Paragraphe 2: Les stratégies d'implémentation
de la diversité culturelle en Afrique Centrale
Le débat sur la question identitaire s'est abondamment
renouvelé en Afrique Centrale. Avec la poussée des revendications
et l'accentuation des particularismes, les mécanismes de se sont
décuplés autour de deux approches distinctes dans
l'implémentation des politiques publiques de gestion de la
diversité culturelle. Il s'agit du multiculturalisme et de l'inter
culturalisme. Le
156 Sixième et septième rapport sur la mise en
oeuvre de la charte africaine sur les droits de l'homme et des peuples et le
rapport initial du protocole sur les droits de la femme en Afrique 2011-2017,
Luanda, République d'Angola, janvier 2017.
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Les politiques publiques de gestion de la diversité
culturelle dans les processus de construction de la paix en Afrique centrale
multiculturalisme, entendu comme reconnaissance et
revalorisation par les pouvoirs publics de la diversité culturelle
renvoie à ce qui relève de la coexistence de plusieurs cultures
différentes (A), tandis que l'inter culturalisme renvoie aux
différents échanges et contacts entre les cultures en vue d'une
meilleure valorisation des différences (B).
A- Le multiculturalisme comme nouvelle réponse
des politiques publiques de gestion de la diversité en Afrique
Centrale
Le multiculturalisme de la vie sociale est un fait en Afrique
Centrale. Les Etats-nations sont formés de populations diverses par leur
culture, leur milieu social, leur religion, leur origine régionale ou
nationale. Depuis le début des années quatre-vingt-dix, les
politiques engagées privilégient des outils multiples dont
certains visent explicitement des groupes minoritaires en façonnant des
politiques d'intégration qui s'appuient largement sur des dynamiques
communautaires des minorités et la préservation de leurs
identités. Un des aspects de ces politiques d'intégration est la
préservation de l'identité culturelle des minorités
ethniques. Il existe depuis cette période des débats sur la
question de savoir si cette préservation facilite ou entrave
l'intégration des minorités.
Selon Charles TAYLOR, le multiculturalisme est un «
mélange des horizons »157. Il est fondé sur
le double respect de la diversité des cultures d'une part, et de
l'éthique du vivre-ensemble d'autre part. Perçu comme le
modèle libéral le plus favorable à l'expression des
demandes de groupes minoritaires, le multiculturalisme démocratique est
utilisé pour caractériser des accommodements mis en oeuvre par
les Etats en vue de permettre la reconnaissance et la protection
d'identités culturelles différentes de la culture dominante. La
question de la représentation étant sous-jacente, l'enjeu ici est
de faire accéder les « minorités visibles »
à une représentation économique, politique et sociale
de la vie de leur nation.
Will KYMLICKA dans son ouvrage Multicultural
Citizenship, développe sa proposition de gestion politique de la
différence culturelle. L'auteur canadien y distingue deux types de
sociétés : les sociétés multinationales et les
sociétés multiethniques. Au sein des premières, existent
des minorités nationales, à savoir des populations autochtones
dont les sociétés postcoloniales (Etats-Unis, Canada, Australie
et d'autres) servent d'exemple. Ces minorités
157 Charles TAYLOR, Multiculturalisme. Différence et
démocratie, Paris, Flammarion, 1994.
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Les politiques publiques de gestion de la diversité
culturelle dans les processus de construction de la paix en Afrique centrale
méritent selon KYMLICKA des droits particuliers parce
qu'elles sont territorialement concentrées, elles ont une culture plus
ou moins structurée et elles sont souvent protégées par
des traités internationaux. Le second type de sociétés est
celles qui « accueillent » des immigrés. Pour ces
derniers KYMLICKA suggère qu'ils ont abandonné volontairement
leurs pays et par conséquent le droit à leurs cultures. Donc, il
reconnaît à la société libérale le droit de
« forcer » les immigrés de respecter la culture de la
société d'accueil (to compel respect)158.
Le contenu du concept de multiculturalisme se réduit
donc à la reconnaissance ou non de la différence culturelle dans
la sphère publique à la suite de la problématique
formulée par Charles TAYLOR. Il s'agit d'une caractéristique
fondamentale qui distingue le multiculturalisme moderne des cas traditionnels
de coexistence plus ou moins conflictuelle entre différentes
communautés ethniques, religieuses et linguistiques. Le
multiculturalisme est un moyen de relever le défi que constitue
l'aggravation des conflits et de la violence associée aux
différences. Pour d'autres, il constitue les dangers inhérents
à la division et la diversité culturelle, et des résultats
auxquels cette stratégie a abouti. La promotion du multiculturalisme
s'accomplit via les institutions universalistes. L'UNESCO a par exemple
lancé, depuis des années, une campagne pour la diversité
culturelle. L'ONU a proclamé 1993 « Année des peuples
indigènes ».
La nécessité de définir un socle commun
du fait de la diversité des États d'Afrique Centrale ont conduit
à penser un système de protection des droits de l'homme
basés sur les principes du multiculturalisme qui permettraient d'isoler
l'effet ethnique de l'effet social en vue d'« appréhender
concrètement la différence visible
»159. Il ne s'agit plus du
métissage et du cosmopolitisme d'antan au sein des
sociétés fermées, il s'agit de penser les conditions du
dialogue entre les cultures et des sociétés ouvertes les unes sur
les autres, ce qui n'est ni abandon des identités, ni un mélange
uniformisant des cultures. L'émergence d'une culture inclusive demande
au préalable une base morale établissant quelques principes du
vivre-ensemble
Dorénavant, la structuration des sociétés
du monde n'est plus déterminée par les rapports de production,
mais par les rapports culturels, entendus par la plupart des chercheurs
multi
158 Will KYMLICKA, Multicultural Citizenship. A liberal
theory of minority rights, Oxford, Clarendon Press, 1995.
159 GRAVEL S., GERMAIN A. et LECLERC E. (2010), « Les
données ethniques dans les services publics: Dilemmes de gestion de la
diversité et protection » in I. BARTH and C. FALCOZ, Nouvelles
perspectives en management de la diversité: Egalité,
Discrimination et diversité dans l'emploi, Paris: EMS, Management
et société, PP. 119-138.
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Les politiques publiques de gestion de la diversité
culturelle dans les processus de construction de la paix en Afrique centrale
culturalistes comme ethniques. Le poids des facteurs
socioculturels s'accroît dans la définition de l'espace social.
Ainsi: « D'un discours où une notion de classe même
contestée était centrale, on passe à un discours davantage
ethnicisé. Au fur et à mesure que le concept de classe
s'émiette, on cherche ailleurs les identités sociales
»160. En apprenant à se connaître, en
dialoguant, les individus prennent conscience de l'apport de chacun et des
ressources disponibles au sein de la société. Ceci conduit Claude
KARNOOUH à conclure ainsi: « Multiculturalism offers only
impotent responses to this social-political crisis created by capitalism,
because its elaboration is no way lessens, through an ever stronger social
atomization, what the real tragedy of late modernism reveals: A growing
disjunction between wealth and poverty »161.
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