le régime de sanction a
cependant perduré jusqu'en 1979 malgré la création de
l'Etat du Zimbabwe. La deuxième intervention du Conseil de
sécurité au titre de l'article 41 a, elle aussi, duré plus
de dix ans. La résolution 418 (1977) a imposé un embargo sur les
armes à destination de l'Afrique du Sud pour manifester la
désapprobation de la Communauté Internationale vis à vis
de la politique d'apartheid de cet Etat. La doctrine s'accorde pour
reconnaître la contribution des sanctions à l'abolition du
régime d'apartheid, bien que d'autres facteurs soient entrés en
ligne de compte. Le Conseil a mis fin au régime de sanctions à
l'encontre de l'Afrique du Sud en 1994.
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A partir des sanctions énumérées à
l'article 41 de la Charte, le Conseil de sécurité a
développé, dans la pratique, toute une palette de mesures qui lui
permettent d'adapter son intervention en fonction de l'objectif qu'il cherche
à atteindre. Dans la pratique, il ne se limite pas à un seul type
de sanctions, ils les emploient souvent cumulativement afin de renforcer leur
impact sur l'Etat cible.
Sur le plan militaire200 :
Les embargos sur la vente de matériel militaire et de
pièces de rechange201 ; L'interruption de la
coopération militaire et des programmes d'entrainement.
Sur le plan économique202 :
Les sanctions financières visant les avoirs
étrangers d'un pays, d'un mouvement
rebelle ou d'une organisation terroriste, ou d'un dirigeant bien
déterminé ;
Les restrictions frappant les activités lucratives
touchant par exemple le pétrole, le diamant, le bois, les drogues,
étant entendu que ces produits sont souvent la principale motivation des
conflits ;
L'interdiction des liaisons aériennes à
destination ou à provenance d'un lieu donné.
Sur le plan politico-diplomatique :
Les restrictions touchant la représentation diplomatique
notamment l'expulsion du personnel diplomatique ;
Les restrictions sur les déplacements des dirigeants
politiques des mouvements rebelles dans le monde ;
200 Lorsqu'il décide la mise en place d'un embargo sur
les armes, le Conseil de sécurité ne vise pas à isoler
économiquement le pays mais simplement à le priver des moyens de
poursuivre son comportement fautif. En effet, la guerre, qu'elle soit entre
Etats ou entre différentes factions à l'intérieur d'un
Etat, ne peut se poursuivre sans armes.
201Par sa résolution 2127 (2013) sur la
situation en République centrafricaine, le Conseil de
sécurité décide d'instaurer, pour une période
initiale d'un an, un embargo sur les armes pour empêcher la fourniture,
la vente ou le transfert à la République centrafricaine
d'armements et de matériels connexes de tous types. Il décide de
plus de créer un comité des sanctions chargé, en
particulier, de veiller au respect, par tous les États Membres, dudit
embargo.
202 Les sanctions économiques sont les plus importantes
des sanctions imposées à un Etat. Elles sont de deux natures. Il
peut s'agir de sanctions commerciales ou de sanctions financières. Elles
sont destinées à asphyxier un pays jusqu'à ce qu'il vienne
à composition, leur but [est de] le contraindre à se conformer
aux décisions substantielles du Conseil, en exerçant sur lui une
pression par des atteintes à des intérêts le plus souvent
étrangers au domaine de l'obligation violée.
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La suspension de la participation203, l'expulsion
ou encore le refus d'admission dans une organisation internationale et
l'interruption de la coopération technique ou financière offerte
par ces organismes.
Toutes ces mesures sont censées prouver la bonne foi de
la Communauté internationale qui s'abstient jusqu'à
l'extrême de mener une action militaire, ce qui peut dissiper tout
malentendu sur les motifs et les intentions des décideurs au moment du
lancement d'une action militaire, mais aussi attirer l'attention de l'Etat
concerné sur le risque d'une intervention militaire auquel il s'expose
s'il s'entête ou reste réticent à toute intervention
extérieure.
Le cas de la Libye est à cet effet très
illustratif. En effet, alors que l'idée d'une intervention militaire en
Libye était encore en gestation, de nombreuses sanctions d'ordre
économique et politique furent prises dès février 2011
contre les responsables libyens pour tenter de mettre un terme aux violences
perpétrées par le régime°. Ainsi, le 24 février
2011, la Suisse fût-elle le premier État à décider,
de bloquer, avec effet immédiat, tous les éventuels avoirs que le
dirigeant libyen et son entourage pourraient détenir dans le pays. Le 28
février 2011, les États-Unis ont indiqué avoir
bloqué au moins "30 millions de dollars d'actifs libyens".
L'Union européenne a quant à elle adopté,
le 3 mars, une série de sanctions contre la Libye. Elle a notamment
décidé de mettre en place un embargo sur les armes et une
interdiction d'exporter du matériel susceptible d'être
utilisé à des fins de répression interne. Le texte
prévoit en outre un gel des avoirs financiers du colonel Kadhafi ainsi
que d'une vingtaine de ses proches.
Entre temps, le 26 février 2011, le Conseil de
sécurité des Nations unies a saisi la Cour pénale
internationale (CPI) sur la situation dans le pays. Plus tard, le procureur de
la CPI, Luis Moreno-Ocampo, a annoncé l'ouverture d'une enquête
contre Mouammar Kadhafi et plusieurs hauts responsables libyens,
suspectés de "crimes contre l'humanité".
L'Assemblée générale des Nations unies a
également suspendu le 1er mars 2011 la Libye du Conseil des
droits de l'Homme, par un vote à l'unanimité.
203La suspension de la République
centrafricaine (le 23 mai 2013) du Processus de Kimberley de certification des
diamants au lendemain du putsch du 24 mars 2013; au motif que le diamant aurait
servi à financer la rebéllion ayant renversé le
régime de François Bozizé.
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Centrafrique, Libye)
Etant donné le caractère non limitatif de
l'énumération des mesures prévues par l'article 41 de la
Charte, le Conseil de sécurité n'a pas hésité
à diversifier les domaines d'intervention des sanctions et à
étendre leur champ d'application. Il a aussi prévu la mise en
place de comités de sanctions et de groupe d'experts pour
contrôler le respect des sanctions. Cette malléabilité a
permis la création de régimes de sanctions très
variés et spécifiques à chaque situation.
Cependant, à l'heure du bilan, les diplomates et les
experts concluent à un résultat mitigé et des doutes se
font entendre quant à l'efficacité des régimes de
sanctions non coercitives mis en place par le Conseil de
sécurité.
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