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Médias et opinion publique : la représentation des étudiants de la faculté des sciences humaines de la radio zénith par rapport au rôle qu’elle a joué dans le mouvement pays lock de septembre à décembre 2019


par Israël Jeune
Université d'Etat d'Haïti - Licence 2022
  

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Chapitre II: Cadre contextuel et spatial

Dans ce chapitre, nous tenons à présenter le cadre contextuel du travail ainsi que le cadre spatial afin de mieux situer notre travail dans le temps et dans l'espace et de permettre aussi à tout un chacun consultant posterieurement ce travail de bien le comprendre.

2.1. Cadre contextuel

Dans cette section, nous mettons l'accent sur la situation politique, économique et sociale qui prévalaient dans le pays bien avant la période sous étude.

2.1.1. Sur le plan politique

De l'indépendance à aujourd'hui, de nombreuses crises ont traversé l'histoire de la société haïtienne. Cependant, depuis les évènements populaires qui ont chassé la dynastie des Duvalier du pouvoir après 29 ans d'un règne placé sous le signe de la terreur, de la corruption et de l'asservissement des institutions au profit des intérêts personnels de quelques familles qui dominent le pays, les crises politiques, sociales et économiques deviennent récurrentes. L'état démocratique ne parvient jamais à être instauré sur les décombres de la dictature duvaliériste ou du moins il se fait plutôt dans le chaos. De l'espoir d'un peuple miséreux à l'exaspération des foules en passant par les crises politiques (coups d'Etat), et les interventions internationales sporadiques, le pays ne parvient pas à achever sa transition démocratique.

Pour cette société post 86, on s'est misé sur la démocratie comme nouveau système politique pour élire de nouveaux dirigeants qui devraient prendre les destinées de la nation. Cependant, les élections qui devraient amener à des gouvernements démocratiques sont souvent l'objet de fraudes massives ou finissent dans le sang. Le massacre à la ruelle vaillant lors des élections de 1987 en est un exemple éloquent. Des gens qui espéraient pouvoir jeter les premières pierres dans le processus démocratique et du même coup permettre au pays de démarrer sur la voie du changement et du progrès ont été tout simplement massacrés. Pendant les vingt-neuf années des Duvalier, il y avait eu des élections dirigées et orientées pour élire des députés et magistrats. Elles étaient toujours organisées par le régime au profit des députés candidats de la grande famille

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dynastique duvaliériste. Les dernières élections sénatoriales et présidentielles remontaient alors à septembre 1957 (Jean-Baptiste, 2020).

La période post duvaliériste est surtout marquée par la lutte pour le pouvoir. Les élections sont toujours mal organisées et les coups d'état sont légions. Les élections du 16 décembre 1990 qui ont porté le prête Jean-Bertrand Aristide au pouvoir n'ont jamais eu de résultats officiels alors qu'elles étaient censées être les premières consultations électorales réellement démocratiques post duvaliériste. Au bout de quelques mois, soit le 30 septembre 1991, Jean-Bertrand Aristide est renversé au pouvoir. Les militaires qui n'ont pas vraiment quitté le pouvoir s'en sont emparés. Après trois ans en exil, Jean-Bertrand Aristide est revenu au pays. C'était donc le retour à l'ordre constitutionnel. Après avoir envisagé, un moment, de se maintenir au pouvoir trois années supplémentaires afin de compenser la durée de son exil après le putsch de septembre 1991, Jean-Bertrand Aristide avait mis le cap sur les élections présidentielles en endossant la candidature de René Préval8. C'est ainsi que le 26 novembre 1995, l'ancien Premier ministre René Préval, candidat de la coalition Lavalas, a remporté l'élection présidentielle, avec 87,9% des suffrages. Les acteurs politiques de l'époque ont contesté son élection à la tête du pays. L'élection a été boycottée par tous les partis politiques, à l'exception de KONAKOM. La mouvance Lavalas a été quasiment seule dans la course électorale, presque sans compétiteurs. Les partis politiques d'opposition lui reprochaient de miner le champ électoral sous leurs pas. Le candidat lavalassien, René Préval, a raflé toute la mise, avec un score inimaginable en régime démocratique : 87,9%. Taux de participation électorale : 31,1%. Pourcentage des électeurs et des électrices qui ont élu le président : 27,3%. (Hurbon, Gilles, & Midy, 2014). Finalement le 7 février 1996, pour la première fois en 10 ans, un président élu démocratiquement passe l'écharpe présidentielle à un autre élu aussi au terme des élections.

Durant le premier mandat de René Préval, c'est la pagaille au niveau politique. L'Organisation Politique Lavalas (OPL) qui a raflé presque tous les postes à pourvoir lors des

8 « 17 décembre 1995 - Haïti. Élection de René Préval à la présidence de la République », Encyclopædia Universalis : http://www.universalis.fr/evenement/17-decembre-1995-election-de-rene-preval-a-la-presidence-de-la-republique/ [consulté le 13 août 2021]

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élections de 19959, a mené la vie dure au président René Préval. Le parlement sous contrôle de l'OPL avec une figure de proue comme Gérard Pierre-Charles qui s'est engagé dans une bataille âpre contre le président et empêchant la ratification de plusieurs Premiers Ministres désignés après la démission de Rony Smarth. Rony Smarth qui a été nommé au poste de Premier ministre le 27 février 1996 a remis sa démission le 9 juin 1997 en désaccord avec le président René Préval et face à l'impasse politique dans laquelle se trouvait le pays. Ainsi, pendant deux longues années, le pays s'est plongé dans une crise politique avec l'absence de Premier ministre. En janvier 1999, le président René Préval a constaté la caducité du parlement qui a refusé à plusieurs reprises de ratifier le choix d'un nouveau premier ministre après la démission de Rony Smarth. A cette époque, le Journal Le Monde écrivait : « En refusant la prolongation du mandat des parlementaires alors que de nouvelles élections n'ont toujours pu être organisées, le président Préval a pris le risque de fragiliser un peu plus la démocratie, restaurée il y a quatre ans par les troupes américaines. En novembre dernier, les sénateurs avaient voté une résolution prolongeant leur mandat jusqu'à la fin de l'année « pour éviter un vide institutionnel »10. Le journal continue pour informer que « plusieurs responsables politiques de l'opposition ont accusé le président Préval de « vouloir instaurer une dictature ». Ces responsables politiques ont évoqué comme le fait de « Confirmer le premier ministre (Jacques Edouard Alexis) sans ratification de son programme par le Parlement constitue une violation de la Constitution ».

