WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

L’administration de la coercition légitime en république. Les institutions de l’état face à  l’anarchisme dans les années 1880.


par Amélie Gaillat
Institut des études politiques de Paris - Master de recherche en Histoire 2019
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

B) Les actions anarchistes à Lyon après le procès des 66 : mais que fait la police ?

Dans l'optique d'enrayer la propagation des idéaux anarchistes et la structuration du mouvement, la machine d'État a fait en sorte qu'une soixantaine de militants soient condamnés en janvier 1883 de manière très publique. Les motifs invoqués de tentative de reconstitution de l'Internationale et d'incitation aux meurtres dans le cas d'Antoine Cyvoct ne constituent aucunement une répression d'actes terroristes mais bien d'opinion. Ceci entraine une mutation des méthodes de propagande employées par les anarchistes de Lyon à laquelle la police n'est pas préparée.

Dans la région où s'est tenue le procès, une baisse logique des effectifs militants est constatée puisqu'une cinquantaine de membres actifs ont été condamnés30. Les groupes tentent de se reconstituer mais il est difficile de s'organiser maintenant que les instigateurs sont en fuite ou ont été arrêtés31. Néanmoins, malgré le manque de force militante, le mouvement continue son activité propagandiste à l'aide du journal La Lutte du groupe du

28 Voir Annexe 2 - État des militants condamnés lors du procès des 66.

29 L'absence de compte-rendu des discussions du conseil des ministres ne nous permet pas de vérifier cette hypothèse.

30 Marcel Massard, Histoire du mouvement anarchiste à Lyon...,op.cit., p. 79.

31 On a notamment constaté qu'un grand nombre de réunions se tenait chez Bordat, ce qui a nécessairement un impact sur le mouvement.

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 135

même nom32. Cet hebdomadaire devient l'organe anarchiste de référence à la suite du procès, incitant à la propagande par le fait contre le capitalisme et les bourgeois, tout en expliquant comment fabriquer des explosifs33. Largement surveillé par le gouvernement, le périodique dut changer sept fois de titre durant ses quinze mois d'existence34. Le journal publie notamment chaque semaine une rubrique intitulée « produits antibourgeois » consistant en des recettes pour fabriquer des bombes35. Son influence est à souligner puisque la ville de Lyon connaît un certain nombre d'attentats et de tentatives d'attentats, sans graves conséquences, dans les années suivant sa parution. Marcel Massard dresse la liste - que nous reproduisons dans le tableau 6 - de ces actes visant à soulever les masses et plus prompts à entrainer la

révolution que les mouvements de grèves36.

Tableau 6 - Attentats à Lyon après le procès des 66

Date

Attentat

Conséquences

16 septembre 1883

Tentative d'incendie au

journal le Progrès.

Sans gravité.

7 octobre 1883

Explosion d'une bombe

à la mairie du 4e arrondissement.

Dégâts insignifiants,

aucun blessé.

14 octobre 1883

Explosion d'une bombe dans l'enclos des Capucins.

Quelques dégâts, aucun

blessé.

32 Marcel Massard, Histoire du mouvement anarchiste à Lyon...,op.cit., p. 81.

33 Ibid., p.83.

34 Ibid., p.82.

35 Ibid., p.90-91.

36 Ibid. p. 91.

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 136

16 octobre 1883

 

Bombe trouvée non éclatée contre le mur de l'église Saint-Pothin.

Aucune, la bombe n'a

pas explosé.

29 octobre 1883

Explosion d'une boîte à poudre devant le café du Rhône rue Gasparin.

Aucun dégât, ni blessé.

4 novembre 1883

Explosion d'une bombe posée sur la fenêtre du docteur Albert, rue Montgolfier.

Aucun dégât.

26 février 1884

Découverte d'une bombe non explosée dans les chantiers de la Buire, à la Guillotière.

Aucune, la bombe n'a

pas explosé.

6 octobre 1884

Explosion d'une bombe à la caserne de gendarmerie rue Saint-Hélène.

Vitres brisées.

16 décembre 1886

Explosion d'une bombe à l'usine Allouard, à la Mulatière.

Dégradations des murs.

25 décembre 1886

Découverte d'une bombe non éclatée à l'église de Saint-Nizier pendant l'office de Noël.

Aucune, la bombe n'a

pas explosé.

8 février 1887

Explosions de deux bombes à la permanence de police du palais de justice.

Dégâts matériels importants, sept agents blessés dont deux grièvement.

Source : Marcel Massard, Histoire du mouvement anarchiste à Lyon..., op.cit., p.91.

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 137

Les Archives départementales du Rhône restent notre source essentielle pour étudier ces attentats et la façon dont la police lyonnaise a mené les enquêtes37. Un dossier très complet présente en effet une liste des agissements anarchistes lyonnais, similaire à celle reproduite dans le tableau 6, mais l'affaire de Saint-Nizier et l'attentat du Palais de Justice font l'objet d'une attention toute particulière. Il faut savoir que pour l'incendie du journal Le Progrès, la bombe de la mairie du 4e arrondissement et celle de l'enclos des Capucins, les coupables n'ont pas été retrouvés38. Et si la police soupçonne a juste titre les anarchistes et renforce sa surveillance des milieux, ceci n'arrête pas les militants lyonnais qui continuent à fabriquer et poser des bombes artisanales régulièrement jusqu'à la fin des années 188039. Concernant l'affaire de Saint-Nizier, le coupable n'a jamais été retrouvé mais elle a particulièrement attiré l'attention de la police puisqu'elle a reçu une lettre lui informant que l'auteur de cet attentat n'est autre qu'un certain Lucien Morelle40. En réalité c'est ce dernier qui a envoyé le courrier à la police, se rendant responsable d'un acte qu'il n'a pas commis et apportant de ce fait la preuve d'un déséquilibre mental41. Cependant, il indique dans sa lettre qu'il a aidé Cyvoct et Chautant à préparer l'attentat de Bellecour - en reprenant des détails connus des journaux - tout en donnant des informations sur les explosions qui ont eu lieu à Lyon entre 1883 et 188642. Morelle semble bien connaître le milieu anarchiste puisqu'il donne le nom de nombreux militants et annonce le projet d'un futur attentat43 : s'agit-il de celui du palais de justice qui se produit le 7 février 1887 ? Alors qu'il est écroué à la prison de Saint-Paul, il transmet au cabinet du juge d'instruction une lettre qu'il prétend avoir reçue et donnant des détails sur l'explosion du palais de justice :

« Je te donne avis que Hochard (de Narbonne) Deffire (de Genève) et Van Balon (de Bruxelles) ont résolu de désobéir à tes ordres et de mettre leurs menaces à exécution pour faire sauter le Palais de Justice et l'Hôtel-de-Ville avec deux barils de dynamite et en creusant un souterrain. Des

37 ADR, 4M 306. Attentats divers et tentatives de sabotage : usines Allouard, Palais de Justice (1882 - 1888).

38 Marcel Massard, Histoire du mouvement anarchiste à Lyon...,op.cit., p. 92-93.

39 Ibid., p.93-94.

40 ADR, 4M 306. « Copie d'une lettre adressée à Monsieur Prieur, Commissaire de police du quartier de la Bourse, 2e Arrondissement à Lyon - Grenoble le 28 décembre 1886 - Signé : Auguste Mille, négociant à Grenoble ».

41Marcel Massard, Histoire du mouvement anarchiste à Lyon...,op.cit p. 94.

42 ADR, 4M 306. « Copie d'une lettre adressée à Monsieur Prieur, Commissaire de police du quartier de la Bourse, 2e Arrondissement à Lyon - Grenoble le 28 décembre 1886 - Signé : Auguste Mille, négociant à Grenoble ».

43 Ibid. « Copie d'une lettre adressée à Monsieur Prieur, Commissaire de police du quartier de la Bourse, 2e Arrondissement à Lyon - Grenoble le 28 décembre 1886 - Signé : Auguste Mille, négociant à Grenoble ».

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 138

renseignements que j'ai pu obtenir, ils sont disposés à louer une Chambre aux abords de ces édifices et je suis porté à croire qu'ils mettront leurs menaces à exécution (...)44

Si ce document a bien été reçu avant l'explosion, il donne des indications précieuses aux forces de police. Cependant, selon Marcel Massard, Morelle se présentant comme un déséquilibré, l'administration n'a pas tenu compte de ces indications45. Aux ADR, un dossier contenant des coupures de presse à propos de l'attentat du Palais de Justice montrent que certains journaux reprochent à la police son manque d'efficacité sur cette affaire46. Dès le 9 février, Le Progrès écrit que « depuis quelques temps divers bruits étaient parvenus à la police sur certains individus » et que « les menaces, depuis longtemps formulées, ont été mises hier à exécution ».47 L'Express pour sa part estime que les explosions étaient prévisibles, seulement il aurait fallu que la police tienne compte des lettres de Morelle annonçant l'attentat48. Le Courrier de Lyon écrit une dizaine de jours après l'attentat que l'enquête n'avance pas, estimant que « l'impunité des coupables semble devenir la règle » ajoutant qu'il « est certain qu'il y a là un vice soit dans le fonctionnement de la police soit dans celui de l'instruction, - mais vraiment, il est temps de prendre des mesures que réclame l'inquiétude publique »49. Selon Massard, ses accusations d'inefficacité ont poussé les forces de police à redoubler leurs efforts pour retrouver les coupables de l'attentat du Palais de Justice50.

Par ailleurs, l'évènement est un moyen pour les journaux de donner leurs opinions sur l'origine des explosions. Le Petit Lyonnais estime que « les auteurs de ces attentats sont des agents de la monarchie (...) car la monarchie seule a intérêt à faire passer la France pour le foyer de la révolution »51. La Tribune de son côté accuse l'institution policière d'avoir posé les bombes pour légitimer les demandes de fonds secrets :

« On nous informe, à 11 heures moins 10 minutes du soir, que deux bombes (?) viennent de faire explosion dans la rue Saint-Jean, derrière le Palais-de-Justice (...) Du reste, tant tués que blessés,

44 Ibid. Lettre du juge d'instruction adressé au Secrétaire Général pour la Police à Lyon le 12 février 1887. 45Marcel Massard, Histoire du mouvement anarchiste à Lyon..., op.cit., p. 94.

46 ADR, 4M 306. « Attentat du Palais de Justice - Extraits de Journaux »

47 Ibid. « Les Bombes à Lyon - Double explosion au Palais de Justice », Le Progrès de Lyon du 9 février 1887.

48 Ibid. « Bombes Anarchistes aux Palais-de-Justice de Lyon et de Saint-Etienne », L'express de Lyon du 9 février 1887.

49 Ibid. « Les bombes du Palais de Justice », Courrier de Lyon du 17 février 1887.

50 Marcel Massard, Histoire du mouvement anarchiste à Lyon...,op.cit., p. 95.

51 ADR, 4M 306. « Attentat du Palais de Justice - Extraits de Journaux ». « Les Bombes explosibles », Le Petit Lyonnais du 10 février 1887.

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 139

tout le monde se porte bien dans le voisinage du Palais où a eu lieu l'explosion. Nous serions bien curieux de savoir quand la police aura fini de prendre la population pour une agglomération de jobards. On sait qu'elle a besoin de complots périodiques pour permettre au ministre de réclamer chaque année le maintien de ses fonds secrets, mais l'excès en tout est un défaut. Il ne faut abuser de rien, pas même des pétards. 52»

Édité seulement au cours de l'année 1887, ce journal revendique une ligne radicale ce qui explique ses accusations concernant le gouvernement53. Si dans son numéro suivant le quotidien offre un traitement plus détaillé de l'attaque qui a fait plusieurs blessés54, il propose un aperçu de ce que l'opposition de gauche peut penser de l'institution policière.

