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La redynamisation des "assistés" par le support du sport. Le rôle des encadrants comme possible inflexion d'une logique portée par l'institution ? le cas d'une action atypique de remobilisation par l'activité physique.


par Clément Reussard
Université de Bretagne Occidentale - Master 2 SSSATI 2012
  

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3. Du welfare au workfare : mise en place de politiques

d'activation et de responsabilisation des pauvres

« Loin des réalités du terrain, les politiques sociales élaborées dans les hautes sphères gouvernementales subordonnent toujours plus le social aux impératifs glacés de la compétition économique et enferment le réel dans une logique de « choses mortes. » [...]

A quelques exceptions près, un consensus s'est assez rapidement formé parmi les élites politiques nationales et européennes pour considérer que la réduction des inégalités n'était plus à l'ordre du jour ni même du ressort de l'action gouvernementale. Mieux valait, plus modestement, s'en tenir à ce qu'on appelle désormais, du fait de la dégradation de la situation sociale, la lutte « contre la pauvreté et les exclusions ». Dénoncé pour sa trop grande « générosité », l'ambition sociale de sécurité généralisée à l'ensemble des populations a progressivement laissé la place à un système de soutien parcimonieux réservé aux plus nécessiteux. Le projet d'une couverture minimum pour (presque) tous a succédé à l'idéal d'une protection sociale pour tous. » 53

Noëlle Burgi

1. D'une protection sociale universaliste...

Une protection sociale universelle érigée après la Guerre

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, les réformateurs sociaux ont créé des systèmes solidaires de protection sociale destinés « à débarrasser les travailleurs de la hantise du lendemain » pour citer Pierre Laroque, père fondateur de la sécurité sociale.

Cet objectif n'avait pas été défini en vertu d'une « vision compassionnelle des rapports sociaux »54. Elle découlait d'une leçon désastreuse de l'Histoire aux sociétés occidentales : ces dernières venaient de connaître une période de désintégration et de conflit allant de 1914 à 1945, traversant la grande dépression des années 1930. Le

53 Burgi N., La machine à exclure. Les faux semblants du retour à l'emploi, Paris, La Découverte, 2006, p.39-40.

54 Ibid., p.41.

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système de protection sociale « devait avant tout protéger d'un éventuel recommencement55 » par peur de voir surgir à nouveau les mêmes causes et les mêmes effets. Elle relevait avant tout d'un « devoir de la collectivité à l'égard de ses membres56 ».

Schématiquement, ce système de protection sociale faisait dériver les droits sociaux directement du contrat de travail de l'assuré et s'étendaient indirectement à ses proches et ses ayants droit. Quant aux pauvres situés à l'extérieur du système productif, il appartenait surtout aux familles, soumises à l'obligation alimentaire de les secourir. La collectivité pouvait également intervenir auprès d'eux, dans le cadre de l'action sociale et par l'intermédiaire des travailleurs sociaux, si l'absence de relation avec le travail était justifiée. Le principe de l'assurance sociale, construit dans un contexte de plein emploi, couvrait les risques des périodes de rupture avec l'emploi, car celles-ci étaient considérées comme involontaires et transitoires.

Ainsi, après 1945 et durant une trentaine d'années, « l'assistance a tendu à décroître à mesure que l'Etat social s'édifiait autour de la notion d'assurance57. »

2. ... à une protection résiduelle centrée sur les exclus

La crise économique qui s'ouvre avec les chocs pétroliers des années 1970 et l'arrivée concomitante du chômage de longue durée vont changer radicalement la donne. La société en sort transformée. Pour Duvoux « l'individualisation a déstabilisé de concert ces deux institutions que sont le marché du travail et la famille traditionnelle. Cette crise est le creuset dans lequel la protection sociale se transforme. »58

Crise des années 1970 et retour au premier plan du néo-libéralisme

À partir de la crise économique des années 1970, le néo-libéralisme s'est imposé de force59 comme la seule politique possible60 puisque les méthodes d'inspiration keynésienne n'ont pas permis de résoudre cette crise. En effet, alors que les gauches

55 Burgi N., Op. Cit., p.41.

56 Ibid.

57 Duvoux N., Le nouvel âge de la solidarité. Pauvreté, précarité et politiques publiques, Paris, Seuil, coll. « La république des idées », 2012, p.17.

58 Ibid., p.23.

59 Voir la « contre-révolution économique et sociale » conduite par Margaret Thatcher lors de la

grève des mineurs du 5 mars 1984 au 6 mars 1985 qui, avec le concours de la « révolution conservatrice » initiée aux Etats-Unis par Ronald Reagan, ouvrit la voie à la globalisation du nouveau paradigme néolibéral (Burgi. N., La Machine à exclure. Les faux-semblants du retour à l'emploi, La Découverte, Paris, 2006, p. 31-32).

