Organisation mondiale du commerce à l'épreuve de multiples crises. Perspective du système de régulation du commerce international.par Kossi Kafui SAMBOE Université de Lome - Master 2 droit public fondamental 2017 |
SECTION II. UNE INSTITUTION REGULIEREMENT EN CRISEL'OMC donne de plus en plus l'image d'une institution complètement aux abois, davantage engluée dans des crises sempiternelles et incapable de se départir de ses lourdeurs procédurales, comme en témoigne les crises constantes qui affectent son système de négociations (§1) ainsi que les avatars de son mécanisme de règlement des différends (§ 2). moyens pour décourager les investisseurs étrangers et tout autre acteur du commerce extérieur. Voir Christian HARBULOT et al, « les nouvelles formes et méthodes de protectionnisme » op.cit., p.5. 140 La sous-évaluation d'une monnaie est une technique de protectionnisme efficace, qui permet d'avantager l'ensemble des industries d'un pays, tout en trouvant sa justification dans diverses considérations financières ou économiques non liées officiellement à l'activité commerciale. Le plus souvent, les grandes puissances économiques la pratiquent, la Chine étant championne dans ce domaine. La sous-évaluation du yuan par la Chine lui permet de vendre ses produits moins chers à l'étranger, d'attirer des capitaux étrangers etc... 141 Au 31 décembre 2011, la base de données du secrétariat de l'OMC sur les « demandes de consultations », (première étape de l'engagement formel d'une procédure de règlement des différends à l'OMC) contenait des renseignements sur 427 demandes portant sur les mesures non tarifaires. 142 Romain BENICCHIO, Céline CHARVERIAT, « L'avenir compromis de l'OMC », op.cit, p. 55 et ss. 23 | P a g e 24 | P a g e § 1. L'ENLISEMENT RECURRENT DES NEGOCIATIONS COMMERCIALES MULTILATERALESLa plupart des négociations commerciales multilatérales conduites par l'organe des négociations commerciales de l'OMC, en l'occurrence la Conférence ministérielle143, débouche sur des blocages qui ne permettent pas de concrétiser des avancées. Rien qu'à prendre en considération l'enlisement du cycle de Doha, on pourra vite se convaincre de cette réalité (B). Mais avant cette présentation, il serait plus convenable d'analyser d'abord les raisons profondes du blocage des négociations commerciales multilatérales (A). A. Les raisons de l'enlisement récurrent des négociations commerciales multilatéralesLes analyses144 qui ont été effectuées au sujet de l'échec des Conférences ministérielles de l'OMC et des crises multiples y afférentes continuent de susciter de nombreuses inquiétudes. Parmi les multiples raisons qui ont été avancées pour tenter d'en saisir les causes, les plus importantes sont celles qu'il convient d'analyser maintenant. Premièrement, l'application de la règle de consensus en matière de négociations commerciales pénalise la progression des agendas. Selon Jean-Marc SIROËN, « la création de l'OMC n'a pas remis en cause la règle du consensus, qui était à la fois nécessaire pour respecter la souveraineté des Etats mais d'autant plus bloquante que le nombre de pays membres [164 en 2016] a augmenté »145. Deuxièmement, certains auteurs pointent du doigt le modèle de négociation que l'OMC a hérité du GATT, critiqué pour être de moins en moins pertinent. Ceux-ci remettent en cause le concept même de l'engagement unique qui caractérise les négociations multilatérales. En effet, le fait de mettre toutes les questions y compris les questions des plus épineuses telles que l'agriculture dans le même panier ou de lier ces questions à l'ensemble du cycle ralentit significativement les négociations. Ils en viennent donc à conclure que les progrès dans ce 143 En vertu de l'Accord instituant l'OMC, la Conférence ministérielle est l'organe de décision suprême de l'OMC habilitée à prendre des décisions sur toutes les questions relevant tout accord commercial multilatéral. Elle sert donc de cadre aux négociations commerciales multilatérales et rassemble à cet effet tous les Membres de l'Organisation qui soit des pays ou des unions douanières. 144 Jean-Marie WAREGNE, « l'OMC après Seattle - le chantier inachevé » Courrier hebdomadaire du CRISP, vol.1712-1713, no.7, 2001, pp. 5-76. De même, voir Jean-Marie WAREGNE, « La Conférence ministérielle de l'OMC à Doha. Le cycle du développement », Courrier hebdomadaire du CRISP, vol.1739-1740, no.34, 2001, pp. 5-88. 145 Jean-Marc SIROËN, « l'OMC face à la crise des négociations multilatérales », Les Etudes du CERI - n° 160 - décembre 2009, p.4. 25 | P a g e domaine seraient beaucoup plus rapides si les dossiers étaient traités distinctement. A ce propos, Craig Van GRASSTEK écrivait : « On dit souvent que la folie, c'est de faire toujours la même chose et de s'attendre à un résultat différent, mais les Membres de l'OMC sont confrontées au problème inverse : bon nombre des éléments qui semblent avoir contribué au succès du Cycle d'Uruguay146 ne produisent pas les mêmes effets depuis le début de l'OMC »147. Troisièmement, la montée en puissance des pays émergents peut être aussi l'une des clefs d'entrées explicatives du blocage148. Ainsi comme le souligne Jean-Marc SIROËN, « la montée en puissance des pays émergents, aux intérêts pourtant contradictoires, sous le leadership du Brésil et de l'Inde a remis en cause l'ancienne hégémonie des Etats-Unis et de l'Union européenne. L'objectif d'affirmation de ce leadership l'a parfois emporté sur les objectifs mêmes des négociations »149. On pourrait toujours multiplier les causes régulièrement invoquées par la doctrine. Par exemple, le ralentissement économique, les crises financières, la crise de certains secteurs (automobile, acier) ou encore des sujets de préoccupations contemporaines à l'instar de volonté de protéger l'environnement ou de lutter contre le changement climatique sont autant de facteurs qui entament le plus souvent la volonté d'ouverture des pays en vue d'aboutir au consensus. D'une façon générale, il est évident que les crises cycliques qui secouent les Conférences ministérielles restent fortement tributaires des événements conjoncturels mais aussi et surtout des enjeux politiques, économiques, ou sociaux. L'histoire constitue un excellent indicateur de la tendance presque pathologique des pays à se concentrer plus sur leurs intérêts défensifs que sur leurs intérêts offensifs. Dans ces conditions, beaucoup en viennent alors à s'interroger sur la capacité réelle de l'Organisation à se montrer suffisamment résiliente pour permettre de lever les doutes sur le succès des négociations futures. L'enlisement des négociations 146Du Kennedy Round jusqu'au Cycle d'Uruguay, les négociations ont été basées sur l'idée que le fait d'avoir plusieurs questions sur la table stimulerait l'ambition, même sur les questions les plus difficiles, en incitant à trouver des compromis entre les sujets. Le Cycle d'Uruguay est allé plus loin en regroupant toutes les questions en un engagement unique.(disponible sur https://www.wto.org/french/thewto_f/whatis_f/tif_f/fact4_f.html). 147 Craig VANGRASSTEK, histoire et avenir de l'organisation mondiale du commerce, OMC, 2016, p.583. Il rappelle, pour cela que le Cycle de Doha était fondé lui aussi sur le concept général de compromis entre les différentes questions et sur le schéma de l'engagement unique, mais depuis des doutes sont apparus sur le point de savoir si la formule qui avait fonctionné aux temps du GATT pouvait produire des résultats aussi ambitieux dans le cadre du Cycle de Doha. 148 Jean-Marie WAREGNE, « l'OMC après Seattle - le chantier inachevé » op.cit., p. 7. 149 Jean-Marc SIROËN, « l'OMC face à la crise des négociations multilatérales », op cit., p.5. 26 | P a g e constitue à cet égard une équation à plusieurs inconnues. Plusieurs exemples permettent de conforter cette analyse. |
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