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La mise en œuvre de la responsabilité de protéger en Afrique. étude de quelques cas récents (Mali, Centrafrique, Libye).


par Bansopa Linda DARATE
Université d'Abomey-Calavi, Bénin - Master II Droit International et Organisations Internationales  2017
  

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CHAPITRE II : DES INTERVENTIONS CONTROVERSÉES

La responsabilité de protéger est une institution neutre, et un instrument efficace pour résoudre les problèmes de l'heure. Mais sous cette apparence généreuse et désintéressée, le principe est cependant lourd de dangers. L'histoire européenne et occidentale témoigne de conquêtes, des croisades, des génocides, des guerres coloniales, d'exploitation économique et sociale au nom de Dieu, de la civilisation, du développement. Il y a lieu alors de se demander avec Jean-Marie Crouzatier sans être exagérément pessimiste, comment ne pas soupçonner que l'assistance au nom de l'humanitaire repose sur des motifs politiques ou opportunistes ?

Les interventions à des fins de protection humaine ont parfois caché des motifs moins avouables dans l'histoire de l'humanité, encore que la frontière entre l'humanitaire et le politique est assez souvent floue197. Ce point de vue pourrait être justifié au regard des réactions lentes et relativement efficaces (Section 1) face aux crises en Afrique. De plus, la reprise des conflits que les interventions étaient censées régler met le doute sur l'effectivité de la mise en oeuvre de l'obligation de reconstruire (Section 2).

Section 1 : Des réactions lentes et peu efficaces

La responsabilité de réagir de la Communauté internationale n'est engagée que lorsque l'État n'est « manifestement » pas capable d'assumer la responsabilité de protéger ou qu'il commet lui-même l'un des quatre crimes mentionnés. De ce point de vue, la responsabilité de la Communauté internationale n'est que complémentaire par rapport à celle de l'État. Cela pose un problème quant au moment de la réaction internationale, à savoir, quel est le point à partir duquel il devient « manifeste » que l'État ne va pas assumer la responsabilité de protéger ? Une difficulté supplémentaire peut apparaître lorsque la communauté internationale décide de réagir en l'absence d'une demande précise de l'État concerné, car celui-ci peut soutenir que la responsabilité internationale a été engagée trop tôt. D'un autre côté, attendre que l'incapacité de l'État de réagir lui-même devienne « manifeste » peut retarder beaucoup la réaction internationale et causer des pertes supplémentaires en vies humaines qui auraient pu être évitées. Ces difficultés sont apparues en pratique lors de

197BIAD Abdelwahab, Droit international humanitaire, Paris, Ellipses, p. 93.

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la crise au Darfour198. En Afrique la mise en oeuvre de la R2P s'est faite à travers d'une part l'instauration de mesures coercitives dont l'efficacité reste relative (Paragraphe 1). D'autre part, l'on assiste à des interventions militaires problématiques (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : La relative efficacité des mesures coercitives autres que la force militaire

L'échec des mesures préventives n'entraine pas automatiquement une intervention militaire, il est important et nécessaire de réagir par des mesures coercitives constitutives des sanctions d'ordre politique, économique et militaire (A), ces mesures ne sont toutefois pas toujours efficaces (B).

A- Les diverses sanctions appliquées

La sanction internationale, mise en place dans le cadre de l'ONU, ne doit pas être confondue avec la définition pénale de la sanction qui existe en droit interne. En effet, les sanctions onusiennes ont essentiellement pour but de manifester publiquement la réprobation de la Communauté Internationale face au comportement gravement illégal d'un Etat. En pratique, les sanctions visent à exercer une pression politique et /ou une contrainte matérielle sur un acteur. Depuis les premières mesures à l'encontre de la Rhodésie du Sud en 1966 puis à l'encontre de l'Afrique du Sud en 1970, le Conseil de sécurité a eu recours à l'outil des sanctions de manière croissante et dans des situations de plus en plus variées : intervention dans un conflit armé, déblocage d'un processus politique, lutte contre la prolifération d'armes de destruction massives ou lutte contre le terrorisme.

Ainsi, les mesures prises par le Conseil de sécurité n'ont pas d'autres ambitions que celle de faire cesser l'acte illicite. La sanction vise simplement à rétablir l'efficacité de la règle de droit bafouée mais il n'y a pas, comme en droit interne, l'idée de réparation ou de pénitence.

