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La mise en œuvre de la responsabilité de protéger en Afrique. étude de quelques cas récents (Mali, Centrafrique, Libye).


par Bansopa Linda DARATE
Université d'Abomey-Calavi, Bénin - Master II Droit International et Organisations Internationales  2017
  

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DEUXIEME PARTIE : UNE MISE EN OEUVRE EQUIVOQUE

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La mise en oeuvre de la responsabilité de protéger en Afrique : Etude de quelques cas récents (Mali, Centrafrique, Libye)

La responsabilité de protéger a, depuis son origine, souffert de son amalgame avec l'intervention militaire. De ce fait, les débats ont souvent été monopolisés par la question du recours à la force. Même si, aujourd'hui, les partisans de ce principe mettent l'accent sur la prévention, nombre de discussions portent, sur l'utilisation de la force armée.

Mettre en oeuvre la responsabilité de protéger signifie prévenir avant tout, agir ensuite, et reconstruire enfin. Il s'agit d'un continuum adopté par la Commission et qui consiste à mettre en oeuvre tous les moyens possibles afin de prévenir la survenance des crimes ou catastrophes, puis agir lorsque ces moyens se sont avérés inefficaces. En plus, elle innove avec un aspect qui n'a souvent pas été pris en compte celle de la reconstruction, désormais après la prévention et l'action, on a la responsabilité de reconstruire. Dans ce continuum, toute tentative visant à délimiter la responsabilité de protéger selon l'une ou l'autre des opérations de paix est réductrice. Afin de mieux cerner les différents aspects de la mise en oeuvre de la R2P, il convient d'aborder dans un premier temps la ferme volonté des organisations internationales de prévenir la commission de certains crimes internationaux (Chapitre I). Ensuite, dans un second temps, il convient de relever les controverses engendrées par les différentes interventions (Chapitre II).

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CHAPITRE I : UNE FERME VOLONTE DE PREVENIR

Depuis la fin de la guerre froide, la scène internationale a enregistré de nombreux conflits, qui se distinguent des conflits traditionnels par leur caractère davantage civil qu'international, leur intensité, la nature des victimes et des acteurs qui y participent, sans que la Communauté internationale parvienne toujours à y faire face de manière efficace. Il est maintenant bien connu que certaines crises humanitaires tragiques, comme celle du Rwanda en 1994, auraient pu être désamorcées si tout le dispositif de prévention et de réaction prévu par l'ONU et par certaines autres institutions avait été mis en place144. En conséquence, en tirant les leçons des échecs du passé, le concept de prévention semble s'imposer aujourd'hui comme l'une des notions centrales du discours politique international, dans un monde toujours traversé par de multiples menaces (conflits interétatiques, conflits intra-étatiques, terrorismes, génocides, insécurité humaine, crises humanitaires, etc.). Si, pendant longtemps, ce sont les notions de « réaction » ou de « gestion » qui semblaient définir la posture politique et analytique la plus « appropriée » en matière de crises politiques et humanitaires, il est devenu aujourd'hui plus « commode » de se référer à la notion de « prévention145 » et de lui accorder une importance primordiale146.

Afin de mieux appréhender la volonté de prévenir les conflits en Afrique, nous passerons en revue, les mécanismes pertinents de prévention (Section 1). Ensuite, nous relèverons les différentes faiblesses qui entravent l'efficacité de ces mécanismes (Section 2).

Section 1 : Les mécanismes pertinents de prévention

La CIISE rappelle que la prévention efficace suppose la réunion de trois conditions essentielles à savoir l'outillage préventif, l'alerte rapide, et avant tout, la

144 D'après la Commission Carnegie pour la prévention des conflits meurtriers, la communauté internationale a consacré dans les années 90 près de 200 milliards de dollars à la gestion des conflits dans le cadre de sept interventions majeures (Bosnie-Herzégovine, Somalie, Rwanda, Haïti, golfe Persique, Cambodge et El Salvador), mais aurait pu économiser 130 milliards de dollars si elle avait opté pour une approche préventive plus efficace.

145 Fondamentalement, les efforts de prévention visent bien évidemment à réduire, sinon éliminer complètement, la nécessité d'une intervention. Cela étant, même lorsque ces efforts ne permettent pas d'empêcher un conflit ou une catastrophe, ils constituent une condition préalable nécessaire à une réaction efficace.

146 La Commission préconise une ferme volonté de prévention dans les Etats, et celle-ci doit se manifester tant au niveau des causes profondes (lointaines) que directes (immédiates) des crises humanitaires. De plus, elle plaide pour un mécanisme d'alerte rapide comme moyen d'information en vue toujours de prévenir la survenance d'un péril imminent.

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volonté politique. Elle précise également que « Par delà les détails concrets, ce qu'il faut de la part de la communauté internationale, c'est un changement fondamental d'état d'esprit, un passage d'une «culture de la réaction» à une «culture de la prévention"»147. Les moyens de prévention des conflits se sont énormément diversifiés ces dernières décennies au plan international (Paragraphe 1) de même qu'au plan régional africain (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : La diversité des moyens de prévention au plan international

Dans son rapport sur la prévention des conflits armés148, le Secrétaire général Kofi Annan établit une distinction entre la prévention immédiate, à laquelle on a recours lorsque la violence paraît imminente et qui, dans une large mesure, relève de la diplomatie, et la prévention structurelle, qui suppose qu'on s'attaque aux causes profondes des conflits armés potentiels. C'est traditionnellement par la diplomatie préventive que l'ONU aborde directement le problème de la prévention immédiate et c'est pourquoi les efforts sont actuellement centrés sur le moyen de progresser dans la mise en oeuvre d'une stratégie de prévention structurelle, qui traiterait les causes politiques, sociales, culturelles, économiques, environnementales et autres causes structurelles qui sont souvent à la base des symptômes immédiats de conflits armés. Cette approche peut être judicieuse en cas de menaces à la paix et à la sécurité telle que le terrorisme. Une telle analyse permet de distinguer les moyens politico-diplomatiques (A) de prévention des moyens d'ordre économique, judiciaire et militaire (B).

A- Les moyens politico-diplomatiques

Les mesures de prévention directe d'ordre politico-diplomatique comportent notamment l'intervention directe du Secrétaire Général149 de l'ONU, ainsi que les

147 CIISE, La responsabilité de protéger, §3.42, p. 30.

148 Rapport SGNU, A/55/985-S/2001/574 et Corr.1, 12 octobre 2003.

149 Le mandat concernant la prévention des conflits trouve son origine dans l'Article 99 de la Charte aux termes duquel le Secrétaire général peut attirer l'attention du Conseil de sécurité sur toute affaire qui, à son avis, pourrait mettre en danger le maintien de la paix et de la sécurité internationales. L'efficacité des bons offices dépend souvent de la marge de manoeuvre dont dispose le Secrétaire général.

Le Département des affaires politiques est le principal outil opérationnel qui permet au Secrétaire général d'exercer ses bons offices.

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missions d'établissement des faits150, les efforts des commissions de personnalités éminentes, le dialogue et la médiation par le biais des bons offices151, les appels internationaux et les ateliers de dialogue et de résolution des problèmes dans le cadre d'une seconde filière non officielle.

Dans son rapport du 26 août 2011 intitulé Les fruits de la diplomatie préventive152, le Secrétaire général Ban Ki-Moon met l'accent sur l'action diplomatique adoptée pour prévenir ou atténuer la multiplication des conflits armés. Il y énumère plusieurs outils et instruments à savoir : les bons offices du Secrétaire général, les envoyés des Nations unies153, les bureaux régionaux, les missions politiques résidentes (telle que le Bureau intégré des Nations Unies pour la

150 Par la résolution 2127 (2013), adoptée à l'unanimité de ses 15 membres, le Conseil de sécurité décide de créer rapidement une commission d'enquête internationale, pour une période initiale d'un an, chargée d'enquêter sur les violations du droit international humanitaire et du droit international des droits de l'homme qui auraient été perpétrées en République centrafricaine « par quelque partie que ce soit » depuis le 1er janvier 2013.

151 Les bons-offices et la médiation ont été codifiés par le Titre II de la Convention de la Haye du 18 octobre 1907 pour le règlement pacifique des conflits internationaux (art. 2 à 8). Ces dispositions indiquent dans quelles circonstances les parties en conflit ont recours aux bons-offices et à la médiation, l'objet des bons-offices et de la médiation, le rôle du médiateur, ainsi que les modalités de leur organisation. Il ressort de l'article 4, par exemple, que « Le rôle du médiateur consiste à concilier les prétentions opposées et à apaiser les ressentiments qui peuvent s?être produits entre les Etats en conflit ».

152 Rapport du Secrétaire général, S/2011/552, 26 août 2011, paragraphes 16 et suivants.

153 Immédiatement après le début de la crise libyenne, le 17 février 2011, Ban Ki-Moon, Secrétaire général de l'ONU à l'époque, nomma comme envoyé spécial en Libye le diplomate jordanien Abdelelah Al-khatib. Al-khatib devait servir de médiateur entre le Conseil National de Transition (CNT), les dirigeants politiques de la révolution et le régime de Kadhafi pour mener à une résolution du conflit.

Le 26 avril 2011, à peine quelques semaines après avoir fait d'al-Khatib son représentant spécial, Ban ki-Moon nomma alors le militant des droits de l'homme britannique, Ian Martin, conseiller spécial sur la Libye, avec pour mission de commencer la planification post-conflit, en collaboration avec al-Khatib. Plusieurs semaines plus tard, Martin arriva à Tripoli et assuma la charge d'installer la Mission de soutien de l'ONU en Libye (UNSMIL). Martin sera remplacé en octobre 2012 par Tarek Mitri, un universitaire libanais fort d'une expérience gouvernementale de niveau ministériel et, surtout, qui maîtrisait l'arabe. Début 2014, Mitri essaya de négocier un accord inclusif de partage du pouvoir, associant toutes les forces politiques principales du pays; mais son idée n'obtint pas le soutien escompté de certains acteurs clés.

Le rôle de l'UNSMIL avait désormais radicalement changé. Il ne s'agissait plus d'aider la transition vers la démocratie et de mettre en place de nouvelles institutions publiques mais d'oeuvrer au rétablissement de la paix et à la résolution des conflits. Cela mena à nouveau à un changement : Mitri fut remplacé par Bernardino León, diplomate espagnol bien ancré dans le paysage politique.

León prit le relais en août 2014 et s'attela tout de suite à lancer un nouveau processus inclusif de dialogue politique. Dès début septembre de nouvelles négociations furent entamées dans la ville libyenne de Ghadames, à la frontière algéro-libyenne. Le nouveau processus fut très mouvementé, et plusieurs processus parallèles se déroulèrent dans divers pays arabes et européens.

Ce processus culmina avec la signature de l'accord de Skhirat, au Maroc, le 17 décembre 2015. Cependant, León qui démmisionna démissionna deux mois plus tôt sera remplacé par Martin Kobler, diplomate allemand, nommé fin octobre 2015. Ce dernier sera remplacé en juin 2017 par le nouvel envoyé spécial des Nations unies, le Libanais Ghassan Salamé, un intellectuel réputé et un diplomate chevronné.

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consolidation de la paix en République centrafricaine (BINUCA), les missions d'établissement des faits et d'enquête154, etc.

La diplomatie préventive s'est rapidement développée et a évolué, mais elle n'est ni aisée, ni simple, ni forcément toujours couronnée de succès. Elle continue de buter sur de grands obstacles et aléas, les chances de succès étant souvent tributaires de multiples facteurs, dont l'un des plus importants a trait à la volonté des parties. Si les parties ne veulent pas la paix ou ne sont pas disposées à faire des concessions, il est extrêmement difficile, en particulier pour des intervenants externes, de les persuader de changer d'avis. Ici, le lien entre la diplomatie préventive et le pouvoir de mettre en action des mécanismes incitatifs et des facteurs dissuasifs peut être capital pour convaincre les principaux acteurs, en respectant pleinement leur souveraineté, qu'ils ont intérêt à opter pour le dialogue et contre la violence et, si nécessaire, d'accepter une aide extérieure à cet effet.

Cependant, dans les situations de crise interne en particulier, on peut craindre les ingérences indues ou les « internationalisations » non souhaitées des affaires intérieures du pays. Faute de possibilité d'intervention, la communauté internationale peut se retrouver impuissante devant une situation qui manifestement se détériore et où les pertes en vies humaines s'accumulent alors que c'est paradoxalement à ce stade qu'un espace pour l'action politique peut parfois s'ouvrir et lorsqu'une menace particulièrement grave ou imminente plane sur la paix et la sécurité internationales, l'action diplomatique peut ne pas être efficace et nécessiter d'autres formes complémentaires de pression, y compris, si nécessaire, des mesures coercitives155.

Toutefois, des mesures peuvent être prises pour maximiser les chances de succès de la diplomatie. Les éléments clefs qui, au vu de l'expérience de l'ONU et d'un bon nombre de ses partenaires, se sont révélés essentiels à cet égard sont décrits

154 L'ONU a mis en place un certains nombre de commissions d'enquêtes dans le cadre de plusieurs crises en Afrique ; en Libye et en RCA notamment : cas de la Commission d'enquête internationale chargée d'examiner les allégations de violation du droit international humanitaire et des droits de l'homme en Libye, établie en février 2011 par le Conseil des droits de l'homme (ONU) ; et de la Commission internationale d'enquête sur les violations des droits de l'homme commises en République centrafricaine, établie en janvier 2014.

155 En cas d'échec de ces mesures, la prévention directe d'ordre politico-diplomatique peut aller jusqu'à la menace ou l'imposition des sanctions politiques, l'isolement diplomatique, la suspension de la participation aux travaux de certaines organisations, les restrictions frappant les avoirs de certaines personnes, l'opprobre jeté sur des personnes ou des instances désignées nommément, ou des mesures de même type. Rapport CIISE, La responsabilité de protéger, p. 27, paragraphe 3 § 26.

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dans le rapport du Secrétaire général156. Il s'agit de : l'alerte précoce, la flexibilité des actions de diplomatie préventive, la création de partenariats avec les organisations régionales et sous-régionales, la durabilité des actions de diplomatie préventive, l'évaluation de l'efficacité des actions de diplomatie préventive, et la disponibilité des ressources humaines de qualité.

Aussi bien en Libye, en Centrafrique qu'au Mali, l'ONU a dans un premier temps essayé d'établir le contact avec les parties au conflit par le biais notamment des envoyés spéciaux, des représentants résidant nommés par le Secrétaire général en vue de mener les négociations devant faciliter le retour de la paix. Dans chacun de ces cas, l'action diplomatique de l'ONU a connu différentes facettes.

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"Des chercheurs qui cherchent on en trouve, des chercheurs qui trouvent, on en cherche !"   Charles de Gaulle