Conclusion
À travers cette étude, nous souhaitions nous
intéresser au rôle des encadrants au sein des actions de
remobilisation par l'activité physique destinées à des
publics éloignés de l'emploi.
Pour cela, nous nous sommes dans un premier temps
imprégnés du travail réalisé par François Le
Yondre en 2009 dans le cadre de sa thèse de doctorat intitulée
Vrais chômeurs et vrais sportifs. Le sport face au chômage
comme instrument disciplinaire ou support de tactiques identitaires : des
catégories sociales en jeu. Ce travail avait démontré
à travers l'analyse approfondie de deux dispositifs de redynamisation
par le sport que la convocation de ce dernier dévoilait une intention de
l'institution de travailler sur l'employabilité des participants par la
disciplinarisation des corps et la transformation des valeurs.
En effet, au regard d'une analyse foucaldienne de
l'architecture des dispositifs, aussi bien les énoncés des
objectifs que le choix des activités physiques (et surtout l'utilisation
qui en est faite) trahissent une philosophie politique dont la finalité
pourrait se résumer à la « reconstruction de
l'employabilité du corps des assistés afin de les rendre
potentiellement productifs et d'éviter qu'il ne menace les normes
corporelles en vigueur et au fondement du système
productif173. »
Pour mieux comprendre la philosophie politique qui gouverne ce
type d'actions, il faut l'appréhender à la lumière d'un
contexte politique, économique et social dans la mesure où elles
s'inscrivent de manière paradigmatique dans une logique d'activation
(workfare) qui caractérise le traitement de la pauvreté
des sociétés actuelles. Cette tendance aujourd'hui
répandue jusque dans politiques sociales est en fait le prolongement de
l'idéologie économique libérale réintroduite en
politique par Reagan et Thatcher à la fin des années 1970. Elle
porte le deuil des principes de solidarité assurés par
l'Etat-Providence depuis la fin de la Seconde guerre mondiale tout en
prônant l'activation des pauvres qui dépendent de l'assistance.
Cette injonction participe de la responsabilisation individuelle des
assistés qui doivent désormais sortir de leur situation
eux-mêmes en participant à ce type d'actions d'insertion pour
faire preuve de leur
173 Le Yondre F., Vrais chômeurs et vrais sportifs.
Le sport face au chômage comme instrument disciplinaire ou support de
tactiques identitaires : des catégories sociales en jeu, 2009,
p.182.
108
bonne volonté à retrouver un emploi. C'est en
effet dans une logique de « donnant-donnant » que les assistés
sont tenus de respecter un rapport contractuel avec l'institution (et
tacitement avec la société) pour obtenir leurs minima sociaux.
Notre étude s'est focalisée sur une «
action d'autonomie sociale » de remobilisation par le sport
dénommée « En Avant Toute ! » mise en oeuvre dans le
sud Finistère depuis 1998. Une analyse du dispositif laisse rapidement
apparaître des différences significatives par rapport aux stages
de redynamisation par le sport étudiés par Le Yondre, tant au
niveau de l'architecture (plus souple) qu'aux modalités de mise en
oeuvre des activités physiques (davantage axées sur le «
bien-être » et la convivialité).
Nous avons souhaité interroger l'origine de ces
différences par le biais d'une enquête compréhensive
prenant la forme d'une observation participante ainsi que par le recueil
d'entretiens menés à plusieurs niveaux d'interventions du
dispositif : au niveau de l'institution, des encadrants, et des
participants.
Les résultats de cette enquête mettent en avant
le rôle prépondérant qu'ont joué les encadrants dans
le développement d'une approche plus soucieuse de l'humain qui
caractérise l'action. En effet, ces derniers détiennent une forme
de contre-pouvoir au sein du dispositif en utilisant la (relative) autonomie
dont ils disposent pour infléchir la finalité « utilitariste
» de l'institution qui s'inscrit complètement dans une logique
d'activation des « assistés ». Nous avons également
noté que des liens d'interconnaissance permettent de maintenir de bons
rapports avec l'institution.
Si la finalité de l'institution semble atteinte,
même sous des modalités plus humaines, les résultats de
cette étude viennent tout de même poser la question des enjeux
d'une pratique militante et réfléchie des professionnels
encadrants ce type d'action, et plus largement de l'accompagnement des publics
en difficulté.
Les conclusions de cette étude gagneraient à
être complétées par d'autres enquêtes portant
davantage sur l'impact que cette approche plus humaine de la remobilisation par
l'activité physique peut avoir sur les participants. Une enquête
qui viendrait interroger un échantillon de participants plus large et
hétérogène.
Quoi qu'il en soit, ce travail de mémoire m'aura permis
d'enrichir considérablement ma vision du travail social tout en
participant de manière décisive à la perpétuelle
construction de mon identité professionnelle que je souhaite
désormais incarner à travers l'exercice du métier
d'éducateur spécialisé.
109
|