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La redynamisation des "assistés" par le support du sport. Le rôle des encadrants comme possible inflexion d'une logique portée par l'institution ? le cas d'une action atypique de remobilisation par l'activité physique.


par Clément Reussard
Université de Bretagne Occidentale - Master 2 SSSATI 2012
  

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Partie III - L'insertion par le sport comme

paradigme des politiques d'activation

Une action comme celle menée par « En Avant Toute ! » dans le Finistère sud, proposant des activités physiques à des personnes éloignées de l'emploi, est moins singulière et isolée que l'on serait tenté de le penser. En effet, François Le Yondre, maître de conférences en sociologie du sport à l'université Rennes 2, a mené récemment une thèse124 sur des « stages de redynamisation par le sport » destiné à des allocataires du RMI.

Pour mener à bien son travail, il a réalisé une observation participante au sein de deux stages de ce type essentiellement financés par des Conseils Généraux dans le cadre de leur politique sociale. La lecture de cette thèse a joué un rôle crucial dans notre travail, puisqu'elle viendra nourrir abondamment notre propre analyse de l'action menée par « En Avant Toute ! ».

Avant de nous intéresser aux similitudes et différences entre les stages étudiés par Le Yondre et « En Avant Toute ! », et aux possibles effets de ces dernières, nous tenterons de faire ressortir de manière synthétique les grandes idées développées par Le Yondre au cours de son étude. Celles-ci nous permettront ensuite de formuler une problématique à laquelle nous tenterons de répondre dans la quatrième et dernière partie.

1. Une convocation du sport par l'institution loin d'être anodine

1. Rappel : l'assistance passe par l'activation des publics assistés

Pour comprendre, pourquoi le sport est convoqué dans le rapport d'assistance, il nous faut obligatoirement tenir compte du contexte dans lequel nous sommes. Cela fait

124 Le Yondre F., Vrais chômeurs et vrais sportifs. Le sport face au chômage comme instrument disciplinaire ou support de tactiques identitaires : des catégories sociales en jeu, 2009.

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écho à ce que nous avons déjà évoqué précédemment dans la partie intitulée « Du welfare au workfare : mise en place de politiques d'activation et de responsabilisation des pauvres ».

Ainsi, nous avons assisté ces dernières années à un changement de paradigme puisque nous sommes passés d'un Etat-Providence à un Etat social actif. Nous l'avons vu, désormais les politiques d'assistance doivent inciter au travail. Ce changement de paradigme se traduit par un principe d'activation mais aussi de responsabilisation. Le Yondre explique que ce nouveau paradigme « promeut la responsabilité individuelle au premier rang, au risque d'accroître les sentiments de culpabilité chez les bénéficiaires de la protection sociale, et au risque de minimiser la dimension sociale du risque. Celui-ci ne serait plus subi par l'individu pris dans la conjoncture défavorable des déterminants globaux comme le suggérait l'État-Providence et sa protection inconditionnelle. L'activation suppose un risque à gérer par l'individu et qu'il doit dépasser en se mobilisant lui-même125. »

Pour mieux saisir l'idée, relisons la définition que donne Peter Abrahamson des politiques d'activation : « Retenons ici l'idée du « donnant donnant » [qui] est au fondement du principe de l'activation qui implique des droits et des devoirs. On peut concevoir ce principe comme découlant d'une responsabilité accrue de l'individu dans la mesure où c'est à ce dernier qu'il incombe d'améliorer sa qualification en prenant part à différentes mesures d'activation126. » Prendre part à différentes mesures d'activation pour montrer sa volonté de trouver un emploi est finalement devenu une condition de la perception du revenu minimum. Ce principe est selon Morel « une façon de contrôler l'action économique des pauvres « employables » sous la forme d'une relation « contribution-rétribution », conformément aux modalités de distribution du revenu en vigueur dans la société salariale. En ce sens, lier la prestation à l'insertion permet de préserver les fondements de l'ordre social127. »

Si cette logique d'activation prédomine aujourd'hui dans le traitement de la pauvreté par la société, Le Yondre rappelle qu'elle n'existerait pas « sans le soupçon latent d'assistés prêts à bénéficier des droits sans en assumer de devoirs128. » Ce

125 Le Yondre F., Vrais chômeurs et vrais sportifs..., 2009, p.230.

126 Abrahamson P., « La fin du modèle scandinave ? La réforme de la protection sociale dans les pays nordiques », Revue française des affaires sociales, 2005/3 n° 3, p. 105-127.

127 Morel S., Les logiques de la réciprocité. Les transformations de la relation d'assistance aux Etats-unis et en France. Paris, PUF, 2000, p.210.

128 Le Yondre F. « Des corps incertains. Redynamisation des chômeurs par le sport. », Le sociographe, n°38, 2012, p.88.

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soupçon latent qui pèse sur les assistés, et que nous avons déjà évoqué plus haut, a certainement contribué au développement des formes de « contractualisation » au sein du travail social. Celles-ci permettent de mettre en avant à la fois les droits, mais aussi (et surtout) d'insister sur les devoirs. C'est cette philosophie qui caractérise les « contrats d'insertion » qu'ont dû signer tous les allocataires du RMI129 qui ont participé aux stages de redynamisation par le sport étudiés par Le Yondre. Ces stages font ici figure de « démarche d'insertion » et se présentent comme une obligation contractuelle conditionnant la perception du revenu minimum.

De fait, si ces stages de redynamisation par le sport existent, pour Le Yondre « il s'agit bien de réactiver l'individu en le relançant dans un rapport social de réciprocité où l'obligation envers autrui redevient motrice de l'activité, voir de l'action. » 130

Le Yondre interprète cette activation sportive comme un « analogon du travail ». Il précise sa pensée : « Disons brutalement que l'allocataire paie de son corps, en l'activant sportivement à défaut de pouvoir l'activer professionnellement, afin que la relation assistancielle demeure une relation réciproque, et surtout afin d'attester, auprès de tous et de façon ostensible, sa conformité à la norme de l'individu dynamique, entreprenant et responsable, voire de la norme du travail. Le sport interviendrait alors comme un analogon du travail dans une situation où, celui-ci fait cruellement défaut, sous forme d'emploi. »131

Toutefois, la convocation du sport pour ce type d'action d'insertion ne s'arrête pas à ces explications.

2. Lien établi entre corps inaptes et chômage prolongé, une déviance à corriger

Le Yondre fait apparaître une autre logique qui vient expliquer en partie le recours au sport pour ce type de public : il s'agit de responsabiliser leur rapport au corps.

En effet, Le Yondre met en avant un dénominateur commun aux publics des stages qu'il a observés : quasiment toutes les personnes sont caractérisées par une « problématique de santé », dixit le jargon des travailleurs sociaux. En fait, il s'agit une « difficulté du rapport au corps » qui est perçue par ces derniers comme un obstacle au

129 RMI : Revenu Minimum d'Insertion

130 Le Yondre F. « Des corps incertains... », Le sociographe, n°38, 2012, p.88.

131 Le Yondre F., Vrais chômeurs et vrais sportifs..., p.201.

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retour à l'emploi. Le Yondre évoque les différents cas : « Dans ces problématiques sanitaires, on retrouve essentiellement des cas d'obésité ou de surpoids, d'alcoolisme et plus marginalement, de toxicomanie, d'anorexie ou d'agoraphobie132. »

Le Yondre a relevé cette intention de responsabilisation du rapport au corps au sein même des énoncés de présentation des stages observés. Ces énoncés font clairement le lien entre pathologie et responsabilité individuelle puisque les assistés sont jugés trop négligents vis-à-vis de leur corps. Ces courts extraits d'énoncés recueillis sur des documents de présentation du stage et commentés par Le Yondre permettent de mieux saisir cette responsabilisation (en italique, les extraits directement issus des énoncés des stages) :

