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La redynamisation des "assistés" par le support du sport. Le rôle des encadrants comme possible inflexion d'une logique portée par l'institution ? le cas d'une action atypique de remobilisation par l'activité physique.


par Clément Reussard
Université de Bretagne Occidentale - Master 2 SSSATI 2012
  

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Partie IV - Spécificités de l'action « En

Avant Toute ! » et contre-pouvoir de

l'encadrant

1. Méthodologie de l'enquête

Dans le cadre de ma deuxième année de Master SSSATI, j'ai bénéficié de dix semaines de stage au sein de l'action « En Avant Toute ! » entre le 15 novembre 2010 et le 29 avril 2011 entrecoupées de quelques semaines de cours. Ces semaines ont été négociées et planifiées avec Bernard Moulin qui, en fin 2010 avait déjà un stagiaire issu d'une formation BPJEPS152 « animation sociale ». C'est pourquoi, au début, je venais en stage les semaines où lui était en formation et vice-versa, afin que l'encadrement ne soit pas trop élevé par rapport au groupe pris en charge.

Je disposais donc de dix semaines pour relever de la matière sur le terrain dans le but de réaliser un travail de recherche et répondre à mes questionnements. Pour se faire, j'ai choisi d'utiliser deux outils bien connus des sociologues qui se déplacent sur le terrain : l'observation participante et le recueil d'entretiens. L'association de ces deux méthodes permet de lutter contre le traitement isolé que l'on pourrait faire de l'un ou de l'autre et de réinscrire l'enquête dans une certaine réalité. Pour réaliser cette enquête, je me suis appuyé principalement sur la méthodologie suggérée par Stéphane Beaud et Florence Weber dans leur ouvrage Guide de l'enquête de terrain.153

1. L'observation participante

« L'observation est la condition préalable à toute autre forme d'investigation, en même temps qu'elle est une forme d'investigation elle-même. Il convient de « respirer » le problème, avant de s'engager dans son investigation systématique.154 »

Claude Javeau

152 BPJEPS : Brevet Professionnel de la Jeunesse, de l'Education Populaire et du Sport.

153 Beaud S., Weber F., Guide de l'enquête de terrain, Paris, La Découverte, 1998.

154 Citation tirée d'un cours de Gaëlle Sempé, maître de conférences à l'Université Rennes 2. Impossible de retrouver la référence exacte de cette citation de Claude Javeau.

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L'observation est un outil exploratoire qui permet de rapprocher le chercheur de son terrain en lui permettant d'adapter la suite de son étude. L'intérêt de l'observation réside dans le va-et-vient entre la théorie et le terrain. Il s'agit avant tout d'adopter une démarche compréhensive.

Dès le début du stage et donc de mon observation-participante, la question de mon positionnement s'est posée puisqu'il m'a fallu trouver ma place au sein du groupe en tant qu'étudiant-stagiaire.

Très rapidement, j'ai considéré qu'il aurait été mal venu d'adopter une position d'animateur/éducateur sportif du groupe, étant donné qu'il s'agit d'un groupe réduit (qui peut varier de deux à sept personnes en règle général) et surtout compte tenu du fait que ces personnes n'ont pas besoin d'un encadrement trop prégnant puisqu'ils sont des adultes parfaitement autonomes. D`autant que Bernard Moulin et Florent Philippe animent très bien les activités physiques qu'ils ont programmées et n'ont pas spécialement besoin d'être assistés par quelqu'un. Surtout, je ne souhaitais pas être identifié comme un membre de l'encadrement afin de recueillir des témoignages plus authentiques, notamment au sujet de l'encadrement lui-même. Toutefois, il est arrivé à une ou deux reprises de me comporter comme un encadrant si les circonstances l'imposaient (lors d'un congé maladie de Bernard Moulin, ou si le groupe était en sureffectif).

Je n'ai pas non plus souhaité me présenter ostensiblement comme un étudiant faisant un travail de recherche sur « En Avant Toute ! » dans le cadre de mon Master deuxième année. J'aurais pu observer tranquillement de loin ces activités, en prenant des notes sur mon carnet ethnographique mais cela n'aurait probablement pas servi ma démarche de compréhension de la réalité de ce terrain. Au contraire, je pense que cela aurait introduit de fait une distance entre le chercheur (moi) et les enquêtés. Au mieux, je pense qu'une telle posture aurait considérablement modifié l'équilibre habituel du groupe, au pire, cela aurait suscité des soupçons et certains m'auraient probablement considéré comme un représentant du Conseil Général cherchant à évaluer l'implication de ces personnes dans ces activités physiques.

C'est pourquoi, il me paraissait important de m'engager corporellement avec l'ensemble du groupe. De plus, cela permet de gagner plus rapidement la confiance des enquêtés comme Le Yondre l'a lui aussi remarqué après avoir effectué deux semaines d'observation participante dans chacun des deux stages qu'il a étudiés : « Dans le cadre

d'une enquête sur la pratique sportive, la participation directe est une opportunité pour la profondeur de l'entretien qui suit. L'implication physique du chercheur est une sortie de son rôle strict et un engagement favorisant celui de l'informateur. La narration de soi est un risque, une mise en danger de soi au regard d'autrui. Les interviewés acceptaient d'autant plus facilement cette « prise de risque » que nous étions « avec eux » et mis, nous-mêmes, en danger. D'autant plus que le débridement au cours de la pratique et l'engagement corporel sont souvent perçus comme le dévoilement de son identité réelle. L'association de l'authenticité de l'être à la pratique sportive est fréquemment exprimée à travers ce type d'assertion récurrente : « En sport, on ne peut pas tricher ! » 155. »

Durant ces dix semaines d'observation, j'ai donc choisi d'adopter un positionnement discret, un peu en retrait, pour tenter de modifier le moins possible la dynamique habituelle du groupe même s'il ne faut bien sûr pas tomber dans l'écueil de croire que ma présence n'était pas perçue par l'ensemble du groupe. J'ai donc participé corporellement à toutes les activités proposées. Je n'ai jamais sorti mon carnet ethnographique en présence du groupe, je prenais uniquement des notes à la fin de la journée une fois rentré chez moi. Ce carnet tenu quotidiennement me permettait de mettre sur papier quelques situations de la journée qui m'avait marquées, des propos qui m'avaient interpellés, de noter les activités qu'on avait faites, les participants, les lieux où nous nous sommes rendus, etc. Ce carnet s'est avéré être un outil très utile pour prendre de la distance vis-à-vis de mon terrain d'enquête.

Généralement, si quelqu'un me questionnait sur ma présence parmi le groupe, je me contentais de dire que j'étais « étudiant à la fac », « en stage pour quelques semaines à « En Avant Toute ! » » sans trop donner de détails ni trop en révéler sur ma démarche de recherche. Je préférais parler de la réalisation d'un « dossier » plutôt que d'utiliser le terme « mémoire » qui symboliquement ne représente pas la même chose. En fait, la plupart du temps, Bernard Moulin me présentait comme un « stagiaire/étudiant de la fac de Brest » lorsqu'une personne du groupe était nouvelle et ne me connaissait pas encore. Mais il m'est arrivé, une fois ou deux, de ne pas être identifié comme tel dans un premier temps. Ainsi, il est déjà arrivé qu'un participant pense que je prenais part au stage au même titre que tous les autres participants. En fait, c'était précisément l'effet que je recherchais. J'ai vraiment prêté attention à ne pas introduire de distance avec les enquêtés, que ce soit dans la conversation, ou par exemple de par mes choix

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155 Le Yondre F., Vrais chômeurs et vrais sportifs..., 2009, p.275.

vestimentaires. Au lieu de m'acheter de nouveaux équipements sportifs tels qu'une paire de chaussure de randonnée par exemple, j'ai préféré venir à ces dix semaines de stage avec une paire de tennis usée et trouée, un vieux jogging (etc.), ce qui je pense pouvait parfaitement donner l'impression que je connaissais des difficultés économiques similaires aux leurs.

Durant les activités, je me suis fait assez discret, tout en cherchant à instaurer une relation de confiance avec les personnes du groupe, mais c'est un positionnement que j'ai affiné petit à petit, notamment grâce à la lecture du carnet ethnographique.

Je me rappelle de mon premier jour de stage, où j'ai fais l'erreur de vouloir discuter avec un peu tout le monde pour tenter d'en savoir un maximum sur leurs parcours, ce qui les avait amenés à « En Avant Toute ! », comment ils en avaient entendu parler, etc. Or je me suis vite rendu compte que tout le monde n'avait pas envie de se raconter aussi rapidement, et encore moins à un inconnu. Cela nécessite l'existence d'une relation de confiance, qui peut mettre plus ou moins de temps à s'installer. C'est pourquoi j'ai de suite rectifié mon approche. Il faut savoir respecter les moments où les personnes préfèrent marcher seules, s'isoler, en se contentant de marcher à leurs côtés, parfois dans le silence, mais aussi savoir repérer les moments où l'échange peut s'engager pour évoquer des sujets aussi divers que variés.

2. Les entretiens semi-directifs

« L'essentiel est de gagner la confiance de l'enquêté, de parvenir rapidement à le comprendre à demi-mot, et à entrer (temporairement) dans son univers (mental). »156

Stéphane Beaud et Florence Weber

Pour tenter de répondre à notre problématique, il nous a été très utile de recueillir des entretiens avec les personnes ressources qui semblaient le plus à même de nous éclairer. Nous avons recueilli au total huit entretiens au cours de notre période de stage. Il nous a semblé important que ces enquêtés soient situés à différents niveaux du dispositif.

Dans un premier temps, il nous a semblé intéressant de cerner les attentes de l'institution vis-à-vis de l'action menée par « En Avant Toute ! ». Pour se faire, nous avons réussi à obtenir un entretien de quarante cinq minutes avec le directeur du service

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156 Beaud S., Weber F., Op. Cit., p.203.

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Insertion et de lutte contre les exclusions au Conseil Général du Finistère, dans son bureau, à la cité administrative de Quimper.

Il nous a paru judicieux de mener également des entretiens avec les deux éducateurs sportifs qui travaillent pour « En Avant Toute ! » à savoir Bernard Moulin et Florent Philippe, pour tenter de comprendre le sens qu'ils mettent derrière leur pratique professionnelle. De même, nous avons également interrogé Yannick, le stagiaire en formation BPJEPS « animation sociale » qui est resté un an et demi en stage à responsabilité avec Bernard et Florent, et qui a même remplacé Bernard une semaine lors d'un congé maladie durant ma période de stage.

Enfin, nous avons pu recueillir quatre entretiens avec des personnes participant aux activités proposées par « En Avant Toute ! » : un homme au RSA, une femme touchant l'AAH, une femme aux Assedic touchant une part d'invalidité, et une femme retraitée qui connaît bien l'action pour l'avoir côtoyée pendant des années. Il ne fut pas aisé d'obtenir des entretiens avec ces personnes. Ainsi, elles m'ont posé de nombreuses questions avant d'accepter de m'accorder un entretien, notamment en ce qui concerne le respect de l'anonymat, l'utilisation du contenu, le but de mon étude. Il a donc fallu dans un premier temps établir une relation de confiance, puis expliquer véritablement le sens de la démarche. Il s'agissait de les rassurer (notamment sur le fait que je n'étais pas du côté de l'institution) et leur expliquer que leurs propos étaient intéressants de mon point de vue (car eux ne se percevaient pas comme des interlocuteurs « légitimes »157). Enfin, il fallait choisir un environnement rassurant (les entretiens ont eu lieu dans un parc, près d'une rivière, dans un bois, bref, à l'écart des oreilles indiscrètes...) et hors-institution puisque l'on sait l'influence que peut avoir le contexte de l'entretien sur les discours. De même, il fallait choisir le bon moment pour leur suggérer un entretien. J'ai inconsciemment choisi de suivre la préconisation de Beaud et Weber à ce sujet : « L'idéal est que la demande d'entretien se fasse dans la continuité d'un échange, notamment parce que l'entretien se fera comme une sorte de prolongement de la discussion ».158 Un entretien a été recueilli à la fin d'une journée d'activité, deux autres après un pot improvisé entre les participants d' « En Avant Toute ! » auquel j'étais convié. Le quatrième a été recueilli après négociation d'un horaire et d'un lieu avec la personne enquêtée.