Pour donner effet aux décisions du Conseil de sécurité, la Charte met à sa disposition deux types de sanctions. Grâce aux mesures exclusives de l'emploi de la force prévues à l'article 41, le Conseil peut décider la rupture, partielle ou totale, des

198Bellamy Alex J., « Responsibility to Protect or Trojan Horse? The Crisis in Darfur and Humanitarian Intervention After Iraq », Ethics and International Affairs, vol. 19, 2005, pp. 3154.

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relations économiques et diplomatiques ainsi que toutes les communications avec l'Etat visé. L'objectif est d'isoler, économiquement et politiquement l'Etat cible° pour l'amener à cesser son comportement fautif. Dans le cas où ces mesures se révéleraient inadéquates, l'article 42 de la Charte offre alors la possibilité au Conseil de sécurité de recourir à l'emploi de la force. Le Conseil a, dans la quasi-totalité des cas, procédé par gradation dans son utilisation des sanctions. Le recours aux sanctions militaires représente le stade ultime de la contrainte et leur efficacité, bien qu'entachée par la lourdeur de la procédure de décision, n'est pas remise en cause.

Le mécanisme de sanctions exclusives de l'emploi de la force n'a été utilisé qu'à deux reprises199, dans la période 1946-1990, en raison d'une utilisation systématique du droit de veto par les deux grandes puissances, Etats Unis et URSS.

La fin de la guerre froide a amorcé en 1990 un renouveau dans l'activité de l'ONU et les régimes de sanctions se sont multipliés. Cette recrudescence de l'utilisation des mesures coercitives de l'article 41, a débuté avec le régime de sanctions prévu par la Résolution 661 du 6 août 1990 avec pour objectif la libération du Koweït. Ce régime de sanctions subsiste encore aujourd'hui, malgré le retrait des forces irakiennes du Koweït en 1991 et malgré la chute du dictateur Saddam Hussein en 2003, mais avec la suspension de nombreuses mesures, notamment celles relatives à l'embargo généralisé. En parallèle de cette intervention en Irak, le Conseil de sécurité a décidé la mise en place d'environ une quinzaine de régimes de sanctions, dont la plupart en Afrique.

Il s'agit des sanctions qui limitent la capacité de l'Etat visé dans ses interactions avec le monde extérieur sans l'empêcher physiquement d'agir à l'intérieur de ses frontières, et elles ont pour but de persuader les autorités de l'Etat en question d'agir ou de s'abstenir d'agir de telle ou telle autre manière.

199 La première intervention fait suite à la déclaration d'indépendance de gouvernement rhodésien en 1965. Le Conseil de sécurité a rapidement pris une résolution interdisant toutes relations commerciales et financières avec cette colonie anglaise. Le régime de sanction a cependant perduré jusqu'en 1979 malgré la création de l'Etat du Zimbabwe. La deuxième intervention du Conseil de sécurité au titre de l'article 41 a, elle aussi, duré plus de dix ans. La résolution 418 (1977) a imposé un embargo sur les armes à destination de l'Afrique du Sud pour manifester la désapprobation de la Communauté Internationale vis à vis de la politique d'apartheid de cet Etat. La doctrine s'accorde pour reconnaître la contribution des sanctions à l'abolition du régime d'apartheid, bien que d'autres facteurs soient entrés en ligne de compte. Le Conseil a mis fin au régime de sanctions à l'encontre de l'Afrique du Sud en 1994.

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A partir des sanctions énumérées à l'article 41 de la Charte, le Conseil de sécurité a développé, dans la pratique, toute une palette de mesures qui lui permettent d'adapter son intervention en fonction de l'objectif qu'il cherche à atteindre. Dans la pratique, il ne se limite pas à un seul type de sanctions, ils les emploient souvent cumulativement afin de renforcer leur impact sur l'Etat cible.

Sur le plan militaire200 :

Les embargos sur la vente de matériel militaire et de pièces de rechange201 ; L'interruption de la coopération militaire et des programmes d'entrainement.

Sur le plan économique202 :

Les sanctions financières visant les avoirs étrangers d'un pays, d'un mouvement

rebelle ou d'une organisation terroriste, ou d'un dirigeant bien déterminé ;

Les restrictions frappant les activités lucratives touchant par exemple le pétrole, le diamant, le bois, les drogues, étant entendu que ces produits sont souvent la principale motivation des conflits ;

L'interdiction des liaisons aériennes à destination ou à provenance d'un lieu donné.

