CHAPITRE 2 : LA NATURE JURIDIQUE DE LA GARANTIE PORTANT
SUR LA JOUISSANCE DES TERRES : L'HYPOTHEQUE
La nature juridique d'une institution renvoie à ce
« qui définit cette institution ; ce qui est de son essence et
de sa substance. C'est l'ensemble des critères distinctifs qui
constituent cette chose en une notion juridique108
». La nature juridique permet de déterminer le régime
juridique de la chose ou de la situation à appréhender.
S'agissant des garanties de remboursements des crédits, leur nature
juridique s'identifie dans la catégorie des droits réels dits
accessoires ou de second degré. Les droits réels accessoires sont
des droits attachés aux créances mais portant sur des biens
déterminés. Selon la distinction établit par GOUBEAUX, les
droits réels accessoires sont des accessoires non pas par production
mais simplement des accessoires par affectation109. Les
bénéfices de ces droits sont distincts des
bénéfices des droits réels principaux que sont l'usage, la
jouissance et la disposition. Selon le mécanisme du droit réel
accessoire, « le droit réel est vidé de sa substance
matérielle ; il n'en reste que les attributs juridiques - droits de
préférence et parfois de suite -, offerts au créancier
afin de garantir son droit110». L'unique raison de son
existence est la créance garantie avec laquelle elle disparait ou
plutôt qu'elle permet de réaliser111, ce qui participe
de ce qu'un auteur appelle le « droit de disposer du bien d'autrui
pour son propre compte112. »
La catégorie des droits réels accessoires,
offrant le droit de préférence et un droit de suite en plus pour
certains, compte plusieurs garanties. Il y a des garanties mobilières
qui portent sur des biens meubles et des garanties immobilières portant
sur les immeubles. Il y a une catégorie des garanties qui portent sur
tous les biens qu'ils soient meubles ou immeubles. Ainsi, tous les biens du
débiteur, meubles comme immeubles, sont considérés comme
affectés en garantie de certaines créances113. La
nature de droit réel accessoire est tout de même discutée
aux garanties de cette catégorie (privilèges
généraux), pour défaut de droit de suite notamment.
Certains auteurs s'accordent à lui reconnaître cette nature
seulement
108 G. CORNU, Vocabulaire Juridique, op. cit. p.679
109 G. GOUBEAUX, La règle de l'accessoire en droit
privé, LGDJ, Bibl. de droit privé, t. 93, 1969, n°23.
Au sens de l'auteur, il semblerait que l'on ne puisse pas dire qu'une garantie
soit un accessoire par production, car dans l'accessoire par production, le
principal participe à la structure de l'accessoire, ce dont ne fait pas
un droit réel accessoire.
110 Ph. MALAURIE et L. AYNES, Droit civil. Les
sûretés, op. cit, n°400
111 J. GATSI, droit des biens et des sûretés
dans l'espace OHADA, op. cit. p.28
112 B. LOTTI, Le droit de disposer du bien d'autrui pour
son propre compte, Thèse, Université de Paris Sud XI, 1999,
519p.
113 L'article 180 de l'AUS détermine ces privilèges
généraux et leur régime.
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Jouissance des terres et garantie
lorsqu'il s'agit de certains privilèges accordant droit
de suite ; c'est le cas du privilège du bailleur.114 Les
privilèges généraux sont des traits d'union entre les
biens meubles et les immeubles. Les garanties portant spécialement sur
ces derniers sont limitées et strictement encadrées. D'ailleurs,
c'est en droit français qu'il est possible d'en recenser deux, exception
faite des propriétés garanties. Il y a notamment le gage
immobilier, sorte de gage sur immeuble avec dépossession du constituant.
Puis il y a l'hypothèque115.
Comme évoqué ci-haut, la question se pose de
savoir si les droits réels de jouissance des terres comme droits
réels immobiliers constituent l'assiette de l'hypothèque ? Ainsi
donc, il s'agit de savoir s'il faudrait considérer une hypothèque
des droits de jouissance des terres. La garantie portant sur la jouissance des
terres s'identifie comme hypothèque (Section 1). Pourtant, il est
possible d'identifier des caractéristiques propres à
l'hypothèque des droits de jouissance des terres (Section 2), ce qui
pourrait faire de cette dernière une hypothèque
particulière.
SECTION 1 : L'IDENTIFICATION DE LA GARANTIE AU MOYEN
DES DROITS DE JOUISSANCE DES TERRES COMME HYPOTHEQUE
L'hypothèque est définie comme droit
réel sur un immeuble affecté à l'acquittement d'une
obligation.116 Plus largement, selon le Doyen CORNU,
l'hypothèque est une « sûreté réelle
immobilière constituée sans la dépossession du
débiteur, par une convention, la loi ou une décision de justice,
et en vertu de laquelle le créancier qui a procédé
à l'inscription hypothécaire a la faculté, en tant qu'il
est investi d'un droit réel accessoire garantissant sa créance,
de faire vendre l'immeuble grevé en quelques mains qu'il se trouve
(droit de suite) et d'être payé par préférence sur
le prix (droit de préférence)117. » Cette
définition est non seulement précise mais résume
clairement tout le mécanisme qu'est l'hypothèque. Identifier la
garantie des droits de jouissance des terres à l'hypothèque
amène à se rendre à l'évidence que l'objet commun
est la terre (Paragraphe 1). Le législateur en voulant opérer
cette identification envisage pour la garantie des droits de jouissance des
terres les caractéristiques de l'hypothèque (Paragraphe 2).
114 Ce dernier a un droit de suite en cas d'enlèvement
des biens du locataire sans son consentement. MINKOA SHE A., «
Privilèges », in Encyclopédie du droit OHADA, Porto
- Novo, Lamy, 2011, pp. 1413-1424
115 Ph. MALAURIE et L. AYNES, Droit civil. Les
sûretés, op. cit, n°630
116 G. CORNU, Vocabulaire Juridique, op. cit. p.515
117 Idem
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Jouissance des terres et garantie
Paragraphe 1 : L'identification comme hypothèque au
moyen de l'objet des deux garanties
Les textes qui fondent118 les divers droits
réels de jouissance des terres évoqués plus haut postulent
que l'hypothèque est la garantie dont lesdits droits peuvent être
l'assiette. L'assiette est la « base matérielle sur laquelle
porte un droit et qui concourt à délimiter concrètement
celui-ci.»119 C'est aussi la « base
économique, valeur de référence qui sert au calcul d'un
droit ou d'une obligation (dette, cotisation).»120 La
distinction de l'assiette et de l'objet ne tient pas à grande chose.
L'objet est en effet la « chose matérielle, tangible
». L'objet renvoie à la chose ou la matière et
l'assiette renvoie de sa part à la valeur.
Lorsque l'hypothèque porte sur l'immeuble ou sur le
droit de jouissance de l'immeuble ou des terres, l'objet est commun, c'est la
terre et donc l'immeuble. La propriété garantie porte sur les
terres et le gage immobilier porte sur le même objet. L'objet d'une
garantie est la chose matérielle sur laquelle il porte
directement.121 Cet objet peut ne pas être divisé en
valeur et dans ce cas, il se confond avec l'assiette.
En effet, la communauté d'objet pour de
l'hypothèque lorsqu'elle porte sur l'immeuble entier et lorsqu'elle
porte sur un droit de jouissance des terres ne signifie pas unité des
droits concernés ni des valeurs économiques à
prétendre. Il faudrait envisager l'hypothèque comme portant sur
l'immeuble et donc, pour ce cas, ce qui est visé c'est l'immeuble tout
entier (A) et toute sa valeur, les droits de jouir et de disposer de
l'immeuble. L'hypothèque portant sur les droits de jouissance des terres
a une assiette claire et distincte, c'est le droit de jouissance de l'immeuble
ou des terres (B).
A. L'immeuble comme assiette de l'hypothèque de
l'immeuble
L'hypothèque porte généralement sur tout
l'immeuble et ses accessoires par production.122 Ce n'est pas la
propriété de l'immeuble qui est mise en garantie sinon il
s'agirait d'une propriété garantie. C'est l'immeuble tout entier
comme un bien et non comme le droit sur le bien. Certainement la distinction de
la mise de la propriété de l'immeuble en garantie suivant les
techniques de propriété retenue ou cédée, de la
mise de l'immeuble en
118 Article 1er de la loi sur le bail
emphytéotique, décret fixant les modalités de gestion du
domaine national, décret fixant les modalités de gestion du
domaine privé de l'Etat, décret du 11 août 2015.
119 G. CORNU, Vocabulaire Juridique, op. cit. p.130
120 Idem
121 G. CORNU, Vocabulaire Juridique, op. cit. p.701
122 G. GOUBEAUX, La règle de l'accessoire en droit
privé, op. cit. n°23.
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Jouissance des terres et garantie
garantie démontre bien que l'immeuble est susceptible
de divisions. Cette division est-elle économique ou juridique ?
Assurément, une telle division est difficile à clairement situer
en droit des biens. La division est tout au moins triple : l'immeuble
qui est le bien est distingué de la
propriété de l'immeuble qui est un droit et la
propriété elle-même peut être distinguée
du droit de jouissance de l'immeuble qui peut être un de ses
démembrements. C'est la conséquence de la distinction des
choses et des biens ainsi que des biens et des
droits123.
Ainsi divisé, l'immeuble peut être
envisagé pour faire l'objet de trois garanties distinctes.
L'hypothèque de l'immeuble, la
propriété-garantie de l'immeuble et la
jouissance-garantie de l'immeuble. L'objet de l'hypothèque qui
est l'immeuble et principalement sa valeur se distingue des autres de
manière plus claire au moment de sa réalisation. En effet, au
moment de la réalisation de l'hypothèque, l'attribution de la
propriété de l'immeuble au créancier n'est qu'une option
et jamais un automatisme. Cette attribution est automatique lorsqu'il s'agit de
la propriété garantie124.
Egalement, en réalisant l'hypothèque par la voie
de la saisie immobilière une solution exceptionnelle est avancée,
celle énoncée à l'article 265 de l'AUPSRVE qui dispose
ainsi : « Si le débiteur justifie que le revenu net libre de
ses immeubles pendant deux années suffit pour le paiement de la dette en
capital, frais et intérêts, et s'il en offre la
délégation au créancier, la poursuite peut être
suspendue suivant la procédure prévue à l'article
précédent. » Par ce mécanisme, le
débiteur peut affecter ses loyers au paiement de sa dette, il peut en
être de même pour un agriculteur qui justifie que ses cultures sur
ses propriétés terriennes hypothéquées peuvent
suffire à payer la créance au bout de deux
années125.
Il se dégage que lorsque l'immeuble est mis en
hypothèque, toutes les prérogatives et valeurs économiques
de l'immeuble sont mises à contribution pour assurer la mission de
désintéressement du créancier. A contrario, lorsque
l'objet de garantie est la propriété, seule cette
propriété désintéressera le créancier.
Lorsqu'il s'agit du gage immobilier, c'est la dépossession de l'immeuble
qui est opérée et les fruits sont affectés au
désintéressement du créancier. L'assiette de
l'hypothèque portant sur la jouissance des terres est à cette
suite distincte de celle de l'hypothèque portant sur l'immeuble.
123 F. TERRE et Ph. SIMLER, Droit civil. Les biens, op.
cit. p.2
124 Ph. MALAURIE et L. AYNES, Droit civil. Les
sûretés,p. cit, n°750 et s. ; P. CROCQ,
Propriété et garantie, op. cit.
125 Cette solution peut être envisageable puisque
l'article 265 AUPSRVE citée ne vise pas directement les loyers mais
simplement le revenu de l'immeuble, il s'agirait donc de ses fruits, naturels,
civils ou industriels.
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