157 Beaud S., Weber F., Op. Cit., p.193.

158 Ibid., p.191.

Du fait de mes trois années passées en fac de sociologie, je savais que les entretiens recueillis devaient durer suffisamment car des entretiens de courte durée ne font ressortir que des « opinions de surface immédiatement disponible159. » C'est pourquoi, les entretiens recueillis ont duré entre trente minutes et une heure. Pour chaque entretien recueilli, nous étions munis d'une grille d'entretien mais celle-ci nous servait uniquement de rappel des thèmes à aborder.

Enfin, les entretiens ont tous été intégralement retranscrits avec précision, prenant note des moments d'hésitations, de gênes, etc. que les questions ou relances peuvent induire.

Pour l'analyse de ces derniers, nous avons choisi de privilégier une analyse thématique.

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159 Kaufmann J-C. L'entretien compréhensif. Paris, Nathan, 1996.

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2. Les attentes de l'institution

En avril 2011, nous avons donc pu recueillir un entretien de quarante cinq minutes avec Jacques Lern, directeur du service Insertion et de lutte contre les exclusions au Conseil Général du Finistère afin d'en savoir un peu plus sur les attentes de l'institution vis-à-vis d'une action comme « En Avant Toute ! ». Je lui ai présenté le but de ma démarche, à savoir que j'étais étudiant en Master deuxième année de STAPS à l'UBO Brest, que je faisais un stage à « En Avant Toute ! » et que mon intention était de mieux comprendre le discours institutionnel qui se tient derrière une telle action. Il a directement accepté ma requête et nous avons pu fixer un rendez-vous pour un entretien dans son bureau. Avant de démarrer l'entretien, je lui ai expliqué que c'était bien le point de vue de l'institution que je voulais interroger, et que dans ces conditions, il me semblait intéressant dans le cadre de mon enquête de préciser que je le recueillais auprès du directeur de l'insertion au Conseil Général et qu'ainsi, son anonymat serait difficilement respectable. Il a coupé court à mon propos en me précisant que ça ne lui posait aucun problème de parler en son propre nom et son propre statut.

Dans un premier temps, j'ai tenu à savoir ce qu'il mettait derrière le mot « insertion » et « politique d'insertion » :

Jacques Lern : - « Insertion, c'est insertion sociale et insertion professionnelle et l'insertion en tant que telle elle est « emploi ». On va être

clair là-dessus. L'insertion elle est « économique et emploi ». Si l'insertion

vise à l'autonomisation, à l'émancipation des personnes, ça ne peut passer

que par l'emploi. Donc, la finalité de l'insertion elle est vers l'emploi. Et en même temps, l'insertion elle a une dimension évidemment sociale. La dimension sociale de l'insertion elle consiste à prendre les gens là où ils

sont. Euh, on porte des principes du style « nul n'est inemployable », certes.

Nul n'est inemployable c'est un principe d'action, mais ceci dit, il y en a qui

sont plus employables que d'autres. Et y a des gens qui ne vont pas accéder

à l'emploi dès demain. En même temps, même pour ces gens là, la perspective elle doit quand même être emploi parce que c'est par le travail rémunéré qu'on réussit à acquérir son indépendance et son autonomie. C'est pas par les aides sociales. Voilà. Donc ça c'est le principe de la politique d'insertion. »

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Clairement, pour lui l'insertion rime forcément avec emploi car selon lui, seul un travail rémunéré permet de s'émanciper et de gagner son autonomie et son indépendance. Cependant, il admet l'existence de personnes qui sont « moins employables que d'autres ». Pour ceux là, la perspective doit être la même : l'emploi. Dès lors, on imagine que le Conseil Général doit trouver un moyen de travailler sur l'employabilité de ces personnes temporairement « inemployables », ce qui irait clairement dans le sens de la démonstration de la thèse de Le Yondre.

En fait, ce sont les dénommées « actions d'autonomie sociale » (dont « En Avant Toute ! » fait partie) qui doivent s'en charger :

« Y a des actions d'autonomie sociale, « En Avant Toute ! » ça

rentre là-dedans. C'est des actions qui visent à prendre les gens en charge et à les remobiliser socialement, donc souvent dans un collectif. »

Quelles sont les attentes précises du Conseil Général vis-à-vis d'une action d'autonomie sociale comme « En Avant Toute ! » ?

« Une mise en parcours vers l'emploi. Ça veut dire que les personnes arrivent là avec leur histoire. Pour certains c'est une histoire douloureuse, pour d'autres pas forcément... Euh, il y en a qui arrivent cassés, il y en a qui passent par là parce que pendant un moment ils ont perdu un peu le mode d'emploi de la société quoi. Et ce qu'on attend d'une action comme « En Avant Toute ! », c'est qu'elle remette la personne en dynamique. Alors pour ça, et en euh... Le tryptique c'est Projet-Contrat-Parcours. Le projet c'est le moteur pour l'individu. Remettre quelqu'un en projet quoi. La finalité encore une fois, elle est professionnelle et emploi, mais remettre la personne en projet, par rapport à elle-même. Pour moi ça c'est le premier boulot quoi. Le deuxième boulot, c'est lui apprendre, lui réapprendre à négocier, on est dans un collectif, on n'est pas indépendants des autres. Ce que fait chacun a à voir avec le groupe dans lequel il s'inscrit. Ça c'est le premier niveau de négociations. Et puis après, il faut apprendre qu'on ne peut pas venir comme ça que quand on veut quoi... Il y a des jours où on est obligé de s'inscrire à l'avance, et d'anticiper... Et puis après, ça c'est le deuxième niveau... Troisième niveau de négociations, et ben c'est que, cette action là, elle existe parce que y a des institutions qui ont décidé de mobiliser les moyens qui sont les moyens de tout le monde,

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pour que ça fonctionne. Et c'est pas... Même si on ne paye pas c'est quand même pas gratuit quoi. Y'a quelque part une contrepartie. Et la contrepartie, ça peut au bout d'un moment prendre la forme d'un contrat. Et ben, cette contractualisation là, c'est l'inscription de la personne dans son environnement institutionnel. C'est un acte citoyen d'une certaine manière. Donc ça c'est la contractualisation, et tout ça c'est fait pour mettre la personne en dynamique, c'est-à-dire que dynamique par rapport à elle-même, et puis dynamique par rapport au parcours qu'elle va effectuer dans le sens d'une amélioration de la situation. Cette mise en parcours là, au bout du compte, elle sera finalisée emploi. Mais pour l'instant, elle peut simplement être finalisée dans le sens d'une amélioration de la situation. Et ben si je reste là, dans, à « En Avant Toute ! », que je peux travailler avec vous pendant une semaine, un mois, deux mois, si je peux me projeter jusque là, bah voilà à quoi je voudrais arriver quoi. Je voudrais essayer de résoudre ou de réduire mon problème de santé, si je picole, je vais essayer de picoler moins. Si j'ai pas la frite, je vais essayer de retrouver la pêche avec une activité physique régulière, et cætera. Et si en plus, je suis dégoûté des administrations, je ne veux plus voir personne là-dedans, je vais petit à petit me remettre en énergie par rapport à ça et y aller progressivement. Voilà.

Ici on note plusieurs éléments intéressants qui valident clairement les arguments

défendus dans la thèse de Le Yondre. Aux yeux du directeur de l'insertion au Conseil Général, l'action proposée par « En Avant Toute ! » se doit d'être « une mise en parcours vers l'emploi » pour les personnes qui sont prises en charge. Bien que celle-ci « sera finalisée emploi » au bout du compte, pour le moment, « elle peut simplement être finalisée dans le sens d'une amélioration de la situation ». Le but ? Il s'agit de « remettre la personne en dynamique », sous-entendu : la personne est forcément non-dynamique durant sa période d'inactivité comme le notait très justement Le Yondre.

Les moyens ? « Un tryptique Contrat-Projet-Parcours ».

Jacques Lern distingue trois objectifs :

Tout d'abord, il convient de « remettre la personne en projet par rapport à elle-même » car le « projet est moteur de l'individu ». Au passage, on notera que le « par rapport à elle-même » illustre bien l'intention de responsabiliser le rapport des assistés à eux-mêmes.

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Ensuite, « Le deuxième boulot, c'est lui apprendre, lui réapprendre à négocier, on est dans un collectif, on n'est pas indépendants des autres. Ce que fait chacun a à voir avec le groupe dans lequel il s'inscrit. » Cela illustre bien ce que notait Le Yondre dans sa thèse à propos de l'utilité d'un « pouvoir circulaire » au sein d'un groupe. Avoir recours à une dynamique de groupe participe d'une logique de pouvoir, certes moins visible qu'un pouvoir du haut vers le bas, mais tout aussi susceptible de transformer les individus. Les membres du groupe vont s'ajuster les uns aux autres et se conformer dans des rôles.

Enfin, cette action là, même si « on ne paye pas, c'est quand même pas gratuit quoi ». Il fait ici allusion au coût pour la société que représente l'assistance. Elle doit donc donner lieu à une « contrepartie », qui prend ici la forme d'un contrat. Ce dernier confirme « l'inscription de la personne dans son environnement institutionnel », il s'agit pour lui d'un « acte citoyen d'une certaine manière ». Il n'est pas utile de commenter ce discours tant celui-ci fait écho et illustre parfaitement ce qu'on a vu en première et troisième partie de notre travail.

Plus loin dans l'entretien, je lui demande son opinion personnelle sur l'action menée par « En Avant Toute ! », et celle-ci nous indique une bonne connaissance de l'intérêt que peut représenter la convocation de l'activité physique pour ce type de public.

L'approche physique de l'activité est un facteur de mobilisation de

la personne dans son entier quoi. Je pense en plus que les situations de pratique dans l'activité physique ou sportive, nous ramène un peu à l'essentiel non de nous-même, enfin, on peut dire qu'on est, qu'on est en direct avec la personne, les masques tombent, et euh, je crois que c'est une manière aussi d'accéder à la vérité de l'individu mais dans un contexte qui est un contexte positif, pas un contexte jugeant.

Il montre ainsi qu'il a conscience que la pratique sportive dévoile les personnes « dans leur entier » et permet d'accéder « à la vérité de l'individu ».

Plus tard, en fin d'entretien, il nous confie :

C'est des actions qui mériteraient d'être implantées sur le territoire au même titre que les équipes emploi, et qui pourraient être des propositions avec une incitation forte pour beaucoup de personnes qui réussissent pas à se remettre en route ou à remobiliser leurs projets quoi.

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On notera au passage le recours à une « incitation forte » pour mobiliser les

personnes malgré le fait qu'il plébiscite le développement de ce genre d'action.

Pour autant, il pointe du doigt les limites budgétaires du Conseil Général, surtout

dans un contexte de crise économique :

« On part du principe que surtout dans les périodes qui sont des

périodes de resserrement budgétaire comme celle-ci, les besoins sont

illimités et les ressources sont rares. »

[...] « Alors sur le mode de financement des actions, c'est un peu comme je

dis, on est parti du besoin objectif, et on a essayé de le recadrer à la mesure

des possibilités budgétaires quoi. On pourrait imaginer que y a toujours

dans cette affaire là un idéal, et puis après, il y a ce qui est souhaitable. Et

puis, au bout du compte, il y a ce qui est possible quoi. Donc bon, voilà... Et

ça, pour passer de l'un à l'autre, c'est le résultat d'une négociation avec le

partenaire avec qui on essaye de construire quelque chose quoi. »

De quels partenaires parle-t-il alors ? En fait, il faut rappeler ici qu' « En Avant

Toute ! » ne fait pas partie du Conseil Général. C'est une action plus ou moins indépendante (car financée en grande partie par le Conseil Général) et gérée par une association support : la Sauvegarde de l'Enfance (ADSEA 29). Pourquoi ce type d'action ne fait pas partie intégrante du Conseil Général ?