Sur le plan politico-diplomatique :

Les restrictions touchant la représentation diplomatique notamment l'expulsion du personnel diplomatique ;

Les restrictions sur les déplacements des dirigeants politiques des mouvements rebelles dans le monde ;

200 Lorsqu'il décide la mise en place d'un embargo sur les armes, le Conseil de sécurité ne vise pas à isoler économiquement le pays mais simplement à le priver des moyens de poursuivre son comportement fautif. En effet, la guerre, qu'elle soit entre Etats ou entre différentes factions à l'intérieur d'un Etat, ne peut se poursuivre sans armes.

201Par sa résolution 2127 (2013) sur la situation en République centrafricaine, le Conseil de sécurité décide d'instaurer, pour une période initiale d'un an, un embargo sur les armes pour empêcher la fourniture, la vente ou le transfert à la République centrafricaine d'armements et de matériels connexes de tous types. Il décide de plus de créer un comité des sanctions chargé, en particulier, de veiller au respect, par tous les États Membres, dudit embargo.

202 Les sanctions économiques sont les plus importantes des sanctions imposées à un Etat. Elles sont de deux natures. Il peut s'agir de sanctions commerciales ou de sanctions financières. Elles sont destinées à asphyxier un pays jusqu'à ce qu'il vienne à composition, leur but [est de] le contraindre à se conformer aux décisions substantielles du Conseil, en exerçant sur lui une pression par des atteintes à des intérêts le plus souvent étrangers au domaine de l'obligation violée.

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La suspension de la participation203, l'expulsion ou encore le refus d'admission dans une organisation internationale et l'interruption de la coopération technique ou financière offerte par ces organismes.

Toutes ces mesures sont censées prouver la bonne foi de la Communauté internationale qui s'abstient jusqu'à l'extrême de mener une action militaire, ce qui peut dissiper tout malentendu sur les motifs et les intentions des décideurs au moment du lancement d'une action militaire, mais aussi attirer l'attention de l'Etat concerné sur le risque d'une intervention militaire auquel il s'expose s'il s'entête ou reste réticent à toute intervention extérieure.

Le cas de la Libye est à cet effet très illustratif. En effet, alors que l'idée d'une intervention militaire en Libye était encore en gestation, de nombreuses sanctions d'ordre économique et politique furent prises dès février 2011 contre les responsables libyens pour tenter de mettre un terme aux violences perpétrées par le régime°. Ainsi, le 24 février 2011, la Suisse fût-elle le premier État à décider, de bloquer, avec effet immédiat, tous les éventuels avoirs que le dirigeant libyen et son entourage pourraient détenir dans le pays. Le 28 février 2011, les États-Unis ont indiqué avoir bloqué au moins "30 millions de dollars d'actifs libyens".

L'Union européenne a quant à elle adopté, le 3 mars, une série de sanctions contre la Libye. Elle a notamment décidé de mettre en place un embargo sur les armes et une interdiction d'exporter du matériel susceptible d'être utilisé à des fins de répression interne. Le texte prévoit en outre un gel des avoirs financiers du colonel Kadhafi ainsi que d'une vingtaine de ses proches.

Entre temps, le 26 février 2011, le Conseil de sécurité des Nations unies a saisi la Cour pénale internationale (CPI) sur la situation dans le pays. Plus tard, le procureur de la CPI, Luis Moreno-Ocampo, a annoncé l'ouverture d'une enquête contre Mouammar Kadhafi et plusieurs hauts responsables libyens, suspectés de "crimes contre l'humanité".

L'Assemblée générale des Nations unies a également suspendu le 1er mars 2011 la Libye du Conseil des droits de l'Homme, par un vote à l'unanimité.

203La suspension de la République centrafricaine (le 23 mai 2013) du Processus de Kimberley de certification des diamants au lendemain du putsch du 24 mars 2013; au motif que le diamant aurait servi à financer la rebéllion ayant renversé le régime de François Bozizé.

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Etant donné le caractère non limitatif de l'énumération des mesures prévues par l'article 41 de la Charte, le Conseil de sécurité n'a pas hésité à diversifier les domaines d'intervention des sanctions et à étendre leur champ d'application. Il a aussi prévu la mise en place de comités de sanctions et de groupe d'experts pour contrôler le respect des sanctions. Cette malléabilité a permis la création de régimes de sanctions très variés et spécifiques à chaque situation.

Cependant, à l'heure du bilan, les diplomates et les experts concluent à un résultat mitigé et des doutes se font entendre quant à l'efficacité des régimes de sanctions non coercitives mis en place par le Conseil de sécurité.

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote