Paragraphe 2 : L'existence de moyens de prévention
au plan régional africain
L'Afrique, à l'instar d'autres régions du monde
dispose également de moyens de prévention des conflits aussi bien
dans le cadre de l'Union africaine (A), qu'au sein de certaines organisations
sous-régionales (B).
A- Dans le cadre de l'Union africaine
Il ne fait aucun doute qu'au cours du demi-siècle
écoulé, le continent a accompli des progrès significatifs
en matière de paix et de sécurité. Sur le plan
institutionnel, l'OUA et l'UA ont mis en place des structures qui ont permis de
renforcer la capacité du continent à prévenir les crises
et les conflits et à les gérer ou les régler lorsqu'ils
surviennent. Notablement, les initiatives prises au niveau de l'OUA ont abouti
à l'adoption, en juin 1993, de la Déclaration du Caire portant
création du Mécanisme pour la prévention, la gestion et le
règlement des conflits. Subséquemment, ce Mécanisme a,
dans le cadre de la transition de l'OUA à l'UA, donné naissance
au Protocole relatif à la création du Conseil de Paix et de
Sécurité (CPS), qui a été adopté à
Durban, en juillet 2002, et entré en vigueur en décembre
2003. Des étapes importantes ont été
franchies dans l'opérationnalisationde l'Architecture continentale de
paix et de
sécurité163 (APSA) prévue par
le Protocole, ainsi qu'en témoignent la mise en place du Conseil de Paix
et de Sécurité (CPS), du Groupe des Sages et, tout
récemment, du réseau « PanWise
164», constitué du Groupe des structures similaires
au niveau régional et d'autres acteurs actifs dans la prévention
des conflits et la médiation. Afin de s'acquitter de sa mission, l'APSA,
à travers le CPS, peut mettre en oeuvre aussi bien
163 L'Architecture africaine de paix et de
sécurité (APSA) est le dispositif de maintien de la paix et de la
sécurité en Afrique, mis en place sous l'égide de l'Union
africaine. Le principal pilier institutionnel de l'APSA est le Conseil de paix
et de sécurité, qui est appuyé dans l'accomplissement de
sa mission par trois autres piliers, en l'occurrence, le Groupe des sages, le
Système continental d'alerte rapide (SCAR), la Force africaine en
attente (FAA) et le Fonds spécial pour la paix (FSP). Ses objectifs
sont, entre autres, la promotion de la paix, de la sécurité et de
la stabilité, l'anticipation et la prévention des conflits sur le
continent, le rétablissement et la consolidation de la paix, la
reconstruction post-conflit, ainsi que la promotion de la démocratie, de
la bonne gouvernance, de l'Etat de droit et des droits fondamentaux de la
personne humaine. Pour une vue d'ensemble sur l'APSA, voir Matthieu
FAU-NOUGARET et Luc Marius IBRIGA (dir.), L?Architecturede paix et de
sécurité en Afrique. Bilan et perspectives, Paris,
L'Harmattan, 312 p.
164Pan-African Network of the Wise
(Réseau panafricain des sages), créé en 2013 est un
réseau de coordination des acteurs non gouvernementaux dans le domaine
de la médiation. Il a pour but de promouvoir une approche plus
concertée et plus inclusive de la diplomatie préventive, de la
médiation et de la résolution des conflits dans le contexte de
l'architecture africaine de la paix et de sécurité.
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des procédures de règlement pacifique des
conflits que des mesures militaires de règlement des conflits. Les
procédures de règlement pacifique, qui nous intéressent
ici, comprennent, notamment, l'alerte rapide et la diplomatie
préventive, les bons-offices, la médiation, la conciliation et
l'enquête, qui sont expressément visés par l'article 6,
alinéa 1, b) et c) du Protocole relatif à la création du
Conseil de paix et de sécurité. A cet effet, le CPS dispose de
larges pouvoirs et peut, en vertu de l'article 8, § 5, mettre en place des
comités ad hoc de médiation, de conciliation et
d'enquête. Toutefois, aussi bien l'Acte constitutif de l'Union africaine
que le Protocole relatif à la création du Conseil de paix et de
sécurité autorise divers organes à initier des
activités de médiation. Ainsi, la Conférence des Chefs
d'Etat et de Gouvernement, en tant qu'organe suprême de l'Union, peut
donner mandat à un ou plusieurs de ses membres pour engager des missions
de médiation dans un conflit donné. Le Président en
exercice de la Conférence peut également, de son propre chef, ou
sur mandat de celle-ci, entreprendre des activités de médiation.
De même, le Président de la Commission de l'Union africaine, en
tant que premier fonctionnaire de l'Union, peut, de son propre chef ou sur
mandat de la Conférence ou du CPS, entreprendre, de lui-même ou
à travers ses Envoyés ou Représentants spéciaux,
des activités de médiation165. Ainsi, la
médiation occupe une bonne place dans la nouvelle Architecture africaine
de paix et de sécurité. Grâce au dialogue qu'elle engendre,
la médiation permet d'analyser les causes profondes des conflits,
d'appréhender leurs dimensions multiformes et de prendre en
considération les préoccupations et attentes de toutes les
parties. De ce fait, elle peut se révéler particulièrement
utile avant l'éclatement d'un conflit, après la naissance de
celui-ci et même après son apaisement lorsqu'il s'agira de
reconstruire la paix166. A la suite de l'OUA, l'Union africaine a
développé et systématisé la pratique des
médiations comme moyen de règlement pacifique des conflits
interétatiques ou
165 Il ressort de l'article 10, § 2, c) du Protocole
relatif au Conseil de paix et de sécurité que le Président
de la Commission « peut, de sa propre initiative ou à la
demande du CPS, user de ses bons-offices, soit personnellement, soit par
l'intermédiaire d'Envoyés spéciaux, de
Représentants spéciaux, du Groupe des sages ou des
Mécanismes régionaux, pour prévenir les conflits
potentiels, régler les conflits en cours et promouvoir les initiatives
et efforts de consolidation de la paix et de reconstruction post-conflits
».