« [...] Parce que c'est un construit, c'est des construits historiques, sociaux et historiques quoi. A un moment donné, le Conseil Général n'a pas la capacité de porter lui-même toute la compétence et toute la capacité d'imagination qui va devoir être mise en oeuvre là. Et puis, il y a une association qui, elle, sent les choses, et elle se dit capable d'essayer un truc quoi... Bah on rentre à ce moment là dans une négociation réciproque, et puis on débouche sur ce que je disais tout à l'heure, ça veut dire que ça va se traduire en un chiffre de subventions, pour que l'expérience puisse fonctionner, on va voir ensemble ce que ça donne. Et puis si ça marche, bah on va pas casser ce qui marche, donc on continue de la même façon... Ça veut dire que la Sauvegarde porte l'affaire, les professionnels qui sont dedans la font tourner, et le Conseil Général cherche les moyens pour pouvoir l'alimenter quoi. »

Cette négociation autour des subventions induit une contrepartie, à savoir, une évaluation, un droit de regard sur les résultats obtenus par les actions subventionnés

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pour décider si oui ou non, la subvention est reconduite d'une année sur l'autre. Les actions doivent entre guillemets « rendre des comptes » au Conseil Général pour négocier les moyens. Concernant l'évaluation d' « En Avant Toute ! » :

« Alors par contre, moi ce que je voudrais bien, c'est que les collègues qui sont sur « En Avant Toute ! », puissent me rendre compte de ça quoi. Je dois dire que ça me faciliterai énormément la négociation des moyens. Mais comme c'est des irréductibles indépendants, évidemment je ne réussis jamais à rien avoir de ce type là. Que des généralités... Bon voilà, je fais avec quoi. »

Enquêteur : - C'est vrai que c'est peut-être pas évident d'avoir un

suivi des personnes qui viennent à « En Avant Toute ! », qui tiennent pas forcément au courant...

Jacques Lern : - (il me coupe.) Oh non ça serait possible, mais euh... ils veulent pas, ils sont que à moitié socialisés, ils n'en ont rien à foutre de l'institution...

On touche là un point sensible et très intéressant, sur lequel on reviendra plus tard

car ce manque de transparence au niveau des résultats nous paraît loin d'être anodin. Plus loin dans l'entretien, le directeur du service insertion nous explique pourquoi

« En Avant Toute ! » n'est pas un service du Conseil Général :

Parce que les compétences qui sont mises en oeuvre dedans sont des compétences que le Conseil Général ne détient pas forcément. Moi j'ai eu l'occasion de dire à plusieurs reprises que l'intérêt de Bernard Moulin, c'est qu'il n'était pas une assistante sociale quoi, c'est autre chose... Bon, et du coup c'est une autre relation aussi avec le public. Donc c'est pour ça aussi qu'on a eu besoin d' « En Avant Toute ! », parce que Bernard Moulin n'était pas travailleur du Conseil Général. Et puis, à côté de ça, le fric qu'on peut mettre nous sur « En Avant Toute ! », on sait que, ça va pas suffire pour faire tourner les deux professionnels qui sont dessus, et puis toute la logistique et l'infrastructure qui va avec. Donc c'est pour ça qu'on ne peut pas verrouiller la convention en disant il faut qu'ils prennent à 100% du public du Conseil Général, ça serait pas juste. Si on faisait ça, ça voudrait dire qu'il faut qu'on ait la capacité de financer la totalité du

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besoin. Comme on n'est pas dans cette capacité là, on dit, ben on demande

à occuper 50% de la convention, et du coup ça autorise la structure « En Avant Toute ! » à aller chercher la moitié de son financement ailleurs quoi.

Revenons un instant sur cette histoire de « convention ». Elle fait en fait référence à la négociation menée entre le Conseil Général et « En Avant Toute ! » au sujet de la prise en charge du public. Cette convention contraint « En Avant Toute ! » à accueillir au minimum 50% de personnes faisant parti du public du Conseil Général (à savoir les allocataires du RSA). Et si la convention est fixée uniquement à 50%, c'est bien parce le Conseil Général ne finance pas intégralement l'action par manque de moyens. C'est d'ailleurs ce qui oblige « En Avant Toute ! » à chercher une partie de son financement ailleurs, lui permettant d'accueillir d'autres types de public non pris en charge par le Conseil Général (problématiques de santé, immigrés, etc.).

À ce sujet, je me permets d'ouvrir une petite parenthèse au sujet d'une instance d'évaluation de l'action qui s'est tenue en décembre 2010 en présence de Bernard Moulin, Florent Philippe, et une représentante du Conseil Général. Durant cette évaluation, la représentante du Conseil Général n'a pas manqué de souligner que la convention de 50% de RSAistes n'était pas respectée et de rappeler que le Conseil Général n'est pas censé prendre en charge les problèmes de santé qui dépendent du portefeuille de l'Etat. La santé, dont l'utilisation du terme doit d'ailleurs être prohibée selon la représentante du Conseil Général qui préfère parler de « bien-être », doit donc rester marginale au sein de l'action car l'institution ne veut pas financer cela. Même chose pour les demandeurs d'asiles qui répondent à un financement de l'Etat. Pour le Conseil Général, il faut absolument augmenter la proportion de RSAistes au sein de l'action. Les encadrants d'« En Avant Toute ! » répondent quant à eux que le problème vient des assistants de service social des différents CDAS du département qui n'ont pas suffisamment le réflexe d'orienter des personnes vers l'action, et, que eux ne peuvent pas refuser des personnes au prétexte qu'elles ne correspondent pas au public du Conseil Général.

À propos de ces instances d'évaluation, le directeur de l'insertion nous explique comment elles fonctionnent :

Il y a deux instances qui servent à évaluer. Alors, maintenant ça se tient avec plus ou moins de rigueur, il y a une première instance qui est l'instance technique, dans laquelle on mesure les situations individuelles et les parcours individuels. Celle-là, elle se tient entre les animateurs d' « En

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Avant Toute ! », et puis les professionnels qui ont orienté les gens vers « En Avant Toute ! ». Ça sera l'occasion de demander à Bernard Moulin si ça tient régulièrement ou pas... Je suis pas sûr que ça soit très régulier... Mais en tout cas c'est un type d'instance qui existe.

On remarque au passage une nouvelle réflexion sur la transparence d'« En Avant Toute ! » semble-t-il peu enclin à participer à l'évaluation de son action...

La deuxième instance c'est le comité de pilotage. Le comité de pilotage c'est un lieu un peu plus institutionnel où on ramène tous les éléments qui servent à évaluer l'action. Ça a lieu ça une fois ou deux, plutôt deux, dans l'année. Et on prend en compte tous les éléments relatant tout le fonctionnement de la structure. Et puis on essaye d'en tirer les analyses au regard des objectifs que je disais tout à l'heure. Est-ce que ça continue à toucher le public ciblé ? Qu'est-ce que ça fabrique avec ce public ? Est-ce que... Est-ce qu'on en a pour son argent quoi... institutionnellement. Voilà, c'est ça.

Au-delà de ces instances d'évaluation, il distingue trois manières d'évaluer l'efficacité de l'action :

La première c'est que les professionnels qui orientent les publics vers l'action, eux, sont en relation fréquente avec « En Avant Toute ! ». Moi ici, au niveau de la direction, j'ai une collègue qui est chargée de l'animation et du développement de l'offre d'insertion sur le territoire qui est en relation fréquente avec « En Avant Toute ! », je pense même qu'elle habite dans les bureaux justes en face. [...] Le deuxième niveau, c'est que j'ai les informations ici que ramènent « En Avant Toute ! », et puis j'ai aussi les informations qu'on me ramène sur « En Avant Toute ! ». Donc on a aussi là un oeil sur ce qui se passe.

Pour finir, il résume assez bien le rapport particulier qui lie le Conseil Général à « En Avant Toute ! », et en quoi ce rapport est différent d'un rapport qui le lierait à un service entièrement sous la coupe du Conseil Général :

Mais il y a un truc sur lequel il faut qu'on soit clair, c'est que, quand c'est un service du Conseil Général, on a un oeil complètement rapproché sur tout ce que ça fabrique quoi. Et « En Avant Toute ! », c'est pas un service du Conseil Général. Donc euh, c'est un partenaire. Et un partenaire

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ça veut dire que, à un moment donné, on s'accorde sur des objectifs, et il nous explique comment il va les atteindre, mais une fois qu'il l'a fait, il est autonome dans le choix et la mobilisation de ses moyens quoi. Donc euh, je pense qu'il est assez sain qu'on ait cette relation un peu distante, dans la mise en oeuvre du projet parce que le partenaire en question il a le droit aussi à son autonomie et à ses choix dans la conduite de l'affaire. Donc on est vigilant aussi à respecter ça. La contrepartie c'est que, quand on est dans des lieux d'évaluation, on demande à ce que ça joue le jeu quoi. On est dans ce type de rapport.

« En Avant Toute ! » est donc considéré comme un « partenaire » du Conseil Général. À ce titre, l'influence de l'institution sur l'action est réduite du fait qu'elle ne soit pas financée à 100% par le Conseil Général. Elle dispose donc d'une certaine autonomie « dans le choix et la mobilisation de ses moyens » et nous pensons que c'est cela qui la différencie des autres actions de redynamisation par le sport. Il parle même d'un « rapport sain » qui s'établit dans ce type de lien. Pour autant, en théorie, l'action doit « jouer le jeu » et appliquer certaines directives de l'institution, tout en démontrant l'efficacité de son action pour que la subvention soit reconduite. Il s'agit là d'une négociation entre l'institution et les encadrants.

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3. Rôle et contre-pouvoir des encadrants

Nos observations et nos hypothèses nous ont très rapidement conduites à penser que l'autonomie (relative) de l'action vis-à-vis du Conseil Général permettait à « En Avant Toute ! » de proposer une offre sportive de remobilisation sous des modalités différentes que celles qui ont lieu dans d'autres actions similaires (cf. thèse de Le Yondre).

Lors d'un entretien, Bernard Moulin, co-concepteur et éducateur sportif au sein de l'action, vient confirmer cette hypothèse :

Enquêteur : - Et pour toi, c'est important de garder une certaine autonomie vis-à-vis du Conseil Général ? Parce que quand j'ai discuté avec [le directeur de l'insertion du Conseil Général], il vous qualifiait « d'irréductibles indépendants » (rires) dans le sens où voilà, j'avais le sentiment qu'il aimerait obtenir plus d'informations...

Bernard Moulin : - Bah oui... Bah oui, je pense, ouais. Mais ça, c'est aussi ce qui fait la force de ce groupe là... Le fait que je suis indépendant me permet de faire des actions, alors que si j'étais vraiment sous la coupe du Conseil Général, y a tellement de réglementations et tout ça, que ça serait complètement sclérosé quoi...On pourrait plus... Là je prends des initiatives que je pourrais pas faire... Faudrait demander au chef, du sous-chef, l'autorisation de... Or là, non, je le fais, bon. A mes risques et périls des fois. C'est important. J'ai toujours travaillé comme ça, je me vois mal être cadré et... Après, ça dépend des personnalités hein...

Plus loin dans l'entretien, il ajoute ceci :

Du coup je ne regrette pas de ne pas être sous le Conseil Général, j'aurai été au Conseil Général, j'aurai été bien plus... Je n'aurai pas pu faire tout ce que j'ai fais. Hein, j'aurai été bien plus cadré, et l'action aurait perdu de son sens. Là, elle a du sens, parce que justement, elle a ses, ses ajustements qu'on peut mettre en place. Sans être obligé de demander... Voilà.