En fin de mandat, le président René Préval doit organiser des élections pour la passation du pouvoir. Après une première tentative d'organiser les élections devant renouveler le parlement le 6 avril 1997, élections qui étaient marquées par l'indifférence et par une très forte abstention estimée à moins de 10 %11 le rendez-vous était finalement pris pour le 21 mai 2000. Malheureusement, ces élections ont plongé le pays dans la plus grave crise politique de la transition

9 Après les élections de 1995, l'OPL disposait de 15 des 19 sièges du Sénat, 64 des 82 sièges de la Chambre des députés et 97 des 133 mairies. Jean Ledan, F. (2009), c'était hier, Le Nouvelliste. https://lenouvelliste.com/article/69300/cetait-hier [consulté le 13 août 2021]

10 Caroit, J-M. (1999, janvier 16). La crise politique s'aggrave en Haïti. Le Monde. https://www.lemonde.fr/archives/article/1999/01/16/la-crise-politique-s-aggrave-en-haiti_3531693_1819218.html [consulté le 13 août 2021]

11 Jean Ledan, F. (2009, mars 21), C'était hier. Le Nouvelliste. https://lenouvelliste.com/article/69300/cetait-hier [consulté le 13 aout 2021]

https://www.universalis.fr/encyclopedie/jean-bertrand-aristide/ [consulté le 20 novembre 2021]

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démocratique après le coup d'État militaire du 30 septembre 1991. Le 21 mai 2000 a été l'expression de la confiscation de la volonté populaire librement exprimée aux urnes au profit d'un secteur politique qui voulait avoir le contrôle de toutes les institutions du pays, en ignorant la sanction populaire et le libre jeu du suffrage universel. Malgré les dénonciations des partis politiques et des missions d'observation électorale, le pouvoir du président René Préval, de connivence avec le Parti Fanmi Lavalas de l'ancien président Jean-Bertrand Aristide a foncé tête baissée dans le détournement du vote de la population qui n'entendait pas renoncer à sa souveraineté transférée à ses représentants écartés au profit des candidats officiels (Jean-Francois, 2014). Après les législatives contestées, les élections présidentielles se sont organisées le 26 novembre 2021. À l'issue d'une campagne marquée par de nombreux assassinats politiques et actes d'intimidation, Jean-Bertrand Aristide remporte l'élection présidentielle, organisée par un conseil électoral à sa solde. L'ancien chef de l'État, au pouvoir de décembre 1990 à septembre 1991, affrontait quatre autres candidats inconnus. L'opposition avait appelé à boycotter le scrutin et la communauté internationale avait refusé d'envoyer des observateurs après les irrégularités qui ont entaché, durant l'année, les élections législatives et municipales remportées par le parti Lavalas. La participation paraît faible. Le 29 novembre de la même année, le conseil électoral proclame Jean-Bertrand Aristide élu avec 91,7 p. 100 des suffrages et annonce un taux de participation de 60 p. 10012.

Ayant accédé au pouvoir sur fond de crise, Jean-Bertrand Aristide n'aura pas connu une période tranquille durant les trois ans passés au pouvoir avant de s'exiler. Un coup d'État a été échoué en juillet 2001 mais, au cours des années suivantes, l'opposition ne fait que s'amplifier. Jean-Bertrand Aristide fuit le pays en février 2004 au milieu de manifestations antigouvernementales qui se transforment en véritable révolution13. Comme le veut la constitution de 1987, le pouvoir a été remis entre les mains de Boniface Alexandre, président de la cour de cassation d'alors. Une fois accédé au pouvoir, Boniface a fait appel à des forces onusiennes dans une mission de stabilisation et de paix en Haïti en vue de pacifier le pays en proie à des groupes

12 « 26-29 novembre 2000 - Haïti. Élection controversée de Jean-Bertrand Aristide à la présidence », Encyclopædia

Universalis: http://www.universalis.fr/evenement/26-29-novembre-2000-election-controversee-de-jean-bertrand-
aristide-a-la-presidence/ [consulté le 21 novembre 2021]

13 « ARISTIDE JEAN-BERTRAND (1953-

) », Encyclopædia Universalis:

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armées qui tuent et kidnappent en toute impunité. Au terme des élections de 2006 organisées par le gouvernement de transition, René Préval sera élu pour un second mandat présidentiel qui sera marqué dans un premier temps par des émeutes de la faim et dans un second temps par le passage du séisme du 12 janvier 2010. Avant de quitter le pouvoir, il a organisé les élections présidentielles de 2010-2011 portant au pouvoir Michel Joseph Martelly qui inaugure l'ère du PHTK.

Depuis l'avènement du régime PHTK, il y a environ une décennie14, la situation politique économique et sociale du pays se dégrade continuellement. En effet, le pays a vécu des bouleversements politiques et des tumultes sociaux peut-être un peu plus qu'il n'en a connu au cours de la période précédente. Les épisodes de la crise nationale sont récurrents dans la vie mouvementée de la République d'Haïti. Les manifestations (de cette crise) se sont multipliées au cours de ces dix dernières années, entrainant le pays dans une spirale aux conséquences multiples. Si cette crise multidimensionnelle est antérieure au régime PHTK, l'on doit toutefois admettre qu'elle s'est envenimée avec la prise de pouvoir de Michel Joseph Martelly et de Jovenel Moïse. En effet, depuis l'arrivée au pouvoir de Jovenel Moïse en février 2017, le pays traverse une crise politique profonde et sans issue. L'opposition politique ne rate aucune occasion de mettre le bâton dans les roues du gouvernement. Du budget de 2017 jugé criminel par les acteurs de l'opposition15, en passant par les contestations populaires de 6 et 7 juillet 201816 pour arriver aux deux épisodes de pays lock de 2019, le pouvoir est souvent épinglé, égratigné et même écorché. Sur le règne du PHTK, l'instabilité politique s'est renforcée. Le président Michel Joseph Martelly a connu,

14 Le Parti haïtien Tèt Kale (PHTK) est officiellement constitué le 16 août 2012. Ce parti s'est présenté, au moment de sa formation, comme un parti de centre droit à tendance libérale, favorable au désengagement de l'Etat dans l'économie, à la transformation profonde et durable du pays. Voir l'article de Robenson Geffrard, Parti haïtien Tèt Kale, le pouvoir se dote d'un « chapeau légal » dans le Nouvelliste en date du 16 août 2012: https://lenouvelliste.com/article/108116/parti-haitien-tet-kale-le-pouvoir-se-dote-dun-chapeau-legal [consulté le 15 avril 2020]

