Les stratégies camerounaises de gestion des conflits en Afrique centrale. Enjeux et défis.par Ghislain Marceau BANGA Université de Yaoundé 2 - Master 2 en sciences politiques 2015 |
PREMIERE PARTIE :LA STRATEGIE CAMEROUNAISE DE GESTION DES CONFLITS EN AFRIQUE CENTRALE : ENTRE LOGIQUES INTERNES D'INTERET NATIONAL ET DYNAMIQUES EXTERNES DE RECHERCHE DE LA PAIXDe 1990 jusqu'au début des années 2000, un certain nombre d'initiatives allant dans le sens de la construction de la paix ont été mises en oeuvre45(*). Il s'agissait effectivement pour le système international, d'enrayer le cycle de production de la violence, qui a été observé avec le déclenchement des première et deuxième guerre mondiale. Plus encore, les conflits sont devenus monnaie courante dans différentes parties du monde, requérant ainsi l'implication des organisations sous régionales à l'instar de la CEEAC en Afrique centrale, et d'autres organisations à travers le monde. Les Etats ont sans doute une forte partition à jouer dans cette recherche de la paix et de la sécurité, il va donc sans dire que chaque Etat a un ensemble de stratégies de gestion des conflits qui lui sont propres ; la sécurité étant d'abord individuelle avant d'être collective. Il est important de comprendre que « les facteurs de risque, d'instabilité, de vulnérabilité et les menaces qui pèsent dans un environnement, sont complexes et interdépendants. Les menaces sapent la sécurité à tous les niveaux. Sur le plan horizontal, elles touchent aux domaines sociaux, politiques, économiques, environnementaux, et ciblent une collectivité locale, une nation, une communauté régionale ou mondiale. »46(*). Ainsi, il se pose la nécessité de voir la posture du Cameroun dans la gestion des conflits en Afrique centrale : analyse d'une posture rationnelle (chap. 1) et la gestion de ces conflits comme une dynamique conjoncturelle (chap. 2). CHAPITRE ILE CAMEROUN DANS LA GESTION DES CONFLITS EN AFRIQUE CENTRALE : ANALYSE D'UNE POSTURE RATIONNELLE.La posture rationnelle de l'Etat du Cameroun en matière de gestion des conflits en Afrique centrale, se traduit par une posture duale dans les interventions camerounaises. Cette dualité est une vision globale qui associe les dimensions internes et externes de la sécurité face aux menaces sous régionales multiples. C'est ainsi que le dispositif sécuritaire du Cameroun est passé d'une posture de garde, à une posture d'avant-garde. Cette réactualisation a été conceptualisée par Ernest Claude MESSINGA47(*). Le défi ici, est de pouvoir combiner de manière satisfaisante, la politique de déploiement de l'armée camerounaise sur le terrain des opérations de maintien de la paix, mais aussi plus globalement, sa stratégie de gestion des conflits en Afrique centrale et sa posture qui se veut rationnelle pour bénéficier durablement des retombées de ces interventions dans la sous-région. Il s'agit donc d'une adaptation des stratégies camerounaises qui visent le renforcement de la défense interne, tout en projetant ses troupes dans la gestion des crises des pays voisins, mettant ainsi en relief la dynamique d'enchevêtrement du « dedans » et du « dehors » sécuritaire ; le but étant d'anticiper sur les menaces asymétriques qui pourraient nuire aux intérêts économiques et politico-institutionnels du Cameroun (Section 1) et déteindre sur sa posture géostratégique (Section 2). SECTION I : ENTRE DEFENSE DES INTERETS ECONOMIQUES ETGESTION DES INTERETS POLITICO-INSTITUTIONNELSDans un contexte sous régional marqué par plusieurs conflits et d'importants mouvements des populations, la sécurisation des populations et de leurs biens ; la sécurisation des investissements, la protection des institutions étatiques s'imposent pour le Cameroun. Bien que résolument engagé dans le processus de recherche, de construction et de consolidation de la paix dans la sous-région, le Cameroun met également un point d'honneur à la défense de ses intérêts socio-économiques (A) et la défense de son appareil politico-institutionnel (B). A - LES INTERETS SOCIO-ECONOMIQUESLes périodes de conflits dans un pays sont toujours des moments d'importants flux de réfugiés dans les pays voisins ;l'arrivée massive des réfugiés dans n'importe quel pays implique toujours de grands changements sur le plan socio-économique. Au Cameroun, le flux de réfugiés est important depuis quelques années et encore plus important depuis 2008. Rufin DIZAMBOU affirme que « le Cameroun a hébergé selon le World Refugee Survey 2008 du Comité Américain pour les immigrants, près de 97400 réfugiés et demandeurs d'asile, dont environ 49300 provenant de la République Centrafricaine, 41600 du Tchad et plusieurs milliers du Nigéria, du Rwanda, de la République Démocratique du Congo, du Burundi, de la Côte d'Ivoire, de la Guinée, du Libéria et d'autres pays »48(*). Selon le rapport inter agences sur la situation des réfugiés centrafricains en date du 29 septembre au 05 octobre 2014, commandé par la Direction de la protection civile, il a été enregistré au Cameroun 132 650 nouveaux réfugiés à partir de janvier 2014. Ce qui précède est très souvent le début du bouleversement des données démographiques, des compétitions et pressions foncières, toutes choses qui sont de nature à créer un climat d'insécurité notable non seulement pour les personnes et les biens (1), mais aussi pour les investissements économiques (2). 1 -La sécurité des personnes et des biensLa notion de sécurité implique une situation où il y a une absence relative de danger pour les personnes ; leurs biens, et qui détermine la confiance. Cette sécurité est le plus souvent la responsabilité combinée de la Police Municipale, de la Police Nationale, le Corps National des Sapeurs-Pompiers et de la Gendarmerie Nationale, qui assurent la protection des personnes et des biens en temps de paix. La sécurité des personnes est donc globalement assurée par l'Etat et cela est rappelé dans le préambule de la constitution camerounaise en ces termes : « la liberté et la sécurité sont garanties à chaque individu dans le respect des droits d'autrui et de l'intérêt supérieur de l'Etat ». Depuis plusieurs années maintenant, l'insécurité dans les différentes villes du Cameroun n'a pas laissé indifférents les pouvoirs publics qui ont pris un certain nombre de mesures pour la protection et la sécurisation des personnes et des biens. Au compte de ces mesures ont peut noter le renforcement de ce que Yves Patrick MBANGUE NKOMBA49(*) appelle le redimensionnement de la Police de proximité, à travers la création des unités spécialisées. Ce redimensionnement est à l'origine de la note de service N° 00108 du 30 décembre 2004 du Délégué Général à la Sûreté Nationale (DGSN) Edgard Alain MEBE NGO'O, qui crée une Equipe Spécialisée d'Intervention Rapide pour répondre à la volonté politique de combattre et d'endiguer l'insécurité. Les recompositions sociopolitiques des Etats voisins au Cameroun sont de nature à impacter sur le cadre sécuritaire du pays. Les déplacements massifs des populations des Etats en crise vers le Cameroun est toujours un moment de hausse importante de ce qui est convenu d'appeler « la criminalité de subsistance », et même d'autres types de criminalité tel que le phénomène des coupeurs de route... La paupérisation à laquelle sont soumises ces populations-là, est un facteur de reconversion de celles-ci en de véritables « hors la loi » qui menacent la sécurité des personnes et des biens. * 45 Agenda pour la paix (1992) et son supplément (1995), résolution 1625 (2005) du Conseil de Sécurité de l'ONU du 14 septembre 2005 sur l'adoption de la déclaration sur le renforcement de l'efficacité du rôle joué par le conseil de sécurité dans la prévention des conflits en Afrique. * 46 Elie MVIE MEKA, Architecture de la sécurité et gouvernance démocratique dans la CEEAC, Presses Universitaires d'Afrique, Yaoundé, 2007, p.66. * 47Ernest Claude MESSINGA, Les forces armées camerounaises face aux nouvelles formes de menaces à la sécurité : d'une armée de garde vers une armée d'avant-garde 1960-2010, thèse de doctorat Ph. D en science politique soutenue à l'Université de Yaoundé II SOA, 2011. * 48 Rufin DIZAMBOU, « Les mouvements migratoires dans l'espace UDEAC/CEMAC de 1964 à nos jours : une conséquence de la fragilité des Etats d'Afrique Centrale », Enjeux, Bulletin d'Analyses Géopolitiques pour l'Afrique Centrale, n° 38, janvier-mars 2009, p. 59 * 49 Yves Patrick MBANGUE NKOMBA, La dynamique de sécurisation des biens et des personnes dans la ville de Yaoundé par l'action d'une unité spécialisée des forces de sécurité camerounaises : le cas des équipes spéciales d'intervention rapide (ESIR), Mémoire de master en sécurité défense et gestion des catastrophes, Université de Yaoundé II SOA, 2008. |
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