INTRODUCTION
L'Histoire du commerce remonte à l'origine de
l'humanité. En premier lieu, il se tient au sein d'une ou plusieurs
tribus du même voisinage géographique ; l'échange se fait
alors sous forme de troc. Il nécessite l'entente et
l'intérêt mutuel des deux parties, mais restreint ainsi les champs
des échanges et débouche souvent sur des conflits.
Le procédé se normalise avec
l'aménagement d'un lieu dédié au commerce, les places de
marché, et avec les commerçants, premiers intermédiaires,
qui utilisent un nouveau support, la monnaie créée par le pouvoir
central en place. Elle équivaut à une contrepartie correspondant
à la valeur de chaque marchandise. Les pièces mises en
circulation sont en or ou en argent. Ces métaux précieux
constituent une valeur d'échange sécurisant les transactions et
favorisant nettement leur développement. La rareté et la garantie
de l'émetteur de ce vecteur lui confèrent toute sa valeur et la
confiance qu'on lui accorde.
Aujourd'hui, les échanges se font à
l'échelle mondiale, les nouvelles routes commerciales favorisent la
multiplication et la diversification des biens disponibles. Ce changement de
dimension rend très difficile les contrôles
précédemment assurés par les parties elles-mêmes. En
réponse à cet écueil, il devient nécessaire de
mettre en place des moyens garantissant la confiance ; on instaure des
intermédiaires et des tiers de confiance toujours plus nombreux. Leur
mission est double : apporter les conditions d'un échange
sécurisé et sans risque de perte. Il doit être
également le moins coûteux et le plus rapide possible. L'Etat met
en place des structures institutionnelles : notaire pour un transfert de
propriété, avocat pour la rédaction d'un contrat ou le
règlement d'un contentieux et bien sûr les banques pour les
transactions financières.
Les institutions, lois (règles formelles) et normes
sociales (informelles) sont alors érigées en leviers
économiques assurant aux sociétés humaines la garantie de
croissance.
Pour le prix Nobel d'économie en 1993, Douglass
North1 (1920-2015), les institutions sont « des contraintes
humainement conçues qui structurent les interactions politiques,
économiques et sociales qui sont essentielles à la croissance
économique des pays ».
Dès lors les banques centrales, émettant
désormais la monnaie remplaçant l'or, et les banques commerciales
qui veillent à la disponibilité des liquidités et à
la gestion des moyens de paiement, deviennent, de manière
incontournable, partie prenante de toute transaction. Ce sont
1 North, D. (1990), Institutions, institutional change and
economic performance, Cambridge, Cambridge University Press.
10
elles qui authentifient notamment la solvabilité des
parties. Ces interventions et contrôles augmentent sensiblement les
délais et représentent désormais une part importante dans
les coûts de transactions.
Afin de réduire ces charges, le secteur bancaire a su
très vite adopter les nouvelles technologies : l'informatique et
internet. Celles-ci leur facilitent la communication et raccourcissent les
temps de traitement.
Selon Yvon Lucas2 : « Les moyens
de paiement ont suivi l'évolution des échanges commerciaux. On
peut noter qu'au fil du temps, les développements ont été
réalisés afin de répondre à trois principaux
objectifs : la sécurisation, la rapidité d'exécution et
enfin la dématérialisation ».
La crise financière dite crise des subprimes,
en 2008 ébranle l'édifice financier mondial et
débouche sur une grave crise de confiance. Celle-ci est aggravée
par la révélation de la fraude de Bernard Madoff (pyramide de
type « Ponzi »3), encore renforcée par les lanceurs
d'alerte de tous horizons (l'affaire Snowden en 2013) et se conclura par la
généralisation de la défiance à l'égard de
l'ensemble des institutions.
On voit apparaître de nouveaux acteurs
économiques en recherche de processus innovants pour s'affranchir des
circuits classiques qui ont fait faillite. L'utilisation d'Internet et
l'émergence des plates-formes centralisées (Uber, eBay)
constituent une première tentative de réponse à même
de rassurer les acheteurs et les vendeurs. La dématérialisation
des échanges a certainement permis de poursuivre la démarche de
réduction des coûts et d'améliorer de façon
significative la réactivité et la satisfaction des parties.
