CHAPITRE II : DES MOYENS DE MISE EN OEUVRE CONFUS
L'humanitaire est devenu un justificatif d'intervention
militaire102. Une intervention pour motif humanitaire peut recouvrir
diverses actions diplomatiques, des actions médicales et de secours
d'urgence, des pressions politiques, des sanctions économiques comme le
rappelle la Résolution 1674103 du Conseil de
sécurité; mais elle peut aussi consister dans une action
militaire officiellement motivée par le secours d'une population
touchée par la répression. C'est ce mélange des genres qui
sera au coeur de cette étude : l'analyse sera centrée sur les
risques que présente l'intervention militaire d'un Etat ou plusieurs sur
le territoire d'un autre Etat dans un but officiellement humanitaire, et sur
les dangers qui découlent du mélange de l'humanitaire et du
militaire. Car, la confusion ne manque pas souvent de s'installer entre
l'humanitaire et le militaire (Section 1). De cette confusion,
découlent des conséquences (Section 2) qu'ils
convient de relever.
Section 1 : Le mélange de l'humanitaire et du
militaire : l'humanitaire armé
Les textes internationaux notamment les rapports104
du Secrétaire général des Nations unies relatifs au
concept de « responsabilité de protéger » sont clairs :
la détresse d'une population appelle une assistance humanitaire, puis en
l'absence d'accord entre les intéressés, une intervention
politique des Nations unies pour trouver diplomatiquement une solution
politique. Le militaire ne doit être employé que dans des cas
extrêmes et rarissimes. Cependant, il est aisé de constater que l'
« humanitaire armé » se généralise depuis une
décennie sous deux formes principales. Il s'agit des opérations
civilo-militaires (Paragraphe 1) d'une part, et des missions
intégrées de maintien de la paix (Paragraphe 2),
d'autre part.
102 On en arrive ainsi à qualifier une guerre d' «
humanitaire » (expression largement utilisée par les journalistes
et les analystes politiques lors de la guerre du Kosovo en 1999) comme si
l'adjectif pouvait adoucir la réalité d'un conflit où des
personnes sont tuées et des « dommages collatéraux »
acceptés au nom de la croisade nécessaire contre le mal du
moment.
103 Résolution sur la protection des civils dans les
conflits armés, CSNU, 28 avril 2006.
104 Rapport du Secrétaire Général des
Nations Unies, La protection des civils dans les conflits
armés, New York, ONU, 28 octobre 2007, S/2007/643. Rapport du
Secrétaire général, Responsabilité de
protéger : réagir de manière prompte et
décisive, Doc. A/66/874À S/2012/578, 25 juillet 2012.
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La mise en oeuvre de la responsabilité de
protéger en Afrique : Etude de quelques cas récents (Mali,
Centrafrique, Libye)
Paragraphe 1 : Les opérations civilo-militaires
De prime abord antinomique, ce couple civilo-militaire est la
résultante d'un dilemme plus large, qui est celui du devoir moral et
éthique d'intervenir au nom des droits fondamentaux de la personne, et
des limites auxquelles cette même intervention est confrontée si
elle reste exclusivement dans le « pré carré » de
l'intervention d'humanité. De nature diverse (A), les opérations
civilo-militaires ont une portée relative (B).
A- La nature des opérations
La réflexion débouchant sur une militarisation
de l'humanitaire a débuté dans les années 1990, aux
États-Unis. Un processus de coordination inter-agences est mené
entre le département d'État, le Pentagone105 et
USAID106 (United States Agency for International
Development) ; il s'agit d'intégrer les systèmes civils et
militaires destinés à gérer les crises. L'objectif est
double : rationaliser l'action publique (et ainsi, faire des économies)
; rechercher l'unité de l'effort pour plus d'efficacité
militaire. L'idée est d'impliquer les forces armées
américaines dans des opérations de stabilisation et de secours
d'urgence en même temps que de combat ; ainsi en Afghanistan et en Irak,
les PRT107 (Provincial Reconstruction Teams) pratiquent des
interventions humanitaires et des actions de reconstruction, mais aussi des
missions de renseignement et de propagande. La confusion des genres est totale
: le militaire « étasunien » fait de l'humanitaire un
instrument de domination asymétrique de l'ennemi. Ce qui signifie bien
sûr la fin de l'humanitaire indépendant, neutre108,
impartial109, garantissant l'accès à toutes les
victimes110.
105Par métonymie,
Département de la Défense des Etats-Unis.
106Agence des Etats-Unis pour le
développement international, USAID est chargée du
développement économique et de l'assistance humanitaire dans le
monde.
107Ces équipes régionales,
constituées d'experts civils et militaires aux ordres du commandement,
ont pour but de favoriser le rétablissement de la normalité
institutionnelle et économique dans leur zone d'action en
parallèle et en accompagnement de l'action sécuritaire des
unités agissant dans la même zone. Cette évolution, sans
doute inéluctable, pose avec une acuité nouvelle la question de
la relation entre forces armées et ONG humanitaires dans les zones
d'intervention internationale.
108La neutralité signifie ne pas prendre
parti dans les hostilités, et ne jamais s'engager dans des controverses
d'ordre politique, religieux ou idéologique.
109L'impartialité est le corollaire du
principe d'humanité en ce qui concerne les souffrances humaines ; elle
peut être définie comme l'absence de toute discrimination
basée sur la race, la nationalité, la religion, les opinions
politiques ou tout autre critère similaire.
110 D'autant que se développent, parallèlement,
des sociétés privées d'aide humanitaire, branches des
« sociétés privées de sécurité »:
un phénomène encore marginal, mais qui pourrait
représenter un danger et une dérive en termes
d'éthique.
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Centrafrique, Libye)
Ce modèle a ensuite été diffusé en
Europe au nom de l'interopérabilité entre alliés au sein
de l'OTAN. Ainsi en France, le Livre blanc sur la défense111
publié en juin 2008 insiste-t-il sur « l'importance des
opérations civiles et mixtes civilo-militaires dans la gestion des
crises » et affirme-t-il rechercher une « synergie entre les
composantes militaires et civiles des interventions ». L'aide à la
population, les projets de développement économique et culturel
s'imposent comme des actions tactiques permettant d'atteindre les objectifs
fixés aux armées par les chefs politiques, au même titre
que les actions coercitives de sécurité ; le nouveau concept est
celui d' « approche globale de la gestion du conflit ». La diffusion
des normes anglo-saxonnes112 est encore facilitée par la
politique européenne de sécurité et de défense :
cette dernière est fondée sur le principe d'une capacité
globale et cohérente pour la prévention et la gestion des crises,
comportant des capacités militaires mais aussi des capacités
civiles de gestion des crises, pour mener les missions dites de Petersburg
(missions humanitaires, de maintien de la paix ou d'évacuation de
ressortissants ; désarmement et stabilisation)113. L'union
européenne souligne la complémentarité entre le militaire
et l'humanitaire pour la réalisation de ce type de mission. Mais la
réalité est moins simple. Cette évolution inquiète
de plus en plus les acteurs humanitaires indépendants, car en diluant le
rôle de chacun, la confusion de genre est un danger réel.
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