4.2 L'élaboration d'une réflexion
Afin de réduire les dysfonctionnements, quelles
solutions proposées par les outils de gestion traditionnels auraient pu
être mises en place ?
Le plus évident aurait été de
développer les contrôles. Pour ce faire, le recrutement de
personnel encadrant aurait été nécessaire, ce qui aurait
engendré des coûts très importants de surveillances
supplémentaires.
Une autre solution aurait pu consister à recourir
à un tiers de confiance : un audit extérieur pour évaluer
la fiabilité du travail effectué (jour et heure de sortie des
conteneurs).
Il aurait été envisageable également de
commander une étude à un expert pour définir
précisément le volume des déchets et leur nature. Dans le
meilleur des cas, les économies réalisées par la
suppression des amendes et par une réduction du montant des factures
d'enlèvement des déchets (factures au réel et non plus au
forfait) auraient été absorbées par une augmentation des
coûts de contrôle et de réorganisation. Ces solutions
n'auraient sans doute pas apporté d'amélioration de la
performance de l'entreprise. De plus, il s'agit de mesures coercitives qui ne
sont pas le meilleur moyen de motiver les différents intervenants pour
résoudre un dysfonctionnement.
Une autre hypothèse pourrait apparaître comme
facilement réalisable. Au sein de sa structure, la gare aurait pu mettre
en place un système de pesée afin de vérifier que le poids
des déchets transmis correspondait bien à celui que le
prestataire facturait. Se poserait alors le problème de la transparence
de l'information.
En effet, pourquoi le prestataire accepterait-il
d'établir sa facture sur la base d'une information fournie par le client
sans autre élément de preuve ? Toute transaction reposant sur la
confiance, il faut donc que celle-ci soit recréée. Tant que le
risque de contentieux lié à l'asymétrie d'information est
élevé, le prestataire craindra pour son chiffre d'affaires. Seul
le recours à un tiers de confiance tel un avocat ou tout
intermédiaire reconnu comme « neutre » sera rendu
nécessaire afin de réduire les différends entre les
parties. Mais là encore, l'économie liée à la
réduction du montant des factures aurait, au mieux, été
absorbée par les frais de production d'éléments
justificatifs.
La réaction la plus évidente des services
financiers a été de proposer ces deux solutions visant à
renforcer les contrôles. La première, qui nécessite le
recrutement d'encadrants qualifiés
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et / ou d'experts onéreux ne se justifiait pas sur le
plan économique. La seconde, en apportant certes une information
tangible (le poids des déchets), n'était considérée
comme fiable que par l'une des parties et jugée contestable par l'autre.
Or la défiance est un élément incompatible avec la bonne
réalisation d'une transaction. Ces options n'ont donc pas permis de
déboucher sur un processus satisfaisant d'amélioration des
difficultés rencontrées à la gare de Massy TGV. Dès
lors, de nouvelles approches sont recherchées par AREP.
Au cours d'un concours d'innovation interne dans le cadre d'un
« design thinking » (ou design créatif, concept
créé par Rolf Faste, désigner américain à la
fin des années 80), les collaborateurs de différents horizons
d'AREP se sont intéressés à la problématique des
déchets et de la complexité de leur gestion dans une gare.
L'objectif du « design thinking » est de faire
réfléchir une petite équipe constituée de membres
aux origines diverses, cassant ainsi les préjugés afin
d'émettre des idées novatrices. Il faut ensuite les tester pour
arriver, de proche en proche, mais sans rien s'interdire, à
l'émergence d'un nouveau concept.
Quelles sont les origines des dysfonctionnements constatés
? Quels écueils faut-il surmonter ?
AREP a testé plusieurs idées peu contraignantes
dans le but de renouer les maillons de la chaîne de tri. La logique de
l'expérience est de « générer et faire circuler
l'information pour une amélioration quantitative ». Il faut
être sur tous les fronts et mener la réflexion avec les clients,
les employés d'entretien, le personnel de la gare et les entreprises de
collecte.