Puis, les archives témoignent de l'attention portée à l'explosion du Palais de Justice qui a largement mobilisé les forces de la police lyonnaise, puisque que plus de 300 documents du carton 4 M 306 concernent cet attentat55. Cela peut s'expliquer par la nature de l'acte qui visait une institution publique, a fait des blessés parmi des agents des forces de l'ordre et a bénéficié d'une large attention de la presse. Cet événement est le premier à attirer autant l'attention depuis l'attentat de Bellecour et il est donc intéressant d'en saisir le traitement. Si la nécessité de retrouver le coupable amène la police à procéder aux perquisitions de plusieurs militants, cette opération n'a pas l'ampleur de celle qui a amené au procès des 66. Un dossier classé sous la cote 4M 306 comprenant des rapports adressés au Parquet et à la Sûreté Générale ainsi que des lettres reçues de cette dernière éclaire la gestion de cette affaire56. Comme dans le cas de l'attentat de l'Assommoir, on constate que le préfet informe immédiatement par télégramme le ministre de l'Intérieur de l'explosion du palais de justice57. La direction de la Sûreté Générale s'interroge sur le lien entre cette nouvelle explosion et les déclarations de Lucien Morelle :

« Jusqu'à présent, je n'ai pas été informé qu'une autre explosion se soit produite sur le territoire de
la République. Tenez-moi au courant de l'instruction ouverte. Faites-moi connaître s'il y a un lien

52 Ibid. « Autre Pétard », La Tribune du 9 février 1887.

53 Ces informations sont issues d'une notice publiée sur le site Presse Locale Ancienne : http://presselocaleancienne.bnf.fr/ark:/12148/cb328808199

54 ADR, 4M 306. « Attentat du Palais de Justice - Extraits de Journaux ». « Qui a fait le coup ? », La Tribune du 10 février 1887.

55 Ibid. « Attentat du Palais de Justice - rapports et renseignements recueillis par M. le Commissaire spécial de la Sureté » ; « Attentat du Palais de Justice - 1° Perquisitions à Lyon - 2° Missions extérieures »

56 Ibid. « Rapports adressés : 1°- à la Sûreté Générale, 2°-au Parquet - Correspondances reçues de la Sûreté Générale »

57Ibid. « Dépêche Télégraphique - Préfet à Intérieur. Lyon, le 9 février 1887 à 6 heures 12. »

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 140

entre les explosions de Lyon et l'affaire de l'anarchiste Morelle et renseignez-moi sur l'état de santé des blessés58

Rappelons qu'octobre 1882 le ministre de l'Intérieur demande au préfet du Rhône d'assurer une « extrême répression »59. Dans l'affaire du palais de justice, l'implication du mouvement anarchiste est envisagée mais l'enquête ne revêt pas la même dimension politique. Par ailleurs, les télégrammes étant difficilement lisibles dans ce dossier, nous nous appuyons en premier lieu sur le rapport adressé au ministre de l'Intérieur dès le 9 février pour saisir le déroulé de l'investigation60. Après avoir détaillé le contexte et les conséquences de l'explosion, le préfet explique qu'il a procédé à des perquisitions chez les anarchistes mais qui se sont révélées inefficaces. Ce qui est particulièrement intéressant dans cette lettre c'est la mention du traitement de l'évènement par les journaux :

« La presse, suivant les habitudes locales, est pleine de détails sur tous les faits qui de près ou de loin touchent à l'explosion ; mais ces détails, souvent exagérés, sont de ceux que dans le public tout le monde pouvait connaître. Un seul journal, la Tribune, qui a paru pour la première fois hier et dont je vous ferai connaître demain les origines, le caractère et les buts, a accusé la police d'être l'auteur de l'explosion (...) 61

Le préfet mentionne aussi Morelle et les reproches que la presse adresse à la police pour ne pas avoir tenu compte de la menace ; cependant l'administration estime que les auteurs de l'attentat ont attaqué le palais de justice parce que Morelle l'avait mentionné dans sa lettre et non l'inverse62.

La police est donc dépassée dans l'affaire du palais de Justice, d'autant plus que la presse remet en cause son action dans la répression des anarchistes. On peut alors se demander quels moyens la machine d'État met à disposition de l'administration de coercition légitime pour lutter efficacement contre la menace anarchiste. Le pouvoir se retrouve ainsi au centre de la suite de notre analyse.

58Ibid. Télégramme de la Sûreté au Préfet du Rhône, envoyé le 9 février à 11h.

59 cf. Chapitre 3.

60 ADR, 4M 306. Rapport du 9 février 1887.

61 Ibid. Rapport du 9 février 1887.

62 Ibid. Rapport du 9 février 1887.

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 141

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe