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La blockchain, une révolution de l’intermédiation. Un gain pour les entreprises au détriment des tiers de confiance ?


par Jean-Louis LATHIERE
Université Paris-Dauphine - Master finance d'entreprise et pilotage de la performance 2018
  

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INTRODUCTION

L'Histoire du commerce remonte à l'origine de l'humanité. En premier lieu, il se tient au sein d'une ou plusieurs tribus du même voisinage géographique ; l'échange se fait alors sous forme de troc. Il nécessite l'entente et l'intérêt mutuel des deux parties, mais restreint ainsi les champs des échanges et débouche souvent sur des conflits.

Le procédé se normalise avec l'aménagement d'un lieu dédié au commerce, les places de marché, et avec les commerçants, premiers intermédiaires, qui utilisent un nouveau support, la monnaie créée par le pouvoir central en place. Elle équivaut à une contrepartie correspondant à la valeur de chaque marchandise. Les pièces mises en circulation sont en or ou en argent. Ces métaux précieux constituent une valeur d'échange sécurisant les transactions et favorisant nettement leur développement. La rareté et la garantie de l'émetteur de ce vecteur lui confèrent toute sa valeur et la confiance qu'on lui accorde.

Aujourd'hui, les échanges se font à l'échelle mondiale, les nouvelles routes commerciales favorisent la multiplication et la diversification des biens disponibles. Ce changement de dimension rend très difficile les contrôles précédemment assurés par les parties elles-mêmes. En réponse à cet écueil, il devient nécessaire de mettre en place des moyens garantissant la confiance ; on instaure des intermédiaires et des tiers de confiance toujours plus nombreux. Leur mission est double : apporter les conditions d'un échange sécurisé et sans risque de perte. Il doit être également le moins coûteux et le plus rapide possible. L'Etat met en place des structures institutionnelles : notaire pour un transfert de propriété, avocat pour la rédaction d'un contrat ou le règlement d'un contentieux et bien sûr les banques pour les transactions financières.

Les institutions, lois (règles formelles) et normes sociales (informelles) sont alors érigées en leviers économiques assurant aux sociétés humaines la garantie de croissance.

Pour le prix Nobel d'économie en 1993, Douglass North1 (1920-2015), les institutions sont « des contraintes humainement conçues qui structurent les interactions politiques, économiques et sociales qui sont essentielles à la croissance économique des pays ».

Dès lors les banques centrales, émettant désormais la monnaie remplaçant l'or, et les banques commerciales qui veillent à la disponibilité des liquidités et à la gestion des moyens de paiement, deviennent, de manière incontournable, partie prenante de toute transaction. Ce sont

1 North, D. (1990), Institutions, institutional change and economic performance, Cambridge, Cambridge University Press.

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elles qui authentifient notamment la solvabilité des parties. Ces interventions et contrôles augmentent sensiblement les délais et représentent désormais une part importante dans les coûts de transactions.

Afin de réduire ces charges, le secteur bancaire a su très vite adopter les nouvelles technologies : l'informatique et internet. Celles-ci leur facilitent la communication et raccourcissent les temps de traitement.

Selon Yvon Lucas2 : « Les moyens de paiement ont suivi l'évolution des échanges commerciaux. On peut noter qu'au fil du temps, les développements ont été réalisés afin de répondre à trois principaux objectifs : la sécurisation, la rapidité d'exécution et enfin la dématérialisation ».

La crise financière dite crise des subprimes, en 2008 ébranle l'édifice financier mondial et débouche sur une grave crise de confiance. Celle-ci est aggravée par la révélation de la fraude de Bernard Madoff (pyramide de type « Ponzi »3), encore renforcée par les lanceurs d'alerte de tous horizons (l'affaire Snowden en 2013) et se conclura par la généralisation de la défiance à l'égard de l'ensemble des institutions.

On voit apparaître de nouveaux acteurs économiques en recherche de processus innovants pour s'affranchir des circuits classiques qui ont fait faillite. L'utilisation d'Internet et l'émergence des plates-formes centralisées (Uber, eBay) constituent une première tentative de réponse à même de rassurer les acheteurs et les vendeurs. La dématérialisation des échanges a certainement permis de poursuivre la démarche de réduction des coûts et d'améliorer de façon significative la réactivité et la satisfaction des parties.

La confiance émerge des comportements d'une communauté (notation bilatérale) et non plus de l'intervention de tierces personnes extérieures (taxi pour Uber, commissaire-priseur pour des ventes aux enchères eBay). Mais cette innovation incrémentale (Clayton Christen, 19954) ne procède que d'une substitution : un organe central a repris les fonctions des experts.

2 Lucas, Y. et al. (1995), Le système de paiement : Situation actuelle, perspectives d'évolution et comparaisons internationales. Revue d'économie financière, n° 35, 253-271

3 Système financier frauduleux du nom d'un financier des années 1920 dans lequel les investissements des nouveaux clients sont utilisés pour payer à des taux élevés les intérêts des anciens. La « pyramide » s'effondre quand les intérêts à verser et/ou les demandes de remboursement deviennent supérieurs au montant des nouveaux fonds apportés

4 Christensen C., Bower J. (1995), Disruptive technologies: catching the wave, Harvard Business Review, The seminal article, January-February.

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Mais le système mondial du commerce ayant été secoué, une remise en cause en profondeur des principes anciens est devenue incontournable. Quelques précurseurs, jugés non crédibles, construisent le protocole blockchain et commencent à l'utiliser à la fin de 2008, en réaction à la crise de confiance placée dans les institutions et organisations humaines supervisant les échanges commerciaux et financiers via des systèmes d'information centralisés.

Primavera de Filippi5 la définit ainsi : « Littéralement, une blockchain désigne une chaîne de blocs, des conteneurs numériques sur lesquels sont stockées des informations de toute nature : transactions, contrats, titres de propriétés, oeuvres d'art. L'ensemble de ces blocs forme une base de données semblable aux pages d'un grand livre de comptes ».

Louis de Méneval et Simon Polrot ajoutent que : « La blockchain, registre partagé de transactions enregistrées, garantit le caractère immuable et Infalsifiable et non duplicable des inscriptions. Cette technologie émergente permet également la création d'actifs numériques »6.

A la défaillance des banques, répond une « crypto-monnaie » ou « monnaie virtuelle » conçue hors de l'intervention d'un Etat et la garantie d'une Banque Centrale. Satoshi Nakamoto, pseudonyme derrière lequel se cache le ou les créateurs de la blockchain Bitcoin, expose sa méthode.

Il part du postulat suivant : « On ne peut faire confiance à l'humain car il commet des erreurs et il a naturellement tendance à poursuivre ses propres intérêts afin de tirer parti des informations dont il dispose à son seul bénéfice ». Pour lui la technologie permet ce qui était irréalisable avant : un échange d'actifs entre acteurs qui ne se connaissent pas était impossible sans l'intervention d'un intermédiaire (autorité centrale) pour en assurer la sécurisation et la validation.

La blockchain est-elle une révolution de l'intermédiation et représente-t-elle un gain pour les entreprises au détriment des tiers de confiance ?

C'est autour de la recherche de réponses à cette question que nous avons articulé notre mémoire.

5 De Filippi, P. (2016), Comprendre la blockchain, livre blanc, janvier 2016.

6 De Méneval L., Polrot S. (2017), La blockchain, un nouveau paradigme pour le numérique, Expertises des Systèmes d'Information, n° 421, février 2017.

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Nous nous sommes intéressés tout au long de notre étude, au contexte de la création de cette technologie disruptive, de ses déploiements, et au travers d'exemples d'expérimentation en entreprises, à ses apports sur un éventail de secteurs d'activités.

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Ce mémoire a pour thématique la Blockchain, technologie de stockage et de transmission de l'information, apparue en 2008, pour réaliser des transactions décentralisées en toute sécurité. Avant d'examiner ce en quoi la blockchain constitue une innovation disruptive, nous allons retracer l'état actuel des échanges. Ils sont encore souvent régis par une optimisation limitée, « incrémentale », des relations contractuelles.

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"Il existe une chose plus puissante que toutes les armées du monde, c'est une idée dont l'heure est venue"   Victor Hugo