Organisation mondiale du commerce à l'épreuve de multiples crises. Perspective du système de régulation du commerce international.par Kossi Kafui SAMBOE Université de Lome - Master 2 droit public fondamental 2017 |
CONCLUSION85 | P a g e Cordell HULL346 qui est considéré comme le père du système commercial actuel avait vu juste lorsqu'il affirmait qu' « il ne pouvait y avoir de paix durable sans prospérité économique, ni de prospérité sans liberté de commercer ». C'est en substance l'esprit même de l'internationalisme libéral347 prôné par l'OMC, « cette doctrine qui tente de concilier, d'un côté, la liberté économique avec la démocratie et, de l'autre, la coopération internationale avec la souveraineté des nations »348. Fondé sur les deux solides piliers que sont la clause de la nation la plus favorisée et la clause du traitement national, l'édifice OMC se veut le gardien du nouveau système commercial multilatéral. L'objectif est de faire disparaître progressivement, par des concessions négociées lors de rounds, tous les obstacles tarifaires ou non tarifaires au commerce des marchandises. A la différence du GATT, l'OMC a réussi le pari d'étendre le champ des activités couvertes par le système commercial multilatéral. Elle a aussi mis en place un mécanisme de règlement de différends à la fois « global et intégré »349, l'un des plus originaux350 ayant permis de réduire significativement le « talion commercial »351. Cependant, plus de vingt ans après sa mise en place, si les fondements idéologiques de l'Organisation ne sont pas en cause, en revanche, les dysfonctionnements existent. La vague libérale des années 1980 et 1990 semble s'essouffler. La réalité confirme, en effet, aujourd'hui l'existence d'une multitude de menaces qui pèsent sur l'avenir de l'Organisation à l'instar du régionalisme ou du protectionnisme qui prennent l'allure d'une tendance à long terme. Puisque les divers instruments adoptés dans le but de contrer ce fléau ont très vite été submergés par des pratiques mercantilistes, le monde compte encore aujourd'hui des centaines d'accords commerciaux régionaux ou bilatéraux qui mettent déjà à mal le multilatéralisme et fragilisent subséquemment l'OMC. A fortiori, la remise en cause du libre-échange, le regain des thèses populistes et nationalistes, les réflexes autarciques postérieurs à la crise de 2008 ou encore la prolifération des mesures protectionnistes déguisées peuvent- 346 Secrétaire d'Etat dans l'administration Roosevelt connu pour avoir été le principal artisan du plan américains de reconstruction du système international. Pour plus de détails sur Hull et son influence, voir entre autres : William ALLEN, « The International Trade Philosophy of Cordell Hull, 1907-1933 », American Economic Review, vol. 43, 1953, pp. 101-116 ; Michael BUTLER, Cautious Visionar. Cordell Hull and Trade Reform, 1933-1937, Londres, The Kent State University Press, 1998. 347 On peut résumer l'internationalisme libéral par deux aphorismes : les démocraties ne se font pas la guerre, et de bons voisins sont des voisins prospères. 348 Christian DEBLOCK, « le régionalisme commercial, y a-t-il un pilote dans l'avion ? » op.cit., 2. 349 Yves NOUVEL, « L'unité du système commercial multilatéral » op.cit., pp. 654 -663. 350 Julien BURDA, « l'efficacité du mécanisme de règlement de différends de l'OMC : vers une meilleure prévisibilité du système commercial multilatéral », op.cit., p.1. 351 Idem., p.4. 86 | P a g e elle alors être analysés comme le signe d'une descente aux enfers d'une Organisation « à bout de souffle »352. Ainsi que le soutient le Professeur Christian DEBLOCK, « la réciprocité est en effet de moins en moins adaptée aux réalités de [la] globalisation. La nouvelle diplomatie commerciale qui l'accompagne, dont le bilatéralisme est l'une des facettes, met de son côté à rude épreuve le second pilier du système, le multilatéralisme »353. Et comme si cela ne suffisait pas, étant entendu que l'OMC ne pouvait rassurer ni l'opinion publique ni une société civile inquiète des effets néfastes de la mondialisation, les frustrations ont été autant politiques, économiques, écologiques que sociales. D'une certaine manière, l'OMC apparaît de plus en plus comme une Organisation surpuissante qui imposerait le libéralisme économique aux États et qui brimerait la démocratie au détriment des Etats les plus faibles. Les PED restent alors sur le ressentiment d'avoir été floués lors des dernières négociations. Et pour tout couronner, le cycle de Doha semble sombrer dans une profonde léthargie. Le constat est donc poignant : « A moins d'une redéfinition rapide et