60 Le slogan martelé par Margaret Thatcher était alors : « There is no alternative. »

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européennes n'ont pas su proposer de projet commun pour adapter leur théorie économique à cette crise, les néolibéraux, eux, se tenaient prêts à revenir au devant de la scène économique et politique. C'est ainsi que le néo-libéralisme a pu petit à petit se propager à l'ensemble des gouvernements et progressivement remplacer l'éthique du pacte social par « un nouveau cadre redéfinissant les droits et obligations des citoyens qui reposent maintenant sur les règles de la concurrence61. » Il a défini comme priorité la règle de transparence des coûts tout en mobilisant les égoïsmes individuels, interprétant le chômage de masse comme la somme de parcours biographiques. Les politiques sociales ont alors progressivement fait le deuil des principes de solidarité tout en empruntant le chemin d'une conception restrictive de l'efficacité économique.

Développement du workfare

Depuis trois décennies, en Amérique du Nord puis en Europe, les pouvoirs politiques ont développé, sous des formes plus ou moins atténuées, des politiques d'activation à destination des catégories pauvres affectées par le chômage. C'est ce qu'on a appelé la logique de workfare. Elle fait référence à la « mise au travail des pauvres », et succède aux politiques de welfare « État de bien-être collectif » 62. Le but de la manoeuvre ? Rendre le travail « payant63 » en accroissant le différentiel de revenu entre l'assistance et l'emploi. Valérie Pécresse, alors ministre du Budget et porte parole du gouvernement français, exprimait cette idée on ne peut plus clairement le 22 février 2012 sur LCI : « L'idée c'est d'accroître le différentiel entre les français qui vivent de revenus d'assistance et les français qui vivent des revenus du travail. »

Revenons un petit peu en arrière, au début des années 1990. Le consensus, dit « de Washington » développe une critique très forte de l'Etat social, et se donne comme priorités « la privatisation, la contractualisation et le ciblage des dépenses sociales64 ». Le chômage devient dès lors un risque individuel, et non un risque lié au contexte économique. A partir de là, le chômeur (ou le pauvre) doit donc être « incité » à reprendre un emploi , le travail étant présenté comme le « moyen et le vecteur de l'insertion » tandis que « l'activation des dépenses sociales (c'est-à-dire le fait qu'elles ne soient plus simplement curatives, mais capables de sortir les assistés de leur

61 Burgi. N., Op. Cit., p. 27-28.

62 Duvoux N., Le nouvel âge de la solidarité. Pauvreté, précarité et politiques publiques, Paris, Seuil, coll. « La république des idées », 2012, p.67.

63 Voir le slogan britannique en vogue dans les années 1990 : « Making work pay. »

64 Duvoux N., Op. Cit., p.67.

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situation, le plus souvent en les réinsérant sur le marché du travail) s'impose partout sous des modalités différentes65. »

« L'obligation à la citoyenneté », selon Lawrence Mead

Cette profonde transformation de l'aide sociale n'a rien d'une évolution naturelle ou structurelle. Burgi souligne qu'elle n'aurait pas eu lieu sans l'intervention décisive de l'Etat, le redéploiement du pouvoir aux instances supranationales et le travail de réinterprétation du monde et des valeurs collectives « pour faire adhérer, sinon consentir66. » À ce propos, Loïc Wacquant, dans son ouvrage Les prisons de la misère (1999) consacre quelques pages67 aux théories défendues par Lawrence Mead, politologue conservateur de la New York University, auteur du livre Au-delà des droits, obligation à la citoyenneté (1986), qui a durement oeuvré auprès des élites politiques occidentales pour l'adhésion de ces dernières à la doctrine du workfare.

À l'occasion d'un colloque68 en Angleterre en 1997, Mead expliquait que si l'Etat doit s'interdire d'aider les pauvres matériellement, il lui incombe toutefois de les soutenir moralement en leur imposant de travailler. Ce sont les fameuses « obligations à la citoyenneté » (plus tard développées par la politique de Tony Blair en Angleterre69) justifiant la mutation du welfare en workfare. Selon lui, le modèle de l'Etat-Providence a échoué à résorber la pauvreté car trop « permissif » au sens où il n'imposait pas d'obligations de comportements à leurs bénéficiaires. Pour Mead, « Le chômage tient moins aux conditions économiques qu'aux problèmes de fonctionnement personnel des chômeurs », de sorte que « l'emploi, tout du moins pour ce qui est des emplois « sales » et mal payés, ne peut plus être laissé au bon vouloir et à l'initiative de ceux qui travaillent » Il doit même être rendu obligatoire « à l'instar du service militaire qui a permis de recruter dans l'armée ». Pour lui, « Le non travail est un acte politique » qui démontre « la nécessité du recours à l'autorité70 ». Par ailleurs, il prône le remplacement d'un Etat-Providence « maternaliste » par un état punitif « paternaliste » : « Nous avons

65 Duvoux N., Op. Cit. p.67.

66 Burgi N., Op. Cit., p.40.

67 Wacquant L., Les prisons de la misère, Raisons d'agir, 1999, p.36-42

68 Lawrence Mead (éd.), «From Welfare to Work, lessons from America», Londres, Institute of Economic Affairs, 1997.

69 Mead est l'un des grands inspirateur américains de la politique britannique de réforme des aides sociales.

70 Mead L., Beyond Entitlement : The Social Obligations of Citizenship, New York, Free Press, 1986, p.13, 200 et 87

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besoin de savoir pourquoi et comment les pauvres sont méritants, ou pas, et quels types de pression peuvent influer sur leur comportement71 » explique t-il alors.