166 Avant l'éclatement du conflit, la médiation
peut apparaître comme un outil de prévention, dans la mesure
où elle permet de traiter de façon précoce les facteurs
« confligènes » et d'éviter l'escalade de la violence,
en donnant l'occasion aux belligérants de trouver un terrain d'entente
aux problèmes qui les opposent. Après la naissance du conflit, la
médiation peut apparaître comme un instrument efficace
d'apaisement ou de règlement de celui-ci, permettant de parvenir
à un arrêt des hostilités et des violences,
officialisé par un accord de cessez-le-feu. Voir VETTOVAGLIA
Jean-Pierre, « Introduction » à l'ouvrage sur Médiation
et Facilitation dans l'espace francophone : théorie et pratique, op.
cit., pp. 2, 3.
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intra-étatiques, avec des succès variables.
Depuis sa mise en place en 2002, elle a entrepris directement des actions de
médiations dans plusieurs crises internes et apporté son soutien
à des médiations initiées par les Communautés
économiques régionales(CER). Parmi les médiations
importantes qu'elle a initiées, on peut mentionner tout
particulièrement : la médiation de l'ancien Secrétaire
général de l'ONU, Kofi Annan, dans la crise postélectorale
de 2008 au Kenya167, celle du Panel de haut niveau dans la crise
postélectorale en Côte d'Ivoire en 2011168, la
médiation du Panel de haut niveau dans la crise libyenne de
2011169.
Si ces actions sont une source de légitime
fierté, elles ne cachent pas moins les graves défis qu'il reste
à relever dans le domaine de la paix et de la sécurité. De
fait, l'Afrique reste confrontée à la persistance de conflits, de
l'insécurité et de l'instabilité dans différentes
régions du continent, avec les conséquences humanitaires et
socio-économiques qui en découlent. De nouvelles crises comme
celles du Mali et de la République centrafricaine (RCA), ont
éclaté, cependant que d'autres, telles que le conflit du Sahara
occidental, le différend entre l'Ethiopie et l'Erythrée et celui
entre ce dernier pays et Djibouti, ont jusqu'ici tenu en échec toutes
les tentatives de recherche d'une solution. Par ailleurs, les progrès
accomplis en termes de règlement des conflits demeurent
particulièrement fragiles, susceptibles qu'ils sont d'être
à tout moment
167 Suite à la crise postélectorale qui avait
frappé le Kenya après la contestation des résultats du
scrutin présidentiel du 27 décembre 2007, l'ancien
Secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, avait, sous
mandat de l'Union africaine, conduit une médiation réussie entre
les protagonistes, le Président Mwai Kibaki et l'opposant Raila Odinga
à travers la signature d'un accord politique de partage de pouvoir entre
les deux protagonistes. Cet accord de paix a également permis le retour
à la paix et des réformes constitutionnelles au Kenya.
168 A la suite de la crise postélectorale
déclenchée par la proclamation des résultats du second
tour de l'élection présidentielle du 20 novembre 2010 en
Côte d'Ivoire, et face à l'incapacité de la CEDEAO d'y
trouver une issue pacifique, l'Union africaine a successivement
désigné le Président sud-africain Thabo M'Beki, le Premier
Ministre Kényan Raila Odinga et le Président de la Commission
Jean Ping, pour assurer la médiation entre les parties ivoiriennes.
Devant l'échec de ces médiations, elle a mis en place un Panel de
haut niveau composé de cinq Chefs d'Etat (le Président
mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz, le Président tchadien Idriss Deby
Itno, le Président tanzanien Jakaya Kikwete, le Président
sud-africain Jacob Zuma et le Président burkinabè Blaise
Compaoré), du Président de la Commission de l'Union, Jean Ping,
et du Président de la Commission de la CEDEAO James Victor Gbeho. Voir
Communiqué du CPS n° PSC/AHG/COMM(CCLIX) du 28 janvier 2011.
169 Face à la crise libyenne déclenchée
en février 2011, à la suite de la répression sanglante par
le régime de Mouammar El Kaddhafi des mouvements de contestation,
l'Union africaine a mis en place un panel de haut niveau composé de cinq
Chefs d'Etat (Mohamed Ould Abdel Aziz de la Mauritanie, Amani Toumani
Touré du Mali, Jacob Zuma d'Afrique du Sud, Yoweri Museveni d'Ouganda et
Denis Sassou N'Guesso du Congo) pour engager une médiation entre le
gouvernement libyen et les représentants du Conseil national de la
Transition. Ce Comité de haut niveau a proposé, à l'issue
de sa première rencontre tenue le 19 février 2011 à
Nouakchott, une feuille de route en cinq points incluant : un cessez-le-feu
immédiat ; la protection des civils ; l'aide humanitaire ; le
déploiement d'un mécanisme international de surveillance et un
dialogue politique inclusif pour répondre aux aspirations du peuple
libyen. Cependant, cette feuille de route, acceptée par le colonel
Kaddhafi, a été rejetée par le CNT. Voir Communiqué
du CPS n° PSC/PR/COMM.2(CCLXV) du 10 mars 2011.
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Centrafrique, Libye)
remis en cause, que ce soit au Mali, dans les Grands Lacs, en
Somalie, au Darfour, ou dans les relations entre le Soudan et le Soudan du Sud.
Ces situations requièrent une attention de tous les instants et un
engagement continu.
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