consensuelle, autant de ses objectifs que de ses modes de fonctionnement interne, le ` Doha light' dont a accouché la conférence de Bali en décembre 2013 pourrait bien n'être que le dernier soupir d'une organisation sans repère. »354 Le panorama des facteurs à l'origine de l'expansion des inquiétudes ainsi retracé, aboutit aux conclusions du Professeur Jean-Marc SIROËN qui soulignait que l'OMC constitue aujourd'hui « une institution en crise »355. L'OMC semble donc arriver à un niveau où le fait même de survivre relèverait désormais de la gageure. Bref, tout porte à croire que son avenir est peut-être bien déjà derrière elle356. Pourtant, l'OMC s'est imposée ces vingt dernières années comme l'instance indispensable à la gouvernance de la mondialisation. Sa recette miracle et en même temps son gage de survie est d'avoir été l'artisan d'un nouveau système commercial multilatéral plus légitime (164 membres représentant 98% des échanges commerciaux mondiaux), plus transparent (évaluation sur une base multilatérale des politiques commerciales des Etats membres et juridictionnalisation du mécanisme de règlement des différends) et plus 352 Habib GHERARI, «L'OMC à bout de souffle? Quelques observations sur la 8ème Conférence ministérielle», op.cit., p.111 et ss. ; Christian DEBLOCK, « OMC : le déclin irréversible de la réciprocité et du multilatéralisme », op.cit., p. 35. 353 Idem. 354 Pascal LOROT, « Le cycle de Doha n'a accouché finalement que d'un accord à minima en décembre dernier à Bali », le nouvel economiste.fr, consulté le 10 juin 2016. 355 Jean-Marc SIROËN, « L'OMC, une institution en crise », Alternatives économiques, n°240, octobre, p.72. 356Christian DEBLOCK, « OMC : le déclin irréversible de la réciprocité et du multilatéralisme », op cit., p.54. 87 | P a g e représentatif des besoins spécifiques des PED (consécration du traitement spécial et différencié). Elle semble donc mieux adaptée à accuser les chocs de la mondialisation que l'on ne le pense357. Comme le rappelle Sandra POLASKI, bien que le Cycle de Doha se soit enlisé, « l'impossibilité de trouver un accord [...] ne freinera pas le commerce mondial et ne nuira pas à l'OMC »358. Aussi faut-il croire que l'Organisation est loin d'être en danger359. Mais Au lieu de s'employer à deviner, en vain, quel serait le sort de l'OMC dans les années à venir, il serait plutôt judicieux de réformer l'Organisation en profondeur afin de garantir à l'échelle mondiale aussi bien le développement équitable du commerce des biens et des services marchands que la satisfaction des droits fondamentaux. Les thérapies de choc proposées pour servir de correctifs aux imperfections de l'Organisation restent in fine l'un des mérites de cette présente étude. Comme indiqué plus haut, les solutions devront passer d'abord par une évaluation des accords existants et par la définition de règles équitables entre le Nord et le Sud. Il est aussi crucial de rompre avec la logique du libéralisme à outrance pour réconcilier les valeurs marchandes avec les considérations sociétales. En outre, des aménagements institutionnels s'avèrent davantage impérieux, car c'est le prix à payer si l'on veut assurer la pérennité de l'Organisation. Cependant prôner la suppression de l'OMC comme le recommandent ardemment certains serait une entreprise ruineuse qui exacerberait les rapports de force bilatéraux déjà à l'oeuvre dans le commerce international. A l'évidence, ces rapports de force ne font que le jeu des unilatéralistes. Même si nombres de détracteurs proposent de sceller définitivement le sort de l'Organisation, ils n'explicitent ni quand, ni comment le faire, une preuve de plus que l'invocation d'une alternative à l'OMC est une coquille vide. En définitive, l'OMC ne disparaîtra pas puisqu' il est indispensable pour le monde d'avoir cette organisation qui est à la fois universelle, transparente et résiliente pour maintenir encore longtemps à flot le libre-échange, car ce dernier reste une garantie de paix. Du reste, ce constat s'inscrit dans le prolongement des propos de Cordel HULL qui aimait souvent 357 Yves SCHEMEIL, « L'OMC, une organisation hybride et résiliente », Le journal de l'école de Paris du management, 2014/5(No109), p. 31-36. 358 Sandra POLASKI, « L'OMC n'est pas en danger. », L'Économie politique 3/2007 (n° 35), p. 18. 359 Idem. 88 | P a g e rappeler que : « quand les marchandises ne traversent pas les frontières, les armées le font »360. 360Cordel HULL cité par Christian DEBLOCK, « OMC : le déclin irréversible de la réciprocité et du multilatéralisme », op.cit., p. 36. |
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