15 Voir l'article Pieter Thys (2017, 03 octobre), La population haïtienne s'oppose au budget national. Coordination Europe-Haïti. https://www.coeh.eu/fr/la-population-haitienne-soppose-au-budget-national/

16 « Le mouvement des 6 et 7 juillet est l'expression de la haine et de la souffrance sociale dans une organisation sociale ou le mot République ou bien l'expression vivre ensemble dans une république est vide de sens ». Voir l'article de Ilionor Louis, 6 et 7 juillet 2018 : ce n'était qu'un rêve, un cauchemar, dans Le National an date du 16 janvier 2019. http://lenational.org/post_free.php?elif=1_CONTENUE/tribunes&rebmun=897 [consulté le 15 avril 2020]

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pendant son quinquennat, 3 Premiers ministres17 dont Laurent Lamothe qui, pendant ses deux ans de fonction, a opéré 3 remaniements ministériels18. Si Michel Joseph Martelly a connu 3 Premiers ministres en 5 ans, le président Jovenel Moise quant à lui avait connu le même nombre de Premiers ministre en seulement deux ans, juste avant le phénomène de pays lock. Comme Pierre-Raymond Dumas l'avait mentionné dans son livre Que c'est triste d'être ministre sous Martelly, « Il manquait une vision collective du pouvoir, une doctrine de gouvernement et une mystique du changement social19 » à ce régime.

En agissant comme s'il protégeait les personnes impliquées dans la corruption, en entreprenant une série d'actions infructueuses telle la « caravane du changement » et en faisant toute une série de promesses ronflantes à la population, Jovenel Moïse a offert le bâton à l'opposition pour le battre. Les manifestations antigouvernementales se déploieront et se multiplieront à travers tout le pays, réduisant l'espace de pouvoir au palais national à un président qui ne peut pas honorer de sa présence les dates historiques nationales. La sécurité à la capitale s'est considérablement dégradée. Des régions du pays et des quartiers de Port-au-Prince sont abandonnés aux groupes armés qui prolifèrent au vu et au su des autorités auprès desquelles ils trouvent souvent des complices. Ces groupes lourdement armés défient les institutions républicaines et la police nationale elle-même qui, dans certaines situations, se trouve incapable de les affronter.

2.1.2. Sur le plan économique

Haïti est, depuis près d'un siècle, connu comme le pays le plus pauvre du continent américain. Ayant accédé à l'indépendance dans des conditions difficiles au début du dix-neuvième siècle, la population Haïtienne a vécu jusqu'à la fin des années 60 dans et d'une économie à

17 Les trois Premiers ministres de Martelly sont respectivement Gary Conille (05 septembre 2011 au 12 mai 2012), Laurent Lamothe (12 mai 2012 au 14 décembre 2014).

18 Baron, A. (2014, 03 mars), Remaniement gouvernemental en Haïti. Radio France Internationale. https://www.rfi.fr/fr/ameriques/20140403-haiti-lamothe-gouvernement-remaniement

19 Jérôme, J. P. (2015, décembre 11). Que c'est triste d'être ministre sous Martelly : l'ouvrage de règlements de comptes de PRD. Le Nouvelliste. https://lenouvelliste.com/article/153470/que-cest-triste-detre-ministre-sous-martelly-louvrage-de-reglements-de-comptes-de-prd

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prédominance agricole basée sur la petite exploitation paysanne de faible productivité. L'économie urbaine est restée rachitique et liée au commerce international, faible en volume, en valeur et en part relative du produit intérieur brut. L'essai de modernisation amorcé au début des années 70 n'a pas donné les résultats espérés, l'industrialisation étant restée relativement faible, ralentie en partie par une agriculture qui s'est montrée incapable de satisfaire la demande urbaine. La migration interne a contribué, d'autre part, dans ce contexte à alimenter un secteur informel urbain pléthorique et très peu capitalisé. La croissance de type extensif qu'a connu le pays n'a pas permis une augmentation significative des revenus moyens et le taux de pauvreté est demeuré très élevé. La permanence de cette situation réclame que les analystes y prêtent une attention soutenue.20

Haïti présente aujourd'hui le spectacle navrant d'un pays au bord d'un effondrement général. Loin d'amorcer son développement économique, le pays s'enfonce chaque jour un peu plus dans la misère au rythme des crises politiques. Le développement économique et social d'Haïti continue d'être entravé par l'instabilité politique, l'augmentation de la violence et de la fragilité. Le pays reste le plus pauvre de la région Amérique latine et Caraïbes et parmi les pays les plus pauvres du monde21. Depuis le pic des années 1980, le revenu constant par habitant n'a cessé de décroître pour atteindre son plus bas niveau une première fois au milieu des années 1990 puis de nouveau au milieu des années 2000, et enfin en 2010 suite au tremblement de terre. Le PIB par habitant est ainsi passé de plus de 700 US$ en 1980 (en valeur constante sur une base 2005) a à peine plus de 430 US$ en 2016 (Giordano, 2016).

20 C'est l'introduction du rapport produit en 2005 par la Commission Economique pour l'Amérique Latine et les Caraïbes (CEPALC) ayant pour titre la pauvreté en Haïti : situation, causes et politiques de sortie. Le document a été élaboré par la consultante Rémy Montas, dans le cadre du projet « Stratégies non conventionnelles pour le développement économique en Haïti » de la CEPALC.

21 Ces informations proviennent du site de la banque mondiale qui fait une présentation de la situation économique du pays. https://www.banquemondiale.org/fr/country/haiti/overview#1 [consulté le 27 novembre 2021]

22 Giordano, T. (2016). Une étude exhaustive et stratégique du secteur agricole/rural haïtien et des investissements publics requis pour son développement. Agricultural Reseach For Development.

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La première décennie au pouvoir de Jean-Claude Duvalier s'accompagne d'une amélioration assez nette de l'économie du pays. Cette période s'achève avec les premières contestations du régime duvaliériste, au début des années 1980, qui se traduisent par un net recul du PIB par tête. Elle se poursuit après le départ en exil de Duvalier en 1986, et ce durant toute la période d'instabilité politique qui prévaut jusqu'au retour de Jean-Bertrand Aristide en 1994. Il s'agit de la crise économique la plus longue sur cette période22. Elle est seulement interrompue sporadiquement en 1991, dans la foulée des élections présidentielles qui portent au pouvoir Jean-Bertrand Aristide. Mais le coup d'état du 30 septembre de cette même année brise tout espoir de relance économique durable. En 1994, la reprise économique est là, mais elle s'avère de courte durée et l'économie haïtienne rentre de nouveau en récession au milieu du premier mandat de René Préval. Le second mandat d'Aristide et le coup d'état qui l'interrompt ne font que dégrader la situation. Pour voir la situation s'améliorer, il faut attendre l'élection de René Préval pour un second mandat. C'est alors que des éléments autres que politiques, tels les évènements climatiques (cyclone Hannah et Ike, 2008) ou telluriques (séisme du 12 janvier 2010), perturbent la nouvelle dynamique. Au final, le taux de croissance du PIB a été particulièrement erratique depuis les années 1960, plus souvent négatif que positif, et les chocs politiques particulièrement déterminant.

Depuis la crise des années 1980, Haïti peine à relever la tête: en 2015 le PIB par habitant devrait tout juste revenir à son niveau de 1993 selon les projections du gouvernement. La Banque mondiale a estimé que pour réduire l'extrême pauvreté à 3% de la population d'ici à 2030, objectif fixé par le gouvernement, la croissance économique haïtienne devait croître de 7% par an à structure de revenu identique, et de 4% par an avec une croissance plus inclusive où le revenu des 40% les plus pauvres augmenterait de 8% par an (Singh & Barton-Dock, 2015). Les efforts à accomplir sont donc considérables pour stimuler l'investissement privé afin non seulement qu'il génère de la croissance mais surtout que cette croissance soit inclusive et bénéficie aux plus pauvres.

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En raison de la faiblesse des institutions politiques, les dirigeants haïtiens ont souvent pillé les caisses de l'État. Par des stratagèmes variés, ils ont amassé une fortune considérable en détournant l'aide internationale, en prélevant un pourcentage élevé des taxes et des impôts et en se livrant à des trafics en tout genre. La fortune de Jean-Claude Duvalier (1971-1986) a été évaluée à 120 millions de dollars et celle de J.-B. Aristide (1994-1996 et 2000-2004) s'échelonnerait entre 200 et 800 millions de dollars. La combinaison de ces facteurs explique l'impossible stabilité politique d'Haïti, dont les périodes apparemment calmes coïncident en général à des régimes autoritaires. Outre l'incompétence et la faillite de l'État, Haïti est confrontée à une crise économique profonde qui oblige la population à mettre en oeuvre des stratégies de survie au jour le jour23.

L'année 2019 qui s'ouvre au pays lock, période qui nous intéresse, a été marquée par une forte dépréciation de la gourde par rapport au dollar américain. Cela a occasionné la fermeture de nombreuses entreprises dans le sud du pays en signe de protestation24. Selon les propriétaires de ces boutiques et magasins qui ont fermé leurs portes, l'appréciation du dollar par rapport à la monnaie locale a entrainé l'augmentation des prix de tous les produits sur le marché ainsi qu'une baisse considérable des ventes. A cela, il faut ajouter une politique budgétaire non dynamique, le taux de l'inflation de 17% en février 2019. En effet, l'IHSI, dans son bulletin mensuel, a révélé que le taux d'inflation a accéléré de 1.7% mensuel et 17% sur une base annuelle. Le riz, la viande, le lait, la banane, entre autres sont les produits qui ont connu une variation plus élevée. « Alimentation : riz importé (22,7 %), viande en moyenne (20,7 %), morue (24,4 %), lait en poudre (25,9 %), chadèque (30,4 %), banane (27 %), manioc (43,2 %), arbre véritable (41,1 %). Articles d'habillement et chaussures : culottes, gaines (21,1 %), chemises (20 %), vêtements enfants (21,6 %) »25. Le contexte économique d'avant le mouvement pays lock était chaotique et désastreux pour le pays.

23 Haïti: une transition «démocratique» qui dure... (1986-2004). http://mappemonde-archive.mgm.fr/num3/lieux/lieux04301.html [consulté le 27 novembre 2021]

24 Lorfils, R. J. (2019, février 05), Hausse du dollar : Aux Cayes, des magasins ferment leurs portes. LoopHaiti. https://haiti.loopnews.com/content/aux-cayes-des-commercants-fermeront-leurs-magasins-des-ce-mardi [consulté le 15 avril 2020]

25 Dubois, C. (2019, 26 mars), Le taux d'inflation a atteint 17%, le calvaire du peuple haïtien continu. Le National. http://lenational.org/post_free.php?elif=1_CONTENUE/economies&rebmun=2201 [consulté le 15 avril 2020]

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2.1. 3. Sur le plan social

De 1986 à aujourd'hui, Haïti est traversé par un ensemble de crise sociale. La première crise sociale qui a frappé le pays était l'embargo imposé au pays de 1991 à 1994 suite au coup d'Etat renversant Jean-Bertrand Aristide au pouvoir le 30 septembre 1991. Seuls les produits alimentaires de première nécessité ainsi que quelques autres produits de base étaient autorisés à entrer sur le territoire national durant cette période. Cette situation intenable a créé une crise humanitaire sans précédent dans le pays. En effet, il devenait difficile de circuler car il n'y avait pas de pétrole. Il n'y avait plus de l'électricité ce qui obligeait certains ménages de fabriquer des bougies avec une mèche de coton imbibée d'huile de cuisine. Le prix des produits et des services était également élevé, surtout pour le transport en commun. Par exemple, le prix du billet aller Port-au-Prince vers Jérémie était passé de 50 gourdes à 250 gourdes26.

C'est alors que, pour fuir la situation de misère et de répression qui sévit dans le pays, des milliers d'Haïtiens décident de prendre la mer pour se rendre aux Etats-Unis. Ce sont les Boat People. Rapidement les USA mettent en oeuvre des politiques pour empêcher ces réfugiés d'atteindre leurs côtes. Ainsi, jusqu'au 24 mai 1992, tous les Haïtiens capturés en haute mer vers les Etats Unis étaient envoyés sur la base navale de Guantanamo. Ils étaient près de 12 000 sur cette base américaine27. Après cette date, les Haïtiens étaient immédiatement refoulés en Haïti. C'était aussi l'époque ou le SIDA faisait rage aux Etats Unis. Les Haïtiens, considérés comme vecteurs de la maladie, subissaient déjà des discriminations graves au pays de l'oncle Sam. Leur entrée sur le territoire américain était refusée en partie à cause de cela.

