Médias et opinion publique : la représentation des étudiants de la faculté des sciences humaines de la radio zénith par rapport au rôle qu’elle a joué dans le mouvement pays lock de septembre à décembre 2019par Israël Jeune Université d'Etat d'Haïti - Licence 2022 |
Chapitre III : Cadre théorico-conceptuelDans ce chapitre, il est question de définir les mots clés, les concepts de base en rapport avec notre étude. Ensuite, il sera question de circonscrire cette dernière avec une théorie qui l'expliquerait. Cela étant, les principaux concepts sont les médias, l'opinion publique, représentations et perception. 3.1. Opinion publique Il est avéré que l'opinion publique est une notion omniprésente53 dans les sociétés actuelles. En effet, depuis plus d'une cinquantaine d'années54, elle est recueillie par le biais d'enquêtes et de sondages diffusés par les médias tels que la presse, la radio par exemple. Si la préoccupation envers l'opinion publique n'a rien de récente55, la généralisation des régimes politiques démocratiques dans la période moderne l'amplifie considérablement. Personnel politique, commentateurs dans les médias et instituts de sondage tentent de saisir l'opinion publique à partir de la nasse des avis individuels, à des fins électorales ou marchandes. Ainsi, l'opinion publique est un instrument d'expression pour le peuple mais elle est aussi un moyen de contrôle pour la classe politique et donc omniprésente dans nos démocraties. Néanmoins, l'opinion publique est très critiquée à cause de l'utilisation qu'en font les sondages. Dans un article au titre provocateur « L'opinion publique n'existe pas», Pierre Bourdieu (1973) critique la construction de l'opinion publique par les sondages. Selon lui, l'opinion publique est construite en agrégeant des opinions individuelles dont le poids social n'est pas équivalent, conduisant à un artefact statistique. En ce sens, l'opinion publique n'est pas une réalité objective mais plutôt une fiction construite par les sondages d'opinion, sans réalité sociologique. Ce n'est rien d'autre qu'une somme arithmétique d'opinions auxquelles le sondeur attribue un poids identique, dissimulant derrière un chiffre unique la hiérarchie sociale des opinions et les 53 Cohen, S. (2010). Éditorial. Omniprésente et indéfinissable: l'« opinion publique». Inflexions, 14, pp. 7-13. 54 Les premiers sondages d'opinion ont eu lieu aux Etats-Unis lors des élections présidentielles de 1935. George Gallup, journaliste et diplômé de psychologie qui a fondé l'American Institute of Public Opinion, est considéré comme le fondateur du sondage d'opinion. 55 On trouve déjà des traces de l'opinion publique dans les écrits de Platon, d'Aristote ou de Machiavel 29 conflits sociaux qui résultent de leur confrontation. Selon cette approche de Pierre Bourdieu, les sondages créent de toutes pièces une opinion factice et trompeuse. Contrairement à Pierre Bourdieu, Jürgen Habermas, ne nie pas l'existence de l'opinion publique. En effet, dans L'espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise (1962), le philosophe allemand réalise une étude historico-sociologique des changements structuraux de l'opinion publique, de son origine bourgeoise jusqu'à nos jours. Ce travail l'amène à distinguer deux sortes d'espace public. D'abord, « la sphère publique bourgeoise » : c'est l'espace public originel. Cet espace renvoie à l'expression de l'opinion des élites cultivées, à celle de l'opinion des citoyens et de leurs représentants. C'est un espace qui s'ouvre entre l'Etat et la société civile où les citoyens peuvent débattre librement des questions d'intérêt général. Il est la condition à la formation d'une opinion publique capable de critiquer, d'influencer, voire de contrôler l'Etat. L'opinion publique est alors un corps libre et ouvert, fruit de la réflexion d'un public raisonnant et éclairé, dégagé de l'influence dogmatique de la tradition, mais aussi des intérêts économiques particuliers ou des intérêts d'Etat et capable de générer une autorité légitime reposant sur la capacité à s'élever vers l'intérêt général. Ensuite, « la sphère publique de l'Etat social » : c'est l'espace public dévoyé qui apparaît au XXe siècle. Selon Habermas, il se produit un phénomène de « désintégration de la sphère publique bourgeoise » qui est liée à l'intervention croissante de l'Etat dans tous les domaines de la vie sociale, ainsi qu'au développement de la technocratie et de la bureaucratie. La conséquence principale est la dépolitisation des masses : l'opinion publique est neutralisée, elle perd son sens polémique, elle ne fait qu'exprimer, de manière non réfléchie et non critique, un ensemble d'attitudes politiques transparaissant à travers les sondages et les médias de masse. Avec le développement de la presse et des mouvements de masse, l'opinion publique se démocratise, mais elle se retrouve instrumentalisée. De son point de vue, le sociologue Patrick Champagne indique que la critique de Pierre Bourdieu ne conduit pas à nier totalement l'existence d'une opinion publique mais à considérer que l'opinion publique des sondeurs est un instrument politique au service de quelques-uns. Ainsi, dans son ouvrage Faire l'opinion : le nouveau jeu politique, (Charlemagne, 1990), il dénonce l'illusion démocratique des sondages d'opinion qui transforment la volonté de quelques-uns en la volonté de tous, l'intérêt particulier en intérêt général. Il met en évidence les processus par lesquels 30 il est possible de construire l'opinion publique et donc de la manipuler. Sous couvert d'une légitimité scientifique, les sondages d'opinion prétendent être capables d'en saisir toutes les dimensions. Les sondeurs et la télévision contribuent à mettre en place un système « politico-médiatico-sondagier » dans lequel ils jouent un rôle de premier plan. Omniprésents, les sondeurs revendiquent officiellement le monopole de la connaissance scientifique de la « volonté populaire » et proposent officieusement aux partis politiques les moyens pour la manipuler. Par ailleurs, la médiatisation de la politique et notamment des manifestations de rue, et leur accompagnement par les sondages et les baromètres de notoriété, ont contribué à redéfinir ce qu'on met aujourd'hui sous l'expression « faire de la politique ». A notre avis, quoiqu'en pense Bourdieu, Habermas ou Champagne, l'opinion publique joue un rôle central dans l'exercice du pouvoir et les sondages d'opinion sont aujourd'hui une technique à laquelle les acteurs du champ politico-médiatique recourent largement pour mesurer l'opinion publique. Ils ont été inventés aux Etats-Unis en 1936 par le statisticien et sociologue George Gallup. Ils lui ont permis de prédire la réélection du Président Franklin Roosevelt, alors que plusieurs journaux, s'appuyant sur un vote de paille, prédisaient le triomphe de son adversaire républicain. Avant Gallup, pour prévoir l'issue d'un vote, les journaux organisaient des simulations de joutes électorales et des enquêtes d'intentions de vote : ils offraient la possibilité à leurs lecteurs de renvoyer un bulletin d'intention ou bien procédaient à des interrogations dans la rue. Mais ces votes fictifs, appelés votes de paille, servaient davantage à la promotion des journaux qu'à l'établissement d'une photographie de l'opinion. Ce n'est qu'avec Gallup que les sondeurs prennent soin de recourir à des échantillons représentatifs de la population. Actuellement, l'opinion publique est ramenée à la simple dimension des sondages. Les politiciens en tiennent compte comme on tient compte des résultats des cotes d'écoute en matière de programmation télévisuelle. On dit au public ce que l'on pense que le public veut entendre. 3.2. Perception La perception est un concept que l'on rattache volontiers à la psychologie et dans une certaine mesure, à la philosophie. Et dans ces deux sciences, le concept de perception désigne en général des sensations interprétées. 31 La perception désigne l'ensemble des mécanismes et procédures qui nous permettent de prendre connaissance du monde qui nous entoure sur la base des informations élaborées par nos différents sens (Donnadieu, Gentaz, & Marendaz, 2006). Selon Lalande (1985), la perception est « l'acte par lequel un individu, organisant ses sensations présentes, les interprétant et les complétant par des images et des souvenirs, s'oppose un objet qu'il juge spontanément distinct de lui, réel et actuellement connu de lui»56. Notre perception du monde est donc finalisée et orientée en fonction des capacités de nos organes sensoriels mais aussi en fonction de nos centres d'intérêt et de nos connaissances antérieures. La perception d'une situation fait appel à la fois au sens et à l'esprit. 3.3. Les théories de la perception Le concept de perception a donné lieu à de nombreuses théories psychologiques et à de nombreux débats philosophiques. Les plus dominants sont la théorie intellectualiste, la théorie de Gestalt, la théorie de la perception de la durée de Bergson. Pour la théorie intellectualiste soutenue par Alain, Platon, Descartes et Malebranche, la perception moins qu'une expérience, plus qu'une sensation est un jugement immédiat. En effet, la perception consiste aussi à interpréter les sensations par des jugements, les complétant par des images, des souvenirs et des connaissances antérieures qui reflètent la culture : Alain conclue sur la perception d'un cube : « un objet est pensé et non pas senti ». Cette théorie insiste sur le caractère « construit », élaboré de la perception. Ce serait en effet l'intelligence qui, grâce à son travail d'interprétation, transforme les sensations en perceptions, opère un travail de synthèse pour donner à la diversité des sensations une cohésion et un sens. Selon Alain, le pionnier de la théorie intellectualiste cité par MerleauPonty (1976), toute perception est un jugement grâce à l'activité mentale et une anticipation grâce à l'imagination et non une pure sensation.57 56 Lalande, A. (1985), Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, PUF. 57Codja, C. O. (2009), Perceptions, savoirs locaux et stratégies d'adaptations aux changements climatiques des producteurs des communes d'Adjohoun et de Dangbo au Sud- Est Bénin, Université d'Abomey- Calavi (Bénin ), Mémoire. 32 Une autre théorie de perception est la théorie de la « forme » ou de la Gestalt58. Née en 1910, suite aux travaux du groupe de psychologues allemands Max Wertheimer, Kurt Koffka et Wolfang Kohler, la théorie de la Gestalt prétend que les intellectualistes ont exagéré le rôle de l'intelligence et des constructions mentales dans la perception. Ce n'est pas l'intelligence qui construit une forme avec des sensations dispersées, mais la forme qui est sentie, ou perçue d'emblée. Toute perception serait d'emblée perception d'un ensemble. Contrairement à la théorie intellectualiste qui considère que les sensations sont la matière de la perception, et que c'est le jugement et la mémoire qui leur donne une forme ; la théorie de Gestalt soutient qu'il n'y a plus de distinction entre sensation et perception. La forme est inséparable de la matière et nous est donnée intuitivement avec la matière. Développée par Bergson, la théorie de la perception de la durée fournit un champ de débat sur la façon de percevoir le temps. Cette théorie fait une distinction entre le temps et l'espace, grâce à la distinction entre l'intellect et l'intuition. Elle soutient que l'intellect a le but de promouvoir l'action, pas la connaissance, ce qui est le but de la perception et de l'intuition. Puisque l'intellect est dirigé vers l'action, il réagit à ce qu'il rencontre en termes de spatialité. C'est grâce à l'intuition qu'on a accès à la durée. L'intellect par contre, a tendance à diviser tout dans des unités homogènes et uniformes (Parmentier, 2017). Ces caractéristiques ont amené Bergson à comparer l'intellect à une caméra de cinéma qui construit le mouvement dans une série d'images fixes. Selon la logique de l'intellect, tout doit être coupé dans des parties distinctes et constantes, et même des nouvelles expériences ne peuvent être comprises que par rapport à celles qui sont vieilles et déjà bien définies dans l'intellect. La lumière est faite sur la distinction entre la perception du passé, la perception du présent et celle de l'avenir. Nous ne percevons pratiquement, que le passé, le présent pur étant l'insaisissable progrès du passé rongeant l'avenir. Pour la théorie de la perception du temps de 58 La « forme » (ou Gestalt) considérée ici est le cadre mental par lequel la pensée humaine appréhende le monde. Selon Köhler, la pensée ne procède pas. Cette conception de la pensée s'oppose sur deux points principaux au behaviorisme : 1. Alors que le behaviorisme est « élémentariste », la gestalt est « holiste » : le tout est plus que la somme des parties. La pensée ne procède pas à un assemblage d'éléments ; au contraire, elle s'exprimerait d'abord par une saisie globale de « haut en bas », du global au particulier. 2. Alors que pour le behaviorisme, l'expérience et l'apprentissage sont le fondement premier de la connaissance, pour la gestalt, l'activité organisatrice de la pensée prime sur les données extérieures. La pensée ne se borne pas à recevoir des stimuli, elle les organise et « met en forme ». En bref, le sujet pensant prime sur l'objet pensé. Khler, wolfgang (2000), Psychologie de la forme, Paris, Gallimard. 33 Bergson, toute perception, si instantanée soit-elle, consiste donc en une incalculable multitude d'éléments remémorés. Autrement, toute perception est déjà mémoire. Dans le cadre de notre recherche, nous retenons la théorie intellectualiste qui fait de la perception une interprétation, un travail intellectuel et affirmant que toute perception est un jugement grâce à l'activité mentale et une anticipation grâce à l'imagination et non une pure sensation. Dans ce travail, nous portons un intérêt particulier sur l'interprétation, le jugement, la représentation des étudiants de la FASCH de la radio Zénith. 3.4. Médias Pendant longtemps, les chercheurs ont limité la définition des médias à la dimension d'instrument de médiation de la communication à son aspect technique59. Aujourd'hui le terme « média » est défini de plusieurs manières. Pour les uns, c'est l'ensemble des supports communicationnels permettant de véhiculer le message ; pour d'autres, c'est un support communicationnel qui permet à l'homme de transmettre des messages, des faits sociaux, économiques, politiques et culturels60. Le terme média est issu de l'anglais medium qui signifie moyen. Francisé en 1973 avec un accent aigu et un « s » au pluriel, le terme média s'est imposé au tournant des années 1980. Jusqu'à ce moment, il était seulement question des « mass-médias ». Inventé au cours des années 1950 en Amérique du Nord, l'expression signifiait ensemble de toutes les techniques donnant la possibilité de toucher en même temps une audience étendue et diversifiée (Francis Balle, 2005). Le mot média va être popularisé vers la fin des années 1960 et au début des années 1970 avec le succès des thèses du canadien, Marshall MacLuhan, élaboré dans son fameux ouvrage pour « Comprendre les médias ». Ce succès va précipiter du même coup l'abandon de l'expression mass-média. Francis Balle indique que la consécration du mot marque le changement de perception du pouvoir de la presse et de la télévision. 59 Mbakulu, B. K. (2012), Impact de médias de diffusion sur l'éducation des adolescents, cas de la RTNC et de la RTGT [mémoire de licence, Université de Kalémie], https://www.memoireonline.com/10/12/6194/m_Impact-de-medias-de-diffusion-sur-leducation-des-adolescents-cas-de-la-RTNC-et-de-la-RTGT5.html 60 Mbakulu, op. cit 34 Un média, selon Balle, est avant tout un moyen, un outil, une technique ou un intermédiaire permettant aux hommes de s'exprimer et de communiquer à autrui cette expression, quel que soit son objet ou sa forme. Mais un média se caractérise aussi par son usage, lequel signifie rôle ou fonction (Balle, p. cit). Aujourd'hui, le terme media fait l'objet de multiples acceptions et interprétations en fonction de son origine, ce qu'il représente et l'usage qu'on en fait. Ces différentes façons de le décrire nous compliquent la tâche de lui donner une définition propre. Quelques exemples pour illustrer : Lisa Gitelman (2006) définit les médias comme « des structures de communication socialement réalisées, dans lesquelles les structures incluent à la fois des formes technologiques et les protocoles qui leur sont associés, et dans lesquelles la communication est une pratique culturelle, la collocation ritualisée de différentes personnes sur une même carte mentale, partageant ou engagées dans des ontologies populaires de représentation ». Ainsi, Friedrich Kittler (2002) affirme que « les médias sont devenus des modèles privilégiés pour rendre compte de façon dont se forme notre compréhension de nous-même, précisément parce que leur but déclaré est de défier et de contourner notre compréhension de nous-même ». Patrick Chareaudeau (2005) les définit comme des organisations spécialisées qui ont pour mission de répondre à une demande sociale par devoir démocratique. Frédéric Barbier et Catherine Bertho-Lavenir (2009), pensent que les médias sont « tout système de communication permettant à une société de remplir toutes ou une partie de trois fonctions essentielles, de la communication à distance, de transmission des messages et de réactualisation des pratiques culturelles. Pour Bernard Miège: « Les médias seraient ainsi des dispositifs sociotechniques et socio-symboliques, basés de plus en plus sur un ensemble techniques permettant d'émettre et de recevoir des programmes d'information, de culture et de divertissement, avec régularité sinon désormais en permanence, dans le cadre d'une économie de fonctionnement qui leur soit propre et dont la mise en oeuvre est assurée par des organisations aux spécificités marquées à destination de publics dont les caractéristiques sont plus ou moins stabilisées ». Pour sa part, Dominique Wolton, dans l'internet et après, affirme : « l'existence d'un media renvoie toujours à l'existence d'une communauté, à une vision des rapports entre l'échelle individuelle et collective et à une certaine représentation des publics ». Dominique Wolton met l'accent sur les valeurs, les références, les conceptions de la communication que véhiculent nécessairement les medias (Wolton, 1999). 61 Morisson, J. (2017). Celui qui contrôle les médias, contrôle les esprit. https://lareleveetlapeste.fr/celui-controle-medias-controle-esprits-jim-morrison/ 35 Toutes ces définitions des auteurs ne sont pas contradictoires mais complémentaires. Pour notre travail, nous retenons la compréhension de Friedrich Kittler des médias en affirmant qu'ils ont une incidence sur la façon dont se forme notre compréhension de nous-même car leur but déclaré est de défier et de contourner notre compréhension de nous-même ». Nous admettons aussi que les médias sont des instruments de communication sociale. Ils sont vecteurs de l'information et de la communication qui permettent de véhiculer le message grâce à des supports techniques pouvant avoir une certaine influence sur notre mode de penser et d'agir. Ce terme englobe donc un vaste support d'information incluant la télévision, le radio, les films, l'internet, les journaux ou la presse écrite, le cinéma, etc. Ces moyens de communication peuvent en effet prendre les rênes du monde car ils influencent sur la culture, et les esprits des gens. Ils peuvent faire pression sur les gens d'autant plus que la transmission des informations est instantanée avec l'essor de l'internet. C'est la raison pour laquelle Jim Morisson, dans un article de presse, a titré que celui qui contrôle les médias, contrôle les esprits61. Ces différentes acceptions nous permettent de voir effectivement la difficulté de donner une définition propre au terme media. Par contre, l'ensemble des aspects de ces définitions nous donne une vue générale sur les différentes acceptions du concept. Ces définitions nous permettent, aussi, de mieux apprécier les contours du concept pour une meilleure analyse de notre problématique. 3.5. Médias et opinion publique Depuis les sociétés traditionnelles, marquées du joug des souverains, la première préoccupation de l'homme en quête de sa propre compréhension a été le droit d'avoir une opinion qui lui soit propre, différente voire opposée à celui du chef. Par la suite, le perfectionnement de l'écriture, la vulgarisation de la chose imprimée a abouti à un premier commerce de ces opinions accompagné du souci de pouvoir les exprimer. La formalisation du droit à l'expression a ainsi pris corps. Avec la naissance de la presse écrite, l'occasion a en effet été donnée de faire la publicité des opinions et des idées. Aujourd'hui, personne ne peut échapper aux médias car ils sont de plus en plus présents dans nos vies. C'est ainsi qu'ils jouent un rôle crucial dans la formation de l'opinion publique. La télévision, la radio, la presse écrite et aujourd'hui l'internet, constituent les 36 moyens majeurs par lesquels une grande partie de cette opinion publique règle son comportement aussi bien dans le domaine de la politique que pour ce qui est de la consommation. Cela confère, une puissance inestimable à ces mass médias, nous indique Douala Gueye dans un chapitre de son travail académique portant sur l'opinion publique et la géopolitique où il traite opinion publique et mass médias (Gueye, 2004). Les médias, cet « espace public de diffusion de l'information, de discussion et de débats», cèdent de plus en plus la place au monde du spectacle dans lequel l'information et les enjeux politiques sont simplifiés à l'extrême et banalisés. À partir du moment où les individus n'ont plus accès à un ensemble d'informations et de points de vue suffisamment diversifiés pour se faire une opinion éclairée et débattre des choix de société, c'est tout le fonctionnement de la démocratie62 qui est déréglé (Trudel, 1990). Or, les médias devraient avoir pour objectif, du moins dans leur principe, d'informer objectivement le citoyen de ce qui se passe63. Seulement, ce sont des hommes 62 Souvent sous le feu des critiques, les médias jouent pourtant en démocratie un rôle très important puisqu'ils façonnent l'opinion publique. La liberté de la presse est ainsi un bon indicateur démocratique. En effet, dans le numéro 18 de Regards croisés sur l'économie, revue semestrielle éditée par La Découverte, Julia Cagé a indiqué que « l'information est un bien public. Et ce bien public est indispensable au bon fonctionnement de nos démocraties ». Il critique parallèlement la définition de la démocratie par la formule lapidaire, « un homme, une voix » en affirmant que Mais la démocratie c'est plus que cela ; la démocratie c'est « un homme informé, une voix ». Sinon elle n'est que de façade. Les journaux, la radio, la télévision et aujourd'hui Internet. Il argumente que les médias ont depuis leur origine joué un rôle clef dans le processus démocratique. Tout d'abord, parce qu'en informant les citoyens - de la tenue des élections, des programmes des différents candidats... - ils ont eu un effet sur la participation politique [...]. La probabilité que les individus votent augmente s'ils sont mieux informés. Julia Cagé, « Médias et démocratie », Regards croisés sur l'économie, n°18, 2016 63 Les fonctions centrales de la presse (medias) ont été pendant longtemps celles d'informer, de transmettre, d'expliquer et de commenter les informations, d'exprimer des jugements et des opinions, au travers d'articles et de commentaires véhiculés par ces différents supports, notamment les quotidiens nationaux et régionaux ou les news magazines. Jean Stoetzel [1951] voit trois fonctions supplémentaires. D'abord, une fonction de divertissement, où la lecture d'un titre est aussi une détente, représentée par les rubriques récréatives (jeux, spectacles, programmes télévisés) et certaines illustrations. Ensuite, une fonction de psychothérapie : « La lecture peut influencer de façon complexe la psychologie de ses lecteurs [...]. Une certaine conception de la morale traditionnelle conduit souvent à condamner l'exploitation par la presse de la violence, des crimes, des scandales. [...] La présentation de l'actualité aide à sa manière les individus à se défouler par le rêve ou l'indignation, ou en leur offrant des sujets de conversation » [Albert, 1993]. Enfin, une fonction d'intégration sociale. Garants de la socialisation des individus, les titres de presse 37 qui manient ces instruments, et, en général, on trouve derrière ces médias de grands groupes industriels, des entreprises, des partis politiques etc. Soumis à la pression de ceux-ci, les médias pourraient être portés à se défaire de leur vocation principale qui est d'informer juste et vrai, pour finalement servir de moyens de propagande à ces derniers. En donnant une conférence à l'Université de Nantes sous le titre de Médias et fabrication de l'opinion politique, le professeur de Sciences politiques, Arnauld Leclerc, eut à dire que les médias, parce qu'ils construisent un message et une représentation de la sphère politique, ont la capacité de nous dicter une certaine vision des choses de par une direction éditoriale qui peut devenir une force d'influence sur nos propres opinions et sur nos modes de compréhension des enjeux du spectacle politique(Leclerc, 2018). Ainsi, le flux informationnel64 auquel le public est confronté de jour en jour laisse peu de temps pour trier ce qui est bon à consommer de ce qui ne l'est pas. Selon Afef Toumi (2014), ceci amène à une prise de position automatique par les consommateurs du produit médiatique en exprimant une opinion uniformisée, imposée et préfabriquée selon ce qui s'adapte aux intérêts des médias. C'est ainsi que, par cette action, les médias fabriquent l'opinion publique en imposant les sujets à traiter et à discuter dans la sphère publique. À ce moment, des sujets importants peuvent rester ignorés du public faute de couverture médiatique parce qu'ils n'auront pas été mentionnés pendant les nouvelles. Ainsi, ces sujets qui ne sont pas traités par les médias, sont marginalisés et n'intéressent pas les gens65 sont en mesure de briser l'isolement de certains, les incitant à participer aux activités collectives. Ainsi, la presse (media) peut être considérée comme un vecteur d'éducation et de culture, de récréativité et de divertissement. Au-delà, elle contribue au jugement du citoyen et lui permet d'exercer ses responsabilités en toute connaissance de cause. Les médias, jouent donc le rôle de construction de valeurs sociales, comme la démocratie [Habermas, 1978]. 64 La révolution numérique a changé le rôle et le fonctionnement des médias. Le chamboulement qu'elle cause encore de nos jours a créé de nouveaux concepts que les sociologues ne tardent pas à mettre en exergue. La société actuelle est une société cognitive par excellence, chaque individu consomme concomitamment de l'aire mais aussi de l'information. Le numérique est l'un des facteurs puissant de la transformation actuelle des médias. Cette révolution a changé le rôle et les méthodes de travail des médias dits traditionnels. La numérisation de l'information a substantiellement transformé les médias traditionnels en favorisant l'accélération du traitement de l'actualité (Impact de l'internet sur les médias classiques, LTE Magazine, 3 janvier 2021, https://ltemagazine.com/impact-de-linternet-sur-les-medias-classiques-2). 65 Informer, c'est choisir, indique Ecossimo dans son éditorial, L'influence des Medias sur l'Opinion, ( https://www.ecossimo.com/linfluence-des-medias-sur-lopinion). Ainsi, les médias disposent d'une grande 38 Benjamin Ferron, Maître de conférences à l'Université Paris-Est Créteil Val de Marne a indiqué dans un article paru en 201966, que les médias d'informations, loin de n'être que de simples « reflets » du monde social, contribuent à la sélection et au cadrage des sujets de l'actualité sociale jugés dignes d'être portés à la connaissance de leurs publics, au prix d'un travail de construction qui est largement dépendant de logiques économiques, politiques et professionnelles. C'est ainsi que la recherche du spectaculaire, de la mise en scène ou du scoop l'emportent sur le travail d'information et en matière de traitement de l'information, les médias ne sont pas toujours objectifs et ne défendent pas toujours la vérité mais leur vérité67. C'est attesté par rappel d'une fameuse formule tirée de la théorie de l'agenda formulée dans les années 1970 affirmant que : « les médias ne disent pas aux gens ce qu'ils doivent penser, mais à quoi ils doivent penser » (Bregman, 1989). Ainsi, l'information est devenue une marchandise, quelque fois à haut prix, et le journalisme est devenu une lutte pour l'actualité. Très souvent, les médias, en tant qu'informateurs, s'adonnent à la flatterie, à l'entretien des erreurs commises ou encore amènent les informés ou plutôt les «informables » à partager leurs vues, souligne Alfred Sauvy dans son ouvrage l'Opinion publique réédité sous les Presses Universitaires de France en 1997. Pour les médias, le souci de faire du spectacle et de plaire est très légitime. En effet, d'après le psychologue MC Guire(1986), la fonction majeure des médias est « d'influencer les cognitions, attitudes ou comportements du récepteur dans des directions voulues». Ignacio Ramonet les appelle des « appareils idéologiques de la mondialisation »68. Certains travaux insistent sur le fait autonomie dans le choix des sujets à traiter. Dans un article pour La revue des médias de l'INARA, Pourquoi une information ne sera jamais totalement objective, Arnaud Mercier prend, dans une certaine mesure, la défense des journalistes en disant qu'accuser les journalistes de ne pas être « objectifs » est courant, mais c'est oublier qu'informer est toujours le fruit d'un choix où la totale neutralité fait défaut. Il invite à juger de préférence les journalistes sur l'honnêteté de leur regard sur les faits. 66 Ferron, B. (2019). Mouvements sociaux : le jeu médiatique en vaut-il la chandelle ? The Conversation. https://theconversation.com/mouvements-sociaux-le-jeu-mediatique-en-vaut-il-la-chandelle-128139 67 Dans une chronique dans Le Devoir en date du 29 octobre 2019, La crise de la vérité journalistique, Pierre Trudel affirme que dans le modèle médiatique traditionnel, l'information est choisie et ordonnancée par un éditeur selon un processus de validation reflétant ses valeurs et la fonction éditoriale, celle qui préside à l'évaluation et aux choix des informations à diffuser, se trouve supplantée par des processus automatisés livrant les informations qui captent l'attention des usagers, sans égard à leur conformité à un système crédible de validation. 68 Op. cit. 39 que les nouvelles véhiculées par les médias font l'objet d'une sélection et d'une construction, selon un schéma défini. Ainsi, les journalistes et les responsables des médias sélectionnent l'information selon ce qu'ils considèrent être le plus important (McCombs & Shaw, 1993). Cette sélection joue un rôle considérable sur la perception du public de l'actualité et de la société, ce qui contribue au principe de construction sociale de la réalité. L'une des plus grandes difficultés réside toutefois dans la complexité de l'analyse et de l'interprétation de cette réalité construite, coexistant avec la réalité sociale quotidienne (Berger et Luckmann, 1986). 3.6. Les théories sur les effets des médias Tout au long du XXème siècle, la question de l'influence des médias sur le récepteur a en effet provoqué nombre de conflits théoriques au sein des sciences humaines et sociales. Ainsi, les recherches sur l'influence des médias ont débouché sur une querelle épistémologique entre d'une part le paradigme critique issu des premiers travaux du début du siècle, défendant l'idée d'effets directs et massifs sur le public ; ce dernier serait passif, victime et vulnérable face à des médias qui susciteraient la violence, influenceraient électeurs et consommateurs et d'autre part le paradigme empirique issu des travaux de la sociologie américaine, postulant que le récepteur est actif, critique et capable de résister aux vaines tentatives de manipulation des médias (Fourquet, 1999). 3.6.1.Le paradigme des effets immédiats et massifs En dépit qu'il soit vertement critiqué par des sociologues américains de l'école de Columbia ou part des sociologues français comme Pierre Bourdieu, le paradigme des effets puissants des médias a été longuement le courant de pensée dominant dans le champs de la communication jusqu'à l'arrivée des études empiriques avec des auteurs comme Paul Lazarsfeld qui a mis en cause les effets directs des médias sur l'opinion publique. Dans une première période, d'influence immédiate et massive (1930-1945), la conception dominante est que les mass-médias ont un effet immédiat, massif et prescriptif sur l'audience. C'est la période où l'on pense que les médias « injectent » des idées, des attitudes et des comportements dans les esprits vulnérables d'un public composé par des individus isolés (Lasswell, Propaganda technique in the world war, 1927). C'est ce qu'on appelle « le monde de la seringue hypodermique » où des mouvements comme celui de l'école de francfort proposent l'idée selon laquelle « les 40 médias sont l'instrument de diffusion de l'idéologie dominante » (Derville, 2017). La conception de l'époque est celle d'un énorme pouvoir d'influence des médias. 3.6.2.Le paradigme des effets limités Dans une deuxième période entre 1945 et 1960, c'est l'idée des effets limités qui prédomine. Ainsi que, par exemple, on avait observé que les effets n'était pas similaires pour tous les sujets, ni même pour un même sujet étudié à différents moments. Par conséquent dans cette deuxième période, la conception monolithique antérieure est relativisée au profit du pouvoir des téléspectateurs au moment de choisir les informations leur intéressant. Apparaissent ici des théories comme celle du modèle de double flux de Lazarsfeld et Katz (1955), théorie selon laquelle les effets des médias sont filtrés et limités par le choix réalisé par le téléspectateur ainsi que de son réseau de relation personnelle. Une deuxième perspective est celle apportée par le courant fonctionnaliste par exemple Berlson (1954), Wright (1974) ; Blumler (1968) qui admet que l'on puisse parler de manipulation. Pour ce courant, les effets répondent aux nécessités que le téléspectateur a besoin de satisfaire. Une troisième, le courant culturaliste britannique, exemple Hoggart (1958), Hall (1980) et Evans (1999), part de l'idée selon laquelle les effets des médias dépendent de la position sociale occupée par le téléspectateur dans le domaine du travail et de la culture. Les médias véhiculent une idéologie dominante mais la réception ne se fait pas d'une façon naïve. Les téléspectateurs sont critiques et prennent leurs distances par rapport au message. 3.6.3.La théorie de l'agenda-setting La théorie de l'agenda setting décrit une très grande influence des médias, la capacité de nous dire quelles sont les questions importantes. Par conséquent, la fonction des médias n'est pas de dire aux gens ce qu'ils doivent penser mais sur quoi ils doivent porter leur attention ( Maxwell E.McCombs & DonaldShaw, 1972). Maxwell Mc Combs et Donald L. Shaw, les premiers chercheurs qui ont tenté de vérifier empiriquement le rôle des médias en analysant les présidentielles américaines de 1968, 1972 et 1976, postulent que l'influence de médias affecte l'ordre de présentation des reportages au sujet des événements de l'actualité et des questions dans l'esprit de public. Ils proposent donc l'hypothèse suivante: il existe une relation entre l'ordre hiérarchique des évènements présentés par les médias et la hiérarchie de signification attachée à 41 ces mêmes problèmes de la part du public et des politiciens. Les deux tenants de cette théorie vont donc aboutir à une théorie développant l'idée que les médias mettent un certain nombre d'information « à l'agenda », à l'ordre du jour. Ils nous disent ce à quoi il faut penser. Cependant, ils ne nous influencent pas directement quant à ce qu'il faut en penser. 3.7. Synthèse et choix de la théorie Le débat vieux de plusieurs décennies entre le paradigme des effets puissants et effets limités des médias est loin d'être terminé. Selon ce qu'un chercheur veut démontrer, l'un de ces paradigmes lui sera très utile. Pour nous autre, nous admettons que les médias sont très puissants et ont des influences réelles sur les individus. C'est pourquoi nous inscrivons notre travail dans le paradigme des effets puissants en retenant principalement la théorie de l'agenda-setting. Comme nous venons de le voir, cette théorie stipule que la manière dont les médias informent a de grandes influences sur l'opinion publique. Et même s'ils ne disent pas ce que le public doit penser mais ils indiquent ce à quoi penser. Nous estimons que cette théorie est la mieux adaptée pour analyser au passage les effets de la radio Zénith sur l'opinion publique durant la période de pays lock même si notre objectif est de déterminer les opinions des étudiants de la FASCH de l'implication de la radio dans le phénomène. Nous pouvons aussi tenir compte de certains aspects des théories précédentes dans le cadre de l'interprétation des données si le besoin se fait sentir. 3.8. Présentation de la notion de représentation sociale Le sociologue Emile Durkheim fut le premier à évoquer la notion de représentation qu'il appelait représentations collectives à travers l'étude des religions et des mythes en vue de spécifier que les faits sociaux, objet de la sociologie, sont de nature représentative. Pour celui-ci, les premières représentations que l'homme s'est fait du monde étaient de nature religieuse69. Toutefois, le concept de représentations sociales va se constituer à partir des travaux du psychologue Serge Moscovici, lorsqu'il pose les bases théoriques dudit concept via son texte, La psychanalyse, son image, son public. Ce qui va favoriser un rebondissement de cette notion dans les champs des sciences humaines et sociales. 69 Durkheim, Emile (1991), Les formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, Le livre de Poche 42 Actuellement, le concept de représentation sociale a largement dépassé le cadre de la psychologie sociale. Beaucoup d'auteurs ont défini la notion de représentation sociale et un nombre considérable de procédure a été utilisé pour illustrer ces définitions. La polysémie du concept et les multiples phénomènes et processus qu'il désigne le rendent difficile à cerner. Moscovici écrit d'ailleurs que si la réalité des représentations sociales est facile à saisir, le concept ne l'est pas70. Le concept de représentation sociale permet de mieux comprendre les individus et les groupes en analysant la façon dont ils se représentent eux-mêmes, les autres et le monde. La représentation peut être considérée au sens large comme une façon d'organiser notre connaissance de la réalité elle-même construite socialement. En effet, les représentations sociales sont constituées de différents éléments qui ont longtemps été appréhendés séparément : attitudes, opinions, croyances, valeurs, idéologies, etc. La représentation qu'a un groupe social d'un objet s'appuie sur un ensemble d'informations, d'opinions, de croyances, d'interprétations idéologiques, etc. relatives à cet objet. Elle permet notamment au groupe social de comprendre et d'expliquer la réalité, de définir son identité sociale, d'orienter son action en fonction du contexte et de justifier a posteriori ses choix ou attitudes. Une telle connaissance s'élabore à partir de nos propres codes d'interprétation culturellement marqués, et elle constitue en ce sens un phénomène social en soi. Il est à noter que face à un même objet, les représentations peuvent être plus ou moins différentes. Cela va sans dire que les représentations sociales vont au-delà de l'individuel, elles sont en effet partagées par un groupe, une collectivité71. Voyons à présent les différentes approches de cette notion fondamentale dans la réalisation de ce travail afin de mieux se l'approprier dans son essence. 3.8.1.Quelques approches de la théorie des représentations sociales La notion de représentation sociale est abordée par beaucoup d'auteurs et nous présentons, parmi le nombre considérable de travaux réalisés sur celle-ci, quelques approches des chercheurs 70 Voir Serge Moscovici (1976), Social influence and social change, Paris, Academic Press 71 Voir Serge Moscovici (1984), Psychologie sociale, PUF, Paris, p.360 43 dans ce domaine qui illustrent certains aspects de cette théorie que nous allons tenter de décrire dans le cadre de ce travail conformément aux objectifs poursuivis. Nous voyons plus particulièrement les approches de Jean-Claude Abric, de Denise Jodelet et enfin de Serge Moscovici. 3.8.2.Approche de Jean-Claude Abric La contribution de Jean-Claude Abric en ce qui concerne cette théorie est surtout d'ordre heuristique si l'on tient compte de sa vision et de sa compréhension de ce concept, car son analyse des fonctions de représentations témoigne combien et comment elles se révèlent indispensables dans la compréhension de la dynamique sociale. A la fois produit et processus d'une activité mentale par laquelle l'individu ou le groupe reconstitue le réel auquel il est confronté pour ensuite lui attribue une signification spécifique, la représentation sociale est, selon Abric : « Une vision fonctionnelle du monde qui permet à l'individu ou au groupe de donner un sens à ses conduites et de comprendre la réalité à travers son propre système de références, donc de s'y adapter, de s'y définir une place. La représentation fonctionne comme un système d'interprétation de la réalité qui régit les relations des individus à leur environnement physique et social, elle va déterminer leurs conduites et leurs pratiques. La représentation est un guide pour l'action, elle oriente les actions et les relations sociales. Elle est un système de pré-codage de la réalité et elle détermine un ensemble d'anticipations et d'attentes »72. Ainsi donc, la représentation sociale consiste un élément primordial dans la dynamique de compréhension des déterminants comportementaux et de pratiques sociales, d'où sa fonction informative et explicative de la nature des liens sociaux, intra et intergroupes, et des relations individuelles et à leur environnement social. En outre, par ses fonctions d'élaboration d'un sens commun de construction de l'identité sociale, par les attentes et les anticipations qu'elle génère, elle sous-tend les pratiques sociales. Et enfin, elle est tributaire des circonstances extérieures et des pratiques elles-mêmes par ses fonctions justificatrices, adaptatrices et de différenciation sociale. 72 Abric, Jean-Claude (sld), (1994), Pratique sociales, représentations, PUF, Paris, 1ere édition, p.13 44 3.8.3.Approche de Denise Jodelet Les travaux de Denise Jodelet en termes d'approche conceptuelle, contrairement à Jean-Claude Abric, se sont surtout orientés vers la représentation de la folie dans un milieu rural français dont l'objectif était de fournir des validations empiriques des postulats initiaux de la théorie de Moscovici, d'où des recherches descriptives visant l'exploration de la nature des représentations sociales d'un objet donné dans différents groupes sociaux. Selon la perspective de Denise Jodelet, il s'ensuit que : « Le concept de représentation sociale désigne une forme de connaissance spécifique, le savoir de sens commun, dont les contenus manifestent l'opération de processus génératifs et fonctionnels socialement marqués. Plus largement, il désigne une forme de pensée sociale. Les représentations sociales sont des modalités de pensée pratique, orientées vers la communication, la compréhension et la maitrise de l'environnement social, matériel et idéal. En tant que telles, elles présentent des caractéristiques spécifiques au plan de l'organisation des contenus, des opérations mentales et de la logique. La marque sociale des contenus et des processus de représentations est à référer aux conditions et au contexte dans lesquels émergent les représentations, aux communications par lesquelles elles circulent, aux fonctions qu'elles servent dans l'interaction avec le monde et les autres »,Jodelet (1985). 3.8.4.Approche de Serge Moscovici Psychosociologue, Serge Moscovici, dans son texte La psychanalyse, son image et son public, sera le premier à poser les bases théoriques de la représentation sociale en tant que concept constitué. C'est son travail (1961) qui introduit la notion de représentation sociale et fonde tout un champ d'études en psychologie sociale. La représentation sociale est un système de valeurs, de notions et de pratiques relatives à des objets, des aspects ou des dimensions du milieu social qui permet non seulement la stabilisation du cadre de vie des individus du milieu social mais qui constitue également un instrument de la perception des situations et de l'élaboration des réponses. 45 Moscovici parle des représentations sociales comme des ensembles dynamiques qui déterminent le champ des communications73. Selon lui, la représentation sociale est une forme d'entité cognitive qui reflète dans le système mental de l'individu une fraction de l'univers extérieur. C'est une forme de connaissance socialement élaborée et partagée et qui a une visée pratique : la construction d'une réalité commune, en d'autres termes, le savoir de sens commun. Il la définit comme « un ensemble de concepts, d'énoncés et d'explications qui proviennent de la vie quotidienne...elles sont l'équivalent, dans notre société, des mythes et des systèmes de croyance des sociétés traditionnelles ; on pourrait même les considérer comme la version contemporaine du sens commun » (Moscovici, 1976) . 3.8.5.Approche de Gustave-Nicolas Fisher Selon Gustave-Nicolas Fischer74, la représentation sociale est un processus d'élaboration perceptive et mentale de la réalité qui transforme les objets sociaux (personnes, contextes, situations) en catégories symboliques (valeurs, croyances, idéologies) et leur confère un statut cognitif permettant d'appréhender les aspects de la vie ordinaire par un recadrage de nos propres conduites à l'intérieur des interactions sociales. Ainsi, la représentation sociale est vue comme le processus de transformation d'une réalité en un objet de connaissance. Elle se construit à l'intérieur d'un processus relationnel et utilise la communication sociale comme vecteur d'inscription des objets sociaux ainsi transformés dans le système social où ils deviennent des éléments d'échange. La représentation sociale est aussi présentée comme un processus de remodelage de la réalité qui, en tant que tel, a pour but de produire des informations signifiantes. La transformation opérée par les représentations se traduit comme un travail de naturalisation de la réalité sociale, car elle biaise les éléments sociaux en les présentant comme évidents. 73 Seca, J.-M. (2001), Les représentations sociales, Paris :Armand Colin 74 Fischer, G.-N.(1987). Les concepts fondamentaux de psychologie sociale. Paris: Bordas/Dunos 46 3.9. Synthèse des approches présentées L'approche de Serge Moscovici, celle de Denise Jodelet et celle de Jean-Claude Abric sont complémentaires car, elles présentent toutes, la représentation sociale comme un système de valeurs cherchant à reconstituer le réel. Gustave-Nicolas Fischer propose une définition qui essaie de concilier les différentes approches du concept de représentation sociale. Pour lui la représentation sociale est la construction sociale d'un savoir ordinaire élaboré à travers les valeurs et les croyances partagées par un groupe social concernant différents objets (personnes, événements, catégories sociales, etc.) et donnant lieu à une vision des choses qui se manifeste au cours des interactions sociales. Dans le cadre de notre travail, nous retenons l'approche de Gustave-Nicolas Fisher qui concilie les autres approches. 3.10. Opérationnalisation des termes clés Après l'élaboration de notre problématique et de notre cadre théorique et aussi après avoir formulé notre objectif de recherche, il nous reste l'opérationnalisation des principaux termes. En effet, opérationnaliser consiste à rendre concret et observable ce qui est abstrait, flou ou inobservable. On peut aussi dire rendre plus précis ce qui l'est peu ou pas. Selon Christiane Simard (1998), opérationnaliser une variable consiste à la transformer en outil de recherche, à la rendre capable de repérer des réalités. L'opérationnalisation des variables est donc une condition préalable à toute analyse fondée sur la mesure ou sur la qualification. Angers, pour sa part, définit l'opérationnalisation comme un processus de concrétisation d'une question de recherche pour la rendre observable. Nous allons procéder ici à une opérationnalisation des termes clés de l'objectif de notre travail qui n'est autre que « chercher à connaitre les opinions des étudiants de la Faculté des Sciences Humaines sur le rôle prépondérant de la radio Zénith dans le phénomène de « pays lock ». Le concept de représentation sociale est le concept fondamental du travail mis à part les autres concepts clés tels que : Pays lock, Radio Zénith, Etudiants. 47 Représentation sociale : Pour la représentation sociale, nous retenons la définition de Gustave-Nicolas Fischer qui fait la synthèse des approches d'Abric de Moscovici et de Jodelet de la représentation sociale. Il nous dit que la représentation sociale est la construction sociale d'un savoir ordinaire élaboré à travers les valeurs et les croyances partagées par un groupe social concernant différents objets (personnes, évènements, catégories sociales, etc.) et donnant lieu à une vision des choses qui se manifeste au cours des interactions.
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