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Le statut des anciens chefs d'état en Afrique : cas de la République Démocratique du Congo


par Guélord Kalawu Kalawu
Université de Kinshasa - Licence 2019
  

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SECTION 3. L'ENJEU SUR LES PERSPECTIVES DE LA LOI EN RDC

§1. L'APPORT DE LA LOI

Il est question de parler du rôle de la loi portant statut des anciens Chefs d'Etat en RDC (A) sans oublier aussi son contenu (B).

A. Le rôle de la loi

Depuis son accession à l'indépendance le 30 juin 1960, en dépit de son aspiration démocratique, la République Démocratique du Congo n'a jamais expérimenté l'alternance démocratique. Cette aspiration est souvent entravée par des crises politiques et des rébellions à répétition. De manière générale, ces crises tirent leur origine dans l'insécurité éprouvée par des anciens animateurs des Institutions de la République.160(*)

Parfois, nous n'aimons pas la loi, car elle oblige ou empêche de faire ce que nous voulons. Pourtant, pour cohabiter dans une société, nous devons avoir quelques règles à suivre. Quels sont ses rôles et ses importances ?

On peut dire que ladite loi remplit quatre fonctions différentes, chacune d'elles étant d'une importance capitale pour le bien-être de la République. La loi :

ü Préserve des crises politiques et des rébellions à répétition : elle entend consolider la démocratie, en l'occurrence par le mécanisme de l'alternance démocratique. C'est sa première fonction et la plus capitale ;

ü Permet de promouvoir les fonctions du Président de la République ;

ü Garantit la survie des anciens Chefs d'Etat ;

ü Encourage les Chefs d'Etat en exercice à faire ce qui est juste, car après cette vie, il y a une autre qui les attend.

Il faut reconnaître que de nombreuses critiques sont exprimées à l'égard des avantages qui sont censés découler de l'existence de cette loi et du respect de l'Etat de droit. D'autres vont plus loin et affirment qu'entre de mauvaises mains, la loi peut devenir un instrument du mal, un moyen par lequel les dirigeants peuvent voler des biens destinés à la res publica. On soutient aussi que même si la loi n'est pas utilisée comme instrument du mal elle peut devenir complice en faisant des choses telles que :

· Empêcher l'Etat de faire le nécessaire pour prévenir les atrocités et garantir le social et le développement de la population ;

· En accordant des droits et des avantages aux personnes qui ne sont pas bénéficiaires et en les encourageant à les exercer, ceci favorise une culture préjudiciable qui met en péril la caisse de l'Etat.

B. Le statut des anciens Chefs d'Etat et son contenu

Pour sécuriser les Chefs d'Etat retraités de l'ère démocratique, la constitution leur a accordé des privilèges statutaires161(*)(1). Toutefois, il apparait à travers les textes constitutionnels et législatifs que l'octroi de ces avantages statutaires est assujetti à certaines restrictions au bénéfice du statut (2).

1. Les privilèges statutaires

Ces privilèges comportent des avantages matériels (I) mais aussi une protection juridique (II).

a. Les avantages matériels

En prévision de leur chute ou de leur retraite, la plupart des Chefs d'Etat africains se sont illustrés par leur fortune personnelle impressionnante. Lansiné KABA exprime bien cette idée, il considère que c'est la confusion des pouvoirs et des responsabilités et la confusion entre l'intérêt public et l'intérêt privé au profit d'un seul, en l'occurrence le Chef d'Etat qui sont à l'origine de son enrichissement personnel, illicite. Pour lui, « tout césar aspire à devenir un crésus ».162(*)Les mirifiques de ces fortunes sont celles de MOBUTU, Jean Bédel BOKASSA163(*)et Hissène HABRE.164(*)

En conséquence, afin que les Chefs d'Etat de la période démocratique ne soient pas angoissés par le problème de leurs moyens de subsistance après leur sortie du pourvoir et ne soient tentés de détourner et d'accumuler les richesses du patrimoine national, les nouveaux régimes ont accepté de consentir des avantages matériels et logistiques pour que la perte du pouvoir ne s'assimile pas à une déchéance sociale.

C'est ainsi que le législateur burkinabé prévoit une pension civile au profit des anciens Chefs d'Etat, dont le montant sera déterminé par décret pris en conseil des ministres.165(*)En outre, les anciens Chefs d'Etat bénéficient d'un véhicule avec chauffeur et d'une sécurité. Cette pension et ces avantages sont personnels et viagers enchérit M. Fall.166(*)

M. Fall pense que, le législateur guinéen est plus généreux. Comme le prévoit l'article 2 de la loi organique relative aux conditions dans lesquelles les anciens Présidents de la République bénéficient d'avantages matériels et d'une protection, les anciens Présidents de la République ont droit à :

Ø Une allocation dont le montant est égal à six mois de traitement au moment de la cessation des fonctions ;

Ø Une indemnité mensuelle dont le montant est égal au 2/3 du traitement de base mensuel du Président de la république en titre ;

Ø Un secrétariat personnel ;

Ø Une habitation décente ou une indemnité de logement s'il ne dispose pas déjà d'une propriété foncière bâtie ;

Ø Deux voitures à usage personnel avec chauffeur ;

Ø Des soins médicaux pour eux et leurs épouses et leurs enfants mineurs ;

Ø Un passeport diplomatique pour eux et leurs épouses ;

Ø En cas de décès, une pension de réversion d'un montant égal à 80% du traitement est allouée aux veuves et aux enfants mineurs.

En outre, ils ont droit à une protection physique par la mise à leur disposition d'un aide de camp et d'une garde permanente de leur habitation.167(*)

Selon lui, le législateur nigérien est tout aussi généreux.168(*)La législation centrafricaine elle aussi, fait la générosité car outre les avantages matériels, il est alloué à tout ancien Président de la République une pension mensuelle égale à la moitié de l'indemnité de représentation dont bénéficie le Président en exercice. Il reçoit en plus une indemnité forfaitaire pour couvrir les charges de consommation d'eau, d'électricité et de téléphone de sa résidence principale. Il bénéficie aussi de d'hôtel.169(*)

En tenant compte de ce qui précède et considérant la misère qui gangrène la population africaine, nous estimons que ces avantages sont hors-normes et inconstitutionnels et violent aussi les dispositions internationales notamment le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels dans ses articles 1er point 2, 11ème et 25ème.170(*)

For malheureusement, c'est bien la logique qu'a empruntée le législateur congolais en rédigeant la loi sur les anciens Chefs d'Etat donnant les avantages excessifs, taillés sur mesure, aux anciens Chefs d'Etat congolais à savoir :

Ø La pension spéciale ;

Ø L'allocation annuelle pour services rendus ;

Ø Les soins de santé, la rente de survie et la rente d'orphelin ;

Ø Les avantages complémentaires.

Hormis ceux-ci, la loi rajoute que tout ancien Président de la République élu bénéficie des avantages complémentaires qui violent le principe énoncé par la constitution dans ces articles 56, 57 et 58, ces avantages sont :

ü Une habitation décente fournie par l'Etat ou une indemnité de logement ;

ü Un passeport diplomatique pour lui-même, son conjoint et ses enfants mineurs ;

ü Un titre de voyage en business class pour lui-même, son conjoint et ses enfants mineurs ;

ü Cinq Véhicules pour la fonction et pour usage domestique, après cinq ans deux fois renouvelables ;

ü Un service de sécurité doté de moyens logistiques conséquents comprenant au moins deux gardes ducorps, trois éléments de sa suite et une section chargée de la garde de sa résidence ;

ü Un personnel domestique dont le nombre ne peut dépasser dix personnes ;

ü Des locaux faisant office de bureaux pour lui-même et pour son secrétariat dont le nombre ne peutdépasser six personnes ;

ü Une dotation mensuelle en carburant ;

ü Une indemnité mensuelle pour les frais de consommation d'eau, d'électricité et de téléphone.

