1 Cadres explicatifs : le fonctionnement actuel des
transactions dans les entreprises et le rôle des tiers de confiance
Une notion fondamentale irrigue toute la problématique
des relations entrepreneuriales : « la confiance ». C'est une
espérance de fiabilité dans les conduites humaines qui
précède et détermine la possibilité de
l'échange (E. Laurent, 20127). Cette idée
débattue lors d'un colloque à Lyon en 1998, « Confiance et
gestion », mettait en exergue les travaux de A. Breton et R. Wintrobe
(19828). Ce facteur comportemental, hautement psychologique, doit
pour autant s'étayer concrètement au travers du chaînage
contractuel.
Actuellement, tous les systèmes qui reposent sur la
confiance impliquent la présence d'un tiers de confiance. Ce dernier
s'assure que toutes les conditions sont réunies pour réaliser la
transaction et son exécution en conformité avec les contrats
signés et la législation en vigueur. Les banques sont
probablement les tiers de confiance les plus connus avec les avocats, les
notaires et les experts comptables. Etant donné l'importance de leur
rôle dans l'économie, les tiers de confiance sont eux-mêmes
agréés par un régulateur (l'AMF - Autorité des
Marchés Financiers - certifie des salariés des banques,
l'administration fiscale agrée des tiers de confiance parmi les membres
de professions réglementées d'avocat, notaire ou expert-comptable
- article 170 ter du code Général des impôts9).
Tout en haut de la chaîne de confiance, l'Etat est le garant de la
cohérence et de la stabilité de l'ensemble du système.
Ainsi, inscrits dans l'architecture conceptuelle des
échanges des entreprises visant à satisfaire leurs besoins
financiers, tout en réduisant leurs coûts, les tiers de confiance
se trouvent au coeur de deux théories économiques. Elles se sont
efforcées de répondre à ces enjeux de manière
optimale : la théorie de l'agence et la théorie des coûts
de transaction.
7 Laurent, E. (2012), L'économie de la confiance,
Ed. De la découverte, Paris.
8 Breton A., Wintrobe R. (1982), The Logic of Bureaucratic
Conduct, Cambridge University Press, 1982, 325 p.
9 Article 170 ter, Modifié par Décret n°
2011-645 du 9 juin 2011 - art. 1, II. - La mission de tiers de confiance est
réservée aux personnes membres des professions
réglementées d'avocat, de notaire et de l'expertise comptable.
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1.1 La théorie de l'agence
Il faut entendre le terme « agence » dans le sens
étymologique d'agent « celui qui fait », « qui s'occupe
».
Dès 1976, Michael C. Jensen et William H.
Meckling10 définissaient la relation d'agence comme un
nouveau type de relation contractuelle par laquelle un groupe d'acteurs dit
« le principal » (soit les actionnaires d'une entreprise) engage une
personne dite « l'agent » (soit le dirigeant) pour agir en son nom.
Il lui délègue une partie de l'autorité de la prise de
décision. En outre, l'application contractuelle se complexifiera avec le
comportement potentiellement divergent des deux acteurs : si chacun veut
maximiser ses propres intérêts, une des parties (l'agent) peut
être tentée de tirer profit de l'incomplétude des contrats
(G. Charreaux, A. Couret, P. Joffre, 198711). Un contrat est
incomplet quand il n'est pas possible de prévoir ce qui va se passer
dans tous les cas de figure potentiels. Dès lors, quand une circonstance
imprévue se produit, peut s'ouvrir une nouvelle négociation afin
de fixer une interprétation ou de redéfinir des termes
contractuels. Cette renégociation constitue le concept central de la
théorie des contrats incomplets. En effet, personne ne serait capable de
vérifier ex post l'état de certaines variables, du fait
notamment de l'imperfection de l'information. (O. Hart et J. Moore,
199012). Ce postulat peut s'apparenter à celui posé
par O.E. Williamson sur la rationalité limitée des agents
(examinée infra avec les coûts de rédaction liés
à la rédaction de contrats). Notons toutefois que les fondements
de la théorie des contrats incomplets sont toujours en débat (E.
Maskin et J. Tirole, 199913, O. Hart et J. Moore,
199914).
En tout état de cause, l'ambivalence des acteurs
s'invite dans l'exécution littérale contractuelle : la divergence
de leurs intérêts conduit le principal (actionnaire)
à valoriser ses dividendes, alors que l'agent (dirigeant) peut
tenter de s'approprier les ressources de l'entreprise pour servir son
développement, voire également la satisfaction de ses besoins
personnels.
L'opportunisme de l'agent quant à lui
constitue la dérive évoquée, consubstantielle à
l'évidente asymétrie informationnelle. Elle est inhérente
à cette relation contractuelle, puisque
10 Jensen M.C., Meckling W.H. (1976), Theory of the Firm,
Managerial Behavior, Agency costs Ownership structure, Journal of Financial
Economics, Vol. 3, 345-360
11 Charreaux G., Couret A., Joffre P., (1987),
De nouvelles théories pour gérer l'entreprise, Paris,
Economica
12 Hart O., Moore J. (1990), Property Rights and the nature of
the Firm, journal of Political Economy, 98 (6), 1119-1158
13 Maskin E., Tirole J., (1999), Unforeseen contingencies and
incomplete contracts. Review of Economic Studies 66, 83-114
14 Hart O., Moore J. (1999), Foundations of Incomplete
Contracts, Review of Economic Studies, 1999, vol.
66, issue 1, 115138
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le principal estime l'agent mieux placé que
lui pour la gestion. Mais aussi pour bien d'autres co-contractants, ce que l'on
appelle la sélection adverse. (P.Y. Gomez, 199615).
Ces éléments comportementaux contribuent
directement à l'existence des problèmes d'agence. C'est ainsi que
les incertitudes intrinsèques à la délégation de
pouvoir entraînent des coûts liés à chaque risque
potentiel.
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