La confiance émerge des comportements d'une
communauté (notation bilatérale) et non plus de l'intervention de
tierces personnes extérieures (taxi pour Uber, commissaire-priseur pour
des ventes aux enchères eBay). Mais cette innovation
incrémentale (Clayton Christen, 19954) ne procède
que d'une substitution : un organe central a repris les fonctions des
experts.
2 Lucas, Y. et al. (1995), Le système de paiement :
Situation actuelle, perspectives d'évolution et comparaisons
internationales. Revue d'économie financière, n°
35, 253-271
3 Système financier frauduleux du nom d'un financier des
années 1920 dans lequel les investissements des nouveaux clients sont
utilisés pour payer à des taux élevés les
intérêts des anciens. La « pyramide » s'effondre quand
les intérêts à verser et/ou les demandes de remboursement
deviennent supérieurs au montant des nouveaux fonds apportés
4 Christensen C., Bower J. (1995), Disruptive technologies:
catching the wave, Harvard Business Review, The seminal article,
January-February.
11
Mais le système mondial du commerce ayant
été secoué, une remise en cause en profondeur des
principes anciens est devenue incontournable. Quelques précurseurs,
jugés non crédibles, construisent le protocole blockchain et
commencent à l'utiliser à la fin de 2008, en réaction
à la crise de confiance placée dans les institutions et
organisations humaines supervisant les échanges commerciaux et
financiers via des systèmes d'information centralisés.
Primavera de Filippi5 la définit ainsi :
« Littéralement, une blockchain désigne une chaîne
de blocs, des conteneurs numériques sur lesquels sont stockées
des informations de toute nature : transactions, contrats, titres de
propriétés, oeuvres d'art. L'ensemble de ces blocs forme une base
de données semblable aux pages d'un grand livre de comptes
».
Louis de Méneval et Simon Polrot ajoutent que :
« La blockchain, registre partagé de transactions
enregistrées, garantit le caractère immuable et Infalsifiable et
non duplicable des inscriptions. Cette technologie émergente permet
également la création d'actifs numériques
»6.
A la défaillance des banques, répond une «
crypto-monnaie » ou « monnaie virtuelle » conçue hors de
l'intervention d'un Etat et la garantie d'une Banque Centrale. Satoshi
Nakamoto, pseudonyme derrière lequel se cache le ou les créateurs
de la blockchain Bitcoin, expose sa méthode.
Il part du postulat suivant : « On ne peut faire
confiance à l'humain car il commet des erreurs et il a naturellement
tendance à poursuivre ses propres intérêts afin de tirer
parti des informations dont il dispose à son seul bénéfice
». Pour lui la technologie permet ce qui était
irréalisable avant : un échange d'actifs entre acteurs qui ne se
connaissent pas était impossible sans l'intervention d'un
intermédiaire (autorité centrale) pour en assurer la
sécurisation et la validation.
La blockchain est-elle une révolution de
l'intermédiation et représente-t-elle un gain pour les
entreprises au détriment des tiers de confiance ?
C'est autour de la recherche de réponses à cette
question que nous avons articulé notre
mémoire.
5 De Filippi, P. (2016), Comprendre la blockchain, livre blanc,
janvier 2016.
6 De Méneval L., Polrot S. (2017), La blockchain, un
nouveau paradigme pour le numérique, Expertises des Systèmes
d'Information, n° 421, février 2017.
12
Nous nous sommes intéressés tout au long de
notre étude, au contexte de la création de cette technologie
disruptive, de ses déploiements, et au travers d'exemples
d'expérimentation en entreprises, à ses apports sur un
éventail de secteurs d'activités.
13
Ce mémoire a pour thématique la
Blockchain, technologie de stockage et de transmission de
l'information, apparue en 2008, pour réaliser des transactions
décentralisées en toute sécurité. Avant d'examiner
ce en quoi la blockchain constitue une innovation disruptive, nous allons
retracer l'état actuel des échanges. Ils sont encore souvent
régis par une optimisation limitée, « incrémentale
», des relations contractuelles.
|