B- La grande divergence des sources d'information
Bien que l'alerte précoce s'est
développée et améliorée, le contexte dans lequel
elle s'inscrit a évolué au cours de la dernière
décennie. Il y a quelques années encore, l'information sur les
situations en gestion dans différentes régions du monde
était rare et la difficulté consistait à en obtenir
davantage. Aujourd'hui, les choses se sont en quelque sorte inversées,
en ce sens que l'information disponible est volumineuse et doit être
triée, évaluée et intégrée. Mais la
prévision des crises demeure une affaire hasardeuse et la
communauté internationale est encore, de temps à autre, prise de
court, comme ce fut le cas pour les violences ethniquement ciblées qui
ont ravagé le sud du Kirghizistan en juin 2010 ou le
déclenchement inattendu de la vague de troubles populaires qui a
secoué le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord en 2011.
Il paraît donc important de savoir comment une situation
donnée peut être qualifiée comme étant un cas
réel pour l'application de la R2P.
Le premier pas est évidemment de recueillir des
informations fiables et exactes. Plusieurs acteurs contribuent dans cette phase
à la collecte des informations. D'une part, il existe des sources
indépendantes comme les organismes de la société civile
de
184 Rapport CIISE, La responsabilité de
protéger, p. 24, par. 3 § 13. 185Rapport CIISE,
La responsabilité de protéger, p. 25.
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La mise en oeuvre de la responsabilité de
protéger en Afrique : Etude de quelques cas récents (Mali,
Centrafrique, Libye)
l'Etat concerné (ou en dehors), les ONG nationales et
internationales et d'autre part, des sources officielles et
intergouvernementales des États et des organisations régionales
et internationales. Au sein de l'ONU, plusieurs organes ou personnes sont
chargés de cette question : le Haut Commissariat aux Droits de l'Homme
(HCDH), le Haut Commissariat pour les Réfugiés (HCR), les deux
conseillers spéciaux du Secrétaire général pour la
prévention du génocide et pour la responsabilité de
protéger et, le cas échéant, le représentant ou
l'envoyé spécial du Secrétaire général pour
une situation spécifique186.
Les informations obtenues sont analysées et permettent
d'évaluer et de qualifier la situation sur le terrain. Ces
dernières années, l'ONU a essayé d'instaurer un
mécanisme d'alerte rapide pour coordonner ces évaluations et
avertir les autorités compétentes en cas de situations
dangereuses187. De toute façon, ces qualifications constatant
les éléments constitutifs des crimes188 constituent
une base suffisante pour déclencher la R2P. Donc la qualification
explicite d'une situation comme pouvant constituer un tel crime n'est
pas nécessaire malgré son importance dans certains
cas189.
La question qui se pose en la matière est de savoir
quel document invoquer pour justifier l'engagement de la Communauté
internationale lorsqu'il existe divers rapports et évaluations parfois
contradictoires, venant d'organes et de personnes différentes au sein ou
en dehors de l'ONU190 ? Il n'y a pas de réponse
définitive. Le défi tient au fait qu'il n'existe pas en droit
international d'autorité exclusivement compétente pour faire une
évaluation. Pourtant, afin d'éviter tout abus de droit, on peut
penser que seules les évaluations officielles de certains organes
compétents de l'ONU comme le Secrétaire général et
ses deux conseillers spéciaux, le Conseil de sécurité ou
le Conseil des droits
186 Pour connaître d'autres organes importants en la
matière au sein de l'ONU V. Rap. du SG : Alerte rapide,
évaluation et la responsabilité de protéger, Doc.
A/64/864, 14 juillet 2010.
187 Cet effort est renforcé surtout par le paragraphe
138 du document de 2005 qui exige la mise en place d'un dispositif d'alerte
rapide. Le Secrétaire général propose que si ses deux
conseillers spéciaux en la matière, après avoir
évalué la situation en tenant compte de toutes les informations
fournies au sein de l'Organisation, estiment qu'il y ait un risque de
commission des crimes, ils en avertissent, par son intermédiaire, le
Conseil de sécurité et d'autres organes compétents. V. son
Rap. (Rapport du millénaire du Secrétaire général
(SG) : Nous les peuples : le rôle des Nations unies au XXIe
siècle, Doc. A/54/2000, 27 mars 2000, p.36), p.8, par.18.
188 Comme par exemple, la torture systématique, prendre
délibérément des civils comme cibles, etc.
189 Surtout pour prendre des mesures coercitives. La
qualification trop tôt d'une situation comme un crime peut compromettre
les efforts diplomatiques déployés afin de résoudre la
crise. Au contraire, faire une telle qualification en temps voulu aide à
mobiliser la volonté politique requise pour l'action rapide.
190 Le risque est que des situations ne relevant pas de la R2P
soient qualifiées comme telles et conduisent donc à une
utilisation abusive de cette notion, ou au contraire, qu'on s'abstienne d'agir
là où il en est le cas.
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protéger en Afrique : Etude de quelques cas récents (Mali,
Centrafrique, Libye)
de l'homme doivent être prises en compte pour
déclencher une telle responsabilité. Ce qui néanmoins
reste critiquable.
Le rapport Brahimi191 recommande à ce sujet,
la création d'une unité de gestion de l'information etd'analyse
stratégique chargée de satisfaire les besoins du
Secrétaire général et desmembres du Conseil
exécutif pour la paix et la sécurité en matière
d'information etd'analyse. En l'absence d'une unité de ce genre, le
Secrétariat restera une institutionà la remorque des
événements, incapable de les anticiper, et le Comité
exécutif nesera pas en état de remplir le rôle pour lequel
il a été créé. En outre, le rapport propose que
soit mis sur pied un Secrétariat à l'information età
l'analyse stratégique (SIAS) du Comité exécutif pour la
paix et la sécurité (CEPS) chargé de créer et de
gérer des bases de données intégrées sur les
questions relativesà la paix et à la sécurité,
d'assurer une diffusion rationnelle de ces données au seindu
système des Nations Unies, de produire des analyses axées sur les
politiques, deformuler des stratégies à long terme à
l'intention du CEPS et de porter les menacesde crises à son attention.
Le SIAS pourrait aussi proposer et gérer l'ordre du jour duCEPS,
contribuant ainsi à en faire l'organe décisionnel que
prévoyaient les réformesinitiales du Secrétaire
général192. Une bonne volonté politique est
nécessaire pour la réalisation de telles reformes.
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