« À l'origine de ces problèmes de santé, « certains bénéficiaires du RMI négligent la représentation de leur corps ». Face aux conséquences de cette négligence, la pratique sportive se présente comme un remède : « les activités sportives nécessiteront une acquisition de réflexe de propreté et d'hygiène par des changements de vêtements, des temps de douche... ». Le sport serait donc le support d'un apprentissage des normes corporelles basiques liées à l'hygiène ou à l'équilibre alimentaire. La responsabilité individuelle est clairement ciblée. Malgré la problématique de santé, la logique du soin (médical) est associée à celle de l'activation de la responsabilité individuelle133. »

En clair, pour Le Yondre toutes les personnes en problématique de santé ciblées par ces stages sont définies par l'institution comme « les victimes et les responsables de leur pathologie134. » Au-delà d'une logique de soin médical, il fait observer que « ces maladies sont également reportées sur la responsabilité de l'individu ; sa volonté, son abnégation et son engagement seraient les conditions de son rétablissement corporel et de sa réinsertion professionnelle135. »

À qui s'adressent ces stages ? Pour lui, la proposition de sport s'adresse à une catégorie de population que l'aptitude corporelle incertaine situe à un intermédiaire entre employables et inemployables. « Les assistés sportifs sont finalement à la frontière entre les allocataires inaptes corporellement et dédouanés du devoir de contribution par le travail et les allocataires aptes enjoints à se prendre en charge. Toutefois, en ayant

132 Le Yondre F. « Des corps incertains. Redynamisation des chômeurs par le sport. », Le

sociographe, n°38, 2012, p.88-89.

133 Ibid.

134 Ibid., p.90.

135 Ibid.

intégré le dispositif RMI et ce stage de sport, ils sont bien catégorisés comme des assistés aptes à travailler à condition d'un rétablissement corporel qui passe par un rétablissement éthique136. »

Il s'intéresse également à la terminologie des termes employés dans les énoncés de stage et s'arrête sur l'utilisation du terme « redynamisation » par le sport qui figure dans l'intitulé des deux stages qu'il a observé et qui selon lui témoigne d'une intention de transformer la temporalité de l'assisté. Pour lui, cela « suggère explicitement que le sport soit une activité propre à insuffler un dynamisme à des individus qui en manquent137. »

Malgré la problématique de santé, la logique de soin permettrait de corriger la déviance des individus inaptes tout en s'associant à la logique d'activation de la responsabilité individuelle déjà évoquée. La proposition de sport s'érigerait alors comme « un moyen de lutter contre ce que les économistes nomment la dégénérescence du capital humain, soit la transformation du corps des chômeurs de longue durée en corps inaptes138. » Nous allons voir comment ces actions tentent de lutter contre cela.

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136 Ibid., p.90-91.

137 Ibid.., p.86.

138 Ibid., p.91.

3. Le sport comme dispositif

À travers sa thèse, Le Yondre fournit une description très fine et détaillée des stages qu'il a pu observer et étudier en s'arrêtant sur les modalités qui encadrent la proposition de sport aux chômeurs. Il les analyse sous l'angle d'un « dispositif » au sens foucaldien du terme c'est-à-dire comme « un ensemble résolument hétérogène, comportant des discours, des institutions, des aménagements architecturaux, des décisions réglementaires, des lois, des mesures administratives, des énoncés scientifiques, des propositions philosophiques, morales philanthropiques, bref : du dit, aussi bien que du non-dit, voilà les éléments du dispositif139. »

Utilisant cette perspective foucaldienne, Le Yondre formule l'objectif que pourrait desservir ce dispositif d'activation sportive comme une « reconstruction de l'employabilité du corps des assistés afin de les rendre potentiellement productifs et d'éviter qu'il ne menace les normes corporelles en vigueur et au fondement du système productif140. »

À partir de ce postulat, Le Yondre a pu faire ressortir la philosophie politique à l'origine de ces « lieux stratégiques » en s'intéressant à leur « architecture ». Dans la pensée de Foucault, l'architecture englobe tout ce qui permet de faire fonctionner le dispositif tel qu'il fonctionne. Ici, il s'agit par exemple du règlement, du type d'activités physiques proposées, des procédures de recrutement qui régissent ces stages, etc. Cela doit bien sûr être analysé à la lumière des politiques sociales dans lesquelles ils s'intègrent.

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139 Foucault M., Dits et écrits. Tome II, 1976-1988. Paris, Gallimard, 2001.

140 Le Yondre F., Vrais chômeurs et vrais sportifs..., 2009, p.182.

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Le Yondre a résumé les principales caractéristiques des stages qu'il a observés sous forme d'un tableau récapitulatif 141 :

Tableau 9 - Présentation des stages étudiés par Le Yondre

Que peut-on observer à la lecture de ce tableau ?

Premièrement, on observe que les intitulés mettent l'accent sur le « dynamisme » censé être véhiculé par le sport. Pourtant, ils diffèrent légèrement, le stage A faisant directement allusion à l'insertion professionnelle tandis que le stage B ne parle lui que de « vie sociale ». Néanmoins, de nombreuses similarités se dégagent :

- Tous deux sont financés (quasi-exclusivement) par le Conseil Général de leur département.

- Tous deux sont adressés en priorité aux bénéficiaires du RMI.

- Tous deux demandent comme pré-requis une condition physique acceptable (visite médicale ou test sportif)

- Tous deux sont destinés à des groupes d'une douzaine de personnes.

141 Le Yondre F., Vrais chômeurs et vrais sportifs..., 2009, p.161.

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De plus, on apprend dans l'étude de Le Yondre que les stagiaires doivent respecter un règlement intérieur, et se présenter à chaque séance, comme l'indique un extrait du règlement du Stage A142 :

I- ASSIDUITÉ

Les stagiaires sont tenus de participer à toutes les activités correspondant à leur formation et aux applications qui en découlent.

Les absences pour raison de maladie ou d'accident sont justifiées par un certificat médical, ou cas de force majeur avec justificatif transmis au responsable pédagogique sous 48 heures. Les rendez-vous doivent être pris sur les temps libres

II- HORAIRES

Les stagiaires sont tenus de respecter strictement les horaires du programme. En cas de retard, les professeurs et animateurs refuseront l'accès au cours. Dès lors, le retard est considéré comme une absence et prive des avantages liés à la présence.

III- SORTIES

Les sorties pendant les heures de cours sont interdites (sauf autorisations particulières justifiées) et accordées par le responsable de l'association.

Tout stagiaire quittant les lieux sans y être autorisé n'est plus sous la responsabilité de l'association.

IV- EMPLOI DU TEMPS

Un emploi du temps est communiqué aux stagiaires en début de cycle.

V- ÉVALUATIONS

Les stagiaires doivent se soumettre obligatoirement aux obligations.

X- DISCIPLINE GÉNÉRALE

Pour répondre à l'objectif du stage, tout stagiaire se doit d'effectuer en dehors des heures de cours, des actions de recherches d'emplois.

On observe également quelques différences surtout en ce qui concerne le choix des activités sportives. Le stage A propose de la course à pied, de la natation, de la musculation, et du golf tandis que le stage B propose du stretching, du yoga, et de la gymnastique douce en plus de la course à pied.

Reprenant une qualification établie par Bernard Jeu143, Le Yondre fait la distinction entre deux logiques représentées par les sports proposés par le stage A et B. Le premier propose des sports « apolliniens », à l'inverse du second qui propose des sports « dionysiaques ». Cette dénomination mérite quelques explications.

Les sports « apolliniens » sont ceux qui valorisent la force, la mesure, le courage et la recherche du dépassement de soi (alors que le plaisir et l'esthétique restent secondaires). Les stagiaires sont invités à formuler des objectifs personnels pour ensuite tenter de les accomplir dans une logique de progression. Les énoncés du stage mettent l'accent sur les notions d'évaluation, d'objectif mais aussi d'apprentissage de l'effort.

142 Le Yondre F., Vrais chômeurs et vrais sportifs..., 2009, p.216-217.

143 Jeu B., Analyse du sport. Paris, PUF, 1987.

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Pour Le Yondre, cette notion « d'apprentissage de l'effort » suggère précisément « d'une part, que l'effort reste à apprendre et qu'il fait défaut aux chômeurs et, d'autre part, que le sport (tel qu'il est conçu ici) permet cet apprentissage144. » C'est bien les notions d'apprentissage de l'effort, et de redynamisation des corps inaptes qui sont visées par cette conception du sport.

Les sports « dionysiaques » sont eux d'une autre logique. Bien qu'ils interviennent sur le corps également, cela se fait d'une façon plus douce ou sensible. Ces activités, comme le chant ou le yoga, permettent d'explorer son corps, de le penser, de mieux le connaître afin de mieux le maîtriser. L'idée, c'est que penser son corps se poste contre un laisser-aller de soi, pour aller dans le sens d'une « restauration d'un rapport responsable avec son corps145. » L'objectif est « de se connaître et utiliser ses pleins potentiels'46 » pour reprendre les termes énoncés par le stage B. Pour Le Yondre, dans cette proposition d'activité sportive, il y a quelque chose qui relève d'une certaine instrumentalisation de l'intime.

Le Yondre observe un double temps dans cette instrumentalisation : « Construction d'un corps comme matière contenant l'identité substantielle de l'individu à qui il appartient de se connaître d'abord, et mise en exergue (et à profit) de cette connaissance dans la perspective de l'insertion professionnelle ensuite. Il y a donc une conception du corps qui est diffusée et qui associe le corps à la singularité de l'individu. Le corps contient l'essence de chacun. Mais cette forme d'intimité doit, dans un deuxième temps, être rendue visible afin de passer de l'essence révélée à la quintessence instrumentalisée (« utiliser ses pleins potentiels »). Le sport est donc bien conçu comme une occasion offerte à l'individu de se réapproprier son corps, mais l'usage qu'il est enjoint à faire de cette propriété reconquise intervient comme un contre-don répondant à la faveur qui lui a été accordée'47. »

Pour Le Yondre, il y a ici intention de construire ou renforcer l'intimité propre à chacun, avant de l'instrumentaliser dans la perspective du maintien de l'ordre social. Pour lui, il s'agit bien là d'une nouveauté ou d'une tendance récente des politiques sociales dont le pouvoir institutionnel continue de s'exercer mais devient de plus en plus invisible. En effet, « L'exercice du pouvoir exercé de haut en bas et venant écraser

144 Le Yondre F. « Des corps incertains...», Le sociographe, n°38, 2012, p.87.

145 Ibid.

146 Ibid.

147 Le Yondre F., Vrais chômeurs et vrais sportifs..., p.234.

l'individu ouvertement laisse sa place à un pouvoir plus médiatisé et privilégiant la stimulation de l'individu. »148

Le Yondre dénonce donc à travers l'analyse des dispositifs de ces deux stages une intention dissimulée de l'institution de discipliner les corps et d'instrumentaliser l'intime des assistés. Par une double-activation, aussi bien sur les valeurs de l'individu et que sur le corps lui-même, le sport comme outil des politiques d'activation se présente bel et bien comme paradigmatique de cette tendance des politiques sociales actuelles.

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148 Le Yondre F., Vrais chômeurs et vrais sportifs..., p.234.

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2. Problématique

Le travail mené par François Le Yondre nous a permis de désenchanter à bien des égards notre vision de la proposition sportive destiné à des publics chômeurs dans le cadre d'un contrat d'insertion. À leur étude, il s'avère que ces stages ne sont clairement pas conçus dans le but d'une ouverture à la pratique sportive pour des publics démunis dans une logique de sport pour tous.

Pourtant, la convocation du sport de plus en plus courante dans ce type d'action d'insertion interpelle à juste titre, car loin d'être anodine dès lors que l'on s'y attarde un petit peu. Comme nous venons de le voir dans la troisième partie de notre étude, l'institution y a recours dans un but précis, à savoir reconstruire l'employabilité des stagiaires par la transformation des corps et du rapport à soi. Ce type d'action incarne de façon paradigmatique une logique d'activation des pauvres, issu d'un contexte que nous avons longuement évoqué au cours de notre première partie.

Dès lors, l'institution détient un certain pouvoir sur les assistés, même si celui-ci est moins perceptible qu'un pouvoir de haut vers le bas, et si paradoxalement, il repose finalement sur l'adhésion des assistés. Ces derniers adoptent des « tactiques identitaires » en adhérant ou non à la vision du sport contractuel puisque « au-delà du caractère injonctif de cette pratique sportive, il y a non seulement une possibilité de pratiquer une activité socialement (sur)valorisée, mais surtout une possibilité d'être clairement identifié par l'institution. »149 En s'accommodant de cet espace qui leur permet d'accéder à une conformité apparente, certains adoptent cette conception institutionnelle du sport afin d'en satisfaire une autre plus personnelle en redéfinissant ainsi les façons d'être un assisté. En étant « autrement » un assisté sportif, ils sont différemment assistés et négocient l'identification catégorielle dont ils sont l'objet.

C'est l'objet de la troisième partie de la thèse de Le Yondre dans laquelle il distingue quatre grandes tactiques identitaires employées par les stagiaires : l'adhésion, le retrait, le renversement du stigmate, et le renforcement du stigmate. Il démontre ainsi que les assistés détiennent une légère marge de manoeuvre en choisissant d'adopter l'une ou l'autre tactique. Toutefois, Le Yondre ne manque pas de souligner qu'il s'agit en fin de compte d'adopter l'un de ces « rôles à création prescrite » (par l'institution) au sens de Martucelli : « Bien entendu, il s'agit de rôles et non pas de créativité ou de

149 Le Yondre F. « Des corps incertains...», Le sociographe, n°38, 2012, p.88-89.

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liberté. L'action est restreinte, encadrée, sa signification ultime lui est octroyée de l'extérieur150. » La marge de manoeuvre dont dispose les assistés est donc très limitée.

À notre arrivée sur le terrain de stage, nous avons tout de suite été frappés de constater un décalage important entre ce que propose « En Avant Toute ! », et ce que semble proposer les stages décrits dans la thèse de Le Yondre. Le caractère injonctif de la proposition sportive comme analogon du travail y semble beaucoup moins prégnant. En effet, comme nous avons déjà pu le percevoir au cours de notre deuxième partie, le dispositif de l'action diffère sur de nombreux points : l'action n'est pas uniquement destinée aux personnes allocataires du RSA dans le cadre d'un contrat d'insertion, les personnes inscrites peuvent venir aux activités qu'elles souhaitent (et à l'inverse ne pas venir quand elles ne le souhaitent pas), et les activités proposées semblent assez éloignées de celles observées par Le Yondre (décrites comme des sports « apolliniens » ou « dionysiaques »).

Ces différences vont susciter de nombreuses questions tout au long de mon stage, questions auxquelles nous avons tenté d'apporter des éléments de réponses par une enquête aboutissant sur la réalisation de ce travail de mémoire.

Pourquoi ces différences ? Sont-elles le souhait de l'institution, à savoir le Conseil Général du Finistère ? Si oui, qu'est-ce qui la pousserait à proposer à des publics assistés une action de redynamisation par le sport sous les modalités d'« En Avant Toute ! » ? Et si non, comment expliquer ces différences et qu'est-ce qui en est à l'origine ?

Et c'est par ce questionnement que nous en arrivons à soulever une autre question tout aussi intéressante : quelle rôle joue les encadrants dans ce type de dispositif et ont-ils une influence sur l'impact de l'action ?

Cette hypothèse était déjà suggérée de la manière suivante dans le travail de Le Yondre : « Dans quelle mesure la logique de l'activation est-elle nuancée par les encadrants ? 151 » même si peu approfondie dans sa thèse dont l'objet d'étude porte davantage sur les tactiques identitaires des assistés.

Nous verrons que ce questionnement s'impose telle une évidence dans le cas de notre étude d'« En Avant Toute ! » tant le rôle des encadrants y est prégnant dans la mise en oeuvre de la proposition sportive.

150 Martucelli D., Grammaire de l'individu, Paris, Gallimard, 2002, p.156-157.

151 Le Yondre F., Vrais chômeurs et vrais sportifs..., 2009, p.234.

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Pour finir, nous nous demanderons quel est l'impact sur le public de l'approche particulière développée par la philosophie politique d' « En Avant Toute ! ».

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"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard