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L’administration de la coercition légitime en république. Les institutions de l’état face à  l’anarchisme dans les années 1880.


par Amélie Gaillat
Institut des études politiques de Paris - Master de recherche en Histoire 2019
  

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Chapitre 2 : Au service de la République !

Nous constatons qu'il est nécessaire de relativiser le libéralisme qui caractérise le régime républicain des années 1880. En effet, malgré les discours en faveur des libertés individuelles à la Chambre des députés et la promulgation de législations définitivement libérales dès 1881, la pratique du pouvoir reste influencée par une machine d'État structurellement pragmatique. Cette réalité transparait dans la difficulté qu'a la République à s'affranchir de l'administration impériale malgré les discours des partisans du nouveau régime démocratique. Par ailleurs, la place occupée par une technostructure policière relativement autonome au sein des institutions républicaines conditionne l'approche technique du respect des « libertés fondamentales ».

Le gouvernement opportuniste mené par un président du Conseil sans réel pouvoir n'a pas le monopole du pouvoir exécutif1. Un ensemble d'acteurs est en charge des politiques du maintien de l'ordre dans les années 1880 et influence largement l'exercice de l'État. Dans ce chapitre, nous étudions en détails les structures de l'appareil policier qui témoignent d'une continuité administrative prenant le pas sur les « ruptures républicaines »2. Le nouveau régime subit-il cet héritage ou en profite t-il pour se protéger des menaces politiques accompagnant sa mise en place ?

2.1- Une organisation policière complexe héritière du pouvoir impérial

Lorsque la République est proclamée le 4 septembre 1870, ses dirigeants souhaitent cantonner au passé le Second Empire et se détacher de ses cadres de gouvernement. C'est cette nécessité de transition démocratique qui pousse Gambetta à renouveler entièrement le corps préfectoral et nommer des fonctionnaires animés par la volonté de servir le régime républicain3. Aussi, la réorganisation de l'administration publique doit passer par une réforme profonde de la police impériale, institution autoritaire et répressive des partisans de la

1 cf. Chapitre 1.

2 Arnaud-Dominique Houte, Le triomphe de la République...,,op.cit. p.79.

3 Nous vous renvoyons ici à l'ouvrage de Vincent Wright, Les préfets de Gambetta, op.cit.

Préfecture de Police (PP)

Direction de la Sûreté Générale (DSG)

Ministère de l'Intérieur

Préfecture du Rhône

Préfectures Départementales

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dans les années 1880 » - Mémoire IEP de Paris - 2019 57

République. La question de l'épuration des cadres policiers est un enjeu qui revient à chaque changement de régime tout au long du XIXe siècle en France et s'impose plus ou moins naturellement. Au début de la Troisième République, malgré une volonté politique affichée, les conflits idéologiques et les contraintes matérielles entravent le nettoyage nécessaire d'une structure policière complexe.

A) La technostructure de la Haute-Police

Jusqu'ici nous avons évoqué différentes administrations dépositaires du pouvoir de police et impliquées dans la surveillance du mouvement anarchiste. Le ministère de l'Intérieur, la direction de la Sûreté générale et la préfecture de police apparaissent comme les acteurs centraux du maintien de l'ordre et semblent indispensables au fonctionnement administratif de la République. Nous souhaitons préciser leur rôle dans l'organigramme qui compose la machine d'État à la fin du XIXe siècle et ainsi permettre au lecteur de saisir les dynamiques de ce que l'on a appelé ici la « technostructure de la Haute-Police ».

Schéma 1- La structure policière à la fin du XIXe siècle

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Au début de la troisième République, le ministère de l'Intérieur dispose d'un certain nombre de prérogatives qui font de lui un acteur central du gouvernement. En effet, il est en charge du service pénitentiaire, de la gestion de la santé publique, de l'assistance publique et, ce qui nous intéresse ici, de la police au sens le plus large du terme. Ne pouvant effectuer de manière isolée cette mission de maintien de l'ordre qui concerne l'ensemble du territoire français, il dispose de l'administration préfectorale le représentant sur place et délègue une partie de ses pouvoirs à certaines institutions. Le schéma 1 résume donc de manière simplifiée la forme que prend la hiérarchie policière issue du ministère de l'Intérieur. Ce dernier jouit d'une grande autorité sur les préfectures départementales, auxquelles il transmet des directives par la voie administrative de la circulaire, à l'exception de la préfecture du Rhône qui dispose de pouvoirs de police similaires à ceux de la préfecture de Paris et qui joue un rôle particulier dans la mission de surveillance et de répression des anarchistes4. Ensuite, la DSG prend le relais du ministère de l'Intérieur sur les questions de renseignement politique. Malgré des effectifs relativement réduits et disposant de peu de pouvoir, elle est cependant assez autonome vis-à-vis de sa hiérarchie et se détache entièrement au début des années 1880 de la tutelle autrefois exercée par la préfecture de police de Paris. Cette dernière se montre aussi très indépendante sur son territoire, mais reste en contact avec sa hiérarchie et sa rivale.

Nous reprenons alors le schéma réalisé par Jean-Marc Berlière et René Lévy dans Histoire des polices en France pour détailler les fonctions de ces différentes administrations5. Les fonctions de police dites « générales » sont assurées par la Gendarmerie et la Sûreté Générale. La première, corps militaire dépendant du ministère de la guerre, n'est pas le coeur de notre propos. La seconde assure la fonction de Direction de police au ministère de l'Intérieur, composée des commissaires spéciaux des chemins de fer en charge de la police politique sous la Troisième République ainsi que du contrôle des ports et frontières. Berlière souligne qu'elle est la seule police à disposition du gouvernement. Aussi, les agents présents en permanence sur les réseaux ferroviaires sont capables : « d'observer l'état des esprits ou d'intervenir dans la vie politique »6. Par ailleurs, la DSG recrute et gère la carrière de

4 Le statut particulier de la préfecture départementale du Rhône est détaillé en Chapitre 3.

5 Jean-Marc Berlière et René Lévy, Histoire des polices en France, op.cit. p.46.

6 Ibid., p.305.

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l'ensemble des commissaires en tête des polices municipales et du personnel des polices étatisées. Quant aux fonctions de polices territoriales, elles sont partagées entre trois acteurs : les polices municipales, les polices municipales étatisées et la préfecture de police. Les premières sont présentes dans toutes les villes de plus de 5000 habitants et exercent leur pouvoir sur le territoire de la commune. Le maire et un commissaire de police - recruté par la DSG, mais payé par la municipalité- dirigent conjointement la police municipale ce qui entraine souvent des conflits. Le nombre d'agents à leur charge est variable et parfois très limité. S'ils sont recrutés et payés par le maire, ils peuvent être révoqués par le préfet. Dans les années 1880, seule la ville de Lyon jouit d'une police municipale étatisée qui exerce alors ses missions sur l'ensemble de l'agglomération. Les pouvoirs de police du maire sont transférés au préfet du Rhône et à son secrétaire général et l'ensemble des agents de la police municipale étatisée sont recrutés, mutés et payés par l'État. Enfin, la Préfecture de Police présente un statut particulier au sein de cette police territoriale. Son chef, le préfet de police, est nommé par le gouvernement devant lequel il est responsable et, au début de la troisième République, il doit être élu au parlement ; Louis Andrieux est donc député du Rhône au moment où il accède à ce poste en 1879. La PP est la police la mieux dotée, avec 10 000 agents à la veille de la première guerre mondiale, répartis entre la police municipale « en tenue », la Sûreté - à ne pas confondre avec la DSG - chargée de la police criminelle, et les brigades de recherches assurant le travail de police politique dans les années 1880. Si la PP est financée par la municipalité, elle reçoit en plus une contribution de l'État ce qui fait d'elle un organisme très puissant.

Du point de vue des sources disponibles pour étudier la technostructure policière républicaine, nous nous appuyons en particulier sur la sous-série F7 du ministère de l'Intérieur et des archives de la préfecture de police conservées au Pré Saint-Gervais. Aussi, les sources imprimées de la fin du XIXe siècle nous renseignent largement sur l'organisation des services. Les écrits des acteurs de l'époque, notamment ceux de Louis Andrieux7, sont à manier avec précautions mais sont nécessaires pour saisir toute la complexité de cette machine d'État. Enfin, concernant les archives de la DSG qui pourraient nous renseigner plus

7 Louis Andrieux Souvenirs d'un préfet de police, J. Rouff, 1885.

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précisément sur la doctrine du « maintien de l'ordre républicain », la plupart sont classées dans le « Fonds Moscou » restitué par la Russie en 1994. En effet, l'organisation ne disposant pas des moyens humains et matériels pour gérer les nombreux documents produits par ses agents, les rapports et autres dossiers de travail se retrouvent rangés dans des cartons empilés dans les couloirs des bureaux de la rue des Saussaies8. Ainsi, les Nazis en profitèrent pour emporter avec eux ce « butin de la mémoire » pensant surement y trouver des informations précieuses. Si l'Union Soviétique a récupéré ces documents et si la Russie a fini par les rendre à la France, ces archives demandent un travail d'analyse délicat aux chercheurs étudiant l'histoire de la Sûreté Générale. Les inventaires du « Fonds Moscou » mis en ligne par les AN indiquent notamment l'existence de documents relatifs à l'organisation et au fonctionnement du service, de dossiers de surveillance policière concernant la vie politique et la presse française.

Voici donc dans quel cadre d'analyse notre étude du maintien de l'ordre républicain est réalisée. Il est maintenant nécessaire de constater dans quelle mesure l'appareil policier s'adapte à la doctrine libérale du nouveau régime. Cependant, il semble que malgré, les « annonces d'intentions » des républicains, le nouveau gouvernement doit s'entourer de fonctionnaires de la Haute-Police qui ne sont pas toujours ralliés à sa cause.

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand