Pour bien distinguer les différentes utilisations
possibles de la Blockchain, il faut préciser qu'il en existe plusieurs
types :
· Le premier et le plus courant actuellement concerne
les blockchains publiques qui se caractérisent par leur transparence :
tous les participants peuvent valider et consulter l'ensemble des informations.
Ce réseau est ouvert et peut accueillir de nouveaux participants. Il n'y
a pas d'intermédiaires et les participants ne se connaissent pas.
· Il existe également des blockchains de
consortium ou semi-privées où tous les noeuds n'ont pas les
mêmes droits de participation au consensus, ni la même
visibilité sur les informations enregistrées. Les nouveaux
participants seront acceptés s'il y a consensus. Elles sont plutôt
adaptées à des contextes réglementés.
· Enfin les blockchains privées sont
gérées par une autorité centrale qui valide les blocs,
choisit les nouveaux participants et gère l'accès des
participants aux données. Elles sont souvent utilisées dans des
entreprises avec filiales. Le nombre de participants est réduit et la
vitesse de validation des transactions est plus rapide.
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L'intérêt pour la Blockchain est en grande partie
lié à l'envolée du cours du Bitcoin.
Ainsi, selon Google Trends, le nombre de recherches ayant
pour sujet la Blockchain a été multiplié par 8 entre fin
2016 et fin 2017.
On peut citer d'autres chiffres révélateurs de
l'intérêt porté par les entreprises à la Blockchain.
Le nombre de brevets sur la Blockchain déposés depuis 2013 est
supérieur à 2.500, IBM leader mondial de l'informatique a investi
200 M de $ dans cette technologie et les investissements dans les start-ups
liées à la Blockchain ont atteint les 1,4 Md de $ en 2016.
« Dans son rapport Fintech 2.0, la banque Santander
estime que l'utilisation de la blockchain permettrait de réduire les
coûts de structure pour les banques de 15 à 20 milliards de
dollars par an »48.
La Blockchain et ses caractéristiques propres de
désintermédiation via le consensus et la sécurité,
de transparence et de traçabilité, la prédestine à
fournir des solutions dans des domaines aussi variés que les transferts
d'actifs, en particulier internationaux, la traçabilité de
produits et de données (la santé, la propriété
intellectuelle, la logistique, le transport, les contrats et l'immobilier)
Les applications en cours de test sont très
nombreuses.
Ainsi dans le domaine de la propriété
intellectuelle, la SACEM et les sociétés américaines de
gestion des droits d'auteur pour la musique collaborent avec IBM sur une
solution de
48 De Vauplane, H. (2015), La blockchain ou la
révolution technologique : les impacts pour la finance, Revue
Banque, n° 798, 30 novembre.
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blockchain en logiciel libre (Hyperledger Fabric) afin de
gérer les « conflits d'identifiants autour d'une même oeuvre
pour de multiples ayants droit »49.
L'ESILV (Ecole Supérieure d'Ingénieurs
Léonard de Vinci à Paris la Défense) enregistre sur la
blockchain Bitcoin via la société Paymium, l'empreinte
numérique du diplôme de chaque étudiant et l'empreinte
numérique de cette transaction qui prouve que c'est bien l'école
qui a enregistré le diplôme50.
Dans plusieurs pays du monde, la plupart des terrains ne sont
pas enregistrés, ce qui entraîne des conflits fréquents et
nombreux, notamment lors des successions De plus le développement rural
en souffre, puisque l'absence de sécurité foncière freine
en partie les investissements indispensables au développement de la
productivité agricole.
La technologie blockchain en tant que registre transparent et
sécurisé intéresse plusieurs gouvernants des pays en voie
de développement. Par exemple, le gouvernement du Honduras teste une
application pour son cadastre afin de lutter contre la corruption. Celui de la
Géorgie, a lancé en avril 2016 un projet pour permettre aux
géorgiens d'enregistrer leur propriété dans une
blockchain. Les objectifs communs sont de rendre ces informations
incorruptibles et auditables en permanence et que les coûts
d'enregistrement des droits de propriété soient transparents. En
ces circonstances, la technologie vient compenser les défaillances des
Etats. Le directeur du projet de la société Bitfury a
déclaré que la blockchain assurera la fonction de
notariat51 soulignant ainsi sa propriété de
désintermédiation. Enfin, l'Estonie utilise déjà la
blockchain pour certains actes notariés et commerciaux52.
Dans ces pays aux institutions souvent « fragilisées et instables
» la technologie vient recréer un lien de confiance avec les
administrés.
Dans le domaine du financement d'entreprise, un autre
phénomène confirme le développement fulgurant qu'a connu
le Bitcoin à partir du 2éme trimestre 2017 : il s'agit
des ICO (Initial Coin Offering). Sur le modèle des IPO (Initial Public
Offering) traditionnelles, il s'agit de levées de fonds pour financer
des projets particuliers où les investisseurs reçoivent des
jetons (tokens53) en échange de leur apport en capital.
49
https://societe.sacem.fr/actualites/innovation/blockchain--la-sacem-ascap-et-prs-for-music-sallient-pour-une-meilleure-identif.ication-des-oeuvres.
50
https://www.esilv.fr/lecole/certification-blockchain-diplomes-esilv/
51 Blockchain France (2016), la Blockchain
décryptée, les clefs d'une révolution, l'Observatoire
Netexplo, mai.
52 Caseau Y., Soudoplatoff S. (2016), La blockchain ou la
confiance distribuée, Fondation pour l'innovation politique, juin.
53 Le token est une crypto-monnaie privée liée
à un projet qui devient échangeable quand le projet bascule en
production.
38
Beaucoup d'incertitudes demeurent sur la valorisation de ces
tokens et sur le sérieux des business plans de certains projets qui
présentent souvent un caractère opportuniste voire
frauduleux54. 2 enquêtes pour fraudes (projets DRC World et
Recoin) ont été lancées par la Securities and Exchange
Commission (SEC) aux Etats-Unis qui a créé une unité
dédiée. La fraude la plus courante consiste à ne pas
livrer les jetons dus aux investisseurs en échange de leurs fonds. Au
lieu d'engager ces fonds dans les projets prévus, les initiateurs de
l'ICO les utilisent par exemple pour émettre une nouvelle crypto-monnaie
qui ne manque pas de prendre de la valeur dans le contexte actuel et qu'ils
revendent en faisant une plus-value supplémentaire. Ceci est rendu
possible par l'opacité entourant les modalités de lancement de
certaines ICO.
Selon EY (Ernst & Young)55, près de 4
Mds de $ de fonds ont été levés entre 2015 et 2017 pour
372 projets analysés dont 10% en Chine continentale qui les a interdites
depuis, de même que la Corée du Sud. La tendance
générale s'oriente plutôt vers des règles
spécifiques aux ICO en complément des lois existantes souvent peu
adaptées à cette nouveauté.
54 Agosti, P. et al. (2017), Blockchain : quelles perspectives
après la réglementation ?, Groupe de travail Blockchain de la
FNTC (Fédération nationale des Tiers de Confiance).
55 EY (2017), EY Research : initial coin offerings (ICOs),
décembre 2017.
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Un certain nombre d'ICO sont associées à la
création de nouvelles blockchains et de tokens associés qui ne se
justifient pas, les projets les plus prometteurs se faisant sur des
plates-formes existantes à la structure déjà
éprouvée, Ethereum principalement. D'ailleurs 10% des montants
investis sur ces nouvelles blockchains ont été perdus ou
volés.
Comme à l'époque de la bulle Internet, un tri
va s'opérer et les projets les plus solides vont émerger.
Mais comme nous venons de le voir, les investisseurs sont
souvent trompés car les initiateurs de l'ICO ne divulguent pas
l'ensemble des documents régissant l'offre. Il faudra donc que la
réglementation impose plus de transparence et d'informations
obligatoires pour que les ICO deviennent une source de financement fiable pour
les entreprises et en particulier les PME ou les startups qui peuvent
être attirées par leur simplicité et par des frais
financiers inférieurs à ceux du crowdlending par exemple.
L'Autorité des marchés financiers (AMF) a d'ailleurs lancé
une consultation sur ce sujet en oct. 2017 car les ICO, malgré leurs
imperfections actuelles, présentent un vrai potentiel en s'appuyant sur
certaines spécificités de la Blockchain telles que la
transparence, la traçabilité, la désintermédiation,
la coopération (entre investisseurs et entrepreneurs) ou les coûts
limités de transaction.
Si les fondements techniques de la Blockchain pour son
adoption par les entreprises sont prometteurs, le cadre juridique dans lequel
va évoluer la Blockchain s'adapte lentement, comme nous venons de le
voir.
Certains pays tels que la Grande-Bretagne ou Singapour ont
une approche très souple souhaitant favoriser son utilisation par les
entreprises.
En France, des lois ont été publiées sur
les bons de caisse (n° 2016-520, 26 avril 2016) et sur les transferts de
propriété de titres financiers (n° 2016-1691, déc.
2016 et n° 2017-1674, 9 déc. 2017), mais les pouvoirs publics
veulent aller beaucoup plus loin en dotant la France d'une
réglementation complète sur les DEEP (Dispositif d'Enregistrement
Electronique Partagé), terme juridique utilisé pour
désigner la Blockchain.