2. L'université en tant qu'anarchie
organisée
En 1972 Michael Cohen, James G. March et Johan Olsen
développent le modèle de « l'anarchie organisée
» ; l'université est ce modèle type d'organisation.
Comprendre cette théorie nécessite de le remettre dans son
contexte.
Au plan social, ces travaux interviennent à la fin des
années 60, au cours d'une période fortement marquée par
les mouvements étudiants. Au niveau théorique, à cette
date, l'anarchie organisée est une réflexion sur le
fonctionnement des organisations ; notamment, sur les buts organisationnels.
Quant aux organisations, c'est une critique de la pensée qui
présente l'organisation comme un tout unifié et cohérent,
entièrement structuré par ses buts
prédéterminés et fixés une fois pour toutes, au
service desquels elle se trouve et par rapport auxquels elle n'est qu'un
instrument passif.
« Cette expression qualifie les organisations :
- Sans objectifs vraiment cohérents et partagés
par tous ;
- Où le processus de production relève d'une
technologie complexe et est peu matériel (ex : les processus
d'apprentissage) ;
- Où la majeure partie du personnel exerce une
« pratique privée » d'intervention directement
auprès
39
des « clients » de l'organisation (le cas de
l'enseignement) sans qu'il soit possible et réaliste d'assumer une
supervision constante des tâches effectuées ; dont les membres
participent de façon intermittente et plus ou moins active, voire
vraiment intéressée, aux différentes prises de
décision qui affectent l'ensemble de l'organisation » (Guy
PELLETIER,).
Les auteurs élaborent ainsi des concepts-clés
visant à comprendre le fonctionnement des organisations
surnommées anarchies organisées ; pour exemple
l'université qui montre une absence de cohérence
généralisée. C'est alors l'invite à «
l'abandon d'une vision trop instrumentale et cohésive de
l'organisation qui interroge la finalisation de son action et met en doute la
maîtrise des événements par les acteurs » (Ehrard
FRIEDBERG,). En d'autres mots, la relativisation radicale et définitive
d'une vision des organisations comme ensembles cohésifs et
finalisés. L'anarchie organisée est donc un concept
créé pour caractériser un contexte organisationnel
particulier qui induit des processus décisionnels et donc des
fonctionnements d'un certain type.
3. L'université par son mode de prise de
décision
La prise de décision est une activité
fondamentale pour une organisation. La théorie classique postule que
dans l'organisation, un individu placé en position de choix,
après avoir analysé les solutions possibles à son
problème, sélectionne celle qui lui permet d'optimiser ses
préférences. La théorie de la poubelle est l'aboutissement
d'un processus de déconstruction du concept de préférence
et de l'action intentionnelle. Ce qu'il faut comprendre c'est que : «
Dans la théorie classique on présuppose que, face à un
problème, les décideurs élaborent rationnellement une
solution adéquate. Voici le problème, cherchons la solution. Mais
selon les observations de March et de ses collaborateurs, le processus de
décision ne se déroule pas ainsi. Il s'agirait plutôt de
mettre en concordance des solutions préexistantes avec des
problèmes... Les décideurs puiseraient ainsi, dans une vaste
poubelle, des solutions en quête de problèmes » (Alain
FERNANDEZ, ).
De plus, un choix réalisable sans effort dans certaines
circonstances devient le théâtre de luttes de pouvoir. La
performance organisationnelle devient le fruit de négociations, de
marchandages, de persuasions, de gestion de l'information et de jeux sur les
structures d'attention des acteurs ; car pour certains acteur «
l'implication dans une décision est un signe de pouvoir, certains
acteurs voulant participer à une décision sans que la question
traitée ait pour autant beaucoup d'importance dans l'organisation ou,
parce qu'au contraire, la décision présente des
caractéristiques attractives pour les participants potentiels
» (Isabelle HUAULT, 2009).
Une deuxième proposition, plus radicale, fait de
l'université une organisation clanique :
40
« Le fonctionnement en clans est fondé sur une
philosophie commune à tous les membres de l'organisation, c'est ce qui
le tient. Ce fonctionnement va donc, dans son objectif de stabilité et
de perpétuation, développer certains rejets : de ce qui est
considéré comme étranger, de
l'hétérogénéité, ou encore de tout
changement pouvant conduire à la déstabilisation de ses valeurs.
Un mot d'ordre : perpétuer le système
Il n'existe à ce jour à l'université
aucune culture de la performance, du résultat, de l'objectif, de la
récompense, de la sanction externe, ni par le marché, ni par les
institutions. C'est au contraire une structure où se côtoient des
clans, ayant comme objectifs particuliers la préservation de leurs
intérêts et de leurs périmètres (on parle souvent de
« féodalisme universitaire ») avec en commun le mot d'ordre
tacite de la perpétuation du système et de sa stabilité,
au nom de l'excellence académique » (Isabelle BARTH, 2013).
L'université est un milieu où la prise de
décision repose sur les relations personnelles, le clientélisme,
le patrimonialisme et les solidarités facultaires,
départementales, disciplinaires subtiles et fortes au détriment
de l'intérêt général. Situer le mode organisationnel
auquel appartient l'UOB nécessite donc, pour des raisons
d'objectivité scientifique, de s'appuyer sur un diagnostic
stratégique.
|