B- L'absence d'impartialité
La mise en oeuvre de la Responsabilité de
protéger doit faire face à des défis considérables,
au premier titre desquels la présence de l'indispensable volonté
politique et d'un consensus international. Face aux risques
d'instrumentalisation du principe à des fins de politique
étrangère, c'est ce dernier qui constitue le gage de
légitimité de son application.
En effet, les mesures au titre de la R2P ou de la protection
des populations sont décidées et mises en oeuvre par les
États : si le consensus au Conseil de sécurité et les
courants des opinions publics sont un test pour les « motifs de protection
», qui doivent en principe constituer l'objectif premier de
l'intervention, les États n'en demeurent pas moins guidés par
leurs objectifs propres, politiques par excellence. Ce dilemme
194 Rapport du Groupe d'étude sur les opérations
de paix de l'ONU (Rapport Brahimi), Doc. A/55/305-S/2000/809, op. cit.,
paragraphe 122, p. 24.
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concerne les opérations de paix onusiennes ou
menées par des organisations régionales, mais il est d'autant
plus prégnant lorsqu'une opération militaire coercitive est en
cause. Ainsi, l'opération coordonnée par l'OTAN en Lybie au
printemps 2011 semble poursuivre non pas un, mais deux agendas : la protection
des civils et la chute du régime. Si le premier relève de la
responsabilité de protéger pour laquelle un mandat de l'ONU a
été voté, le second relève d'un choix politique de
la coalition. Or, ce dernier demeure inavouable dans le cadre de la R2P, parce
qu'il remet directement en cause la souveraineté étatique. Le
même dilemme avait marqué la campagne de bombardements de l'OTAN
au Kosovo en 1999 alors menée sans mandat du Conseil de
sécurité : comme l'expliquait Rony Brauman195. Ces
logiques concurrentes expliquent en partie pourquoi de nombreuses situations
dramatiques pour les civils ne donnent lieu à aucune mesure collective
de la part de la Communauté internationale. Non seulement les rapports
de force au Conseil de sécurité conditionnent la reconnaissance
de l'existence de massacres, d'un génocide ou de crimes contre
l'humanité, nonobstant leur réalité objective, mais la
situation géopolitique ou géostratégique pèse
également lourd sur toute intervention. Ainsi le Conseil de
sécurité a-t-il invoqué la R2P dans plusieurs
résolutions sur le Darfour en 2006, mais pas lors de l'écrasement
des manifestations pacifiques en Birmanie l'année suivante ; de
même une opération militaire de protection a-t-elle
été lancée dès les débuts de la guerre
civile en Libye en mars 2011, tandis que l'idée même d'une
intervention en Syrie, à la même période et dans le
même contexte des révolutions arabes, demeure hors de question.
Par ailleurs, la volonté politique, comme le rappelle
Hugo Slim196, est souvent présentée comme la
clé ultime du succès de la lutte contre les génocides et
autres atrocités massives : une action militaire est bien souvent
susceptible d'engendrer une situation pire, pour les civils, que celle qu'elle
est censée éviter. Ainsi des tergiversations sur le Darfour,
où les options furent limitées par les risques de voir
195 Le discours « humanitariste » qui semblait
guider la guerre contre la Serbie de Milosevic « effaçait les
considérations politiques qui en étaient à l'origine. Que
les Nations européennes décident, dans le cadre d'une alliance
militaire, de mettre un terme à la politique criminelle d'un pays
européen, la Serbie, voilà qui [relevait] pourtant d'un programme
politique décent » Rony Brauman, Humanitaire : le
dilemme, Paris, Textuel, 2007 (nouvelle éd.).
196 Directeur de recherché à l'Institute of
Ethics, Law and Armed Conflict de l'Université d'Oxford. Il a
conseillé plusieurs sociétés en matière de droit de
l'homme et de résolution des conflits dont BP. Auteur de l'ouvrage
intitulé Les civils dans la guerre.
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annuler le processus de paix parallèle Nord-Sud, ou de
provoquer un embrasement régional. En outre, les prévisions
raisonnables de réussite d'une intervention sont trop souvent
dominées par des considérations autocentrées de la part de
leurs promoteurs : à cet égard, l'intervention militaire en
Libye, en dépit de sa légitimité, n'est pas sans faire
craindre le glissement d'un scénario « Kosovo » vers un
scénario à l'irakienne. Dans ces deux cas, nonobstant la
supériorité militaire, c'est le consentement des populations qui
fit la différence.
Les quatre cas auxquels la Communauté internationale a
voulu limiter la portée de la responsabilité de protéger
sont censés en constituer les garde-fous. Or leur qualification, leur
reconnaissance qui doit donner lieu à l'action collective est
conditionnée par des facteurs éminemment politiques. Le recours
à la R2P en Libye, qui en renforce certes la logique dissuasive, ne doit
pas faire oublier les nombreuses situations où aucun consensus ne vient
secourir les civils. Que ce soit en mode diplomatique ou coercitif, pacifique
ou militaire, la responsabilité subsidiaire de la Communauté
internationale reste largement tributaire des intérêts des
États membres.
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