Assurément, les avantages matériels accordés aux anciens Chefs d'Etat sont importants mais excessifs bien que tolérables si cela peut amener les Présidents en fonction à se garder de s'enrichir illicitement et à quitter le pouvoir chaque fois que le mandat touche à sa fin. En cela, le bon sens veut qu'un ancien Chef d'Etat qui a servi le pays avec dignité et honneur, n'éprouve des difficultés pour subvenir à ses besoins et puisse jouir d'une protection juridique assurée.

b. La protection juridique

Les Présidents africains redoutent à leur sortie du pouvoir la pauvreté matérielle mais encore plus les poursuites judiciaires qui peuvent les amener dans des situations dégradantes et infamantes.

L'angoisse d'être traduit en justice et de se retrouver en prison les amène alors à vouloir se pérenniser à la présidence pour garder leur position de pouvoir qui leur confère l'immunité, voire l'imputé. Comme le relate l'hebdomadaire Jeune Afrique, dans une lettre adressée au Président français Jacques Chirac, le Président SOGLO du Benin avant de quitter le pouvoir a, en dépit de dispositions constitutionnelles, sollicité l'intercession de la France en sa faveur pour la protection et la garantie de la sécurité de sa personne, de sa famille et des membres de son gouvernement. Voici des propos extraits de la lettre : « Je sollicite que, par une déclaration publique, le gouvernement française invite le général KEREKOU à garantir ma sécurité et ma liberté ainsi que celles de ma famille, des membres de mon gouvernement et leurs familles, ainsi que celles de tous ceux qui m'ont publiquement apporté leur soutien [...] en 1991, j'ai accepté dans le souci de préserver la paix sociale, d'accorder l'immunité au Président KEREKOU ».171(*)

En fait, c'est parce que le principe d'un statut des anciens Chefs d'Etat prévu par la constitution béninoise n'était pas encore aménagé par des dispositions législatives pratiques que l'ex-président SOGLO sollicitait des assurances publiques sur sa quiétude post présidentielle.172(*)

En réalité, même si l'idée de juger les anciens Chefs d'Etat pour les délits et crimes commis lors de l'exercice de leurs fonctions a été avancée çà et là,173(*)elle n'a jamais triomphé. Au contraire, c'est souvent le pardon qui a triomphé sauf quelques évènements qui se sont déroulés au Burkina-Faso sur l'éventuel comparution de l'ancien Président Blaise COMPAORE dans le procès de Thomas SANKARA, des évènements qui sont encore sans suite car cet ancien Président avait obtenu la nationalité ivoirienne. Aussi, certaines des constitutions et textes législatifs et réglementaires adoptés à l'issue de la période transitoire ont institutionnalisé l'immunité de l'ancien président pour des faits ne remontant qu'à son mandat.

Au-delà de l'affirmation du principe de protection au niveau du texte constitutionnel, le législateur précise, parfois jusqu'au détail les modalités de la protection de l'ex magistrat suprême. A titre d'exemple, l'article 4 de la loi guinéenne précitée prévoit que les anciens Présidents de la République bénéficient d'une immunité permanente en ce qui concerne les actes accomplis dans l'exercice de leurs fonctions. L'article 5 ajoute même que les anciens Président de la République sont protégés contre les offenses, les injures et les calomnies. Ils ne peuvent ni être cités ni être convoqués devant un tribunal, même à titre de témoin. L'article 6 prévoit même des peines contre ceux qui auront offensé, diffamé, calomnié ou injurié un ancien Chef de l'Etat.

Le texte gabonais issu des accords de Paris prévoit lui aussi un régime spécial de protection. Ainsi, seule la Haute Cour de Justice est qualifiée pour connaitre des infractions commises par les anciens Présidents de la République pendant l'exercice de leurs fonctions. Les anciens Président de la République ne peuvent comparaître devant aucune juridiction en qualité de témoin, complice, auteur ou co-auteur des infractions pendant l'exercice de leurs fonctions. En outre, les infractions commises pendant l'exercice de leurs fonctions ne peuvent être poursuivies avant une durée égale à celle de deux mandats présidentiels après la cessation de leur fonction.