C'est à peu près cette philosophie de l'aide sociale qui s'est développée, avec quelques exceptions et nuances selon les pays, en Europe et en Amérique du Nord. Duvoux remarque que « le point fondamental est que, même si les réformes sont de natures différentes, voir opposées dans pays socio-démocrates et libéraux, le niveau d'activation est relativement identique. »72

Toutefois, la France, de par son héritage catholique et républicain, et sa vision compassionnelle de l'exclusion est restée étrangère à cette mise au travail des pauvres jusqu'aux années 2000 (et la mise en place de nouvelles politiques d'activation telles que la Prime pour l'emploi en 2001, le RMA73 en 2003, ou encore le RSA74 en 2008).

Le bilan du workfare est cependant plus que mitigé dans la plupart des pays : les politiques d'activation se sont accompagnées d'un renforcement des inégalités75 tandis que se développait le phénomène de « pauvreté laborieuse ».

Le phénomène de « pauvreté laborieuse »

Ces politiques d'activation ont en effet largement participé à la dégradation des normes d'emploi : « En généralisant les emplois précaires et autres « petit boulots », elles ont contribué à faire accepter l'idée que certaines tâches étaient une chance pour les populations pauvres et déqualifiées, considérées de toute façon comme « inemployables » 76 ». Le paradoxe, pour Duvoux est que ces politiques censées juguler la « nouvelle pauvreté » ont accompagné son prolongement dans la « pauvreté laborieuse » traduction du phénomène des « working poor » connu de longues dates dans les pays anglo-saxons77. Duvoux dénombre trois principaux facteurs explicatifs pour expliquer le développement et la persistance de la « pauvreté laborieuse » en France : les bas salaires horaires, les faibles durées de travail et les emplois instables78. Certains secteurs sont néanmoins plus touchés que d'autres par ce phénomène de

71 Mead L., The New Politics of Poverty : The Nonworking poor in America, New-York, Basic Books, 1992

72 Duvoux N., Le nouvel âge de la solidarité. Pauvreté, précarité et politiques publiques, Paris, Seuil, coll. « La république des idées », 2012, p.69.

73 RMA : Revenu Minimum d'Activité

74 RSA : Revenu de Solidarité Active

75 Duvoux N., Op. Cit., p.83.

76 Ibid., p.40.

77 Ibid.

78 Ibid., p.42.

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pauvreté laborieuse : hôtellerie, restauration, nettoyage, service à la personne, agriculture ou encore le commerce79.

Dualisation de la protection sociale

Dans ce contexte de transformation de l'Etat social, la protection sociale s'est « dualisée ». D'un côté, un système assurantiel qui continue de protéger ceux qui ont un emploi et qui contribue à l'utilité sociale et à la production de richesses. De l'autre, pour les non-contributeurs, elle devient « assistancielle et compassionnelle, tout en se teintant d'un procès culpabilisant à l'égard de ceux qui n'auront pas su saisir leur chance. »80 Pour Duvoux, ces derniers subissent « une double peine » puisqu'ils sont, de fait, mis à l'écart à la fois du travail et de ses protections. Le décalage entre les formes d'emplois précaires qui y sont proposées et les exigences de continuité et de stabilité pour avoir droit à la protection sociale exclut de plus en plus de personnes81.

Responsabilisation des pauvres

Le principe de l'activation introduit par la logique de workfare est indissociable d'une certaine responsabilisation des pauvres. Pour Peter Abrahamson, on peut concevoir ce principe « comme découlant d'une responsabilité accrue de l'individu dans la mesure où c'est à ce dernier qu'il incombe d'améliorer sa qualification en prenant part à différentes mesures d'activation82. »

Ainsi, on observe globalement que la pauvreté est traitée de façon de plus en plus séparée de l'évolution générale de la société. Les problèmes des pauvres sont des problèmes spécifiques qui ne concernent qu'eux et pas l'ensemble de la société. Sous-entendu, c'est à eux de surmonter leurs problèmes, car ils sont les propres responsables de leur situation.

Cette philosophie politique de mise au travail des plus pauvres, ainsi que certaines évolutions sociétales, ont abouti à établir un climat de suspicion et de stigmatisation des personnes dépendantes de l'assistance de l'Etat.

79 Rapport de l'ONPES 2011-2012, p.41-42.

80 Lavoué J., « Face aux souffrances sociales : évolution, enjeux et principes de l'éducation spécialisée », in Le métier d'éducateur spécialisé à la croisée des chemins, Sous la direction de Conq N., Kervella J.-P., Vilbrod A., Coll. Travail du social, L'Harmattan, Paris, 2010, p.185.

81 Duvoux N., Op Cit., p.71.

82 Abrahamson P., « La fin du modèle scandinave ? La réforme de la protection sociale dans les pays nordiques », Revue française des affaires sociales, 2005/3 n° 3, p. 105-127.

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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand