Section 2 : La conséquence : une situation
intenable
Les actions d'intégration sont souvent accueillies
défavorablement en raison de la confusion des genres qu'elles suscitent
dans l'esprit des populations. Pour accéder aux victimes et revendiquer
une certaine liberté d'expression, il est indispensable de
n'apparaître ni partie prenante dans le conflit, ni dépendant de
la politique d'une puissance étrangère, l'amalgame est courant :
les ONG sont perçues par les populations afghanes, ivoiriennes ou
irakiennes comme « occidentales » et assimilées aux forces
d'occupation. En Somalie déjà, l'intervention militaire
américaine avait permis l'acheminement des convois d'assistance, mais
n'avait guère contribué à améliorer la
sécurité des personnels des ONG humanitaires, vite
assimilés aux forces américaines. C'est pourquoi en août
2004, Médecin Sans Frontière quitte l'Afghanistan après
vingt-quatre ans de présence ininterrompue ; elle dénonce le
risque que les forces alliées font courir aux équipes
humanitaires et condamne l'implication de militaires dans les actions
humanitaires et de reconstruction ; elle réaffirme qu'en période
post-conflit, les actions humanitaires doivent relever de la
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Centrafrique, Libye)
seule compétence des ONG. De ces faits, l'on
déduit aisément qu'il existe des tensions entre militaires et
humanitaires (Paragraphe 1). Cette difficile cohabitation tend
à dénaturer l'humanitaire (Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : Les tensions entre militaires et
humanitaires
L'interaction entre les militaires et les agences humanitaires
(A) est régie par des directives civilo-militaires, mais dans les faits,
les tensions entre les deux parties sont nombreuses. L'existence de telles
tensions, met souvent en péril la protection des civils (B).
A- L'interaction entre agences humanitaires et forces
militaires
L'illustration la plus récente du mélange des
genres est sans doute le conflit sanglant commencé en février
2011 à Benghazi, puis étendu à l'ensemble de la Libye. Il
s'agit dans un premier temps d'un conflit armé non international, devenu
conflit armé international126 après les deux
résolutions du Conseil desécurité : le 27 février
2011, la résolution 1970 impose un embargo sur les armes, gèle
les avoirs à l'étranger des dirigeants libyens, leur impose une
interdiction de voyage, saisit le procureur de la Cour pénale
internationale et le 17 mars 2011, la résolution 1973 autorise «
toutes les mesures nécessaires » pour mettre en place une zone
d'exclusion aérienne destinée à protéger les
populations civiles contre les attaques et faciliter la délivrance d'une
aide internationale ; l'OTAN prend le contrôle de l'action militaire
internationale.
Dans l'interaction entre les agences humanitaires et les
forces militaires, les tensions sont quotidiennes. D'une part, les humanitaires
refusent que les militaires interviennent dans la gestion de l'aide, alors que
ces derniers font remarquer qu'en cas de conflit, le droit international
humanitaire leur donne la responsabilité morale et légale de
protéger les civils et de faciliter la distribution de l'aide. D'autre
part, les militaires ne comprennent pas la contribution des humanitaires en
situation de crise, alors que les agences et les O.N.G. sont parfaitement
expérimentées pour évaluer les besoins, assurer des soins,
acheminer et distribuer l'aide alimentaire et autre.
126 «Un conflit armé existe chaque fois qu'il y a
un recours à la force armée entre Etats [CAI] ou un conflit
armé prolongé entre les autorités gouvernementales et des
groupes armés organisés ou entre de tels groupes au sein d'un
Etat [CANI]». T.P.I.Y., arrêt Tadic, 1995, §70.
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En effet, les opérations menées en Libye
poursuivent deux objectifs officiels : d'abord protéger la population
civile ; c'est l'application du principe de la responsabilité de
protéger. Les agences humanitaires sont sceptiques sur
l'opération de l'OTAN pour trois raisons : la nature asymétrique
du conflit qui est en fait une guerre civile plus qu'un conflit international ;
la méthode des frappes aériennes, qui provoquent des dommages
collatéraux importants127; le défaut d'orientation
stratégique claire de la part de l'OTAN et l'absence d'une solution
politique. Ensuite, faciliter l'aide : les agences ne souhaitent pas un soutien
des militaires. Elles s'appuient sur les « directives des Nations unies
pour l'utilisation des ressources et de la protection civile dans le cadre
d'opérations d'aide humanitaire et de situations d'urgence complexes
»128; or l'idée essentielle développée
dans ces directives est celle du « dernier ressort129» :
les ressources militaires peuvent être utilisées pour l'aide
humanitaire uniquement lorsqu'aucune ressource civile équivalente n'est
disponible, lorsque toutes les options alternatives ont été
explorées, lorsque ces ressources sont utilisées à des
fins précises et pendant une période limitée. L'adoption
de ces directives est une conséquence de la confusion humanitaire -
militaire en Irak et en Afghanistan et des effets dommageables de cette
confusion pour les populations civiles et les humanitaires. Pour les
populations civiles : soit elles refusent les soins et les vivres des
humanitaires, car elles sont attaquées à titre de
représailles si elles les acceptent ; soit elles les détournent
au profit des belligérants (et donc n'en profitent pas). Pour les
humanitaires : soit ils sont confondus avec les militaires ; soit ils ne sont
pas considérés comme neutres et impartiaux ; dans tous les cas,
ils sont attaqués par les belligérants.
Il existe également des tensions quant au rôle
des militaires internationaux dans la « facilitation » de l'aide
humanitaire. Alors que l'OTAN a insisté sur le fait qu'elle ne jouerait
pas le « rôle de leader » dans la fourniture de l'aide, l'Union
européenne (UE) a planifié le déploiement d'une force
militaire (EUROFOR Libye) pour soutenir les efforts humanitaires, y compris en
sécurisant les ports et les corridors
127 Comme c'était le cas au Kosovo, en Afghanistan et en
Irak.
128 Directives MCDA-mars 2003, Révision I- 2006
129 Il ne doit être fait appel aux ressources militaires
que lorsqu'il n'existe aucune ressource civile comparable et que seule
l'utilisation des ressources militaires permettra de répondre à
un besoin humanitaire impératif. Les ressources militaires auxquelles il
a été fait appel doivent en conséquence être les
seules disponibles et les seules capables de répondre aux besoins de la
situation.
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humanitaires130. Certains acteurs humanitaires ont
refusé que les militaires aient un rôle à jouer dans la
réponse humanitaire. Une telle position s'avère cependant
inappropriée, faute de prendre en compte le fait que les militaires,
particulièrement lorsqu'ils sont partie prenante à un conflit,
ont la responsabilité morale et légale de protéger les
civils et de faciliter leur accès à l'aide131. En
Libye, les deux principaux objectifs du Conseil de sécurité sont
la protection des civils et la facilitation de l'aide humanitaire. Ils
nécessitent donc pour être atteints des efforts coordonnés
par les militaires et les humanitaires, que cela se fasse dans le cadre d'une
véritable coopération ou d'une simple coexistence.
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