Le texte congolais quant à lui explicite sur le statut pénal que « Tout ancien Président de la République élu jouit de l'immunité des poursuites pénales pour les actes posés dans l'exercice de ses fonctions, article 7. Et l'article 8 enrichit que pour les actes posés en dehors de l'exercice de ses fonctions, les poursuites contre tout ancien Président de la République élu sont soumises au vote à la majorité des deux tiers des membres des deux Chambres du Parlement réunies en Congrès suivant la procédure prévue par son Règlement intérieur. Aucun fait nouveau ne peut être retenu à charge de l'ancien Président de la République élu et enfin, l'article 9 préconise qu'en matière de crimes contre la paix et la sécurité de l'humanité commis par tout ancien Président de la République élu, les juridictions nationales ont priorité sur toute juridiction internationale ou étrangère. »

L'économie générale de ces dispositions révèle une volonté certaine de tourner le dos à l'idée de traduire les Chefs d'Etat retraités en justice et de garantir une impunité totale. Mais, celle-ci devrait-elle être accordée à tout Chef d'Etat, notamment à ceux qui accèdent démocratiquement ou non aux fonctions de Chef d'Etat mais qui ne les exerce et ne les acquitte pas conformément à la Constitution ?

2. Les restrictions au bénéfice du statut

Dans un continent en proie à l'instabilité politique où la prise du pouvoir par des moyens extraconstitutionnels, pendant longtemps considérée comme la voie de principe d'accès au pouvoir, a permis l'arrivée à la présidence de dirigeants peu respectueux des normes démocratiques, il est nécessaire de déterminer des critères d'accès au pouvoir et d'exercice de celui-ci inspirés des principes démocratiques.

En conséquence, le respect de ces critères par les Chefs d'Etat devrait être la condition générale, pour bénéficier du statut une fois qu'ils quittent le pouvoir. Cela ne semble pas être l'option des constituants de l'ère démocratique. En effet, l'analyse des dispositions constitutionnelles et législatives consacrées à la question montre que cette idée d'écarter les Chefs d'Etat parvenus au pouvoir par coup d'Etat n'a pas été consacrée ou l'a plutôt faiblement été. Pourtant, la dynamique démocratique enclenchée depuis une décennie devrait progressivement amener les constituants à n'accorder le statut qu'aux Chefs d'Etat démocratiquement arrivés au pouvoir et l'ayant démocratiquement et loyalement exercé.

a. Le principe des restrictions

Tout ancien Chef d'Etat peut-il bénéficier du statut ? Les constituants guinéen (Art. 36) et togolais (Art. 75) n'indiquent aucune restriction ou condition, ils accordent donc le statut à tout ancien Chef d'Etat, quelle que soit la voie par laquelle il est arrivé au pouvoir et quelle que soit la façon dont il a exercé ce pouvoir et l'a quitté. Ce n'est pas le point de vue d'autres constituants comme ceux du Mali, du Niger, de la République Centrafricaine, du Bénin ainsi que de la République Démocratique du Congo.L'article 52 de la constitution du Mali, repris in extenso par l'article 62 de la constitution nigérienne du 12 mai 1996 prévoit que la pension n'est octroyée qu'aux anciens Présidents de la République jouissant de leurs droits civiques. Ce qui exclut ceux qui auront fait l'objet de condamnations privatives des droits civiques. L'article 35 de la constitution centrafricaine n'accorde la pension qu'  « aux anciens Présidents de la République, démocratiquement élus, et jouissant de leurs droits civiques ». Quant au législateur gabonais, il subordonne le bénéfice continu du statut au respect d'un certain nombre de devoirs.174(*)Ainsi, il est spécifié que les anciens Présidents devraient observer ces devoirs sous peine d'être déchus de leur statut.175(*) Il est remarquable que dans la nouvelle constitution nigérienne de 1999, l'article 58 ne fait plus mention de cette précision. Il se borne à indiquer que la loi fixe les avantages accordés aux anciens Présidents de la République et organise les modalités d'octroi d'une pension aux anciens Présidents de la République et Chefs d'Etat.

En ce qui concerne la RDC, ce principe est déterminé dans la loi portant statut des anciens Présidents de la République élus en son article 2 point 1 qui stipule qu'au sens de la présente loi, on entend par : Ancien Président de la République élu : tout citoyen congolais qui a accédé par élection aux fonctionsde Président de la République, les a exercées et les a acquittées conformément à la Constitution. In abstracto, cette définition met des bases pour écarter tout individu qui ne remplit pas loyalement ses obligations vis-à-vis de l'Etat (article 65 alinéa 1 de la constitution congolaise) et qui ne respecte pas son serment prêté et énoncé dans l'article 74 de la même constitution, là, le peuple congolais aura le devoir d'appliquer la disposition de l'article 64 et faire perdre à un ancien Chef d'Etat son statut de sénateur à vie.

Finalement, mis à part la constitution centrafricaine et la constitution béninoise qui exigent de l'ancien Président qu'il fut démocratiquement élu pour bénéficier de la pension, les dispositions constitutionnelles et législatives des autres Etats sont assez libérales en ne posant aucune condition ou en exigeant simplement des anciens Présidents qu'ils jouissent de leurs droits civiques pour bénéficier du statut. Pourtant, il parait nécessaire, à notre sens, d'utiliser le statut des anciens Chefs d'Etat comme instrument de normalisation des régimes africains. Dans ce sens, l'on pourrait rationaliser les conditions d'octroi du statut en déterminant dans les textes constitutionnels et législatifs un minimum de critères d'essence démocratique qu'un Chef d'Etat doit remplir pour bénéficier du statut.

b. La portée des restrictions

En réduisant au minimum les conditions pour bénéficier du statut accordé aux anciens Chefs d'Etat, les nouvelles constitutions on fait montre d'un grand réalisme car maximaliser les conditions en posant par exemple que seuls les Chefs d'Etat démocratiquement élus peuvent bénéficier de la pension consisterait à instituer un droit inadapté au fait. Car le fait est que la plupart des anciens Chefs d'Etat de la période antérieur ne parvenaient pas toujours au pouvoir par la voie démocratique. Seulement, le bannissement des coups d'état et l'institutionnalisation de la compétition pour le pouvoir doivent amener les constituants à envisager d'intégrer dans les lois fondamentales un certain nombre de conditions d'octroi du statut. Ainsi, ne devraient à terme bénéficier du statut d'ancien Chef d'Etat que ceux qui sont parvenus au pouvoir, l'ont exercé et l'ont quitté démocratiquement. L'exigence d'un comportement démocratique standard pendant l'exercice des fonctions fait que le statut ne devrait être accordé qu'à ceux qui le méritent, c'est-à-dire à ceux qui respectaient des principes démocratiques.

Par ailleurs, l'application du principe conduira, à l'évidence, à écarter systématiquement les anciens Présidents parvenus au pouvoir par des voies non constitutionnelles. Ainsi, l'on peut se poser la question de savoir si le principe d'écarter les anciens auteurs de coups de force de bénéfice du statut devrait être appliqué de façon absolue. Autrement dit, n'y a-t-il pas lieu, à la lumière de l'expérience et au-delà de l'exigence de condamnation de principe des coups d'état, de faire la distinction entre les coups d'état qui ont eu pour fonction manifeste de stopper le processus démocratique et pour fonction latente de préserver les intérêts du parti, d'un individu ou groupe d'individu et ceux qui ont pour unique dessein de mettre ou de remettre le processus démocratique bloqué en marche ou de mettre fin à une grave crise politique. Evidemment, toute entreprise de distinction entre les coups d'état en la matière devrait faire montre de prudence et de circonspection avec un phénomène en face duquel le juriste mais aussi tout démocrate doit avoir une attitude d'hostilité.

Cependant, l'attitude d'hostilité et de condamnation des coups d'état ne devrait pas amener les Etats africains à ne pas avoir une attitude nuancée et critique vis-à-vis des pratiques de coups d'état enregistrés sur le continent. Même s'il est admissible que le coup d'état doit être banni par l'ordre constitutionnel, les auteurs de coups d'état, devenus Chefs d'Etat pour une période transitoire aux termes de laquelle ils ont accepté de garantir l'organisation d'élections transparentes et retourne dans les casernes de leur plein gré, méritent peut être plus de considération statutaire que les auteurs de coups d'état ayant instauré la pérennisation d'un régime anti-démocratique contraint à prendre fin.

Enfin, l'octroi d'un statut aux anciens Chefs d'Etat leur confère une certaine immunité qui les dote d'une protection juridique spéciale. Toutefois, cette immunité ne saurait s'assimiler systématiquement à l'impunité. Ainsi, les anciens Chefs d'Etat devront répondre des crimes et délits de droit commun qu'ils auraient commis lors de l'exercice de leurs fonctions. Comme le déclarait le Président malien Alpha OUMAR KONARE au cours du forum de la coalition mondiale pour l'Afrique tenu à Dakar du lundi 1er au mardi 2 novembre 1999 : « Aucun ancien Chef d'Etat ne devrait prétendre bénéficier de l'impunité. La grande quête actuelle de la vie politique en Afrique, c'est l'acceptation par tous les dignitaires, d'une sanction positive ou négative au terme de leurs fonctions à la tête de l'Etat. Nous ne devrions pas généraliser le processus qui a consisté à accorder l'amnistie à certains Chefs d'Etat à l'issue de certaines conférences nationales tenues dans plusieurs pays africains. Doivent être considérée comme des exceptions. »176(*) Ainsi que le met en exergue le Président KONARE, l'amnistie ne saurait être ni absolue, ni générale, ni permanente, mais exceptionnelle. Après l'ère des transitions démocratiques les régimes post-transitionnels doivent prévoir des mécanismes juridiques visant à reconnaitre et à engager la responsabilité d'anciens Présidents. Au surplus, même si les législations nationales rechignent à le faire, l'engagement de la responsabilité des anciens Présidents de la République est de plus en plus enclenché par le droit international textuel177(*)et jurisprudentiel178(*)et connait un début d'effectivité sur le continent africain. L'affaire Hissène HABRE est illustrative à ce propos. Le 3 février 2000, l'ancien Président tchadien fut inculpé par la justice sénégalaise pour complicité d'actes de torture et de barbarie.179(*)

La non-programmation de la fin de la fonction présidentielle participait à l'absence de règles stabilisées destinées à maintenir la paix et l'intégrité nationale.

* 160Exposé de motif de la loi portant statut des anciens Présidents de la Républiques élus de la RDC

* 161 Article 104 alinéa 7

* 162 KABA L., Lettre à un ami sur la politique et le bon usage du pouvoir, Paris, Présence africaine, 1995, pp. 68-69.

* 163 Sur la fortune de BOKASSA, V.P. LAMOTHE. La Centrafrique de BOKASSA : Un pouvoir néo-patrimonial, Mémoire de DEA- Etudes africaines, CEAN - IEP de Bordeaux, 1982.

* 164 Sur la fortune de l'ex-président HABRE. V. Tchad, Ministère de la justice, rapport de la commission d'enquête nationale sur les crimes et détournement commis par l'ex-président HABRE et/ou ses complices, Paris. L'harmattan, 1993.

* 165 Loi N° 18/92 du 23 décembre 1992 accordant une pension civile et autres avantages aux anciens Chefs d'Etat

* 166 Ismaïla M.F., Le pouvoir exécutif..., Op., Cit., p. 211.

* 167 Loi N° 18/92 du 23 décembre 1992 accordant une pension..., Loc., Cit.

* 168 Décret N° 94-036/PRM du 04 mars 1994, portant modalités d'application de la loi n°94-005 du 03fevrier 1994, fixant le régime applicable à la pension des anciens Président de la République. JORN du 01 mai 1994.

* 169 Loi N°97-012 du 31 octobre 1997 accordant une pension et des avantages aux anciens Présidents de la République et son décret d'application en date du 4 mars 1998.

* 170Article 1 point 2, Pour atteindre leurs fins, tous les peuples peuvent disposer librement de leurs richesses et de leurs ressources naturelles, sans préjudice des obligations qui découlent de la coopération économique internationale, fondée sur le principe de l'intérêt mutuel, et du droit international. En aucun cas, un peuple ne pourra être privé de ses propres moyens de subsistance. Article 11 point 2, a et b. 2. Les Etats parties au présent Pacte, reconnaissant le droit fondamental qu'a toute personne d'être à l'abri de la faim, adopteront, individuellement et au moyen de la coopération internationale, les mesures nécessaires, y compris des programmes concrets : a) Pour améliorer les méthodes de production, de conservation et de distribution des denrées alimentaires par la pleine utilisation des connaissances techniques et scientifiques, par la diffusion de principes d'éducation nutritionnelle et par le développement ou la réforme des régimes agraires, de manière à assurer au mieux la mise en valeur et l'utilisation des ressources naturelles ; b) Pour assurer une répartition équitable des ressources alimentaires mondiales par rapport aux besoins, compte tenu des problèmes qui se posent tant aux pays importateurs qu'aux pays exportateurs de denrées alimentaires. Article 25, Aucune disposition du présent Pacte ne sera interprétée comme portant atteinte au droit inhérent de tous les peuples à profiter et à user pleinement et librement de leurs richesses et ressources naturelles.

* 171 J.A. N°1480 du 10 au 16 avril 1996, p. 11.

* 172 Idem

* 173 C'était un point de vue défendu par certains acteurs de Conférence nationale. Au niveau de la doctrine, le seul acteur à notre connaissance à théoriser le jugement des anciens dirigeants est D.C. Williams. Cf. son étude « Assessing Future Democracy Accountability at Nigeria. Investigative Tribunals and Nigeria Political Culture ». in Scandinavian Journal of Developpement Alternatives. p. 51. Cité par Ismaila M.F., Le pouvoir exétif... Op., Cit., p. 212.

* 174 Des devoirs des anciens Présidents de la République (texte des accords de Paris, précité.)

* 175 Devoir de réserver sur toutes questions touchant à la souveraineté de l'Etat gabonais, devoir de s'abstenir de tout acte ou manoeuvre tendant à porter atteinte à la sureté intérieure et extérieure de l'Etat...

* 176 Propos rapportés par le quotidien sénégalais sud quotidien du mardi 2 novembre 2000.

* 177 Il est fait allusion ici à la convention internationale contre la torture et autres peines ou traitement cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984.

* 178 On vise par-là l'esprit de la «  jurisprudence PINOCHET » issue de la décision des Juridictions britanniques d'extrader l'ancien Président chilien en Espagne pour son jugement. L'ex-président PINOCHET fut arrêté à Londres en 1998 sur plainte de Juge espagnol Baltasar GARZON. Renvoyé après de nombreuses péripéties au Chili en mars 2000, il a été inculpé par le Juge GUZMAN, et finalement relâché à cause de son état de santé. Plusieurs cas de poursuite d'anciens Dirigeants pour crimes de guerre contre l'humanité ont suivi l'affaire PINOCHET (Voir : le Monde Diplomatique du mois d'août 2001). L'actualité du droit pénal international montre que d'autres cas de poursuites similaires ne vont pas tarder à être mis en oeuvre.

* 179 Sur les péripéties de l'inculpation, V. la presse sénégalaise de la première semaine de février 2000. Voir aussi J.A. L'intelligent, du 15 au 21 février 2000 (Hissène HABRE : un dictateur face à la justice. Sur les déclarations du Président sénégalais. Voir : Le quotidien sénégalais Wal Fadjri des samedi 16 et dimanche 17 juin 2001.

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand