3.3- Les diagnostiques participatifs dans le cadre des
projets de développement local
La participation est au coeur des pratiques de conception et
de mise en oeuvre des projets de développement. Ainsi, la participation
des «bénéficiaires» à l'élaboration d'un
projet passe par la réalisation de diagnostics ayant pour objectif
l'identification de leurs besoins. Ces diagnostics sont le plus souvent
réalisés selon les Méthodes
accélérées de recherche participative (MARP) devenues bien
souvent une exigence des principaux bailleurs de fonds subventionnant des
projets de développement en
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Afrique. Ainsi, les MARP sont très populaires et
largement utilisées par la majorité des intervenants du
développement.
Ce type de diagnostic constitue une étape
incontournable des actions de développement local à un tel point
qu'une confusion existe entre MARP et approches participatives du point de vue
de plusieurs acteurs interrogés. Ayant pour objectif d'évaluer de
manière rapide les «vrais besoins» des populations et de
fournir une « image fine et pertinente de la
réalité»27, ces méthodes permettraient aux
paysans de participer activement à la réalisation des projets de
développement local. A l'ambition de rapidité, s'est vite
ajoutée une exigence de dialogue avec les paysans, de prise en compte de
leur point de vue dans l'analyse des situations et dans le choix des
priorités. Ces méthodes de diagnostic seraient censées
redéfinir les relations entre intervenants et populations puisque ces
dernières deviennent actrices du changement social avec l'appui d'agents
de projet jouant uniquement un rôle de facilitateur.
Nous nous intéresserons dans cette rubrique, à
la façon dont ces MARP sont perçues par les différents
acteurs du développement dans la commune de Bria pour ensuite
dégager la manière dont ces exercices sont concrètement
mis en pratique dans les projets de développement local. Mais
débutons d'abord par dresser un bref survol des principes de base de ces
méthodes dont les vertus semblent faire l'unanimité au sein de la
communauté du développement.
3.4. Processus de mise en place des structures de
participation
L'ensemble des structures de participation présentes
aux différentes échelles d'intervention (villages, groupement,
commune) sont de manière générale composées de
plusieurs membres ainsi que d'un président, d'un vice-président,
d'un secrétaire et d'un trésorier. Le processus de
sélection des membres de ces structures est particulièrement
important à analyser puisqu'il permet de rendre compte en partie de la
représentativité des différents groupes sociaux au sein de
celles-ci. À l'unanimité, les villageois interrogés
affirment que le choix des personnes qui
27 Chambers et Cernea, op cit p.45
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assumeront ces postes se fait par consensus lors d'une
assemblée villageoise convoquée à cet effet. Il est
intéressant de souligner que la majorité des acteurs
extérieurs avec lesquels nous avons discuté font, quant à
eux, référence au vote comme moyen utilisé afin d'assurer
une représentation des différents groupes sociaux au sein des
structures de participation.
Cette culture du vote prônée par les projets se
heurte à des réalités villageoises bien différentes
où le choix des représentants se fait sur la base, non pas des
compétences, mais plutôt de critères tels que l'âge,
le statut, l'équilibre ethnique ou territorial. Une étude
menée par le DRAS sur les Dynamiques Sociales et le Développement
Local à Bria a permis de recueillir des témoignages de villageois
très révélateurs à cet effet :
« Personnellement, j'étais intervenu pour dire
que les gens sont les mêmes et qu'il ne doit pas y avoir un vote entre
deux sages. Ils doivent s'entendre pour que l'un soit président et
l'autre soit vice-président. Ils se sont entendus car l'un a dit qu'il
serait le vice-président. C'est comme cela qu'il n'y a pas eu de
tiraillements .Quand j'ai vu qu'ils voulaient recourir au vote, j'ai
préféré me retirer pour lui laisser la place.
»28
Comme l'explique le Chef du projet OXFAM « les
membres des différentes structures sont supposés être
élus de manière démocratique par le vote lors
d'assemblées villageoises. Mais, pour avoir moi-même
observé comment ça se passe, ce sont toujours les personnes
proches du pouvoir coutumier qui sont désignées sans que personne
d'autre n'ose s'interposer. »29
Par conséquent, pour l'ONG MAHADED, « ce mode
de désignation selon le statut social fait en sorte que les membres de
ces comités font le plus souvent partie de l'élite
locale.»30 Du moment où une personne se
présente et qu'aucune autre ne veut se présenter, alors c'est
révélateur. Ce sont des gens qui sont influents. Il y a deux
comportements au niveau du village : soit l'activité est perçue
comme étant
28 Directeur régional des affaires sociales
Entretien, le 28 juillet 2016 à 14h25Mn
29 Le chef de projet OXFAM à Bria entretien le
23 juillet 2016 à 10h 00
30 CB de l'ONG MAHADED, entretien le 28 juillet 2016
à 14h 35Mn).
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importante et à ce moment ce sont les personnes
influentes qui cherchent à prendre le contrôle, soit
l'activité est vu banale et ça ne les intéresse pas. Alors
seulement, les personnes non influentes pourront avoir des postes. Lorsque
c'est important, les membres d'une organisation vont tout faire pour bloquer
les changements qu'on souhaiterait apporter dans la composition du groupe par
exemple. »31
Bien que les agents du développement aient
sensibilisé les populations quant à la nécessité
d'éviter que les chefs de village occupent des postes au sein de ces
structures, la consigne semble avoir été contournée dans
la mesure où le chef se trouve le plus souvent représenté
par des membres de sa famille. Le président de zone avec qui nous avons
discuté nous confirme cet accaparement des structures participatives par
les pouvoirs locaux.
D'après un membre d'un groupement au village Boungou,
« ici le chef de village ou encore un de ses frères est la
plupart du temps le président des comités de village. Lorsqu'il
désigne un représentant, le travail n'avance pas, ce n'est pas
sérieux. Si c'est le village, alors là le travail se fait. Par
exemple, pour l'entretien des pistes, ce sont tous des gens
désignés par le chef32.
Du point de vue des représentations populaires
relatives au rôle du chef dans les structures villageoises, dans bon
nombre des cas, on constate que la présence directe ou indirecte des
chefs de village «va de soi ».
En effet, bien qu'il y ait une volonté de la part des
projets d'utiliser un processus d'élection démocratique
fondé sur le vote, on constate la persistance d'un système de
consensus villageois influencé par les élites locales. On
remarque donc qu'en réalité, la culture du vote mentionnée
par plusieurs des acteurs extérieurs demeure de l'ordre du discours. Nos
entretiens avec les villageois confirment plutôt la présence d'un
système de consensus reproduisant les rapports de force présents
dans l'espace politique locale.
31 CB de l'ONG MAHADED, entretien le 28 juillet 2016
à 14h 35Mn).
32 Membre d'un groupement, village Boungou 2 entretien
le 28 Juillet 2016 à 16h 35Mn)
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Le processus de mise en place des structures de participation
au sein du Projet de Développement à Bria confirme l'importance
qu'accordent les villageois au consensus. Lors des discussions concernant le
choix des membres ainsi que celui des personnes attitrées aux
différents postes, les acteurs villageois interrogés font tous
référence à un choix fondé sur le consensus lors
d'assemblées prévues. Par conséquent, c'est toujours la
même procédure. Les gens n'aiment pas passer aux élections
tout de suite. Ils préfèrent chercher un consensus en
assemblée générale au moyen de discussions et de
négociations. Ce qui arrive le plus souvent, c'est que quelqu'un se
propose et qu'il fait partie du cercle d'influence. Alors, plus personne n'ose
se porter volontaire car ils savent qu'ils n'ont aucune chance.
Lorsqu'on approfondit la notion de consensus dont font mention
les différents acteurs villageois, on constate une intrusion des enjeux
des pouvoirs locaux et des rapports de force. En fait, on constate que la
sélection des membres de ces comités se fait par
désignation.
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