Organisation mondiale du commerce à l'épreuve de multiples crises. Perspective du système de régulation du commerce international.par Kossi Kafui SAMBOE Université de Lome - Master 2 droit public fondamental 2017 |
Chapitre I. L'OMC, une organisation résilienteIl est assez habituel d'entendre des prédictions négatives sur l'avenir de l'OMC. « Serons-nous encore là l'année prochaine ? »237 rapporte Yves SCHEMEIL. Cette question hante en permanence l'esprit du personnel et semble être une épée de Damoclès sur la tête de l'Organisation. L'avènement au pouvoir de M. TRUMP aux Etats-Unis et sa volonté de mettre en place des mesures protectionnistes de grande ampleur238 ont aussi déclenché à l'échelle mondiale une vague de pessimisme sur l'avenir de l'Organisation chargée de la régulation du commerce mondial239. Or à l'évidence, cette institution dure déjà depuis plus d'un demi-siècle, d'abord sous le couvert du GATT puis en tant qu'OMC, créée fin 1994 et inaugurée en janvier 1995. Quelles peuvent bien être alors les recettes de ce succès ? Selon le professeur Yves SCHEMEIL, « cette longévité provient pour une bonne part de sa capacité à résister aux tentatives de contrôle et aux pressions des États qui la constituent. L'OMC est en effet pilotée par ses membres (les États qui y adhèrent), et n'est censée jouer qu'un rôle de facilitateur dans le déroulement des négociations multilatérales. Elle ne produit rien elle-même, à la différence de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), par exemple, qui élabore des normes directement issues du travail de ses experts »240. Si l'OMC a pu résister à l'implosion, c'est donc grâce au fait qu'au cours des vingt dernières années elle a su mieux incarner, au travers de ses règles, de ses mécanismes et de ses organes, un système commercial multilatéral plus universel, plus transparent et plus sûr lui permettant de s'imposer comme l'instance indispensable à la gouvernance de la mondialisation (Section I). De même, en traitant d'enjeux majeurs avec des ressources réduites ses performances sur le court terme lui assurent donc une efficacité à long terme (Section II). 237 Yves SCHEMEIL, « L'OMC, une organisation hybride et résiliente », op.cit., p. 31. 238 Depuis le 21 janvier 2017, le nouveau président américain a indéniablement choisi une orientation néo-isolationniste axée sur la relocalisation d'entreprises, l'abandon du traité transpacifique (TTP) et l'ALENA. 239 Dans une tribune intitulée «Trump peut-il signer l'arrêt de mort de l'OMC et du libre-échange ?» signée dans le Figaro le 10 Novembre 2016, le Professeur Philip Marin indiquait que « si les Etats-Unis sortaient de l'Organisation, les autres membres n'auraient pas d'intérêt à rester dans l'organisation ». Et d'ajouter que « sans l'OMC, le monde entrerait dans un univers commercial chaotique ». Cet article est disponible sur http : // www.lefigaro.fr. Consulté le 12 décembre 2016. 240 Yves SCHEMEIL, « L'OMC, une organisation hybride et résiliente », op. cit p. 32. 52 | P a g e SECTION I. UNE ORGANISATION INDISPENSABLEL'OMC est avant tout la seule organisation internationale qui s'occupe des règles régissant le commerce mondial dans le but de prévenir et de régler les tensions commerciales, vecteurs de conflits internationaux. Son utilité vient de ce qu'elle est non seulement le cadre formel de promotion du libre-échange (§1) mais aussi le cadre de la défense du libre échange (§2). §1. LE CADRE DE PROMOTION DU LIBRE-ECHANGEL'OMC est l'institution chargée, à l'échelle mondiale, du libre-échange. Le but primordial de l'organisation est de faire en sorte que le commerce soit aussi libre que possible. A cet effet, elle dispose d'une double mission : elle est à la fois l'enceinte de négociations commerciales multilatérales (A) et le cadre de mise en oeuvre des accords commerciaux (B). A. L'OMC, une enceinte de négociations permanentes et continuesEn référence à l'article 3 §2 de l'Accord de Marrakech, l'OMC constitue une enceinte de négociations permanentes et continues241. Formellement, c'est le lieu où les gouvernements membres se rendent pour discuter des problèmes commerciaux qui les divisent. A ce propos une question se pose : quel est alors l'enjeu des négociations commerciales ? Pour la doctrine majoritaire242, les négociations commerciales multilatérales ont pour objet de promouvoir la libéralisation des échanges mondiaux sur la base d'un avantage mutuel. Cette vision, en accord avec la théorie économique des avantages comparatifs243 formulée au 18 e siècle par le libéral Adam SMITH244 et popularisée au 19e siècle par l'économiste David RICARDO245, part du postulat selon lequel les échanges commerciaux sont bénéfiques à tous les pays. 241 A la différence du GATT qui n'était qu'un simple accord de caractère provisoire liant les parties contractantes, l'innovation de l'OMC réside dans son caractère institutionnel. 242Jean-Marc SIROËN, « l'OMC et les négociations commerciales multilatérales », De Boeck Supérieur Négociations 2007 (no7) p.7. 243 Cette théorie qui est au fondement du commerce international explique que dans un contexte de libre-échange, chaque pays, s'il se spécialise dans la production pour laquelle il dispose de la productivité la plus forte comparativement à ses partenaires, accroitra sa richesse nationale. Pour une analyse détaillée cf. Robert TORRENS, Essay on External CornTrade, J. Hatchard , London, 1815, p. 17 et ss. 244 Economiste écossais (5 juin 1723-17juillet 1790) connu pour avoir été le père de l'économie politique. 245 Economiste britannique considéré comme l'un des économistes libéraux les plus influents de l'école classique aux côté d'Adam Smith et de Thomas Malthus. 53 | P a g e Concrètement, les négociations commerciales se déroulent quotidiennement dans les locaux de l'Organisation246 à Genève et c'est la Conférence ministérielle qui est l'organe habileté en amont à décider de l'opportunité des sujets à négocier247 puis à entériner en aval les résultats issus des négociations. Mais faudrait-t-il, pour autant, y voir la marque d'un véritable pouvoir normatif conféré à cette Organisation ? La question fait depuis débat248. A l'opposée d'autres organes des organisations internationales, le droit de l'OMC interdit tout pouvoir normatif, car l'OMC est une organisation member driven249. De jure, ses organes n'ont pas compétence à se substituer aux Etats membres250. Tout au plus, ils assument une mission d'assistance, de coordination ou de facilitation. De plus, l'Organisation dispose d'un cadre de négociation caractérisée par une « dualité permanente »251 entre le volet formel et le volet informel252, entre l'Administration et le politique253. Cette disposition organique a toujours permis à l'OMC de s'affranchir de toute tentative de prise en otage des Etats Membres par les instances. C'est ainsi que, contrairement à certaines organisation internationale comme l'Organisation mondiale de la santé (OMS) dont les normes sont directement issues du travail de ses experts, l'OMC ne décide de rien elle-même254. Un autre indicateur de la résistance de l'OMC, c'est la pratique des « chambres vertes »255 lors des négociations commerciales. Il s'agit d'une pratique informelle mise en place pendant le 246Plus particulièrement, c'est dans l'organe ad hoc du comité de négociation commercial (CNC) que se tiennent les négociations. En l'occasion, cet organe définit le plus souvent 21 thèmes qui seront soumis aux nouvelles négociations témoignant ainsi du caractère véritablement mouvant du droit de l'OMC. 247 L'art. 4§1 de l'Accord de Marrakech souligne que la conférence ministériel a le pouvoir pour négocier « sur toute question relevant de tout accord commercial multilatéral ». 248 Jean-Louis GOUTAL, « le rôle normatif de l'organisation mondiale du commerce » Petites affiches - 11/01/1995 - n° 5 - page 24 ; De même voir Karim BENYEKHLEF, une possible histoire de la norme : les normativités émergentes de la mondialisation, 2eme éd., Thémis, 2015 ; v. de même Joseph NGAMBI , la preuve dans le règlement de différends de l'organisation mondiale du commerce, Bruyant, 2010. 249 Une organisation member driven signifie littéralement que l'OMC est une organisation gouvernée par ces membres. Subséquemment, les décisions de l'OMC ne peuvent valablement émaner que des Etats et non des instances de l'Organisation. 250 Sur ce point, voir Mehdi ABBAS et Christian DEBLOCK, « L'Organisation mondiale du commerce et le programme de Doha pour le développement. Un système commercial en mal de renouvellement », Paris, Annuaire français de relations internationales, juin 2015, pp. 739-760. 251 Yves SCHEMEIL, « L'OMC, une organisation hybride et résiliente », op.cit., p. 32. 252 Il convient de souligner, en effet, qu'à part les réunions officielles, il y a une multitude de réunions officieuses. Il s'agit de négociations de couloir qui, soit ne sont pas répertoriées à l'agenda officiel de l'organisation ou bien ne donnent pas lieu à un compte rendu officiel. 253 Quel que soit le type de négociations ou de débats, la présidence d'une séance est assurée conjointement par un membre du secrétariat général et un représentant permanent élu par ses pairs. Ils décident ensemble de l'ordre du jour de la réunion, du contenu de sa note de synthèse et des résultats susceptibles d'être communiqués à l'extérieur. C'est un élément capital car il implique un consensus entre le volet technico-administratif et le volet politique. 254 Yves SCHEMEIL, « L'OMC, une organisation hybride et résiliente », op.cit., p. 33. 255 Idem. 54 | P a g e GATT sous la direction d'Arthur DUNKEL256. Celle-ci consiste en effet à réunir dans un cadre restreint, en l'occurrence dans une confortable salle verte, sur convocation du directeur général, des Membres récalcitrants, les tenants d'une solution et les indécis afin de traiter du processus d'ensemble de la négociation ou de thèmes sectoriels. De ce cadre restreint et à huit clos, les participants ne peuvent sortir que lorsque qu'un accord est trouvé. Les absents n'auront dès lors qu'à se rallier à la position de leur chef de file. Cette stratégie permet d attester de la capacité d'adaptation de l'OMC. L'OMC est le fruit de plusieurs négociations qui se sont tenues dans le cadre du cycle d'Uruguay de 1986 à 1994 mais aussi celles qui ont eu lieu antérieurement dans le cadre du GAAT. Quant aux dernières grandes négociations qui ont été lancées en 2001 dans le cadre du Cycle de Doha, malgré quelques avancées obtenues lors des Conférences ministérielles de Bali (2013) et de Nairobi (2015), notamment avec la conclusion d'un Accord sur la facilitation des échanges (AFE)257, les lignes n'ont pas pour l'instant suffisamment bougé pour permettre à ce cycle d'aboutir. Néanmoins, la mission de l'OMC va encore plus loin en intégrant la gestion des accords commerciaux multilatéraux. |
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