Quelles sont donc les « ajustements » qui donnent « son sens à l'action » et qui en font « sa force » aux yeux des encadrants ?

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Le choix des activités physiques

Dans son ouvrage, Bernard Moulin explique qu'elles ont été choisies « pour la facilité de leur organisation et leur adaptabilité au nombre fluctuant de stagiaires.160 »

Mais il ne s'agit pas uniquement de cela, car pour lui la pratique sportive est un « moyen d'expression permettant de rétablir la confiance en soi. A la technicité nécessaire à toute pratique sportive, je préfère privilégier les émotions qu'elle suscite, la solidarité qu'elle nécessite afin de parvenir au terme d'une étape, au bout d'une épreuve. J'essaie dans la mesure du possible de supprimer les causes d'échec et les jugements de valeur en adaptant les activités aux personnes et non l'inverse.161 »

Il s'agit donc d'activités physiques adaptées aux personnes dont l'objectif est de rétablir la confiance en soi, sans se confronter à l'échec, comme l'explique Florent Philippe :

Florent Philippe : [...] Donc toutes ces démarches là, de sport, et de choix du sport, c'est surtout avec l'optique que y ai du positif, et qu'il y ait de la réussite derrière. Bon si tu fais du foot, ou tu fais un sport genre basket, ou du handball, bah derrière y a quelques échecs... Ou tu perds, ou tu gagnes. Tu vas lancer un ballon de basket, tu vas pas voir le panier, tu vas taper dans un ballon de foot, tu vas pas marquer de buts, tu vois, y a un échec quelque part, et à travers ça, tu vois tout de suite une difficulté. A mon avis, il faut rester dans des trucs simples, basiques. Donc euh... Badminton, Vélo... Où y a pas de compet' quoi, la marche, on fait de la gym... La gym bah c'est pour ressentir son corps, y a pas de compétition, y a que des sensations, et ça c'est le but.

Dans cette conception de la pratique sportive, ce ne sont pas des notions de performance et de « dépassement de soi » qui sont privilégiées, comme constaté dans les stages observés par Le Yondre à travers l'utilisation de sports apolliniens. Ici, les sports convoqués (marche, piscine, kayak, badminton, vélo, musculation) ne semblent pas vraiment s'inscrire dans la même logique. Toutefois, on pourrait s'interroger sur le recours à des activités comme la piscine ou la musculation.

Dans l'ouvrage de Bernard Moulin, l'intérêt de la piscine est décrit par les termes suivant : « Détente, confiance en soi, convivialité, efforts physiques,

160 Bernard Moulin, Serge Guilbaud, Sport, emploi, et performances... sociales. Être ou avoir ?,

édité à compte d'auteur, 2009, p.111

161 Ibid.

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réappropriation corporelle, anti-stress, apaisant, stimule les énergies. » En effet, il ne s'agit pas de natation pure et dure, comme on pourrait l'imaginer, qui consisterait à faire des longueurs dans une simple logique de progression. Pour y avoir participé à de nombreuses reprises, chacun est libre de faire ce qu'il veut durant la durée de la séance (une heure). Certains y vont manifestement pour se détendre ou discuter, tandis que d'autres préfèrent faire des longueurs. Quelques uns ne savent pas nager et apprennent progressivement. La séance se finit généralement par des jeux.

En ce qui concerne la musculation, qui représente seulement 3% de l'offre sportive d' « En Avant Toute ! » sur une année. Il s'agit en effet d'un sport que l'on pourrait qualifier « d'apollinien » pour reprendre le terme de Le Yondre emprunté à Jeu. L'intérêt de l'activité est décrit en ces termes : « image de soi, sens de l'effort, concentration ». Pourtant c'est une activité que Bernard Moulin avoue ne pas vraiment apprécier, et pour cause. Cette activité a été introduite dès la conception de l'action par le Conseil Général et Patrice Daviaud avant même que Bernard ne soit recruté : Enquêteur : - Et donc, au début c'était une concertation pour le choix des activités entre Patrice Daviaud, toi, ...

Bernard : - Bah au début, il avait mis en place, avant que j'arrive déjà, il avait pris des contacts donc... Et avec la piscine Aquaforme qui venait d'ouvrir, avec la salle de muscu, et puis c'est tout... Après c'était moi qui ai mis en place le reste, le kayak, le vélo.... Voilà.

Sur la musculation, Bernard Moulin explique :

La musculation c'était prévu toutes les semaines à un moment, et moi j'ai dis stop au bout de quelques semaines... Après le premier essai. Parce que qu'on n'a pas fait d'activités sportives depuis longtemps, redémarrer par la musculation c'est pas forcément le mieux... Et euh, surtout que... On allait faire ça à l'amicale laïque de Quimper, et il y avait personne pour nous encadrer. Moi je suis pas formé pour la muscu, j'aime pas en plus... Pas plus que ça... Et y avait personne pour encadrer, et les gens s'inscrivaient à l'année, et l'année ça valait à l'époque je sais plus combien, ça valait quand même assez cher, et puis je m'apercevais que les gens, au bout de trois-quatre séances, ils arrêtaient. Parce que... Au mur, je t'ai peut-être dit, y avait plein de photos de beaux mecs, de belles femmes,

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avec des muscles partout, et en quelques séances... Bah on n'arrive pas comme ça. Et puis est-ce que c'est souhaitable ? Je sais pas....

L'adhésion et la liberté de venir ou non

Autre élément de différenciation d' « En Avant Toute ! », et pas des moindre par rapport aux autres actions du même genre : les personnes inscrites font elles-mêmes le choix de venir ou non aux activités. En effet, contrairement aux autres actions de remobilisation par le sport (tout du moins, celles décrites par Le Yondre), les personnes qui s'inscrivent dans l'action ne sont pas tenus d'être systématiquement présentes tous les jours pendant la durée du stage ou durant un délai donné. Elles viennent quand elles le souhaitent.

Bernard Moulin explique ce choix là :

Enquêteur : - [...] Et c'est important aussi que ce soit les personnes qui décident de venir ou pas aux activités... ?

Bernard : - Voilà. Ça c'est important ouais. Que les gens ne soient pas obligés. Là on voit les résultats par rapport à d'autres partenaires comme l'IBEP ou le CAFP ou des fois les gens sont plus ou moins obligés. Ils viennent pas dans le même état d'esprit. Là ils viennent parce qu'ils en ont envie. Et ça c'est primordial. [...] C'est vrai que bon... Le fait de ne pas obliger les gens, et surtout leur donner envie de venir, c'est plus valorisant je pense. Et pour moi, et pour eux.

Enquêteur : - Et ça c'était un choix dès le début d' « En Avant

Toute ! » de s'inscrire dans ce cadre là, où les personnes décident de venir ou non... ?

Bernard : - Euh, oui pour moi, ça a toujours été un choix.

En fait, les personnes sont censées prévenir de leur participation au plus tard la veille de l'activité. Florent Philippe explique la difficulté pour ces personnes de se mobiliser ne serait-ce que pour une seule journée et de se projeter sur le lendemain. Florent : [...] Et ils viennent si ils ont envie, c'est-à-dire qu'ils appellent la veille, et même la démarche d'appeler la veille, je crois que ça

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pose problème, parce que les gens sont au jour le jour... C'est-à-dire que moi à Quimperlé, j'ai des personnes qui m'appellent le matin à sept heures et demi. Pour une balade à neuf heures. Alors bon moi ça tombe bien parce que j'ai pas beaucoup de personnes pour le moment, mais la démarche d'appeler la veille pour eux c'est trop loin déjà. Y a la nuit, et la nuit ils savent pas ce qu'ils vont faire. Alors y en a qui vont se bourrer la gueule, y en a qui vont se droguer, y en a qui vont faire la teuf, y en a qui vont être mal pendant la nuit, parce qu'ils dorment pas... Ils savent pas la gueule qu'ils vont avoir le lendemain matin... Ils peuvent pas appeler entre seize et dix-huit heures pour nous dire « bah tiens je vais me balader[demain] ». Y en a qui le font évidemment, mais d'autres c'est impossible quoi. Donc bon, je leur laisse des fois l'opportunité d'appeler le jour même, pour la balade, mais je peux ou je peux pas. Alors des fois je peux pas et y a beaucoup de déception derrière. Mais bon, c'est des choix, et je pense que c'est le bon choix.

Cette souplesse du cadre permet à des personnes de pouvoir s'inscrire occasionnellement dans ce type d'action alors qu'elles ne le pourraient probablement pas dans un cadre plus rigide. Pourtant, on peut légitimement se dire qu'il s'agit probablement des personnes qui en ont le plus besoin.

Yannick, stagiaire pendant un an et demi, nous parle lui de l'importance de l'adhésion dans ce type d'action :

Yannick : Et pis sur un public fragilisé, difficile à mobiliser, et ben nous en tant qu'animateur on est obligé d'intégrer « bah oui, il va peut-être venir qu'une seule semaine, et les quinze jours après il va pas venir, et puis on va la revoir après, et la personne va réapparaître, alors après, elle n'a pas forcément de compte à nous rendre, c'est vrai. C'est un cheminement qui est personnel après. Si nous, on arrive à faire voir à la personne qu'elle a tout intérêt à suivre ou à participer à telle autre activité, c'est bien si à la fin, la personne voit cet intérêt là aussi. Et si elle ne le voit pas ? Qu'est-ce qu'on peut faire de plus ? A part lui expliquer peut-être ce qu'elle pourrait avoir à y gagner. Mais on peut pas mettre la personne sous la contrainte quoi. Il faut qu'il y ait implication, il faut que la personne soit adhérente, faut qu'elle adhère quoi, qu'elle adhère à l'action, au projet d' « En Avant

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Toute ! ». Et l'adhésion c'est pas sous la contrainte hein. L'adhésion, c'est l'implication de la personne...

La mixité des publics

La mixité des publics est une autre des originalités d' « En Avant Toute ! ». De

fait, l'action est ouverte aux hommes et aux femmes de 18 à 60 ans, et pas seulement aux allocataires du RSA. Le fait qu'elle ne soit pas financée exclusivement par le Conseil Général lui permet d'accueillir d'autres types de publics : problématiques de santé, addictions, demandeurs d'asiles... Mais aussi des jeunes du CAFP ou de l'IBEP dans le cadre d'un partenariat. Bernard Moulin explique :

Bernard : - C'est ça qui fait la particularité d' « En Avant Toute ! », d'intervenir sur des gens, sur des générations différentes là, des statuts différents, des cultures différentes, des origines complètement différentes... Bon, et donc des gens de 18 à 60 ans, on s'imagine pas... Moi quand j'étais beaucoup plus jeune... Je m'imaginais pas aller faire du sport avec des vieux de plus de quarante ans. Maintenant j'en ai encore un peu plus. Et puis, on fait encore des choses ensemble, on n'est pas à la ramasse, au contraire, des fois c'est l'inverse qui se passe, et plutôt que de faire cocorico, tu vois, genre « moi à mon âge, je fais ça, toi t'es pas capable » au contraire, je trouve qu'il y a un échange, dans ce boulot là qui est intéressant. Hein, échange culturel et autre, ... Tu as pu le voir hein, des fois, des complicités qui se mettent en place, des échanges entre les gens, que ce soit dans le côté sportif, dans une activité comme le badminton par exemple, et même dans la marche, dans les pique-niques et tout ça, c'est des moments très forts quoi qui se passent... [...]

Bernard Moulin souligne au passage que cette mixité permet à des personnes qui ne se seraient peut-être jamais rencontrées de faire connaissance et parfois de se voir en dehors de l'action, ce qui les sort de leur isolement.

Et les gens se retrouvent à l'extérieur, c'est ça qui est intéressant... Parce que quand ils ont quitté l'activité, bah tu as vu hein... Et ça, je pense que rien que ça, c'est une réussite pour les gens qui étaient souvent seuls avant, le fait qu'il y ait... Une fois sortie d' « En Avant Toute ! », ils se retrouvent après pour faire... Après ils font ce qu'ils veulent hein. Et ça je

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trouve riche, le fait qu'ils aillent des fois voir des matches de basket ensemble, par exemple, bon...

Yannick plaide lui aussi pour une mixité au sein de l'action et nous donne son point de vue :

Yannick : - Ouais, alors moi je pars d'un postulat que quelque part, toute mixité a du bon. J'veux dire, tu vois, ça te permet d'ouvrir les yeux sur une autre culture, euh, une autre tranche d'âge, un petit jeune de vingt ans, ou dix neuf qui se retrouve en rando avec une personne de cinquante... Un petit jeune qui n'a jamais connu le milieu du travail, et pis euh, qui se retrouve avec une personne qui elle l'a connu et puis qui a la suite d'un licenciement que elle ne connaît plus ou qui en est éloignée... Ouais, t'as des... T'as une mixité intéressante je trouve, ... Alors après, les gens en font ce qu'ils en veulent quoi, mais moi je pars du principe que ça peut être quelque chose de positif, à la base quoi.

La mise en place de partenariats

Le fait de bénéficier d'une certaine autonomie par rapport à l'institution pousse l'action à former des partenariats avec différents acteurs issus de différents domaines. Bernard Moulin insiste souvent sur l'importance de tisser un bon réseau de partenaires, en outrepassant les clivages habituels afin de considérer la personne dans sa globalité. « En Avant Toute ! » mêle en effet des partenaires issus de domaines qui se rencontrent rarement, tels que ceux issus du social, de la santé, de l'emploi, et du sport, qui sont pourtant complémentaires à bien des égards dans le cadre de ce type d'action. Pour lui, il faut pouvoir « tirer sur plusieurs fils à la fois » à la manière d'un marionnettiste, et ne pas « se focaliser » sur un seul aspect du problème. Il s'explique :

Bernard : [...] J'expliquais justement que pour nous le partenariat

est important. On n'a pas la science infuse, et le fait d'aller voir d'autres...

Ça nous permet déjà de sortir, de nous faire connaître dans d'autres milieux... Que ce soit dans la santé, le milieu de l'économie, les milieux sociaux, et le milieu sportif hein... Pour moi c'est important, hein... D'avoir

des partenaires, comme le centre de bilan de santé ici, l'école d'infirmière

où j'interviens, les partenaires sociaux avec le CDAS, le CCAS, avec l'ITES

et tout ça, les partenaires économiques avec la Mission Locale, le Pôle

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Emploi, qu'est-ce qui y a encore ? Bah y a Emmaüs, tout ça aussi, au niveau social. Les partenaires sportifs avec la ville de Quimper, parce qu'on utilise quand même des structures, ou la ville de Quimperlé pour Florent. Et, le fait d'intervenir dans pleins de milieux comme ça, ça renforce l'action ça l'a fait connaître... Et y a certaines personnes quand elles arrivent ici, elles ont plus un problème de santé. Si on se focalise sur ce problème de santé, elles ne vont pas forcément bouger. Quelqu'un qui fume, qui boit... Si on ne voit que cette dimension là, elle va pas bouger... Par contre, si on lui donne envie d'aller soit faire des activités avec nous, ou soit retrouver un logement... Si on agit sur plusieurs axes, elle va bouger. Faut pas se focaliser... Comme des personnes qui n'ont pas travaillé depuis longtemps, si on se focalise que sur le métier, ou sur l'emploi... Si on règle pas les problèmes de santé ou de logement qui sont autour... Ça va pas bouger. Maintenant, il faut pouvoir, un peu comme un marionnettiste... Pouvoir tirer sur plusieurs fils en même temps... ou hein.

Pas de pression par rapport à l'insertion professionnelle

Bien que le Conseil Général considère l'action comme une « mise en parcours vers l'emploi », j'ai été au début un peu étonné que cet objectif d'emploi ne soit quasiment jamais abordé avec les participants durant les activités.

En fait, Bernard Moulin rappelle souvent qu'il n'est pas une assistante sociale, mais qu'il est éducateur sportif. À travers cet échange, on comprend mieux pourquoi Bernard Moulin souhaite faire cette distinction :

Bernard : - [...] Et le fait de pas se présenter comme assistante sociale, ça les libère. En plus je leur dis qu'ils n'ont pas à me dire pourquoi ils sont là, euh... Voilà. Ça les libère beaucoup, en plus comme on les voit, nous, toute la journée, on a l'occasion de discuter de plein de thèmes différents, que ce soit politique, économique, de logement, ou autre... Ou de santé. Et puis, au bout de quelques mois on les connaît, on peut plus les orienter à ce moment là. Les faire aller voir une assistante sociale éventuellement, mais aussi vers, le personnel de santé ou autre hein... Ou vers le travail, parce que y a des gens qui sont sortis d'ici avec un travail... Voilà.

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Enquêteur : - D'accord. Et ouais, c'est vrai vous abordez pas mal de sujets au cours des marches... Mais bizarrement, je vous ai rarement entendu parler que ce soit toi ou Florent, du projet professionnel des personnes ou...

Bernard : - Non, on leur demande quand ils viennent là, quand ils viennent s'inscrire dans quel domaine ils cherchent du travail. Certains n'en cherchent pas tout de suite, parce qu'ils n'en sont pas capables... Parce qu'il y a d'autres problématiques à régler avant. Et pour d'autres, j'ai réussi à en placer quelques uns parce que j'étais à l'écoute... J'étais à l'écoute des emplois qu'il pouvait y avoir. Quand je vois un emploi qui correspondant à une personne ici, je propose. Après bon... Je gère pas tout.

Enquêteur : - D'accord. Et c'est important de ne pas trop mettre l'accent là-dessus, de pas trop mettre de pression... ?

Bernard : - Voilà. Pas mettre de pression dans un premier temps, tant qu'on ne connaît pas la personne. Après, on peut le faire. Y a des gens avec qui j'étais de... Avec qui j'ai arrêté. Parce que y en a qui étaient là pour... Bon... Ça les aidait plus au bout d'un moment cette action là... Donc il fallait mettre un terme pour qu'ils aillent aussi se confronter au monde du travail. Mais bon, depuis treize ans que je fais ça, y en a pas eu beaucoup, y en a peut-être eu, je sais pas, cinq, six... Bon... Qui avait peur du mot « travail »... Mais bon... C'est pas un gros pourcentage par rapport à ce qu'on entend dans le public souvent, chez les gens qui travaillent... Ouais, « les chômeurs c'est des fainéants » ... Non. Ils sont pas dans les conditions où ils vont trouver du travail tout de suite, mais pour moi, c'est un peu la double peine... Certains ont été licenciés... En plus ils sont culpabilisés d'être au chômage... Voilà.

Yannick pense lui aussi qu'il y a un travail à faire au préalable, sur l'intégration sociale, avant de poser la question de l'intégration professionnelle.

Yannick : - Ouais... Mais euh... C'est une prise en compte de la

personne, à un moment donné où tu sens bien qu'elle a pas les armes et les

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outils pour avancer. Donc euh, ça sert à rien de lui parler d'intégration professionnelle, c'est trop tôt quoi. J'veux dire euh...Tu parles d'intégration professionnelle à une personne qui est sujette aux syndromes dépressifs, euh... Qui traîne son mal-être tous les jours, tous les jours. Peut-être que y a d'abord un travail à faire à ce niveau là avant de parler d'intégration professionnelle. Et entre les deux, entre l'intégration professionnelle, et, peut-être travailler sur la fragilité et la construction d'une identité, ou en tout cas, une consolidation de l'identité, et ben, entre les deux, il y a ben je dirai l'intégration, je dirai sociale quoi, voilà.

Nous l'avons vu grâce au recueil de ces entretiens, l'approche particulière d'« En Avant toute ! » n'existe et se maintient que parce qu'elle est portée et partagée par l'ensemble des encadrants. Cette approche contraste avec le discours de l'institution qui lui s'inscrit davantage dans une logique d'activation déjà décrite par Le Yondre, et qui n'a pour finalité que le travail sur l'employabilité et le retour rapide à l'emploi. Les encadrants travaillent davantage à l'intégration sociale des personnes fragilisées que l'action accueille, ainsi qu'au rétablissement d'un mieux-être.

Il faut toutefois nuancer cette explication, puisque si l'action continue de se maintenir dans cette approche, c'est également dû à l'interconnaissance qui lie Bernard Moulin et Jacques Lern, qui se connaissent très bien. Cette amitié permet sans doute de garder une bonne relation avec l'institution, et de rester sur « la même longueur d'ondes » et partager une confiance mutuelle :

Enquêteur : - D'où l'importance d'entretenir de bons liens avec des

personnes comme Jacques Lern, par exemple, ou... ?

Bernard : - Oui, ou avec son service et tout ça, mais bon, ça se fait,

parce qu'ils sont sur la même longueur d'onde... Eux, avec leur... Un peu plus bloqué que moi, mais il faut aussi des gens qui les bousculent...

Intéressons nous maintenant aux principaux concernés par les modalités de cette action : les participants.

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4. Le ressenti des participants

Non sans difficultés162, nous avons réussi à recueillir des entretiens avec trois personnes inscrites à « En Avant Toute ! » et qui ont participées à différentes activités durant mon stage afin de mieux cerner l'impact que peut avoir une telle action sur elles.

Plusieurs thèmes ont été abordés avec elles : ce qui les a conduit à s'inscrire, l'appréhension des débuts ce qu'elles espéraient d' « En Avant Toute ! », l'encadrement, la souplesse du cadre, ce qu'elles en retirent, etc.

L'orientation vers l'action

Benoît, Véronique et Françoise163 nous expliquent comment ils ont connu « En

Avant Toute ! » :

Benoît .
· - [...] Nan mais c'est parce que j'avais été voir le psy qu'il y

a au CDAS. En fait ben lui il m'avait parlé de Bernard et de son association

quoi. Pour rencontrer du monde quoi.

Véronique .
· - Par hasard. Je suis allée faire un bilan médical à ... au centre CPAM, à côté du CDAS en fait. On m'avait conseillé de faire ça, on peut faire un bilan tous les cinq ans je crois, euh voilà, tout ça. Et puis, euh... En attendant, je crois que c'était en attendant des résultats je crois, moi j'suis toujours en train de fouiller sur les docs et tout ça, et sur le portique y avait... Voilà. Ça c'était au mois de mai dernier, enfin y a presque un an. J'me suis dis « tiens, ça me ferait peut-être du bien » parce que justement j'allais pas très bien, moralement tout ça, mais j'ai pas contacté « En Avant Toute ! » tout de suite. [...] Voilà et puis finalement, de fil en aiguille, j'ai pris rendez-vous avec Bernard au mois de septembre. Donc quelques mois après quand même, et puis j'ai commencé en Novembre une fois que mon déménagement était fini. Donc j'ai connu par hasard en fait. Personne ne m'avait aiguillé là-dessus. Et pourtant, des gens auraient dû quoi...

162 Voir partie « méthodologie de l'enquête ».

163 Les prénoms ont tous été changés.

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Françoise . - Alors j'ai connu « En Avant Toute ! » par ma

psychiatre. En arrivant sur Quimper. Elle m'a donné le nom de cette association, et puis c'est comme ça que j'ai connu en fait.

L'appréhension du début

Chacun a senti une certaine appréhension avant d'arriver dans l'action, à des degrés divers.

Benoît ne savait « pas trop dans quoi il allait tomber » :

Benoît . - C'est surtout que je savais pas trop quel genre de truc c'était parce que... Ouais le psy il savait que c'était parce que je voyais personne... Surtout pas des gens de mon âge... Forcément quand il m'en a parlé, je me suis dit « tiens, c'est bizarre, une action avec plein de jeunes » enfin entre guillemets bizarre... Et en fait, la première question que j'ai posé à l'entretien à Bernard c'est « est-ce qu'il y a des jeunes ? » dans l'asso et voilà quoi... Au début c'était un peu... Je savais pas trop dans quoi je mettais les pieds en fait. Parce que Bernard il m'avait pas répondu franchement, il m'avait dit, tu connais sa réponse habituelle quand on lui pose une question c'est « tu verras » (rires) Il aime beaucoup dire ça ! Comme ça il se mouille pas quoi ! J'avoue que je savais pas trop dans quoi j'allais tomber, c'est vrai.

Françoise quant à elle appréhendait le contact avec d'autres personnes :

Françoise . - Bah avant d'arriver, déjà, j'avais ... Moi déjà j'ai l'appréhension du contact avec les gens, donc j'avais cette appréhension déjà. Rien que l'entretien avec Bernard j'appréhendais. Et puis sinon, non. Je me rappelle pas avoir eu d'autres appréhensions.

Véronique explique ne pas avoir eu d'appréhension particulière.

Véronique . - Nan, j'avais pas d'appréhension, je me suis dit, tiens, comme je voyais pas trop grand monde...

Toutefois elle explique qu'au début elle ne souhaitait pas trop échanger avec les autres personnes, et qu'elle avait prévenu Bernard :

J'ai dit à Bernard... Si j'ai pas envie de parler au départ, surtout au

départ j'avais pas trop envie de parler, je sais que je pouvais ne pas

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répondre et que les gens autour de moi pourraient comprendre quoi. Voilà,

comme eux d'ailleurs. Voilà, donc j'avais pas d'appréhension, j'avais hâte

même de commencer parce que c'était faire du sport et moi j'avais besoin

de ça.

Bien qu'elle connaisse déjà la randonnée, elle redoutait tout de même un peu la

fatigue physique :

[...] je me disais, je vais peut-être avoir du mal au départ, j'étais

très très fatiguée parce que j'étais toujours en insomnie mais je me disais

« bah tant pis, je vais me forcer au départ parce que je sais que plus tard,

ça va me faire du bien quoi. » Donc j'étais assez positive là-dessus...

Ce qui les a poussé à s'inscrire

Pour Benoît, il s'agissait avant tout de « se faire des amis » pour sortir de son isolement. C'est pourquoi il espérait rencontrer des jeunes de son âge.

Françoise s'est inscrite pour ne pas être seule, et dans un second temps pour faire du sport :

Françoise .
· - [...] Je pense que je recherche de pas être seule. Et puis faire du sport... [...]

Véronique est également venue à « En Avant Toute ! » dans une optique de rencontre pour rencontrer des personnes avec du vécu et de l'humanité :

Véronique .
· - [...] Quand on n'est pas bien, moi je suis toujours freinée souvent par des problèmes physiques, par rapport à ma santé tout ça... Donc, au fur et à mesure, tu t'uses, puis t'as plus envie de parler aux gens, et les gens en ont marre de t'entendre parler de
(rire gêné) enfin voilà. Toi-même, tu en as marre aussi d'avoir toujours ces trucs là dans ta tête. Donc tu ne vois plus personne, et surtout à un moment donné, enfin moi c'était mon cas, je voyais les gens très vivants autour de moi, les copines très vivantes, ou alors très très négatives, ... Et ça m'allait pas que les gens soient trop vivants autour de moi parce que moi j'étais plus dans ce truc là. Et la copine qui était tout le temps négative, ça m'enfonçait vers le bas encore plus, donc je voyais plus personne ! Et je me suis dit, ben « En Avant Toute ! », ce sont des gens qu'ont un vécu, qui ont des difficultés dans la vie, et qui seront pas forcément là en train de la ramener quoi, qui auront un peu d'humanité en eux et qui seront tranquilles, cool, voilà. Et donc, ça me

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faisait du bien de savoir que je pouvais me retrouver avec des gens comme

ça [...]

En fait la démarche première de Véronique avant de s'inscrire à « En Avant

Toute ! » était de faire du sport, puis elle s'en rendu compte de l'importance de

rencontrer des gens :

Enquêteur .
· - C'était davantage le côté sport que tu recherchais,

ou... Le côté humain ? Ou...

Véronique .
·
(me coupe) - Les deux. Les deux. Euh.. Je pense ma démarche ça a été d'abord le sport, quand j'y pensais, quand j'ai vu le papier, j'ai besoin de m'aérer, je sais que la bonne santé passe par là. J'étais persuadée... Je suis persuadée que quand on fait du sport, on fait beaucoup plus de choses à côté, j'en ai parlé à Bernard... Donc, dont la recherche d'emploi, dont ce sentiment... Enfin retrouver un physique qui permet de se projeter dans un travail aussi. Parce que là, quand on n'est pas en bonne santé, on n'arrive plus à se projeter dans un travail. Quand on n'est pas en bonne santé, on cherche d'abord à se rétablir. Et quand on regarde, par exemple, les offres d'emploi, éventuellement certaines qui pourraient nous convenir, on se dit « mais ouais, d'accord, mais est-ce que je vais tenir physiquement ? » Tu vois ? Donc du coup, on fait pas de démarche, parce qu'on a peur, donc si tu passes, si on passe... Enfin moi c'est ma démarche personnelle, je me suis dit « si je passe par le sport, si je me renforce de cette façon là, petit à petit, peut-être que, si je vois que je tiens physiquement, que la bonne santé arrive, et ben, je vais peut-être pouvoir me projeter à nouveau dans un travail. » Même si je ne peux travailler qu'à mi-temps, parce que de toute façon, je pourrais pas, je pourrais plus travailler à plein-temps. Voilà, ma démarche première c'était ça. Puis je me suis rendu compte que de rencontrer des gens c'était... Han ! Ça fait un bien fou quoi ! Voilà.

Globalement, on s'aperçoit à partir de ces entretiens, mais aussi à partir des échanges durant les activités, que la motivation première des participants est de rompre avec la solitude. Le sport est souvent secondaire dans leur démarche.

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Des activités qu'elles ne feraient pas seules

D'autant plus qu'elles expliquent qu'elles ne feraient pas ces activités si elles devaient les faire seules :

Enquêteur : - Et la rando, c'est quelque chose que tu ferais seule ou

...

Véronique : - J'ai fais seule, mais pas aussi longtemps, pas aussi longuement. Marcher j'ai fais beaucoup, mais j'en avais marre, j'en ai marre d'être seule pour marcher. Quand on est seule pour marcher, au bout d'un moment, on revient avec ses soucis en tête. Donc, marcher avec les autres, en plus dans des paysages magnifiques, là où t'irai pas tout seul, bah ça dégage la tête, ça fait vachement de bien.

Benoît partage cet avis :

Benoît : Pis c'est pas pareil de marcher tout seul, et de marcher en

groupe. La motivation elle n'est pas la même, la fatigue elle n'est pas la même non plus.

Françoise abonde également dans le même sens :

Françoise : - Moi j'ai essayé d'aller à la piscine toute seule, quand j'suis arrivée à Quimper, à Aquarive, et puis euh... (silence)

Enquêteur : - Hmm, oui c'est moins sympa j'imagine... C'est comme la marche peut-être aussi, nan ?

Françoise : - Ouais voilà. J'ai pas fais la marche toute seule, ou si, le centre-ville ou Creac'h Gwen... Mais j'ai du mal à aller seule... Puis seule, ça va bien un temps... Tu peux pas toujours sortir seule, t'as besoin des autres aussi.

Plus tard dans l'entretien, elle explique :

Françoise : - [...] Parce que bon, chez moi j'essaye de me motiver

pour en faire le matin, la gym ou quelque chose comme ça, mais j'arrive pas, j'arrive pas à trouver la volonté d'en faire chez moi.

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Certes, ces personnes ne feraient pas autant d'activités si elles devaient les faire seules. Mais pourquoi ne pas s'inscrire dans un club de sport ?

La crainte du jugement

Françoise .
· - [...] En même temps dans les clubs de sports t'es pas seule quand tu fais du sport, mais... ça serait différent je pense. Mais bon, peut-être que ça me fait peur aussi quelque part. Mais « En Avant Toute ! », c'est sympa, j'aime bien parce que c'est sympa. L'ambiance malgré tout est sympa, et puis je pense que y a pas de jugement qui sont portés...

La crainte du jugement est l'argument principalement avancé si l'on évoque une éventuelle inscription dans un club de sport « classique », mais il y en a d'autres. Ces autres extraits nous permettent de mieux comprendre pourquoi ils ne s'inscrivent pas dans des clubs de sport :

Enquêteur .
· - [...] Et pourquoi finalement aller à « En Avant

Toute ! », plutôt que de s'inscrire dans, je sais pas, dans un club de sport, ou un club de marche ?

Véronique .
· - Pour la chose que je disais au départ, j'ai réfléchit à la marche. Mais la marche, c'est tous les dimanche matins à neuf heures. Avec des gens, c'est souvent des retraités, j'ai fait beaucoup d'activité avec des retraités. J'avais envie de me retrouver avec un mélange de gens, et surtout des gens justement, qui étaient pas forcément en forme qui seraient pas là tout le temps à ... Parce que quand on n'est pas en forme si tu veux, si tu vas avec des gens qui sont en forme, t'es obligé... Pff... Soit tu masques, moi j'ai plus envie de masquer que je suis pas bien. Soit... Comme je te disais tout à l'heure, c'est difficile à supporter, de voir que les gens sont vachement bien, sont en forme autour de toi, ou, ont eu une vie accomplie. Parce que les retraités ils sont content d'être en retraite, ils ont une vie riche ou pas riche, et voilà, pff, voilà. Club de sport en salle ça m'intéresse pas. Ça m'intéressait pas, je voulais faire du plein-air. J'faisais déjà une activité de danse tango si tu veux. Je continue toujours... Bon les gens savent pas, ma vie et tout ça, donc j'avais besoin d'être dans un lieu où j'étais en confiance, où humainement y aurait eu un partage vrai, authentique quoi.

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Enquêteur : - « Authentique » dans le sens où y aurait pas de jugement peut-être, quelque chose comme ça ?

Véronique : - Ouais, c'est ça, où y a pas de jugement. Si j'étais allé dans un club de marche, tôt ou tard on m'aurait posé des questions. Là on parle si on veut. Tu vois ? Comment justifier que tu ne travailles plus depuis longtemps ? Si tu veux éviter de dire que t'as été malade, parce que ça j'ai plus tellement envie d'en parler, parce que... Si j'en parle, on va me donner plein d'exemples « ah oui, tiens y a machin qui est malade en ce moment, y a ceci, y a machine qui est malade » et euh, ça me fera du mal. Ça va me perturber, parce que ça va me ramener à ces amis là. Ça je le sais parce que je l'ai vécu avec une copine qui n'a pas arrêté de me bassiner avec ça et au bout d'un moment, je me suis rendu compte que ça me faisait pas du tout de bien. Donc je veux éviter ça aussi.

Benoît a lui fait la démarche de s'inscrire dans un club de tennis de table, il n'en garde pas forcément un bon souvenir :

Benoît : - Alors je me suis inscrit dans un club de sport, mais c'est

différent je trouve. Bah parce que les gens qui vont dans un club de sport,

c'est pas forcément pour faire des connaissances, ils ont pas forcément envie de parler, tu vois... Souvent en plus, c'est vrai que c'est con de dire ça, nous en fait (il chuchote rapidement à voix basse) comme on est chômeurs, on travaille pas. (reprend sa voix normale) Du coup, on est pas là à parler boulot tout le temps... J'ai fait du tennis de table en club, et c'est vrai que les gens ils parlent beaucoup de boulot...

Il souligne également l'esprit de compétition qui règne dans les clubs de sport, et qui ne lui correspondait pas :

Benoît : [...] Donc, en dehors de ça en faite, ils ont plus un esprit de

compétition... Moi je me rappelle j'étais qu'en loisir en tennis de table, et
déjà là, les gens ils disaient « ouais je vais gagner » moi je disais « je m'en

fous, on compte pas les points, c'est pas grave ». Alors qu'à « En Avant
Toute ! », le but c'est pas ça justement, gagner ou perdre, le fait de faire du

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sport pour le faire. C'est ça que j'aime bien moi, c'est ça qui est différent dans une asso sportive.

L'encadrement

Pour Françoise, l'avantage d' « En Avant Toute ! » par rapport à un club de sport, c'est que les encadrants ne sont pas dans le jugement :

Françoise : - [...] On est pris tel qu'on est. On n'est pas... Ils nous acceptent tels que nous sommes, et je trouve qu'ils sont très... Très dans le social, donc à mon avis, c'est sûr, ça peut pas être comme un prof dans une salle de sport ou... Parce que y a ce côté-là-aussi qui est important.

Enquêteur : - Est-ce qu'il vous pose des questions sur votre situation professionnelle ou sur vos projets... ?

Françoise : - (me coupe) Nan, du tout, nan ils nous en parlent pas non. Nan. Moi je sais quelque fois, ils nous demandent comment ça va, si ça a bougé pour nous ou pas, mais c'est pas pour ça qu'on peut ne plus avoir l'opportunité de venir, on avance chacun à son rythme. On peut continuer à venir.

Lorsque je lui demande quelles sont les qualités requises pour être encadrant à « En Avant Toute ! » Véronique évoque de suite « l'indulgence » des encadrants qu'elle rapporte directement aux vécus164 de ces derniers.

Véronique : - [...] Tu vois, Bernard a un vécu, Yannick je connais pas son vécu mais je pense qu'il a un vécu, qui lui donne une certaine maturité aussi et une certaine richesse humaine à l'intérieur de lui qui peut, qui peut qu'on sent, enfin moi je sens... J'en ai parlé avec lui, je lui ai dis ce que je pensais de lui. Donc ouais, pour moi c'est important. Même si, je sais pas ce qu'ils ont vécu, j'ai pas spécialement envie de le savoir, mais je sens qu'il y a de la matière derrière, y a une indulgence aussi, qui est importante. Ouais, ouais, les qualités humaines sont importantes ouais. Pour ce type de public là.

164 Au cours de nos entretiens avec Bernard, Florent et Yannick, nous avons noté que tous les trois avaient connus des périodes de non-emploi (plus ou moins vécues difficilement).

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Enfin, si je demande à Françoise quelle est le but, selon elle, des encadrants à « En Avant Toute ! », elle me répond :

Françoise : - Moi personnellement, moi je pense que c'est plus pour me pousser à prendre confiance en moi. Et peut-être tout doucement, après je sais pas je me fais peut-être des idées, mais par exemple à partir de chez ma mère, aussi tout doucement. A me faire aller mieux déjà. Pis ouais à prendre confiance, pis à faire d'autres choses sûrement ouais, aller vers d'autres choses.

Enquêteur : - Donc selon toi, « En Avant Toute ! », ça serait plus

pour aider les gens à aller mieux, plutôt que de rediriger les gens vers le marché du travail ? Le but ça serait plus, avant tout, d'aller mieux...

Françoise : - D'aller mieux, ça c'est sûr. C'est sûr qu'y a possibilité

de se réintégrer socialement. Mais faut le vouloir aussi. Et puis pouvoir

bien sûr. Mais je sais que déjà si on va mieux, Bernard l'avait dit, pour lui

c'est déjà important.

Pour Françoise, l'objectif d' « En Avant Toute ! », c'est avant tout d'aider les

gens à aller « mieux ». Mais ces personnes se sont-elles senties « mieux » grâce à

l'action ?

Le bien-être ressenti

Véronique et Françoise ont toutes les deux raconté avoir éprouvé un sentiment très fort de bien-être grâce à « En Avant Toute ! » :

Véronique : [...] Au début, les premières randonnées que j'ai faites avec Bernard, les premières journées là, j'étais assez émue, j'me disais « olala, j'suis avec des gens » ça m'a, ça m'a, y a eu un... je dirai, un recontact avec la vie quelque part, tu vois c'est, voilà. Donc c'était vachement important donc ça m'a reconnecté à quelque chose de vivant, voilà. [...] Donc, cette journée là m'a fait énormément de bien, et le soir je chantais chez moi, tu vois !

Françoise : - Les Monts d'Arrée, et j'avais trouvé magnifique, et je

sais pas hein, je vais dire ça, c'est très personnel, mais j'avais eu un, j'avais

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ressenti... Quelque chose que j'avais pas ressenti depuis très longtemps, depuis l'enfance ou bien l'adolescence... Un sentiment de bien-être en marchant là-bas... Mais c'était impressionnant... J'étais heureuse ! Franchement, j'étais heureuse ! Et j'avais plus ressenti ça depuis très longtemps. Mais ça je l'ai jamais dis à personne. Voilà ! (rire gêné)

Au-delà de ce bien-être parfois ressenti, qu'ont-elles retiré de cette participation à l'action ?

Ce qu'elles en retirent

Véronique met en avant les rencontres qu'elle a faites à « En Avant Toute ! » :

Véronique .
· - [...] Hier, tu vois, si je suis venue à la terrasse voir les filles, enfin vous voir, je savais pas que tu serais là, c'est parce que j'avais vraiment besoin de rencontrer des gens. Ça m'a fait un bien fou hein. Peut-être que même avec Martine, Françoise, elles ont pas de voiture, moi j'en ai une, même si elle est ancienne, je me disais pourquoi pas leur proposer un jour de faire une échappée de deux jours, au Mont-Saint-Michel, ou... Tu vois, on a tellement besoin de ça que... Tu vois, ça aussi c'est « En Avant Toute ! ». C'est recréer des liens et retourner vers une vie intéressante quoi, qui vaille le coup d'être vécue. Ouais, c'est riche ouais.

Elle explique que ces rencontres ont donné lieu à de nouvelles ambitions, de nouveaux projets :

Véronique .
· - [...] Y a quand même des conséquences très positives parce qu'on parle avec les gens. Et par Paulette, j'ai appris que y avait des jardins à Kerfeunteun qui allait s'ouvrir, des jardins familiaux. Donc j'ai appelé la mairie qui m'a dit « mais vous savez, y a des jardins beaucoup plus proches de chez vous qui sont disponibles actuellement » Voilà. C'est comme ça que j'ai eu mon jardin et ça me fait un bien fou. Voilà, donc c'est grâce à Paulette. Qu'est-ce qui s'est passé d'autre encore ? J'ai rencontré Gaëlle aussi, qui a beaucoup d'expériences de vie, et... Qui m'a parlé... Je lui disais, « j'aimerai bien faire du bénévolat et j'aimerai travailler auprès des enfants » tu vois, je lui disais que j'aimerai aller voir à Penhars tu vois si c'est possible ou pas, et elle m'a dit, tout de suite, elle m'a donné son expérience, son vécu à elle. Elle m'a dit, « écoutes, je connais très bien le

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directeur de la MPT de Penhars, c'est l'ancien directeur de la MJC de Douarnenez que j'ai très bien connu. Et question bénévolat, il comprend tout à fait ce que c'est un bénévole, tu seras très très très bien reçue. » Donc ça, c'est une étape que je vais faire, peut-être pas tout de suite, mais c'est une étape que je vais faire bientôt. Tu vois, je vais m'ouvrir à l'extérieur. Voilà, ça fait partie de ma réparation quoi. Donc il y a ces deux points là, Paulette, mon jardin, et Gaëlle, qui a un vécu intéressant et qui peut donner de très bons renseignements aussi. Ouais, des personnes références quoi.

Benoît explique quant à lui que l'action lui a quand même permis de « rebondir un peu », de « se remotiver » et notamment de se projeter sur l'obtention d'un permis de conduire :

Enquêteur .
· -[...] Et du coup pour revenir sur « En Avant Toute ! », ça t'a permis, enfin ça t'a quand même apporté des choses ?

Benoît .
· - Ben probablement si, ça m'a quand même fait rebondir un peu parce que y a des moments bah comme passer mon permis c'est grâce à ça aussi. Le fait de me sentir bien à l'asso, d'être un peu mieux, ça m'a remotivé à faire des trucs genre passer le permis...

Enquêteur .
· - Parce que tu ne l'aurais pas passé sinon ?

Benoît .
· - Ça m'étonnerait. Ça m'étonnerait de moi en tout cas. [...]

Pour moi le permis c'était hors de question que je le passe un jour. En tout cas, dans les années à venir, c'était pas du tout dans mes projets.

Mais toutes ces avancées positives n'auraient peut-être pas été possibles sans une certaine souplesse au niveau du cadre. C'est du moins ce qui est rapporté dans le recueil de ces trois témoignages.

La nécessaire souplesse du cadre

Rappelons en effet que le cadre proposé à « En Avant Toute ! » est souple. Ainsi les participants peuvent venir quand ils le souhaitent, ce qui arrange bien Benoît :

100

Benoît .
· [...] V a pas d'obligation, faut juste demander la veille. Et encore, moi ils sont pas trop chiants la plupart du temps moi c'est le jour même que je me décide.
(rire amusé) Parce que je sais que j'ai un peu de mal des fois à me lever le matin. Ça dépend comment j'ai dormi...

Enquêteur .
· - Parce que ouais, si jamais « En Avant Toute ! » ça fonctionnait genre, tu t'inscris pour trois mois, et puis, t'es obligé de faire les trois mois... Ça t'intéresserait toujours autant, ou est-ce que ton intérêt c'est de pouvoir justement faire d'autres choses à côté ... ?

Benoît .
· - Je pense pas justement, j'aurai du mal à me dire « tiens, pendant trois mois je vais faire ça » ou alors déjà me dire genre une semaine avant « tiens tel jour je vais faire ça ». [...] Et puis tout simplement tu peux te lever le matin et ne pas avoir envie d'aller marcher... C'est vrai que c'est pratique, ils nous obligent pas à nous inscrire forcément. [...] Et puis surtout ça dépend comment je me couche aussi, parce que je sais jamais à quelle heure je vais me coucher... En faite ça peut être 23h, comme ça peut être 3h du matin. Suivant quelle heure tu te couches, tu sais pas comment tu vas te lever. J'arrive pas à m'imposer de me coucher à telle ou telle heure pour me dire « tiens demain y a la rando de Bernard il faut que je me lève à quelle heure ? » J'ai un peu du mal à faire ça...

Même chose pour Véronique qui aurait eu du mal à s'engager dans une action qui impose une présence régulière :

Enquêteur .
· - [...] Et quand t'as décidé de venir à « En Avant Toute ! », tu savais que tu pouvais venir quand tu le voulais et tout... ?

Véronique .
·
(me coupe) - Oui. Ouais, ça j'avais pigé tout de suite,

ouais.

Enquêteur .
· - Et ça, du coup, ça te permettait de... Enfin... Si ça avait été autrement, ça t'aurai toujours intéressée ou... ?

101

Véronique .
·
(me coupe) - Si y avait eu un engagement à tenir ? Non. Parce que quand on est dans cet état là, comme c'est mon cas, on peut pas s'engager dans quoi que ce soit. Donc, euh, c'est mon avis hein. Déjà à côté je m'engage pas, je ne m'engage plus dans les loisirs tout ça, je ne m'engage plus, la seule chose dans laquelle je m'engage pour l'instant, c'est mon jardin, donc effectivement si y avait eu un engagement « être obligée de » non je crois que ça m'aurait fait peur ça par contre...

Elle apprécie la formule souple d' « En Avant Toute ! »

Véronique .
· - [...] Moi je trouve que c'est une formule assez souple, et moi je trouve que pour l'instant, tel que c'est là, ça me convient. [...] C'est assez adéquat, c'est une formule... Comment on appelle ça ?
(elle cherche) Je sais plus... (ça lui revient) « à la carte ! » quelque part. Et on choisit ce qui nous fait du bien. Et parce que quand on est vraiment mal, s'engager, ou être obligé de faire quelque chose, on n'a pas envie hein. Et là, c'est une formule souple.

Françoise partage cet avis :

Enquêteur .
· - Et c'est important qu'on vous laisse le choix de venir ou non aux activités ? Est-ce que t'aurais pu t'engager dans une action similaire mais qui durerait plusieurs semaines ou mois, et où tu devrais venir tous les jours ?

Françoise .
· - Bah pour moi ça serait difficile, parce que je suis pas assidue justement. Et j'ai du mal sur la durée. A ce niveau là c'est vrai qu'ils sont plus souples à « En Avant Toute ! », mais faut prévenir vingt quatre heures avant, et déjà ça c'est difficile quelque fois, de prévenir... Donc oui, le principe il est bien. Et quelque fois on arrête... Moi je me suis vu arrêter plusieurs semaines voir plusieurs mois, mais toujours revenir. Finalement, je suis toujours revenue parce que ça me manquait. Parce que à côté, comme y a rien, forcément... Et puis même, t'as besoin de ça...

102

5. Enjeux d'une approche réfléchie et militante

Nous l'avons vu au cours de notre étude, par rapport à d'autres actions de remobilisation par le sport destinées à des publics éloignés de l'emploi, « En Avant Toute ! » diffère sur de nombreux points. Dans son architecture, on a pu observer que le cadre est beaucoup plus souple, les activités proposées visent davantage le regain de confiance en soi plutôt que la performance et l'apprentissage de l'effort. Au niveau de l'encadrement, on remarque que les éducateurs sportifs n'évoquent presque jamais l'insertion professionnelle et évitent toutes réflexions jugeantes ou culpabilisantes.

Lorsque nous nous sommes interrogés sur la cause de ces différences, nous nous sommes rapidement aperçus qu'elle n'émanait pas d'une volonté de l'institution de proposer une action sous des modalités plus « humaines ». Au contraire, le Conseil Général s'inscrit parfaitement dans un discours politique ambiant prônant l'activation des chômeurs par la « redynamisation » et le travail sur l'employabilité dans l'optique d'un retour rapide à l'emploi. En fait, si l'action a pris cette tournure, c'est sous l'effet de quelques ajustements développés par les encadrants, surtout par Bernard Moulin qui est aux commandes de l'action depuis ses débuts. C'est lui qui a choisi de développer une action ouverte à tous les publics et où la participation se fait sur un principe d'adhésion. Les personnes inscrites sont donc libres de venir ou non aux activités. Qualifiés « d'irréductibles indépendants » par le directeur de l'insertion du Conseil Général, les éducateurs sportifs d' « En Avant Toute ! » souhaitent travailler effectivement dans une certaine autonomie. Pour autant, la pression du Conseil Général reste très élevée puisqu'elle subventionne l'action à hauteur de 80%, subvention qu'elle reconduit, pour l'instant, année après année. Ce partenariat implique dès lors une contrepartie. Ainsi, le Conseil Général aimerait pouvoir s'assurer de l'efficacité de l'action, et exige une certaine transparence vis-à-vis des résultats. Mais les encadrants d' « En Avant Toute ! » estiment ne pas être des assistantes sociales, c'est pourquoi, ils revendiquent sans cesse de ne pas avoir à « pister les gens ». C'est pourquoi, ils ne livrent que des « généralités » lors de ces évaluations, et ne cherchent pas vraiment à savoir à tout prix ce que deviennent les personnes qui sont passées par l'action, et si oui ou non, elles ont retrouvé un emploi. L'objectif est ailleurs, celui de permettre aux personnes d'aller mieux.

Et quand on s'entretient avec les participants d' « En Avant Toute ! », on s'aperçoit que cela fonctionne. Cela se vérifie également par l'observation durant

103

laquelle on a pu remarquer de grands pas en avant pour certaines personnes et cela en moins de six mois.

Si cela fonctionne si bien, c'est bien parce que l'action a su adapter son offre sportive à ce public fragilisé (et non l'inverse) en se détachant progressivement de la logique d'activation souhaitée par l'institution. Les entretiens le confirment, la souplesse du cadre a permis à de nombreuses personnes de s'inscrire et de participer, même périodiquement, aux activités.

Toutefois, il faut souligner que l'approche particulière que propose « En Avant Toute ! » n'aurait probablement pas pu se développer ainsi sans une réflexion de Bernard Moulin sur sa propre pratique, et sans un brin de militantisme.

En effet, Bernard Moulin a travaillé à la réalisation d'un ouvrage expliquant le

sens de son action, sa manière de travailler, et son propre rapport au sport. Ce livre écrit

en collaboration avec Serge Guilbaud, intitulé « Sport, emploi, et performances...

sociales. Être ou avoir ? 165 », lui a permis de prendre du recul sur sa pratique :

Bernard : - Euh... Le bouquin, ça m'a permis, parce que pendant plusieurs années, pendant... Florent est avec moi, depuis, trois ans, quatre ans, je sais plus... Donc, pendant au moins huit ans, j'étais tout seul. Tout seul, un peu le nez dans le guidon comme on dit... Sans trop de recul, y avait aucun écrit sur ce type de travail là, donc le bouquin ça m'a permis de prendre du recul sur ma pratique, sur mes pratiques... Sur mes pratiques de vies professionnelles, sportives, et le fait de prendre ce recul, faire ce livre, ça a été un outil de travail pour moi, parce qu'on me demande souvent ce que je fais... Au départ, j'avais que la parole, maintenant, j'ai les supports, et le livre c'est un support... [...] J'ai pu mettre des mots sur ce que je vivais et ça c'était important. Toute cette recherche là.

Une réflexion et une recherche alimentée par la lecture de nombreux ouvrages sur les thèmes du sport (y compris des ouvrages de sociologie critique du sport), l'emploi, la pauvreté, l'économie, l'éducation, etc. :

Bernard : - [...] Et bon, toutes ces lectures là m'ont aussi aidé bon,

euh... A avoir une autre vision, de mon poste, mais aussi de l'emploi en

165 Moulin B., Guilbaud S., Sport, emploi, et performances... sociales. Être ou avoir ?, édité à compte d'auteur, 2009

104

général. Hein... Et de l'école, et de tout ce que j'ai vécu. Donc pour moi, c'était vraiment prendre du recul, sur ... Ma, mes pratiques.

Pour lui, cette remise en question de sa ou ses pratiques est très importante :

Bernard : - [...] Que ce soit dans tous les postes que j'ai eu, au travail... Et dans le sport... Pourquoi on fait tel sport ? [...] Je suis jamais resté enfermé dans une pratique, [...] dès que je me suis mis dans une pratique, je vois le kayak... J'ai été formateur très vite, et j'ai fais progressé le kayak à mon niveau, sur le kayak de mer. J'ai écrit un livre aussi là-dessus. Ici, pareil, dans le boulot d'éducateur sportif, c'est pareil, il n'y avait rien d'écrit là-dessus. Je me suis fais aussi mon outil de travail, Dès que je rentre quelque part, si ça me plaît pas... Je vais faire en sorte de faire progresser l'action, la pratique, ... Donc ça te permet de te questionner, sur ce que tu veux faire... Bon, voilà... Je suis pas ambitieux dans le sens, pour arriver à... Je suis ambitieux dans le fait que je veux être ce que je suis. Et ça c'est vachement important.

Enquêteur : - Ok. Donc ouais, il faut garder une certaine ouverture d'esprit sur...

Bernard : - (me coupe) Bien sûr. D'être curieux ! Ça c'est important.

Une curiosité intellectuelle qu'il a su associer à un brin de militantisme. Pourquoi parler de militantisme ? Selon nous, « En Avant Toute ! » est une action véritablement militante au sens où elle a su se développer sous cette approche particulière malgré la pression du principal financeur davantage dans une logique d'activation des publics, et, malgré le climat ambiant de « soupçon » qui règne en France vis-à-vis des « assistés ». Elle a su se développer en dehors d'un cadre institutionnel bien trop embourbé dans une logique privilégiant l'économique au social ou à l'humain. Cela parfois au prix de nombreuses déconvenues comme la nécessité de trouver de nouveaux financeurs ou d'effectuer de nouveaux partenariats (avec le CAFP et l'IBEP).

C'est pourquoi il nous semble important que chaque professionnel travaillant dans ce type d'action ou plus largement auprès de publics fragilisés sorte des logiques technocratiques et procédurales pour « inventer des postures sociales capables de

105

résister à l'utilitarisme ambiant pour donner tout son poids, toute sa dignité à la fragilité166. » comme le clame Jean Lavoué. Car aujourd'hui, on l'a vu, la logique d'activation et de responsabilisation demandent aux citoyens les plus fragiles « une implication, une responsabilisation et un engagement toujours plus grands ! Générant une pléthore d'individus victimes et abattus », elle exige de ces derniers « une exigence de ressources et d'énergie plus grande encore.167 » ce qui pourrait manquer de pertinence et de logique pour quiconque s'y attarde un peu. Jean Lavoué se demande même si le concept de « résilience » si souvent convoqué auprès de ces publics fragiles n'est pas en fin de compte « au service de cette machine à exiger toujours plus de l'individu qui caractérise le néolibéralisme168», pour permettre à ces personnes de « supporter l'insupportable169 ».

Ainsi, aujourd'hui, le rôle de l'éducateur auprès de publics en difficulté a été transformé. Il a quitté « les eaux tranquilles de la légitimité fondée sur une société consciente de ses devoirs de solidarité, au nom des droits de l'homme et du citoyen, pour chaque être qui la constitue. Dans un monde où la valeur se mesure à l'utilité, à la responsabilité, à la contribution, le métier d'éducateur se voit confier la mission de participer à raccorder le plus grand nombre d'individus à la logique consumériste et productrice à laquelle se réduit leur reconnaissance170. »

Pour sortir de cette logique utilitariste, Jean Lavoué nous donne quelques grands axes et pistes à explorer par les professionnels du social :

Tout d'abord, il faut « apprendre à référer la nature des difficultés vécues non à la seule sphère psychologisante et individualisante, mais encore à la réalité sociale. Les problématiques des souffrances individuelles et familiales sont aussi et avant tout des problématiques sociales ! Elles ne relèvent pas d'une seule vision thérapeutique ! Bref ! Ne pas croire que l'éducation spécialisée pourrait se réduire à la seule rééducation comportementale de l'individu171. » En ce sens, il faut arrêter de considérer les chômeurs comme les seuls et uniques responsables de leur situation. Il faut les resituer dans un contexte économique en crise.

166 Lavoué J., « Face aux souffrances sociales : évolution, enjeux et principes de l'éducation spécialisée », in Le métier d'éducateur spécialisé à la croisée des chemins, Sous la direction de Conq N., Kervella J.-P., Vilbrod A., Coll. Travail du social, L'Harmattan, Paris, 2010, p.195

167 Ibid., p.190

168 Ibid., p.192

169 Ibid., p.195

170 Ibid., p.193

171 Ibid., p.195

De même, il recommande aux professionnels du social de s'inscrire davantage comme des acteurs de réseau car c'est « à partir de ces réseaux qu'il [l'éducateur] pourra encourager la création de liens pour les jeunes et les adultes qu'il accompagne172 ». C'est ce que fait Bernard Moulin à « En Avant Toute ! » quand il parle de « tirer sur plusieurs fils à la manière d'un marionnettiste ».

Enfin, les éducateurs doivent prendre place dans les débats sur le sens et l'avenir de notre société, quitte à lutter contre les préjugés en vigueur. Là-aussi, il me semble que c'est un travail militant que fait Bernard Moulin en allant présenter son action dans divers colloques ou instituts de formations.

Ce sont bien là les enjeux à venir d'une approche réfléchie et militante des actions d'insertion par le sport, et plus largement, de toutes les actions, institutions ou associations qui travaillent avec des publics en difficulté.

106

172 Ibid., p.194

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld