WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

L’administration de la coercition légitime en république. Les institutions de l’état face à  l’anarchisme dans les années 1880.


par Amélie Gaillat
Institut des études politiques de Paris - Master de recherche en Histoire 2019
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

B) La nécessité de désigner un coupable

Si le procès des 66 ne juge pas les coupables de l'attentat de Bellecour mais le mouvement anarchiste pour tentative de reconstitution de l'AIT, il est nécessaire de répondre aux attentes du public ému par cet acte de violence en désignant un responsable. Le militant et gérant de presse Antoine Cyvoct se révèle être le candidat idéal. Il a en effet publié un article intitulé « Un bouge » dans le journal libertaire Le Droit Social le 12 mars 1882. Dans celui-ci il incitait ses camarades de lutte à s'en prendre au théâtre Bellecour89. Une chasse à l'homme s'engage donc dès le lendemain de l'explosion alors que Cyvoct se réfugie en Suisse avant d'être arrêté en Belgique.

Cité lors du procès des 66 en janvier 1883 alors qu'il est en fuite, son instruction se tient devant la cour d'assises du Rhône en décembre de la même année. Pourtant, Antoine Cyvoct a toujours clamé son innocence et n'est d'ailleurs pas reconnu comme le poseur de bombe du théâtre Bellecour. Il est en fait jugé coupable d'avoir incité à commettre ce crime ce qui lui vaut une condamnation à mort90. Si sa peine est finalement commuée en travaux forcés au bagne de Nouvelle-Calédonie91, le procès du jeune militant anarchiste vient confirmer le rôle de la machine d'État dans la répression des opposants politiques de la République. D'une part, Cyvoct à l'instar des condamnés du procès des 66 est soumis à la surveillance accrue de l'administration policière. En effet, Laurent Gallet indique que son nom apparaît pour la première fois dans les archives de la police lyonnaise le 7 août 1882 dans un rapport indiquant qu'à la suite d'une réunion, le jeune homme est désigné comme le nouveau gérant du journal

89 « On y voit surtout après minuit, la fine fleur de la bourgeoisie et du commerce...Le premier acte de la révolution sociale devra être de détruire ces repaires ». Extrait de l'article « Un bouge » publié dans Le Droit Social et reproduit dans Laurent Gallet, Machinations et artifices..., op.cit., p. 393.

90 Ibid., p. 192.

91 Ibid., p.204.

102

l'Etendard Révolutionnaire92. Dans le « Fonds Panthéon » conservé aux archives nationales, on retrouve par ailleurs l'extrait d'un rapport de la préfecture du Rhône en date du 19 août 1882 donnant un grand nombre d'informations sur le militant anarchiste :

« Le sieur Cyvoct (Antoine Marie) gérant du Journal l'Etendard n'est âgé que de 21 ans, il fait partie de la classe 1881 et se trouve compris ( ?) sous le N° 160 dans la première portion du contingent (...) Il appartient à une famille considérée à Lyon, ses parents lui ont fait donner une instruction assez complète, chez les frères de la doctrine chrétienne (...) Par suite de la fréquentation de ce débit de boissons [lieu où Cyvoct a rencontré Bordat], il est devenu subitement un membre actif du parti révolutionnaire93. »

Ce document que nous ne présentons pas dans son entièreté, révèle que la police suit de près Antoine Cyvoct depuis qu'il s'est rapproché des cercles anarchistes lyonnais. De plus, un rapport classé sous la même cote confirme que Cyvoct est surveillé par les services de police de la région dès le 22 août 188294, soit trois mois avant l'attentat du théâtre Bellecour. Ce contrôle politique est assumé par les services policiers de Lyon puisqu'il est rapporté à sa hiérarchie. Le ministère de l'Intérieur sait donc que la préfecture du Rhône a mis en place une surveillance du mouvement libertaire et est informé quotidiennement - comme c'est le cas à Paris avec le préfet de Police95 - de l'activité du « parti anarchiste » dans la région. Aussi, le 31 août 1882 la préfecture du Rhône rapporte que Cyvoct lors d'une réunion anarchiste ayant eu lieu le 16 août, a proféré des menaces de mort contre les juges et jurés qui ont condamné ses camarades anarchistes Claude Crestin et Joseph Bonthoux96. Un autre rapport daté du 3 octobre de la même année indique que Cyvoct « préconise la grève des conscrits » lors de réunions publiques et « se disposerait à partir pour la Belgique afin de se soustraire à l'appel sous les drapeaux97 ». Enfin, un document est envoyé au ministère de l'Intérieur par le commissaire spécial de Lyon le 18 octobre indiquant que Cyvoct « est toujours disposé à

92 Ibid., p.27.

93 AN, F7 15943/1. « Fonds Panthéon ». Antoine Cyvoct. Extrait d'un rapport du préfet du département du Rhône en date du 19 août1 882.

94Ibid. . Extrait d'un rapport du préfet du Rhône en date du 22 Août 1882.

95 cf. Chapitre 2.

96 AN, F7 15943/1. « Fonds Panthéon » Antoine Cyvoct. Extrait d'un rapport du préfet du Rhône, le 31 Août

1882.

97Ibid. Extrait d'un rapport du préfet du Rhône, le 6 octobre 1882.

103

passer la frontière » supposant ainsi que le jeune lyonnais se trouve encore dans la région quatre jours avant l'explosion de Bellecour98. Néanmoins, le militant anarchiste ayant toujours clamé son innocence publie une défense dans le journal l'Hydre Anarchiste en 188499, quelques mois avant son départ pour le bagne de Nouvelle-Calédonie. Il affirme avoir quitté Lyon le 9 octobre 1882 pour échapper aux poursuites liées à son arrestation du 7 octobre100. Les archives de la police lyonnaise étant « muettes » entre le 9 octobre et l'attentat du 22 octobre selon l'expression de Laurent Gallet, elles ne nous permettent pas d'établir la présence de Cyvoct à Lyon durant cette période101. Par ailleurs, il explique avoir pris la décision de quitter Lyon car des nouvelles venues de Paris indiquaient des arrestations dans la région à la suite des troubles de Montceau-les-Mines. En effet, Bordat venait de se faire arrêter et il avait le « pressentiment » qu'il n'était pas en sécurité à Lyon102. Ceci rappelle le document étudié précédemment daté du mois de janvier 1882 et expliquant que Bordat s'attend à une potentielle arrestation massive de militants anarchistes commandée par le gouvernement103.

Par ailleurs, si le procès des « 66 » a marqué l'histoire à cause de sa nature politique, celui de Cyvoct revêt une dimension beaucoup plus dramatique. En effet, l'accusé n'est aucunement déclaré coupable d'avoir posé la bombe à l'Assommoir mais d'avoir incité à cet attentat par la publication d'un article dans Le Droit Social104. Le procès s'achève malgré tout en une condamnation à mort pour Antoine Cyvoct, jugement inattendu de l'aveu des jurés eux-mêmes105. Ce verdict, disproportionné à la vue de ce qui est reproché au militant anarchiste, fait l'objet de réactions contrastées. Dans le Fonds Panthéon on retrouve un dossier nommé « Impression produite par la condamnation à mort prononcée contre Cyvoct »

98 Ibid. « Fonds Panthéon » Antoine Cyvoct. Lettre du 18 Octobre 1882. « Fonds Panthéon ».

99 « Défense de Cyvoct », L'Hydre Anarchiste, première année, n°3, 9 mars 1884.

100Ibid., 9 mars 1884.

101 Laurent Gallet, Machinations et artifices..., op.cit., p. 45.

102 « Défense de Cyvoct », L'Hydre Anarchiste, première année, n°3, 9 mars 1884.

103 ADR, 4M 307. Lettre du commissariat spécial près la préfecture du Rhône en date du 6 janvier 1882.

104 On a précédemment évoqué l'article « Un bouge » reproduit dans le livre Laurent Gallet Machinations et artifices..., op.cit., p. 393.

105 Ibid. p. 192.

104

et rapportant à la fois les sentiments des camarades de l'accusé et l'opinion des « honnêtes gens »106. Les habitants de Montceau-les-Mines, région où les groupes anarchistes sont très actifs, se disent soulagés de la condamnation de Cyvoct alors que ses partisans s'abstiennent de tout commentaire107. À la Chaux-de-Fonds, les militants sont « exaspérés » par le jugement auquel ils ne s'attendaient pas et certains appellent à de nouveaux attentats en représailles108. Il est important de noter que ni l'opinion publique, ni les partisans de l'accusé, et encore moins les jurés, ne s'attendaient à la peine capitale pour celui qui a été déclaré « complice » de l'explosion. En effet, comme le rapporte le journal le Progrès, le jury a signé le recours en grâce concernant le jeune Cyvoct109. Par ailleurs, dès le 14 décembre, le ministre de l'Intérieur demande au préfet du Rhône de lui transmettre un rapport concernant ce recours en grâce ainsi que son avis110. Le fonctionnaire indique se ranger du côté de l'avis du président des Assises et du procureur général, tous les deux en faveur à ce que la peine de Cyvoct soit commuée en travaux forcés à perpétuité111. Si le jeune militant échappe finalement à la peine capitale, ces réactions mettent en lumière toute l'ambiguïté de l'administration coercitive dans sa mission de répression du mouvement anarchiste.

Il lui faut répondre aux attentes d'une société française inquiétée par la menace et protéger le régime républicain contre ces « agitateurs » tout en restant dans un cadre défini par une société libérale. Cependant, l'influence que la machine d'État exerce sur le pouvoir exécutif remet en cause la doctrine gouvernementale. Le processus qui entraine l'arrestations d'un grand nombre de militants lyonnais et le procès qui en découle illustre une pratique de pouvoir prenant le pas sur les principes démocratiques. L'analyse en détail du procès des 66 met en lumière le « multi-institutionnalisme » du maintien de l'ordre et révèle la dimension

politique qui conditionne les institutions judiciaires.

106 AN, F7 15943/1. « Fonds Panthéon » Antoine Cyvoct.

107 Ibid. « Fonds Panthéon » Antoine Cyvoct. Rapport du 15 décembre 1883.

108 Ibid., Rapport du 17 décembre 1883.

109 Ibid., Extrait du journal Le Progrès, le 22 décembre 1883.

110 Ibid., Télégramme chiffré du 14 décembre 1883.

111 Ibid., Lettre du 19 décembre 1883.

105

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon