Paragraphe 2: La diversité culturelle comme une
entorse à la paix et au vivre-ensemble en Afrique Centrale
Au lendemain des indépendances africaines, la
construction de l'unité nationale a pris les allures d'une
nécessité impérieuse. L'objectif des pouvoirs en place
était la construction d'une superstructure étatique, faisant
abstraction des solidarités tribales, ethniques ou
108 René OTAYEK, « Démocratie, culture
politique, sociétés plurales. Une approche comparative à
partir des situations africaines », Revue française de sciences
politiques, numéro 47,1997, PP.798-822.
109 Idem
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Les politiques publiques de gestion de la diversité
culturelle dans les processus de construction de la paix en Afrique centrale
classiques qui elles n'avaient guère disparues. Cette
escalade a laissé entrevoir la diversité culturelle des peuples
comme un obstacle à ce qui s'apparentait alors à un idéal
de la construction de l'Etat-nation. Cet état de fait qui a
perduré pendant de longues décennies a laissé entrevoir la
diversité comme un élément catalyseur des tensions (A),
même si plus loin, elle prend les allures d'un handicap pour la paix
(B).
A-La diversité culturelle comme catalyseur des
tensions et des inégalités sociales
Presque tous les Etats de la sous-région sont
confrontés au problème de
l'hétérogénéité de la population et de la
lente maturation d'une véritable nation. Bien plus, la
sous-région est considérée comme le terreau fertile des
identités et des appartenances. De ce fait, l'attachement à
l'identité culturelle devient un facteur de division potentielle de la
nation.
Au lieu de maîtriser les diverses ressources humaines et
spatiales du pays, le traitement politique de la question de la gestion de la
diversité culturelle se réduit généralement
à une lutte pour le pouvoir et les ressources, ce qui accroît
l'exclusion, attise la discorde sociale et favorise les conflits politiques.
Aussi, pour tout conflit à connotation religieuse, ethnique ou
linguistique qui dégénère en violence communautaire,
rappelle Gareth EVANS «d'innombrables personnes ou groupes de cultures
et milieux différents vivent harmonieusement côte à
côte dans le monde. Pour chaque groupe dont les doléances
économiques dégénèrent en violence catastrophique,
nombre d'autres n'atteignent pas cette extrémité ; Pour chaque
prédation économique qui cherche à contrôler des
ressources ou des leviers du pouvoir et provoque ou attise ainsi les conflits,
d'autres n'ont pas ce résultat »110.
Outre le politico-institutionnel, la diversité
culturelle dans la plupart des sociétés de cette région
accroît les sentiments d'insatisfaction et catalyse les tensions
sociales. Selon un rapport du PNUD de 2012 sur le développement mondial,
l'Afrique centrale est classée deuxième après
l'Amérique du Sud en tant que contributrice socio-économique aux
crimes. Au Gabon par exemple, la mauvaise répartition des richesses a de
tout temps été décriée non seulement par la
population elle-même, mais aussi par la communauté internationale
notamment les organisations non-gouvernementales. Le même constat est
valable pour le Tchad et la Guinée-Équatoriale où des 10 %
les plus riches gagnent 31 fois plus que les 10 % des plus pauvres.
110 Gareth EVANS, « Prévenir les conflits: un
guide pratique », ICG, Politique étrangère n°
1-2006 printemps, 2 janvier 2006.
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Les politiques publiques de gestion de la diversité
culturelle dans les processus de construction de la paix en Afrique centrale
Longtemps, on a décrit le génocide du Rwanda
comme le fruit d'une fureur spontanée, incompréhensible,
inattendu. En vérité, le racisme inter-ethnique dans lequel le
Rwanda s'était construit depuis deux siècles et dans lequel il a
sombré en 1994 explique ce génocide. Mais tout de même
avant la colonisation, le Rwanda avait une population homogène
(même langue, culture, religion). Il n'existait pas de groupes ethniques
et si les rwandais se reconnaissaient Hutu ou Tutsi, cette appellation
n'était pas fondamentale dans l'identité sociale du rwandais et
était mouvante (un Hutu pouvait devenir Tutsi...). La colonisation
allemande, puis belge (mandat de la Société des Nations en 1919)
induit le passage d'une identité sociale à une identité
ethnique en transposant un schéma de pensée étranger qui
va être à la base du dualisme identitaire Hutu / Tutsi avec le
mythe d'une ancienne migration de Blancs en Afrique Noire. Les Tutsi ayant
majoritairement la peau claire, ce devaient être des «
nègres blancs » appartenant à une race
supérieure.
En 1961, le parti du mouvement de l'émancipation hutu
accède au pouvoir, ce qui marque le début du pouvoir hutu. Ce
gouvernement cherche à se débarrasser de la minorité
Tutsi. En 1962, le pays accède à l'indépendance et les
élites Tutsi sont chassées du pouvoir. C'est le début du
génocide qui entraîne un exode massif des Tutsis vers l'Ouganda.
On assiste dans ce contexte à une inversion du racisme des nobles Tutsi
contre les Hutu, mais ce racisme s'étend à l'ensemble des Tutsis
et notamment les Tutsis du Nord qui avaient autant souffert de la domination
des nobles Tutsis. L'idée que les Hutus et les Tutsis sont deux races en
guerre est diffusée par les dirigeants rwandais et cela leur permis
d'unir la nation autour d'un chef d'Etat contre un ennemi commun sur le
thème « massacrer avant d'être massacré
». L' « ethnicisation » de la
société rwandaise est donc le fruit d'une construction politique
et institutionnelle élaborée par la puissance coloniale et
intériorisée par les rwandais.
En RDC, les franges orientale et septentrionale de ce pays
sont traitées par l'Ouganda, et plus encore par le Rwanda, comme un
hinterland dont il s'agit d'exploiter les ressources minières. Non
seulement les bénéfices assurent le financement de la guerre,
mais ils permettent également aux élites au pouvoir de maintenir
un niveau de vie privilégié. C'est ainsi que des comptoirs d'or
et de diamants se sont ouverts au Rwanda, alors que le sous-sol de ce pays est
dépourvu de ces gemmes. Parallèlement, le café de la
province congolaise du Nord-Kivu est exporté via l'Ouganda et le Rwanda.
Les ambitions économiques de ces deux États ne se limitent pas
à la prédation de richesses facilement accessibles et
commercialisables (diamant, or) ; elles concernent également des
minerais tels que le niobium et le tantale, qui sont utilisés
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Les politiques publiques de gestion de la diversité
culturelle dans les processus de construction de la paix en Afrique centrale
dans l'industrie de pointe (électronique,
aéronautique, médecine de pointe. De ce fait, l'exploitation et
la commercialisation de ces minerais sont le monopole des Rwandais,
protégés par des militaires et plusieurs compagnies
internationales sont représentées à Kigali.
D'une manière générale, le conflit que
connaît la Centrafrique laisse penser que ce pays connaît
également la diversité comme une source d'exacerbation de la
conflictualité. En effet, outre des affrontements interreligieux qui
caractérisent ce conflit, des groupes rebelles militarisés
contrôlent aussi une part importante des sites de production de
diamant.
Ce panorama de la conflictualité montre que l'Afrique
centrale est une région dans laquelle ont proliféré les
conflits armés même si certains sont anciens et ont
débuté pendant la guerre froide. Ces conflits sont pour
l'essentiel des guerres civiles qui débordent de la sphère
interne en ayant des répercussions importantes à l'échelle
régionale à savoir, des catastrophes humanitaires liées
à la détresse des personnes déplacées et des
réfugiées qui, souvent errent des mois durant dans la
forêt, tenaillés par la faim, la soif et les maladies en fuyant
les zones de combats. Qu'ils soient plus ou moins anciens comme en Angola et en
RDC, ou plus ou moins récents comme en RCA, la plupart des conflits que
connaissent les États de l'Afrique centrale paraissent avoir un
dénominateur commun : La diversité en parallèle. En effet,
la déliquescence du pouvoir des États observée en Afrique
centrale s'accompagne d'une forme d'organisation économique et
politico-territoriale parallèle111.
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