La redynamisation des "assistés" par le support du sport. Le rôle des encadrants comme possible inflexion d'une logique portée par l'institution ? le cas d'une action atypique de remobilisation par l'activité physique.par Clément Reussard Université de Bretagne Occidentale - Master 2 SSSATI 2012 |
4. Un climat social et politique stigmatisant à l'égard des « assistés »Benoît 83 : - « [...] Parce que quand tu entends les gens, c'est un peu, payer les gens à rien faire quoi... » Enquêteur : - « T'entends souvent ce discours là... ? » Benoît : - « Tout le temps, tout le temps ! Tous les gens avec qui j'ai discuté et qui avaient évidemment un travail, quand tu leurs sors ça, ils te regardent mal... S'ils avaient une carabine dans les mains... Ils s'en serviraient je crois. Bon c'est vrai que ça aide pas à se sentir bien... [...] Et en plus souvent les gens qui disent ça, eux-mêmes ils s'en foutent, ils ont eu un boulot facilement, ils ont été pistonné ou alors ils ont eu un boulot depuis tellement d'années qu'ils peuvent plus le perdre donc ils s'en foutent. Tu sais quand t'es dans la galère et qu'on te propose des emplois que d'une semaine ou deux... C'est pas trop motivant quoi. » (Extrait d'entretien) Depuis le début des années 2000, le rejet de l'assistance est devenu un élément structurant des représentations sociales et du débat politique français. Les assistés sont suspectés de profiter du système : nous sommes entrés dans « l'ère du soupçon84 ». Une insécurité sociale qui pousse au rejet de l'assistanat... [...]86. » Pour Duvoux, « la paupérisation des classes populaires, le déclassement effectif d'une partie des classes moyennes et la peur du déclassement qui touche l'ensemble de la population se conjuguent pour alimenter un regard ambigu sur les assistés. Ces tensions entretiennent le mythe du chômeur « volontaire » et la désignation de boucs émissaires, d'autant plus commodes qu'ils sont, à quelques exceptions près, silencieux85. » Il relève toutefois un paradoxe : « les tensions les plus fortes apparaissent entre certaines catégories de travailleurs modestes et les bénéficiaires de l'assistance, alors même qu'ils sont proches sociologiquement 83 Benoît est un jeune homme de 28 ans qui touche le RSA. Le prénom a été changé. 84 Duvoux N., Le nouvel âge de la solidarité. Pauvreté, précarité et politiques publiques, Paris, Seuil, coll. « La république des idées », 2012, p.12. 85 Ibid., p.11. 86 Ibid., p.12. 28 Robert Castel remarque lui aussi un « rabattement de la conflictualité sociale » sur des catégories très proches. Il note « un mélange d'envie et de mépris qui joue sur un différentiel de situation sociale et fixe la responsabilité du malheur que l'on subit sur les catégories placées juste au-dessus ou juste au-dessous sur l'échelle sociale87. » Olivier Schwartz souligne que les classes populaires salariées ont le « sentiment d'être lésées à la fois par les décisions qui viennent du haut et par des comportements qui viennent de ceux du bas, d'être lésées à la fois par les puissants et par les plus pauvres.88 » Quant aux assistés eux-mêmes, Duvoux a observé des discours curieusement très violents à l'égard des « profiteurs ». Pour lui, il s'agit en fait d'un mécanisme de détournement du stigmate. Ainsi, « pour défendre leur dignité, beaucoup reportent le préjugé de l'assisté paresseux ou fraudeur sur d'autres catégories [d'assistés], celles qui sont proches et dont il faut à toute force se différencier89. » C'est ainsi que des tensions apparaissent parmi les populations précaires : les « vieux » critiquent les « jeunes » et inversement, les « blancs » tiennent à se distinguer des « noirs » ou des « arabes » alors que ces derniers accusent les « français » d'ériger des barrières à leur entrée sur le marché du travail, etc. Du reste, les classes sociales plus aisées ne sont pas non plus indifférentes à l'assistanat, bien au contraire. Régis Bigot observe que « plus on s'élève dans l'espace social, plus on manifeste une satisfaction suspicieuse vis-à-vis de l'assistance90 ». Bien évidemment, cela s'explique en partie du fait que ceux qui les financent ne sont pas ceux qui en bénéficient, et réciproquement. Mais Duvoux, explique qu'il y a autre chose : « l'insistance des discours politiques sur le rejet de l'assistanat par les travailleurs modestes exonère à bon compte les catégories plus favorisées de leur indifférence, voire de leur hostilité91 ». ...alimentée par des discours politiques stigmatisant... La frustration engendrée par la précarité qui touche nombre de français fait l'objet ces dernières années d'une forte récupération politique visant à détourner les 87 Castel R., L'insécurité sociale. Qu'est-ce qu'être protégé ?, Paris, La République des idées / Seuil, 2007, p.51 88 Schwartz O., « Trois remarques sur la société française contemporaine », La Vie des Idées, 22 septembre 2009, consultable à l'adresse : http://www.laviedesidées.fr/Vivons-nous-encore-dans-une.html 89 Duvoux N., Op. Cit . p.56-57. 90 Bigot R., « Conditions de vie et aspiration des Français », CREDOC, n°265, octobre 2010. 91 Duvoux N., Op. Cit., p.53. 29 rancoeurs sur les « assistés », assimilés, on l'a vu, à des « profiteurs », voire à des « fraudeurs ». Pour Duvoux, « ces discours réactionnaires répondent surtout aux intérêts des classes moyennes et supérieures pour qui le sort des pauvres est une préoccupation de plus en plus lointaine92. » Depuis une quinzaine d'années, un intense travail de politisation a effectivement été mené auprès des travailleurs précarisés rejetant de plus en plus le monde politique. Il a bien fallu reconquérir cet électorat en convoquant des sujets, qu'on pourrait qualifier de faux problèmes, dont les médias se sont fait largement l'écho : la question de la fraude aux aides sociales, le problème de l'insécurité (en 2002), ou les discours virulents sur l'assistance (tenus par les candidats à l'élection présidentielle de 2007) en sont de parfaits exemples. Duvoux explique à ce titre qu'il est devenu « payant, électoralement, de monter les classes populaires salariées contre les « assistés » 93 ». ...bien loin des réalités. Pourtant, toutes les études menées auprès des assistés démontrent que la réalité est bien différente des idées reçues véhiculées par les médias de masse et les élites politiques. La suspicion à l'égard des assistés bien que très prégnante dans notre société reste très largement infondée. En premier lieu, il faut souligner que le non-recours aux prestations sociales est très élevé en France. « S'il y a une spécificité de la pauvreté, ce serait plutôt le non-recours94» souligne Duvoux. Par crainte d'être stigmatisé, ou pour cause de lourdeurs administratives, beaucoup de personnes qui pourraient bénéficier d'allocations n'ont pas recours à leurs droits. C'est notamment le cas du RSA-activité puisque plus des deux tiers (68% en fin 2010) des allocataires potentiels du complément d'activité aux travailleurs modestes ne sollicitent pas cette prestation. Tandis que le taux de non-recours au RSA « socle » (l'ancien RMI) serait de l'ordre de 28 % 95. Le non-recours au RSA engendrerait une « non-dépense » de près de 4 milliards d'euros96. Qui sont les personnes qui ne demandent pas le RSA ? Il s'agit en grande partie d'étrangers ou de personnes qui se perçoivent moins précaires que les allocataires eux- 92 Duvoux N., Op. Cit., p.40. 93 Ibid., p.51. 94 Ibid., p.12. 95 Voir « Le non-recours aux droits en France », publié le 29 septembre 2011, Inégalités.fr, consultable à l'adresse : < http://www.inegalites.fr/spip.php?article1495 > 96 Colomb N., « La moitié des personnes éligibles au RSA n'en fait pas la demande, selon une étude », Actualités Sociales Hebdomadaires, n°2737 du 16/12/2011, p.22-23 30 mêmes : 42 % d'entre elles se considèrent en situation de pauvreté (contre 62 % des allocataires) et ne se classent pas parmi les populations qu'elles pensent être les cibles de la prestation. Parmi les explications du non-recours, la méconnaissance du dispositif concerne 11 % des personnes n'ayant jamais perçu le RSA. Un quart d'entre elles déclarent qu'elles connaissaient son existence mais pensaient ne pas pouvoir bénéficier du dispositif. Certaines pensaient qu'il n'était versé qu'aux personnes ou familles sans emploi, d'autres ne savaient pas auprès de qui faire les démarches. Par ailleurs, une large majorité ignore l'une des mesures incitatives du dispositif, à savoir qu'il est possible de cumuler salaire et totalité du RSA pendant trois mois lorsque l'on reprend le travail. Une petite partie (13 %) des personnes qui connaissent le dispositif savent qu'elles pourraient en bénéficier mais « disent se débrouiller financièrement » ou ne veulent pas « être dépendantes ou redevables ». Pour d'autres, ce sont les démarches qui sont « trop compliquées ». Très peu (2 %) disent qu'elles ne sont « pas intéressées par le RSA ».97 Des taux de non-recours importants sont également observés pour les prestations sociales concernant l'accès aux soins. En 2008, 1,5 million de personnes sur les 6 millions de bénéficiaires potentiels ne disposaient pas d'une CMU (Couverture Maladie Universelle assurant aux plus démunis un accès gratuit aux soins). Au 31 décembre 2010, une étude du Fonds CMU estimait que le nombre de personnes n'ayant pas recours à la CMU-C (couverture maladie universelle complémentaire, mutuelle complémentaire rattachée à la couverture maladie synonyme de sécurité sociale) était de 1,7 million, soit un taux de non-recours de plus de 20 %. Plus spécifiquement, les personnes qui touchent le RSA «socle», et qui sont ainsi systématiquement affiliées à la CMU-C, présentaient un taux de non-recours de 28,9 % en juin 2010.98 De plus, les fraudes dont sont suspectés les assistés ne sont pas plus répandues chez les pauvres que chez les riches et les ultra-riches « passés maîtres dans l'art de l'évasion fiscale »99 comme le rappelle Duvoux. Un manque à gagner énorme pour l'Etat qui contraste fortement avec le non-recours aux droits des personnes les plus démunies... 97 Colomb N., « La moitié des personnes éligibles au RSA n'en fait pas la demande, selon une étude », Actualités Sociales Hebdomadaires, n°2737 du 16/12/2011, p.22-23 98 Voir « Le non-recours aux droits en France », publié le 29 septembre 2011, Inégalités.fr, consultable à l'adresse : < http://www.inegalites.fr/spip.php?article1495#nb3 > 99 Duvoux N., Op. Cit., p.12. 31 |
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