B. Des défauts tenant à l'absence de
sanction
Une analyse approfondie de la variété des
sanctions prévues par le Mémorandum sur le règlement des
différends laissent apparaître des insuffisances notables.
D'une part, en faisant une appréciation
rétrospective du mécanisme de l'ORD durant ces vingt
dernières années, on est saisi par une profonde impression de
carence et un fort sentiment de déception : carence parce que seuls les
États peuvent saisir l'ORD, alors que curieusement les victimes directes
des violations des règles commerciales internationales, en l'occurrence
les opérateurs économiques, n'y ont directement pas accès.
Cette limitation du droit de saisine laisse indubitablement subsister la
crainte que ces derniers soient condamnés à exercer un
lobbying insistant auprès de leurs États. D'autre part, le
pays en infraction et condamné peut toujours négocier des «
compensations commerciales mutuellement acceptables
»163, ou « suspendre des concessions ou d'autres
obligations en ce qui concerne le(s) même (s) secteurs (s) que celui
(ceux) dans lequel (lesquels) le groupe spécial ou l'Organe d'appel a
constate une violation »164. Ces mécanismes
particuliers de la procédure de l'ORD semblent donc ne pas être
conciliables avec l'idée d'une démarche de droit.
Par ailleurs, il faut souligner que les accords de l'OMC font
souvent référence à d'autres institutions internationales
telles que l'Organisation mondiale de la propriété
intellectuelle, (OMPI). Ce qui interroge sur une concurrence éventuelle
entre ces régimes juridiques.165 Une mention spéciale
doit être faite au mécanisme de prélèvement de
droits de douane punitifs166 qui est, enfin, totalement impraticable
pour les pays pauvres lorsqu'ils sont confrontés à des super
puissances économiques qui rechignent à coopérer. Ce
phénomène a été très clairement mis en
évidence par les problèmes rencontrés par
l'Équateur dans l'application des sanctions à l'encontre de l'UE
dans le cas des importations de bananes167. De même, tout
récemment, l'Afrique du sud est sortie totalement affaiblie du bras de
fer qui l'a opposé plusieurs mois durant aux Etats-Unis au sujet de
l'importation de la volaille. Face à la menace de suspension
163 Voir l'article 22 §2du Mémorandum d'accord
sur les règles et procédures régissant le règlement
des différends, Annexe 2 de l'Accord de Marrakech instituant
l'Organisation mondiale du commerce, 14 avril 1994, 1869 R.T.N.U. 426.
164 Ibidem §3 a).
165 Pour des cas de différends commerciaux, voir
Hélène RUIZ-FABRI, « Le
règlement des différends au sein de l'OMC : naissance d'une
juridiction, consolidation d'un droit » in mélanges en
l'honneur de Philippe Kahn, paris, Litec, 2000, p. 347. De même
voir David LUFF, Le droit de l'organisation mondiale
du commerce : analyse critique, LGDJ, 2004, p.15 et ss.
166 On parle généralement de suspension de
concession qui une forme de contre-mesure qui prend souvent la forme d'une
augmentation des droits de douanes sur les importations.
167 WT/DS27/R/ECU Communautés européennes -
Régime applicable à l'importation, à la vente et à
la distribution des bananes (Plainte de l'Équateur)
(1997), OMC. Doc. (Rapport du Groupe spécial).
31 | P a g e
du tarif préférentiel de vente sur le
marché américain dont l'Afrique du sud est
bénéficiaire dans le cadre de l'African Growth Opportunity
Act (AGOA)168, Pretoria n'a eu d'autres choix que de se plier
à la volonté de Washington. Plus pernicieux encore, le rachat
d'obligation instauré par le Mémorandum de règlement de
différends peut s'analyser comme une prime à la transgression des
règles commerciales.
Ces mesures sont, en tout état de cause, contraires
à l'esprit de l'OMC et elles peuvent donner l'impression qu'un pays s'en
tire à meilleur compte avec des mesures (de rétorsion) de nature
protectionniste ; ce qui, in fine, ne laisse manifestement que peu de
crédit au mécanisme de sanction de l'ORD et par extrapolation
à l'OMC169. On comprend donc assez aisément
qu'aujourd'hui l'Organisation soit l'objet de tant de contestations.
168 «African Growth Opportunity Act» est
une loi adoptée en mai 2000 par le Congrès américain ayant
pour objectif de soutenir l'économie des Etats africains. A noter que
cette loi est régulièrement l'objet de vives critiques. On lui
reproche d'avoir instauré un système asymétrique dont le
cadre ne permet pas aux petits pays africains de faire valoir leurs conditions
alors que les Etats-Unis se réservent un droit exclusif de suspendre les
clauses qui menaceraient leurs propres productions. Voir Didier
LAURENT, « Régimes préférentiels et
système commercial multilatéral : une analyse comparative des
accords Europe-ACP et de l'AGOA », Revue juridique de l'océan
indien, 2013, no16, p.113-152.
169 Romain BENICCHIO, Céline
CHARVERIAT, « L'avenir compromis de l'OMC »,
L'Économie politique 2007 (no 35), p. 55.
32 | P a g e
|