Le pays ne s'était pas encore relevé des crises sociopolitiques antérieures quand une crise électorale va donner lieu à une crise sociale en 2003-2004. En effet, les élections du 21 mai 2000, orchestrées par le pouvoir d'alors en faveur du parti Fanmi Lavalas ajouté à celles du 26 novembre 2000, vont créer des tensions politiques qui plus tard vont engendrer une atmosphère propice à une crise sociale. En effet, les mouvements de protestation populaire vont commencer lorsque le président Jean-Bertrand Aristide va tenter d'installer un nouveau recteur à la tête de l'Université

26 Francisque, J. (2020, aout 6). Que connaissez-vous de l'embargo imposé à Haïti en 1991? AyiboPost. https://ayibopost.com/que-connaissez-vous-de-lembargo-impose-a-haiti-en-1991/ [consulté le 28 novembre 2021]

27 ibidem

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d'Etat d'Haïti au mépris des prescrits de la constitution de 1987 en vigueur consacrant l'indépendance de l'UEH28. C'est ainsi que les premiers mouvements de protestation contre le pouvoir en place vont être lancés par les étudiants de la Faculté des Sciences Humaines (FASCH). Un peu plus tard, le groupe 18429 et des fractions rebelles vont mener la lutte pour le départ du président Aristide. Ces bouleversements politiques ont eu des répercussions sur le plan social. En effet, les écoles dans les villes comme Gonaïves ont fermé leur porte depuis l'épisode du 22 septembre 2003 conduisant à la mort d'Amiot Métayer dit Cubain30. Les activités économiques qui ralentissaient font augmenter les prix des produits de première nécessité. Ainsi des milliers d'Haïtiens crèvent de faim, des bandes armées du pouvoir pillent, tuent et violent dans la société où règnent l'inégalité, l'injustice et l'impunité.

En Haïti comme en Afrique, dans certains pays asiatiques (Indonésie, Philippines, etc.) et en Amérique latine (Pérou, Bolivie, etc.), l'année 2008 a été marquée par une généralisation de crises dénommées « émeutes de la faim ». Celles-ci témoignent d'une vulnérabilité croissante des agricultures locales et d'un sous-investissement dans les campagnes du « Sud ». Mais elles renvoient surtout à la montée des inégalités de revenus dans un monde spéculatif où les productions agricoles sont vendues aux plus offrants sur les marchés internationaux et peuvent faire l'objet de placements financiers (Dufumier & Hugon, 2008). C'est dans ce contexte que chez-nous, le 03 avril 2008, des émeutes contre la vie chère éclatent d'abord dans la ville des Cayes31 avant de se

28 Antonin, A. (Réalisateur). (2004). GNB kont Attila, une autre Haïti est possible [Film]. Centre Pétion Bolivar

29 Le groupe 184 était formé de 184 institutions et personnalités du pays dont 17 intellectuels, écrivains et artistes, parmi lesquels Raoul Peck, Franketienne, Yanick Lahens, Laennec Hurbon ou encore Michel Soukar. 16 organisations du secteur privé, parmi lesquelles l'Association des industries d'Haïti, de riches patrons comme Charles Henri Baker ou Reginald Boulos. De nombreuses associations paysannes, des journalistes, des étudiants, etc. complétaient la liste. [Voir Francisque, J. (2019, octobre 5). Vous souvenez-vous du Groupe des 184 qui a contribué au renversement

d'Aristide? AyiboPost. https://ayibopost.com/vous-souvenez-vous-du-groupe-des-184-qui-a-contribue-au-
renversement-daristide/ [consulté le 28 novembre 2021]

30 Voir l'enquête du Réseau Haïti Solidarité Internationale / Institut Mobile d'Education Démocratique (HSI/IMED) publié sur le site d'Alter Presse, Le fil des événements entourant l'assassinat de Amiot Métayer, https://www.alterpresse.org/spip.php?article792 [consulté le 28 novembre 2021]

31 Caroit, J-M. (2008, avril 9). Haïti : les « émeutes de la faim » gagnent les rues de Port-au-Prince. Le Monde. https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2008/04/09/haiti-les-emeutes-de-la-faim-gagnent-les-rues-de-port-au-prince_1032621_3222.html [consulté le 28 novembre 2021]

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répandre dans d'autres villes comme à Port-au-Prince et Pétion-Ville où de nombreuses casses ont été enregistrées. Des manifestants en colère ont tenté de défoncer les grilles du palais national en scandant qu'ils ont faim32. Cette situation de famine qui a touché de nombreuses familles haïtiennes a été surnommée « grangou klowòks ». Les mouvements ont été sociaux et politiques. D'ailleurs, ils ont conduit au renvoie du gouvernement de Jacques Edouard Alexis33. La situation sera aggravée au passage du cyclone Hannah et Ike en début de septembre de la même année aux Gonaïves en causant des dommages énormes dans cette ville qui a été déjà frappée par le cyclone Jeanne en 2004.

En 2018, le pays a connu deux grands mouvements de protestation. L'un en juillet et l'autre à partir du mois d'août. En effet, les 6 et 7 juillet 2018 le mouvement de protestation a pris la forme d'une émeute34. La pauvreté qui atteint des millions de personnes dans le pays, l'inégalité et la mauvaise répartition des richesses sont considérées par plus d'un comme les causes profondes des émeutes du 6 et 7 juillet 2018. En effet, « Environ 6,3 millions d'Haïtiens ne sont pas en mesure de satisfaire leurs besoins essentiels, dont 2,5 millions vivent en dessous du seuil de pauvreté avec moins de 1,23 dollars par jour », a indiqué l'économiste Kesner Pharel, en marge d'une séance de formation organisée en juillet 2018 par le Group Croissance et le Réseau des journalistes économiques pour le développement durable (REJEDD)35. Il n'y a pas que les 6 et 7 juillet 2018 mais aussi 17 octobre 2018, 18 novembre 2018 ainsi que du 7 février au 14 février 2019. Toutes ces dates ont été marquées par le blocage violent des rues de Port-au-Prince, et des grandes villes d'Haïti, par des milliers de manifestants qui entendaient alors protester contre un système qu'ils

32 Caroit, J-M, ibidem

33 « Le sénat renvoi le gouvernement de Jacques Edouard Alexis » (2008, avril 13). Radio Métropole. https://metropole.ht/le-senat-renvoi-le-gouvernement-de-jacques-edouard-alexis/ [consulté le 28 novembre 2021]

34 On peut considérer le mouvement des 6 et 7 juillet 2018 comme des « émeutes », en se référant à la définition qu'en donne le Petit Robert, en ces termes : « un soulèvement populaire, généralement spontané et non organisé pouvant prendre la forme d'un simple rassemblement tumultueux accompagné de cris de bagarre ». Provenant du verbe « émouvoir », le mot émeute a été utilisé, du Moyen-Âge à la Renaissance, pour désigner une émotion collective prenant la forme d'un soulèvement spontané (Mucchielli, 2013).

35 Jeanty, G. J. (2018, 17 juillet), Haïti et l'extrême pauvreté : un budget de rupture s'impose. Le Nouvelliste. https://lenouvelliste.com/article/190237/haiti-et-lextreme-pauvrete-un-budget-de-rupture-simpose [consulté le 15 avril 2020]

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accusent de les maintenir dans la misère et pour réclamer de meilleures conditions de vie36. Ces blocages hermétiques de routes sont devenus une nouvelle forme de revendication sociale qu'utilisent les gens pour exprimer leur douleur, leur ras-le-bol, leur mal-être, leur abjecte misère et leur méfiance vis-à-vis des acteurs politiques. À la source de cette série de mouvements de protestations populaires se trouvent une multitude de causes : dégradation du pouvoir d'achat, opacité des dépenses publiques, mauvaise gouvernance, inflation galopante ou encore dévalorisation de la monnaie nationale par rapport au dollar. En conséquence, de nombreux Haïtiens quittent le pays en quête d'un mieux-être ailleurs, parfois au péril de leur vie ou de leurs droits. C'est dans un contexte aussi délétère qu'en août 2018, un grand mouvement de jeunes, connu sous le nom de #PetroCaribeChallenge, a vu le jour sur les réseaux sociaux avant de descendre dans les rues de la capitale. Celui-ci exigeait des autorités haïtiennes que lumière soit faite sur l'utilisation de près de 4 milliards de dollars US du Fonds PetroCaribe qui auraient dû être investis dans la construction d'infrastructures de développement : comme des hôpitaux, des routes, des aéroports, des universités, etc. Les Haïtiens se sont rassemblés à de nombreuses reprises devant la Cour des comptes pour demander une enquête détaillée sur les responsables de la dilapidation de cet argent. Faisant suite à ces protestations, un audit spécifique autour de la gestion des projets financés par le Fonds PetroCaribe, fin janvier 2019, par cette même Cour des comptes a fait état de l'ampleur des malversations et dilapidations des fonds par plus d'une dizaine de ministres et hauts cadres de l'administration publique haïtienne. Le président haïtien Jovenel Moïse a été lui-même épinglé par ledit rapport37.

Depuis juillet 2018, nous nous accommodons à un système LOCK, une expression qui va prendre tout son sens à partir de septembre 2019. En effet, l'expression « pays lock » existe à peine dans le lexique sociopolitique et militantisme haïtien. Cette nouvelle forme de lutte a fait son apparition dans la vie sociale et politique du pays, et constitue maintenant une stratégie qui s'avère efficace pour lutter contre le régime politique et même le système en place, pour les protestataires.

36 Voir l'article de Milo Milfort, En Haïti, la crise politique et sociale persiste malgré un calme trompeur, publie sur le site Equaltimes en date du 31 mai 2019. https://www.equaltimes.org/en-haiti-la-crise-politique-et?lang=fr#.YLUMTahKi00 [consulté le 15 avril 2020]

37 Dorsainville, H. (2020, septembre 10). Quel avenir pour #PetrocaribeChallenge ? AyiboPost. https://ayibopost.com/quel-avenir-pour-petrocaribechallenge/ [consulte le 28 novembre 2021]

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Conçue comme une forme de réponse à la situation de vie précaire du peuple haïtien, cette notion se veut l'apanage du secteur démocratique et populaire et de l'ensemble de l'opposition politique38.

Dans un article publié dans Le Nouvelliste en date du 04 novembre 2019, Pays lock: une nouvelle forme de résistance anti-systémique en Haïti, le professeur Enock Occilien39, propose une définition du terme « pays lock » comme une situation dans laquelle le pays fonctionnait au ralenti et dans des conditions très critiques, où les activités sociales et économiques sont presque paralysées dans certaines zones ou même certaines régions. En effet, le pays a été mis à genoux par des manifestations et des protestations continues contre le pouvoir en place. Partout dans la capitale et dans les grandes villes du pays, des manifestants de l'opposition ont érigé des barricades pour empêcher l'accès aux transports, les activités commerciales et l'ouverture des écoles. Ces actions ont souvent entraîné des affrontements entre groupes opposés ; ceux qui veulent que les barricades soient levées et ceux qui veulent qu'elles restent, ainsi que des affrontements avec les forces de sécurité faisant des morts et des blessés innocents.

Le professeur Occilien dans son article, perçoit cette nouvelle forme de militance comme une forme de barricade dressée contre des barricades sociales, économiques et politiques qui sont établies, par le système, contre la masse populaire. Toujours selon lui, le Pays lock est une barricade contre l'oppression, le chômage, l'exploitation de la masse ouvrière, l'inégalité, les injustices sociales, l'insécurité sociale et alimentaire. Le professeur affirme que cette nouvelle forme de militance, baptisée « Pays Lock », ne doit pas être confondue aux actes de banditisme, de déviances ou du moins à la délinquance, puisque ces gens sont des victimes d'un système qui les pille, qui les met, pour certains à l'écart et pour d'autres dans une sorte d'exploitation suivant le rapport de production. Enock Occilien rappelle que l'histoire des revendications populaires en Haïti est marquée par diverses périodes de grands bouleversements sociopolitiques et économiques du pays et des formes de revendications qui ont parfois des dénominateurs communs.

38 Duvelsaint, R. C. (2019, 17 février), Pays-lock, un nouveau mot dans le lexique haïtien. Balistrad. https://balistrad.com/pays-lock-haiti-peyi-lok-definition-manifestation-barricade-bloque/ [consulté le 15 avril 2020]

39 Occilien, E. (2019, 04 novembre), Pays lock : une nouvelle forme de résistance anti-systémique en Haïti. Le Nouvelliste. https://lenouvelliste.com/public/index.php/article/208735/pays-lock-une-bnouvelle-forme-de-resistance-anti-systemique-en-haiti [consulté le 15 avril 2020]

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2.2. Cadre spatial de la recherche

Cette étude est menée auprès des étudiants de la Faculté des Sciences Humaines. Ce qui revient à dire qu'il faut présenter la Faculté comme espace de déroulement de l'enquête ainsi que la radio Zénith.

2.2.1.Présentation de la Faculté des Sciences Humaines

a) Description géographique et physique de la FASCH

La Faculté des Sciences Humaines se situe à l'impasse Eliazard qui s'ouvre sur l'Avenue Christophe, à Port-au-Prince. Elle se situe dans les parages de deux autres entités de l'Université d'Etat d'Haïti (UEH) à savoir l'Institut Supérieur d'Etudes et de Recherches en Sciences Sociales (IERAH/ISERSS) et l'Institut National d'Administration, de Gestion et des Hautes Etudes Internationales (INAGHEI).

La Faculté est logée principalement dans deux bâtiments se trouvant l'un en face de l'autre. Un bâtiment administratif et un bâtiment académique comprenant les salles de cours, la bibliothèque, une salle de conférence et un bloc sanitaire. Le bâtiment académique qui a été sévèrement endommagé lors du passage du séisme du 12 janvier 2010 a été réaménagé en 20192020 grâce à un don de l'ambassade du Japon en Haïti40.

b) Contexte de création de la FASCH

La Faculté des Sciences Humaines a été créée le 19 juin 1974 par Salomon Pierre-Louis, ancien dirigeant de la Faculté d'Ethnologie (FE) aux côtés de Jean-Baptiste Romain41. Au niveau de la Faculté d'Ethnologie, Salomon Pierre-Louis a été un peu mal vu pour ses idées un peu progressistes par rapport au système même s'il le supportait42. Ainsi, il a été décrié comme

40 Noel, W (2020), Panique à l'avenue Christophe : la cérémonie d'inauguration du bâtiment académique de la FASCH reportée...,Le Nouvelliste, https://lenouvelliste.com/article/220319/panique-a-lavenue-christophe-la-ceremonie-dinauguration-du-batiment-academique-de-la-fasch-reportee

41 Jean-Baptiste Romain, grand supporteur du régime des Duvalier a été doyen de la Faculté d'Ethnologie de 1958 à 1986.

42 Ces informations ont été recueillies au cours d'un entretien en date du 11 novembre 2021 avec le professeur Josué Vaval, coordonnateur général de la Faculté des Sciences Humaines.

43 Au cours de l'entretien, le professeur Josué Vaval affirme avoir découvert cela en effectuant ses propres recherches.

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quelqu'un qui n'appuyait pas le régime de manière radicale, ce qui a conduit à sa déchéance au niveau de la FE et perdait aussi une autre fonction qu'il occupait au niveau national. Cependant, il a reçu le soutien d'une frange du Jean-Claudisme qui a facilité une rencontre entre lui et le président Jean-Claude Duvalier qui l'a demandé de retourner à la FE, chose à laquelle il s'est opposé. Il a de préférence demandé au président de lui créer une autre espace afin d'éviter des altercations entre lui et les autres dirigeants de la Faculté d'Ethnologie. C'est à partir de ce moment que la Faculté des Sciences Humaines va être créée.

La devise de la FASCH, « Sol lucet omnibus » se traduisant « Le soleil luit pour tous » s'explique dans le contexte même de la création de la Faculté. C'est une sorte de réponse à l'écartement du fondateur par rapport à son poste au niveau de la Faculté d'Ethnologie. Le nom de « Faculté des Sciences Humaines » a été préféré en lieu et place de « Faculté des Sciences Sociales » parce qu'à l'époque de la création de la FASCH, le concept de sciences humaines était beaucoup plus acceptable par des régimes de type dictatorial par rapport à la notion de sciences sociales qui était subversive43. Notons que le débat qui existait dans les années 70, établissait une différence entre les sciences humaines qui s'occupaient de préférence de la recherche scientifique en étudiant les phénomènes sans s'immiscer dans les rapports sociaux qui les expliquent, des sciences sociales qui elles, s'intéressaient aux rapports sociaux.

c) Formation et étudiants

Depuis sa création, la Faculté s'est dotée du département de communication sociale, de psychologie, de travail social et un peu plus tard de sociologie. Les cursus n'étaient pas organisés comme ils s'organisent actuellement. En effet, en 1997, la Faculté a procédé à une révision de ses cursus de formation et a adopté le système de crédit qui est actuellement en cours. La FASCH n'a pas toujours été très fréquentée. En effet, certains départements comme la Psychologie à une certaine époque ne se constituaient que de 4 personnels enseignants où il y avait aussi peu d'étudiant. Guy D'allemand, dont la bibliothèque porte le nom, a effectué un travail colossal au niveau du département de travail social en procédant à une reconceptualisation de ce champ d'études entre la façon dont elle est enseignée dans les pays occidentaux comme les Etats-Unis, le

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Canada et dans les pays de l'Amérique latine. Pendant un certains moments, la Faculté était éligible pour une étude doctorale44.

Après le séisme du 12 janvier 2010, il y a une demande un peu plus élevée pour les formations dispensées par la Faculté des Sciences Humaines surtout avec l'avalanche des ONG présents sur le terrain à partir de cette période. Un nombre beaucoup plus de postulants s'inscrit au concours d'admission et il y a aussi beaucoup plus de diplômés. Le professeur Vaval a indiqué que la Faculté figure parmi les trois entités de l'UEH qui donnent beaucoup plus de diplômés par année.

Il est un peu difficile d'indiquer avec précision le nombre d'étudiants qui fréquentent la Faculté. D'abord, cela est dû par rapport à l'organisation du système de crédit lui-même et ensuite par rapport à l'insécurité qui empêche parfois à des étudiants de s'inscrire pendant une session. Toutefois, en temps normal, la Faculté reçoit l'inscription de 800 à 1000 étudiants par session académique45.

d) Structure administrative

La Faculté est dirigée par un conseil de trois membres appelé Conseil de Coordination élu pour un mandat de 3 ans. Ce conseil est actuellement constitué de Josué Vaval, coordonnateur général, de Nora Brutus, responsable administratif et de Jérôme Paul Eddy Lacoste, responsable académique.

Il y a ensuite le Secrétariat général qui se charge de l'opérationnalisation des activités au niveau de la Faculté ainsi coordonne l'équipe du petit personnel. Il y a le conseil des études constitué des responsables des 4 départements d'études de la Faculté. Il y a enfin les professeurs et les étudiants.

44 Propos tenus par le coordonnateur de la FASCH, Josué Vaval, au cours de l'entretien du 11 novembre 2021.

45 Cette information a été indiquée par le professeur Josué Vaval au cours de l'entretien.

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2.2.2.Présentation de la Radio Zénith

a) Description géographique et physique de la Radio Zénith

La radio Zénith est un média privé émettant sur la fréquence de 102.5 FM et se situant au numéro 33, route nationale #1, Bon Repos, dans la commune de Croix-des-Bouquets. La station de radio se loge dans un bâtiment comprenant un étage et un rez-de-chaussée se trouvant au bord de la route nationale.

b) Contexte de création de la radio Zénith

Le projet de création de la radio Zénith remonte à l'année 1995 lorsque le PDG de la station, Rony Colin, a quitté le Canada où il a passé une bonne partie de sa vie pour retourner en Haïti. Cependant c'est 9 ans plus tard, le 18 novembre 2004, en plein mouvement de GNB contre le président Jean-Bertrand Aristide dont Rony Colin est proche, que la radio va être lancée. Depuis la création de la radio en 2004, l'idée de départ était de couvrir tout le territoire national. 17 ans après, ce projet n'est pas abandonné. Si la station n'est pas présente dans tous les départements du pays, cependant elle est écoutée partout grâce à d'autres stations de radio de province qui relaient les émissions à grande écoute.

c) Le personnel de la radio

La radio Zénith compte plus de 100 employés parmi lesquels plus d'une soixantaine de journalistes et reporters à travers le pays46. Après le poste de PDG occupé par Rony Colin, fondateur de la station, le poste de directrice générale est occupé par Lunie Joseph depuis le 21 juin 2021. Cette journaliste de carrière s'est propulsée à ce poste de DG après que le journaliste Jean Oreste Morin a quitté la station sur fond de discorde avec le PDG suite à une visite de l'ancien

46 L'information sur le nombre des employés de la radio a été communiquée par le PDG Rony Colin intervenant à l'émission Train Matinale le 18 novembre 2021 lors de la 17 anniversaire de la Radio. Sur le nombre des journalistes, le media en ligne, Vant Bef Info ainsi que d'autres, ont rapporté que du 23 au 26 avril 2021, une soixantaine de journalistes et techniciens de la Radio Télé Zénith (RTZ) ont pris part à une retraite. L'initiative venait du PDG de la station, Rony Colin, en vue de faire une évaluation du travail de ses employés et redessiner l'avenir de la 102.5 FM.

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premier ministre, Joseph Jouthe, au local de la station le 10 mars 202047. Jean Oreste Morin et Osnel Jean-Baptiste, deux fers de lance du mouvement pays lock sur la radio Zénith, avaient quitté le navire après cette visite qui a été très mal vue au sein de l'équipe de la radio comme au sein de l'auditoire.

d) Attaque et arrêt de travail

Avant et pendant le mouvement pays lock, la radio Zénith a été l'objet de plusieurs attaques armées et très récemment, elle a été fermée. Bien avant même le mouvement de pays lock, la radio Zénith a déjà été la cible des hommes lourdement armés pour ses prises de position. Ainsi, dans la nuit du 17 au 18 juin 2019, la station a été l'objet d'une attaque armée où des impacts de projectiles étaient visibles sur la façade du bâtiment48. Dans une note, le Secrétaire d'Etat à la Communication d'alors, Eddy Jackson Alexis, a dénoncé l'attaque qu'il a qualifiée de répréhensible et contraire aux idéaux démocratiques, dont la liberté de la presse et d'expression49.

Cependant, le 6 novembre 2019, en plein mouvement de pays lock, le gouvernement a accusé Radio Zénith d' « incitation à la violence et de faire la promotion de la lutte armée dans le pays » et profite d'inviter « les associations de Presse, les responsables des droits humains à sortir de leur réserve pour mettre en examen et, en toute objectivité, le comportement incendiaire affiché par Radio Zénith dans la crise actuelle et pour condamner cette pratique délinquante qui n'a rien à voir avec une presse responsable ». Pour le gouvernement, la radio Zénith « a ouvertement pris fait et cause pour les bandits en leur indiquant, par la voie des ondes, l'emplacement des agents de la police, tout en suggérant le sort à réserver à ces derniers ».50

47 Voir l'article de Haïti Standard : Visite du Premier ministre Joseph Jouthe à Radio télé Zénith. https://haitistandard.com/visite-du-premier-ministre-joseph-jouthe-a-radio-tele-zenith/

48 Voir l'article de l'agence en ligne, Kapzy News, https://kapzynews.com/haiti-les-locaux-de-zenith-fm-attaques-par-des-hommes-armes/

49 Voir l'article de Haïti Press Network, Attaque contre Zénith FM, le gouvernement condamne https://www.hpnhaiti.com/nouvelles/index.php/societe/89-presse/5725-attaque-contre-zenith-fm-le-gouvernement-condamne

50 Voir l'article de Haïti Libre: Haïti - FLASH : Le Gouvernement condamne et accuse radio Zénith d'incitation à la lutte armée https://www.haitilibre.com/article-29205-haiti-flash-le-gouvernement-condamne-et-accuse-radio-zenith-d-incitation-a-la-lutte-armee.html

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Depuis le mouvement de pays lock, deux arrêts de travail ont été observés à la radio. Le premier arrêt de travail faisait suite au tollé qu'avait provoqué la visite du premier ministre Joseph Jouthe dans les locaux de la radio le 10 mars 2020 et suivi de la mort du fils du PDG en Floride 4 jours plus tard, soit le 14 mars 2020. Ainsi, les émissions de la radio ont été suspendues durant deux mois, du 11 mars au 12 mai 202051.

Le second arrêt de travail concernait une retraite, du 23 au 26 avril 2021, à Saut d'Eau, dans le département du Centre52. Il était question de réfléchir sur les nouvelles perspectives de la radio. Deux mois plus tard, de nouveaux dirigeants seront installés dans des postes décisionnels de la radio.

51 Voir l'article de Juno7 : Reprise de la programmation complète de Radio télé Zénith, ce mardi 12 mai, après deux mois de suspension. https://www.juno7.ht/reprise-programmation-complete-de-radio-tele-zenith/

52 Voir l'article de Vant Bef Info : Haïti / Média : La Radio Télé Zénith fait sa rétrospection et redessine son avenir https://vantbefinfo.com/2021/04/haiti-media-la-radio-tele-zenith-fait-sa-retrospection-et-redessine-son-avenir/

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