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L’administration de la coercition légitime en république. Les institutions de l’état face à  l’anarchisme dans les années 1880.


par Amélie Gaillat
Institut des études politiques de Paris - Master de recherche en Histoire 2019
  

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B) Un procès et une doctrine anarchiste largement débattus

Comme nous interrogeons la contradiction qui existe entre la tenue d'un procès d'opinion et les valeurs libérales prônées par le nouveau régime, nous cherchons à avoir la vision du gouvernement opportuniste et de ses opposants politiques sur l'événement de 1883. Or, c`est à la lecture des journaux de l'époque que nous pouvons déterminer l'opinion des différentes forces politiques à propos de l'instruction des anarchistes31.

Dans un premier temps, nous constatons que les journaux conservateurs et républicains dressent des portraits peu flatteurs des militants anarchistes. Le Courrier de Lyon organe précédemment orléaniste mais apparemment républicain modéré durant cette période32 décrit les militants comme des « Inconscients qui portent sur le front la preuve palpable de leur déformation intellectuelle »33. De son côté, Le Progrès, connu pour son républicanisme et le soutien qu'il témoigne au régime en place, considère les anarchistes comme « de pauvre diables au cerveau mal équilibré »34. Pour sa part, Le Nouvelliste, quotidien ouvertement clérical et royaliste, s'en prend au philosophe Pierre Kropotkine écrivant que « (ses) utopies contrastent singulièrement avec celles qui germent généralement dans un cerveau bien équilibre »35. Si ces feuilles d'horizons politiques différents diffusent une image des accusés très similaire, elles'opposent définitivement lorsqu'il en vient de proposer une analyse de la

31 Les journaux et articles cités par la suite sont tiré du mémoire de Laurent Gallet Le mouvement anarchiste et la presse lyonnaise: le procès des 66 de 1883 et de la synthès publiée sur le site rebellyon.info : https://rebellyon.info/La-presse-lyonnaise-et-les#nb19

32 D'après Laurent Gallet dans Le mouvement anarchiste et la presse lyonnaise..., (non paginé).

33 Le Courrier de Lyon, 11 janvier 1883.

34 Le Progrès, 20 janvier 1883.

35 Le Nouvelliste, 16 janvier 1883.

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doctrine anarchiste. Ainsi, les périodiques les plus conservateurs n'hésitent pas à attribuer au régime Républicain la paternité du mouvement révolutionnaire36. La Décentralisation, organe légitimiste réduit la pensée libertaire à une « théorie républicaine poussée jusqu'au bout »37. Le Salut public, d'obédience cléricale et monarchiste, écrit « entre la doctrine de Monsieur Ferry et celle de l'anarchiste Gautier, on s'aperçoit qu'il n'y a que des nuances (...) ce sont les enfants du même père ; ils ont été nourris au même lait »38. Le journal bonapartiste La Comédie Politique va même jusqu'à affirmer que l'anarchisme est une fiction créée de toute pièce par le gouvernement opportuniste cherchant à se légitimer39. En réponse à ces accusations, les journaux républicains reprochent aux précédents régimes de nourrir la doctrine anarchiste, à l'instar du Courrier de Lyon: « (...) ce n'est pas la république qui les [anarchistes] a faits. Ils ont appris ce qu'ils savent sous l'Empire (...) la république est obligée de prendre ses précautions pour se garder des plus dangereux produits de la société impérialiste et de l'éducation impériale d'autrefois »40. Et une dizaine de jours après avoir attaqué le Second Empire, le quotidien républicain modéré accuse les anarchistes du procès de Lyon de s'être alliés avec les Monarchistes en faisant appel à des « avocats royalistes » d'après le journal, dans le seul but de faire tomber la République41. Ainsi, chaque camp politique instrumentalise le mouvement anarchiste pour attaquer et décrédibiliser son adversaire.

Analysons maintenant les réactions de ces différents journaux à l'annonce du verdict et leurs avis sur les condamnations - très lourdes pour certaines - qui concernent soixante-et-un des soixante six prévenus. Les journaux soutenant le gouvernement opportuniste trouvent que le verdict est adéquat et appellent la République à montrer l'exemple dans la lutte contre « les ennemis de l'intérieur ». En effet, Le Rhône estime que le procès est un moyen pour la République de « rallier au régime actuel bien des conservateurs qui ne voyaient le salut de la France que dans une réaction monarchique, seule capable, d'après eux, de garantir la sécurité

36 Laurent Gallet, Le mouvement anarchiste et la presse lyonnaise..., op.cit., (non paginé).

37 La Décentralisation, 17 janvier 1883.

38 Le Salut public, 15 janvier 1883.

39 La Comédie Politique, 25 mars 1883.

40 Le Courrier de Lyon, 11 janvier 1883.

41 Le Courrier de Lyon., 25 janvier 1883.

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du pays »42. Le Courrier de Lyon accepte aussi ce jugement qui permet de légitimer le nouveau régime : « Si l'on avait renvoyé indemnes les anarchistes du procès de Lyon, il est incontestable que la société ne se serait pas crue défendue par les lois actuelles ; Et les feuilles réactionnaires auraient beau jeu à crier : voilà ce que la République nous vaut ! » 43. Du côté des organes conservateurs, les avis sont moins uniformes. L'Eclair, journal catholique, estime à la suite du procès en appel que les accusés n'ont pas suffisamment été punis44. Cependant, Le Salut public fait le choix de remettre en cause l'intérêt de l'affaire qui n'est « pas aussi grande qu'on pouvait le supposer »45. Ainsi, l'étude de la presse lyonnaise au moment de la tenue du procès des 66 révèle que la question anarchiste complexifie le traditionnel clivage conservateurs/ républicains. Comme l'explique Laurent Gallet, « la presse républicaine modérée cherche à légitimer le procès en affirmant que l'Internationale complote contre la sécurité du pays » alors que les oppositions de gauche comme de droite estiment que « ce procès n'a pas de raison d'être ; il est un simple faire-valoir nécessaire au maintien du gouvernement »46.

Par ailleurs, si nous insistons sur les articles parus dans les journaux à l'époque c'est parce qu'ils illustrent clairement les positions des différents groupes politiques. En étudiant ci-dessous les débats que peut susciter le procès des 66 à la Chambre des députés, nous constatons avant tout les divisions qui traversent le camp républicain. Le 23 janvier 1883, soit quatre jours après le verdict rendu par le tribunal correctionnel de Lyon, les députés discutent au palais bourbon une loi relative à la réforme de la justice dont la question de l'inamovibilité des magistrats. Le député radical Georges Clemenceau en profite alors pour qualifier de « procès politiques » les instructions de Lyon et de Montceau, condamnant des « malheureux pour avoir exprimé des opinions et sans qu'aucun fait ait été relevé contre eux »47. Puis, quelques jours plus tard, le représentant du 18e arrondissement de Paris reprend

42 Le Rhône, 22 janvier 1883.

43 Le Courrier de Lyon, 15 mars 1883.

44 L'Eclair, 17 mars 1883.

45 Le Salut public, 9 janvier 1883.

46 Laurent Gallet, Le mouvement anarchiste et la presse lyonnaise..., op.cit., (non paginé).

47 Georges Clemenceau à la Chambre des députés le 23 janvier 1883, Journal Officiel de la République Française, 24 janvier 1883, p.115.

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la parole pour dénoncer la stratégie des opportunistes consistant à réprimer les opposants du régime pour se légitimer. Il accuse en effet les opportunistes de renoncer aux doctrines libérales instaurées par la Révolution française avant de déclarer : « Vous croyez ainsi montrer que vous êtes, comme on dit, des hommes de gouvernement ; vous montrez seulement que vous êtes des hommes d'autorité absolue »48. Clemenceau rejette l'idée que la pratique du pouvoir doit remettre en cause les valeurs sur lesquelles les républicains se sont fait élire. Les soutiens du gouvernement se retrouvent alors à défendre le verdict répressif du procès des 66 qui rentre directement en contradiction avec la République. Ce qui permet à Louis Andrieux de déclarer devant la Chambre toute la haine que lui inspire le mouvement anarchiste. Alors que l'assemblée débat sur « la situation des membres des familles qui ont régné en France», l'ancien préfet de Police redevenu « simple » député du Rhône prononce les paroles suivantes :

« Les hommes qui ont incendié Paris et ceux qui ont assassiné les otages ne sont pas des citoyens ! Ceux qui, dans les réunions publiques, ceux qui, dans les journaux, nient l'idée de patrie ne sont pas des citoyens ! Les membres des associations internationales ne sont pas des citoyens. Je le répète, avec ces distinctions subtiles, on peut justifier toutes les mesures arbitraires, toutes les mesures contre la liberté49

Les tensions politiques qui se sont cristallisées autour du procès de Lyon réapparaissent à la Chambre et soulignent l'échec des opportunistes dans leur tentative d'unifier le camp républicain. Cette opposition révèle aussi la volonté du gouvernement d'apparaître comme légitime aux yeux d'une société bourgeoise par sa capacité à maintenir l'ordre. Par conséquent, lorsque le député de gauche radical Henri Maret dépose une proposition de loi d'amnistie pour les condamnés de Lyon et Montceau-les-Mines, Waldeck-Rousseau refuse en faisant appel à l'argument de l'autorité du pouvoir exécutif :

« Nous ne croyons pas qu'il y ait lieu de voter la proposition de l'honorable M. Maret ; non pas que nous ayons le moins du monde l'intention de crier au péril social, - la société française n'est pas en péril par les anarchistes, -mais de ce que la société n'est pas en péril je ne pense pas qu'il s'ensuive que les lois doivent rester vaines (...) Dans ce prétendu mouvement anarchiste, vous trouverez un certain nombre d'individualités, une poignée de factieux, quelques malfaiteurs, quelques malades ; vous ne trouverez rien qui, de près ou de loin, puisse représenter un parti dans la nation... et par conséquent on peut envisager ces faits avec autant de sécurité et d'aversion.

48 Georges Clemenceau à la Chambre des députés le 27 janvier 1883, Journal Officiel de la République Française, 28 janvier 1883, p.154.

49 Louis Andrieux à la Chambre des députés le 1er février 1883, Journal Officiel de la République Française, 2 février 1883, p.206.

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Mais quand il s'agit d'un acte politique, quand il s'agit de savoir si l'on est en présence de personnes qui méritent une mesure de clémence comme l'amnistie, j'affirme qu'il faut se souvenir de ce qu'ils sont, se rappeler ce qu'ils ont dit et ne pas leur faire dans votre clémence et dans votre pitié une part qu'ils n'ont certes pas encore méritée50. »

Le ministre de l'Intérieur n'accorde aucun crédit à une menace anarchiste capable de renverser l'ordre social bourgeois, mais en fait un exemple de la démonstration du monopole de la violence légitime du pouvoir républicain. Et dans sa volonté d'asseoir son autorité, le gouvernement considère légitime de bafouer le principe de liberté d'opinion pourtant fondateur du régime. Par ailleurs, ces paroles de Waldeck-Rousseau sont en totale adéquation avec les arguments avancés par la presse républicaine en faveur du jugement.

En somme, au delà de la condamnation du mouvement anarchiste, c'est la question de la liberté d'opinion et des principes établis par les lois de 1881 qui entrent en jeux. Le gouvernement arrivé au pouvoir en 1879 se retrouve pour la première fois à faire un choix entre ses valeurs libérales et le besoin d'asseoir sa légitimité. La machine d'État dévoile qu'elle ne se repose pas seulement sur la technostructure policière mais que l'administration judiciaire a aussi un rôle à jouer dans la politique du maintien de l'ordre au début des années 1880.

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