1.3.3 Les frais de contentieux
L'incertitude résultant des acteurs eux-mêmes
(rationalité limitée, opportunisme) ou de l'environnement
(imprévisibilité) tentera d'être endiguée par
l'élaboration de garanties. Toutefois, complexes, elles relèvent
traditionnellement du recours au tribunal. O.E. Williamson estime le recours
coûteux sinon inefficace. S'élaborent alors des mécanismes
d'arbitrage entre les parties pour se substituer à la voie juridique
classique. Moins formalisés, des coûts de « marchandage
» seront une autre option offerte en cours d'exécution du
contrat.
Prenons l'exemple d'un contentieux né lors d'un
différend entre une entreprise et un assureur pour la gestion d'un
sinistre. Actuellement, le client doit compléter les documents
nécessaires à l'indemnisation. L'assureur dépêche un
expert qui se déplace sur site pour constater et estimer les
dégâts. Plusieurs échanges sont nécessaires pour
aboutir au montant d'une indemnisation. La divergence des intérêts
des parties peut conduire à un échec des tractations. En cas de
litige, une issue ne peut être trouvée qu'en ayant recours
à des avocats pour porter l'affaire devant les tribunaux.
Ainsi, pour s'entendre, les deux parties, auront dû
supporter des coûts (experts, avocats) pour réaliser une
transaction. Au final, ce processus apparaît pour une entreprise comme
étant lent, incertain (décision de justice) et coûteux.
Afin de mieux cerner l'apport de la blockchain, cet exemple
sera repris dans la partie « revue de littérature ».
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L'analyse des principaux aspects des transactions dans les
entreprises montre que le schéma idéal classique d'acteurs
rationnels, échangeant de manière équilibrée, rend
imparfaitement compte de la réalité du terrain. L'aspect
comportemental des intervenants introduit la dimension humaine au sein de
l'échange économique. Il ne s'agit plus seulement d'une approche
purement théorique, mathématique, mais d'intégrer la
psychologie des protagonistes. La prise en compte de ce facteur s'effectuera
aux différents stades des mécanismes contractuels, en donnant la
part belle aux tiers de confiance.
Remarquons que la mise en valeur de l'humain dans
l'évolution économique se trouve déjà au coeur de
la réflexion de J.A. Schumpeter (Théorie de l'évolution
économique, 191118). Dans sa conception, l'entrepreneur est
plus qu'un simple acteur, mais un créateur moteur de l'évolution
économique. Il apporte une innovation, ce n'est pas uniquement un
gestionnaire. C'est cette dimension psycho-économique, que nous
retiendrons sans entrer ici dans l'étude de sa théorie, qui
explique l'évolution de l'économie par l'alternance de
périodes d'essors et de périodes crises.
De même, l'actualité de la théorie
économique continue de faire appel aux aspects psychologiques des
acteurs, comme l'atteste l'attribution du prix Nobel 2017 à Richard
Thaler. La finance comportementale remet en question le postulat de base de la
finance moderne, l'investisseur rationnel. R. Thaler a montré l'emprise
des travers comportementaux individuels, comme par exemple les
préférences sociales, la peur, l'importance de la possession de
quelque chose, qu'il a appelé l'aversion de la possession. Afin de les
corriger, il a théorisé une forme d'intervention « douce
», ou « paternalisme libéral », soit le « coup de
pouce » (nudge) : l'individu reste libre d'agir mais il est incité
à prendre un chemin plutôt qu'un autre. Toutefois, une
interrogation peut apparaître au regard de l'innovation disruptive de la
blockchain, susceptible par son automaticité, de réduire le
recours au travestissement « coup de pouce » de l'approche
théorisée par
C. Sunstein et R. Thaler19.
18 Schumpeter, J. A. (1911), Theorie der wirtschaftlichen
Entwicklung, Berlin, Duncker und Humblot, traduction française
(1935), Théorie de l'évolution économique Recherches
sur le profit, le crédit, l'intérêt et le cycle de la
conjoncture, Paris, Dalloz.
19 Thaler R., Sunstein C. (2009), Nudge : Improving Decisions
About Health, Wealth and Happiness, Penguin, 5 mars, 320 p.
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