DEUXIEME PARTIE : UNE MISE EN OEUVRE EQUIVOQUE
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La mise en oeuvre de la responsabilité de
protéger en Afrique : Etude de quelques cas récents (Mali,
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La responsabilité de protéger a, depuis son
origine, souffert de son amalgame avec l'intervention militaire. De ce fait,
les débats ont souvent été monopolisés par la
question du recours à la force. Même si, aujourd'hui, les
partisans de ce principe mettent l'accent sur la prévention, nombre de
discussions portent, sur l'utilisation de la force armée.
Mettre en oeuvre la responsabilité de protéger
signifie prévenir avant tout, agir ensuite, et reconstruire enfin. Il
s'agit d'un continuum adopté par la Commission et qui consiste
à mettre en oeuvre tous les moyens possibles afin de prévenir la
survenance des crimes ou catastrophes, puis agir lorsque ces moyens se sont
avérés inefficaces. En plus, elle innove avec un aspect qui n'a
souvent pas été pris en compte celle de la reconstruction,
désormais après la prévention et l'action, on a la
responsabilité de reconstruire. Dans ce continuum, toute
tentative visant à délimiter la responsabilité de
protéger selon l'une ou l'autre des opérations de paix est
réductrice. Afin de mieux cerner les différents aspects de la
mise en oeuvre de la R2P, il convient d'aborder dans un premier temps la ferme
volonté des organisations internationales de prévenir la
commission de certains crimes internationaux (Chapitre I).
Ensuite, dans un second temps, il convient de relever les controverses
engendrées par les différentes interventions (Chapitre
II).
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CHAPITRE I : UNE FERME VOLONTE DE PREVENIR
Depuis la fin de la guerre froide, la scène
internationale a enregistré de nombreux conflits, qui se distinguent des
conflits traditionnels par leur caractère davantage civil
qu'international, leur intensité, la nature des victimes et des acteurs
qui y participent, sans que la Communauté internationale parvienne
toujours à y faire face de manière efficace. Il est maintenant
bien connu que certaines crises humanitaires tragiques, comme celle du Rwanda
en 1994, auraient pu être désamorcées si tout le dispositif
de prévention et de réaction prévu par l'ONU et par
certaines autres institutions avait été mis en
place144. En conséquence, en tirant les leçons des
échecs du passé, le concept de prévention semble s'imposer
aujourd'hui comme l'une des notions centrales du discours politique
international, dans un monde toujours traversé par de multiples menaces
(conflits interétatiques, conflits intra-étatiques, terrorismes,
génocides, insécurité humaine, crises humanitaires, etc.).
Si, pendant longtemps, ce sont les notions de « réaction » ou
de « gestion » qui semblaient définir la posture politique et
analytique la plus « appropriée » en matière de crises
politiques et humanitaires, il est devenu aujourd'hui plus « commode
» de se référer à la notion de «
prévention145 » et de lui accorder une importance
primordiale146.
Afin de mieux appréhender la volonté de
prévenir les conflits en Afrique, nous passerons en revue, les
mécanismes pertinents de prévention (Section 1).
Ensuite, nous relèverons les différentes faiblesses qui entravent
l'efficacité de ces mécanismes (Section 2).
Section 1 : Les mécanismes pertinents de
prévention
La CIISE rappelle que la prévention efficace suppose la
réunion de trois conditions essentielles à savoir l'outillage
préventif, l'alerte rapide, et avant tout, la
144 D'après la Commission Carnegie pour la
prévention des conflits meurtriers, la communauté internationale
a consacré dans les années 90 près de 200 milliards de
dollars à la gestion des conflits dans le cadre de sept interventions
majeures (Bosnie-Herzégovine, Somalie, Rwanda, Haïti, golfe
Persique, Cambodge et El Salvador), mais aurait pu économiser 130
milliards de dollars si elle avait opté pour une approche
préventive plus efficace.
145 Fondamentalement, les efforts de prévention visent
bien évidemment à réduire, sinon éliminer
complètement, la nécessité d'une intervention. Cela
étant, même lorsque ces efforts ne permettent pas d'empêcher
un conflit ou une catastrophe, ils constituent une condition préalable
nécessaire à une réaction efficace.
146 La Commission préconise une ferme volonté de
prévention dans les Etats, et celle-ci doit se manifester tant au niveau
des causes profondes (lointaines) que directes (immédiates) des crises
humanitaires. De plus, elle plaide pour un mécanisme d'alerte rapide
comme moyen d'information en vue toujours de prévenir la survenance d'un
péril imminent.
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volonté politique. Elle précise également
que « Par delà les détails concrets, ce qu'il faut de la
part de la communauté internationale, c'est un changement fondamental
d'état d'esprit, un passage d'une «culture de la
réaction» à une «culture de la
prévention"»147. Les moyens de prévention
des conflits se sont énormément diversifiés ces
dernières décennies au plan international (Paragraphe 1)
de même qu'au plan régional africain (Paragraphe
2).
Paragraphe 1 : La diversité des moyens de
prévention au plan international
Dans son rapport sur la prévention des conflits
armés148, le Secrétaire général
Kofi Annan établit une distinction entre la prévention
immédiate, à laquelle on a recours lorsque la violence
paraît imminente et qui, dans une large mesure, relève de la
diplomatie, et la prévention structurelle, qui suppose qu'on
s'attaque aux causes profondes des conflits armés potentiels. C'est
traditionnellement par la diplomatie préventive que l'ONU aborde
directement le problème de la prévention immédiate et
c'est pourquoi les efforts sont actuellement centrés sur le moyen de
progresser dans la mise en oeuvre d'une stratégie de prévention
structurelle, qui traiterait les causes politiques, sociales, culturelles,
économiques, environnementales et autres causes structurelles qui sont
souvent à la base des symptômes immédiats de conflits
armés. Cette approche peut être judicieuse en cas de menaces
à la paix et à la sécurité telle que le terrorisme.
Une telle analyse permet de distinguer les moyens politico-diplomatiques (A) de
prévention des moyens d'ordre économique, judiciaire et militaire
(B).
A- Les moyens politico-diplomatiques
Les mesures de prévention directe d'ordre
politico-diplomatique comportent notamment l'intervention directe du
Secrétaire Général149 de l'ONU, ainsi que
les
147 CIISE, La responsabilité de protéger,
§3.42, p. 30.
148 Rapport SGNU, A/55/985-S/2001/574 et Corr.1, 12 octobre
2003.
149 Le mandat concernant la prévention des conflits
trouve son origine dans l'Article 99 de la Charte aux termes duquel le
Secrétaire général peut attirer l'attention du Conseil de
sécurité sur toute affaire qui, à son avis, pourrait
mettre en danger le maintien de la paix et de la sécurité
internationales. L'efficacité des bons offices dépend souvent de
la marge de manoeuvre dont dispose le Secrétaire
général.
Le Département des affaires politiques est le principal
outil opérationnel qui permet au Secrétaire général
d'exercer ses bons offices.
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missions d'établissement des faits150, les
efforts des commissions de personnalités éminentes, le dialogue
et la médiation par le biais des bons offices151, les appels
internationaux et les ateliers de dialogue et de résolution des
problèmes dans le cadre d'une seconde filière non officielle.
Dans son rapport du 26 août 2011 intitulé Les
fruits de la diplomatie préventive152, le
Secrétaire général Ban Ki-Moon met l'accent sur l'action
diplomatique adoptée pour prévenir ou atténuer la
multiplication des conflits armés. Il y énumère plusieurs
outils et instruments à savoir : les bons offices du Secrétaire
général, les envoyés des Nations unies153, les
bureaux régionaux, les missions politiques résidentes (telle que
le Bureau intégré des Nations Unies pour la
150 Par la résolution 2127 (2013), adoptée
à l'unanimité de ses 15 membres, le Conseil de
sécurité décide de créer rapidement une commission
d'enquête internationale, pour une période initiale d'un an,
chargée d'enquêter sur les violations du droit international
humanitaire et du droit international des droits de l'homme qui auraient
été perpétrées en République centrafricaine
« par quelque partie que ce soit » depuis le 1er janvier 2013.
151 Les bons-offices et la médiation ont
été codifiés par le Titre II de la Convention de la Haye
du 18 octobre 1907 pour le règlement pacifique des conflits
internationaux (art. 2 à 8). Ces dispositions indiquent dans quelles
circonstances les parties en conflit ont recours aux bons-offices et à
la médiation, l'objet des bons-offices et de la médiation, le
rôle du médiateur, ainsi que les modalités de leur
organisation. Il ressort de l'article 4, par exemple, que « Le
rôle du médiateur consiste à concilier les
prétentions opposées et à apaiser les ressentiments qui
peuvent s?être produits entre les Etats en conflit ».
152 Rapport du Secrétaire général,
S/2011/552, 26 août 2011, paragraphes 16 et suivants.
153 Immédiatement après le début de la
crise libyenne, le 17 février 2011, Ban Ki-Moon, Secrétaire
général de l'ONU à l'époque, nomma comme
envoyé spécial en Libye le diplomate jordanien Abdelelah
Al-khatib. Al-khatib devait servir de médiateur entre le
Conseil National de Transition (CNT), les dirigeants politiques de la
révolution et le régime de Kadhafi pour mener à une
résolution du conflit.
Le 26 avril 2011, à peine quelques semaines
après avoir fait d'al-Khatib son représentant spécial, Ban
ki-Moon nomma alors le militant des droits de l'homme britannique, Ian
Martin, conseiller spécial sur la Libye, avec pour mission de
commencer la planification post-conflit, en collaboration avec al-Khatib.
Plusieurs semaines plus tard, Martin arriva à Tripoli et assuma la
charge d'installer la Mission de soutien de l'ONU en Libye (UNSMIL). Martin
sera remplacé en octobre 2012 par Tarek Mitri, un
universitaire libanais fort d'une expérience gouvernementale de niveau
ministériel et, surtout, qui maîtrisait l'arabe. Début
2014, Mitri essaya de négocier un accord inclusif de partage du pouvoir,
associant toutes les forces politiques principales du pays; mais son
idée n'obtint pas le soutien escompté de certains acteurs
clés.
Le rôle de l'UNSMIL avait désormais radicalement
changé. Il ne s'agissait plus d'aider la transition vers la
démocratie et de mettre en place de nouvelles institutions publiques
mais d'oeuvrer au rétablissement de la paix et à la
résolution des conflits. Cela mena à nouveau à un
changement : Mitri fut remplacé par Bernardino
León, diplomate espagnol bien ancré dans le paysage
politique.
León prit le relais en août 2014 et
s'attela tout de suite à lancer un nouveau processus inclusif de
dialogue politique. Dès début septembre de nouvelles
négociations furent entamées dans la ville libyenne de Ghadames,
à la frontière algéro-libyenne. Le nouveau processus fut
très mouvementé, et plusieurs processus parallèles se
déroulèrent dans divers pays arabes et européens.
Ce processus culmina avec la signature de l'accord de Skhirat,
au Maroc, le 17 décembre 2015. Cependant, León qui
démmisionna démissionna deux mois plus tôt sera
remplacé par Martin Kobler, diplomate allemand,
nommé fin octobre 2015. Ce dernier sera remplacé en juin
2017 par le nouvel envoyé spécial des Nations unies, le Libanais
Ghassan Salamé, un intellectuel réputé et
un diplomate chevronné.
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consolidation de la paix en République centrafricaine
(BINUCA), les missions d'établissement des faits et
d'enquête154, etc.
La diplomatie préventive s'est rapidement
développée et a évolué, mais elle n'est ni
aisée, ni simple, ni forcément toujours couronnée de
succès. Elle continue de buter sur de grands obstacles et aléas,
les chances de succès étant souvent tributaires de multiples
facteurs, dont l'un des plus importants a trait à la volonté des
parties. Si les parties ne veulent pas la paix ou ne sont pas disposées
à faire des concessions, il est extrêmement difficile, en
particulier pour des intervenants externes, de les persuader de changer d'avis.
Ici, le lien entre la diplomatie préventive et le pouvoir de mettre en
action des mécanismes incitatifs et des facteurs dissuasifs peut
être capital pour convaincre les principaux acteurs, en respectant
pleinement leur souveraineté, qu'ils ont intérêt à
opter pour le dialogue et contre la violence et, si nécessaire,
d'accepter une aide extérieure à cet effet.
Cependant, dans les situations de crise interne en
particulier, on peut craindre les ingérences indues ou les «
internationalisations » non souhaitées des affaires
intérieures du pays. Faute de possibilité d'intervention, la
communauté internationale peut se retrouver impuissante devant une
situation qui manifestement se détériore et où les pertes
en vies humaines s'accumulent alors que c'est paradoxalement à ce stade
qu'un espace pour l'action politique peut parfois s'ouvrir et lorsqu'une menace
particulièrement grave ou imminente plane sur la paix et la
sécurité internationales, l'action diplomatique peut ne pas
être efficace et nécessiter d'autres formes complémentaires
de pression, y compris, si nécessaire, des mesures
coercitives155.
Toutefois, des mesures peuvent être prises pour
maximiser les chances de succès de la diplomatie. Les
éléments clefs qui, au vu de l'expérience de l'ONU et d'un
bon nombre de ses partenaires, se sont révélés essentiels
à cet égard sont décrits
154 L'ONU a mis en place un certains nombre de commissions
d'enquêtes dans le cadre de plusieurs crises en Afrique ; en Libye et en
RCA notamment : cas de la Commission d'enquête internationale
chargée d'examiner les allégations de violation du droit
international humanitaire et des droits de l'homme en Libye, établie en
février 2011 par le Conseil des droits de l'homme (ONU) ; et de la
Commission internationale d'enquête sur les violations des droits de
l'homme commises en République centrafricaine, établie en janvier
2014.
155 En cas d'échec de ces mesures, la prévention
directe d'ordre politico-diplomatique peut aller jusqu'à la menace ou
l'imposition des sanctions politiques, l'isolement diplomatique, la suspension
de la participation aux travaux de certaines organisations, les restrictions
frappant les avoirs de certaines personnes, l'opprobre jeté sur des
personnes ou des instances désignées nommément, ou des
mesures de même type. Rapport CIISE, La responsabilité de
protéger, p. 27, paragraphe 3 § 26.
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Centrafrique, Libye)
dans le rapport du Secrétaire
général156. Il s'agit de : l'alerte précoce, la
flexibilité des actions de diplomatie préventive, la
création de partenariats avec les organisations régionales et
sous-régionales, la durabilité des actions de diplomatie
préventive, l'évaluation de l'efficacité des actions de
diplomatie préventive, et la disponibilité des ressources
humaines de qualité.
Aussi bien en Libye, en Centrafrique qu'au Mali, l'ONU a dans
un premier temps essayé d'établir le contact avec les parties au
conflit par le biais notamment des envoyés spéciaux, des
représentants résidant nommés par le Secrétaire
général en vue de mener les négociations devant faciliter
le retour de la paix. Dans chacun de ces cas, l'action diplomatique de l'ONU a
connu différentes facettes.
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