A destination des clients : une
signalétique correspondant aux trois couleurs des bacs et visible
dès l'accès à la gare, style kakémono (affiche
plastifiée suspendue à des portants) a été mise en
place. En cas de doute le client peut même envoyer un message via le
canal Slack afin de faire le bon choix de poubelle. Slack est une plate-forme
de communication collaborative permettant d'échanger des messages et des
documents. Elle est organisée en canaux, chacun étant
dédié à un sujet spécifique, un projet ou une
équipe. Ces échanges ont apporté des solutions
ponctuelles. Mais, par exemple, la question récurrente relative à
la caractérisation des gobelets de café est restée sans
réponse satisfaisante. Or leur nombre est conséquent comme dans
toute gare, et ceux-ci, trop souvent jetés à tort dans les
poubelles jaunes au lieu du bac ordures ménagères, invalident la
qualité du tri.
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A destination des employés : Afin de
dépasser la barrière de la langue et de les informer très
précisément de l'instauration de nouvelles pratiques, un
système de code couleurs associé à chaque nature de
déchets est créé. Un code QR (type de code-barres plus
sophistiqué composé de carrés noirs sur un fond
blanc94) est installé sur chaque bac qu'ils doivent flasher
à l'aide de leur smartphone à chaque sortie.
Parallèlement, l'utilisation d'un semainier en liaison avec le code
couleur des bacs permet aisément d'associer la couleur du bac avec son
jour de sortie.
A destination des prestataires : Le code QR
est également scanné par la société de ramassage
indiquant ainsi qu'elle a bien collecté les déchets et à
quel moment.
A ce stade, AREP constate que le premier maillon
composé des agents de terrain fonctionne de manière fiable et
qu'une bonne collaboration s'est installée. L'utilisation des
smartphones au quotidien a permis de contourner les difficultés de lire
les textes en français. Ces agents apparaissent désormais comme
des partenaires clés qui apportent des idées
d'amélioration. Le déploiement des outils de connexion simples
d'accès et peu onéreux sur les bacs permet rapidement d'avoir des
informations transmissibles en temps réel.
En effet, des capteurs beacons bluetooth (balises sans
contact) dédiés à la logistique, ont été
installés sur les bacs. Ces boîtiers d'un coût relativement
modeste (inférieur à 50 €) sont peu énergivores ; ils
émettent à intervalle régulier des signaux qui sont alors
transmis aux smartphones. La fiabilité de ce système est quasi
assurée, alors que l'enregistrement manuel par flash des codes QR
était susceptible d'erreur (oubli, doublon). Le risque d'une balise
défectueuse est très faible. Les agents disposent ainsi
d'informations sur la localisation de la poubelle. Il devient désormais
possible de connaître en temps réel et à tout moment
où se trouve un bac et à fortiori de savoir s'il se trouve
à l'endroit approprié.
Simultanément, la pesée manuelle des
déchets sera désormais remplacée par un dispositif de
pesée automatique au sol sur le passage des bacs.
On peut considérer que le cheminement d'un bac de son
lieu de stockage à son lieu de ramassage est désormais
connecté.
En revanche, la dernière phase du trajet des bacs au
moment de leur ramassage est encore problématique. Les
différences entre les quantités facturées et celles
réellement produites sont encore trop importantes : il reste encore des
passages à vide des camions qui sont facturés.
94 Exemple de Code QR :
Mais le bilan de ces prototypes permet de disposer de
données nouvelles en temps réel qui permettront de réduire
le montant des factures tout en améliorant le bilan environnemental.
AREP s'est alors attaché à résoudre les
deux questions liées à la surfacturation des déchets. La
première cause est due à l'absence de leur pesée. Le
prestataire établit sa facture sur la base d'un prix forfaitaire par
nombre de bacs. AREP a commencé par peser manuellement les
déchets pendant une semaine et a constaté sur le terrain qu'il
existait un écart important entre le poids des sacs pesés et le
poids forfaire facturé. Ponctuellement, au vu de cette information, le
prestataire a accepté de réajuster le prix des factures en
éditant un avoir qui s'élève à 2 000 euros pour un
mois.
La seconde origine de la surfacturation est l'absence de tri
des déchets ; après une semaine de manipulation de sacs pour la
pesée, AREP a visuellement constaté que la majorité des
déchets sont recyclables, ce qui représente entre 60 et 120 kilos
par jour. Cette catégorie recyclable sera source dans le futur d'une
facturation revue à la baisse.
Un autre point positif notable est que l'ensemble des
intervenants (employés, commerçants et personnel de gare) ont
été largement associés et informés de ce nouveau
dispositif dans le but de réduire l'asymétrie d'information et de
rétablir la confiance sur l'ensemble de la chaîne. Chacun a pris
connaissance et partagé les mêmes consignes.
De cette concertation, il apparaît que le
différend entre les acteurs ne provenait pas du non-respect des
consignes ou d'une mauvaise interprétation de ces dernières.
Certains bacs sont pleins avant leur heure de sortie, il devient par
conséquent impossible de respecter la consigne de sortir les poubelles
pleines tout en se conformant au semainier.
Cette démarche a permis de mettre en lumière
l'inopérabilité des directives avec le quotidien de la gare.
L'intérêt des agents étant divergent dès l'origine,
un bon fonctionnement était largement compromis
AREP ne peut que constater que ces tests concernant le
désengorgement des trottoirs, la fin des amendes et la reconnexion avec
les camions de ramassage, montrent que ces objectifs n'ont été
qu'en partie atteints et cela grâce à un investissement humain
conséquent. Ce type de fonctionnement n'a de sens que pendant une courte
période de test, mais maintenu sur le long terme elle serait beaucoup
trop consommatrice de temps et de ressources.
72
AREP se pose alors la question de la cohérence des
consignes.
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L'origine du problème vient vraisemblablement des
contrats passés. La fréquence de passage était devenue
inadaptée à l'activité réelle de la gare ; la
quantité de déchets était estimée trop
approximativement et leur nature n'était pas valorisée. A ce
stade de sa réflexion, AREP s'intéresse à l'examen des
contrats passés avec chaque prestataire.
L'objectif est de recréer une adéquation entre
les termes de nouveaux contrats et des nouvelles réalités de la
gare de Massy TGV. Le concept de tri étant devenu la priorité de
la gestion des déchets, celui-ci doit apparaître comme tel dans le
contrat à rédiger.
S'agissant des activités soumises aux aléas des
mouvements humains (vacances, grèves, météorologie...),
les termes des contrats doivent aussi garantir une certaine souplesse et une
grande réactivité.
Un nouveau paramètre à prendre en compte est
l'application d'une législation récente, innovante et en
évolution permanente qui nécessite de toute évidence des
ajustements très fréquents dans les termes des contrats.
Les champs du tri et de la valorisation des déchets ont
fait l'objet de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015. Des orientations
et des recommandations étaient clairement éditées à
l'attention des entreprises. Désormais, un décret n°
2016-288 du 10 mars 2016 vient rendre obligatoire, à partir du
1er juillet 2016, le tri à la source et la valorisation de 5
flux de déchets pour toutes les entreprises productrices ou
détentrices de déchets. L'obligation porte sur le papier /
carton, le métal, le plastique, le verre et le bois. La finalité
de cette réglementation est de toujours réduire plus la
consommation de nouvelle matière première et l'émission de
CO2 en renforçant le recyclage des déchets.
La réalisation de ce tri se voit
matérialisée par la délivrance, par le prestataire
chargé de la collecte, d'une attestation annuelle justifiant les
quantités exprimées en tonnes, la nature des déchets et
leur destination finale. La SNCF est dans l'obligation de se doter des moyens
et de l'organisation pour s'y conformer dans un délai très
contraint.
Et si le big data, traitement de données massives et
complexes, pouvait contribuer à l'émergence de nouvelles
solutions ? Une des pistes de réflexion mène à
l'utilisation offerte par une nouvelle technologie : la Blockchain.
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