2.7. Absence d'étude fiable sur l'utilisation des
langues maternelles comme outil d'enseignement
Les langues maternelles à savoir le malinké, le
baoulé, le koyaka et le koro n'ont fait l'objet d'aucune étude en
tant que langue d'enseignement. La plupart de ces langues sont à leur
première expérience dans le domaine de l'enseignement. Les
animateurs qui les utilisent dans le contexte de la classe en sont des
utilisateurs ordinaires et ne dispose d'aucun savoir-faire pédagogique
formalisé en la matière. Ils ont juste
bénéficié de conseils avisés des équipes
d'encadrement pédagogique. Cette insuffisance est
matérialisée par l'inexistence d'un syllabaire de langue
maternelle approprié.
294 B. MAURER et al, 2010, Les langues de scolarisation en
Afrique francophone : enjeux et repères pour l'action, Paris, AUF,
pp. 54-66
256
2.8. Absence d'un syllabaire de langue maternelle
Le contexte d'enseignement, vu sa spécificité,
requiert un langage approprié qui permet au maître de transmettre
le savoir à l'élève. Ce langage doit être bien
élaboré et être commune à tous les utilisateurs de
la langue dans le contexte pédagogique. Dans le cas des classes
passerelles, il y a eu un début de réalisation de syllabaires qui
n'a pu être achevé avant la fin du projet. Toutefois, les
animateurs ont eu le mérite de travailler ensemble lors des
regroupements périodiques pour proposer des activités
pédagogiques (leçons et exercices) aux encadreurs pour
validation. Cela a sans doute contribué à réduire les
écarts dans la méthode de transmission du savoir.
2.9. Insuffisance du temps de formation initiale
Dans le cadre de la formation pédagogique des
animateurs, il est prévu dix jours ou deux semaines de formation
initiale ; une formation continue de deux jours chaque deux mois vient en
appoint. Ce temps nous semble insuffisant pour consolider les aptitudes
pédagogiques. Le type d'élève et l'environnement imposent
à l'enseignant un effort d'adaptation parce que la formation initiale
accélérée dont il a bénéficié n'est
pas toujours suffisante pour bien gérer les spécificités
des apprenants.
2.10. Insuffisance du temps scolaire
Pour les classes EPT, les contenus de deux cycles (CP et CE)
sont dispensés en neuf mois. De l'avis de certains pédagogues,
cette pratique est techniquement intenable même si les promoteurs EPT
sont rassurants sur sa faisabilité. Les résultats scolaires
satisfaisants semblent conforter ceux-ci dans leur démarche.
2.11. Disparités de performance
Dans l'ensemble, l'analyse comparative des taux de
réussite des classes passerelles et selon les niveaux (CP, CE et CM)
permet de faire les observations suivantes :
257
- les classes passerelles autant que les écoles
conventionnelles enregistrent des cas de déperditions ;
- il existe des disparités de performance entre classes
passerelles EPT et NRC selon l'année et la zone d'implantation ;
- il existe des disparités de performance entre les
classes selon le niveau d'étude des classes passerelles ;
A l'inverse des écoles conventionnelles qui
fonctionnent selon une politique éducative de promotion/abandon, les
classes passerelles privilégient le maintien. Elles enregistrent
néanmoins un taux de déperdition moyen (abandon et redoublement)
de 07,07% pour les classes NRC et 08,10% pour les classes EPT, quand les
écoles conventionnelles sont à 17,66% en 2014. Les classes
passerelles affichent ainsi une supériorité de performance
avérée.
A la différence de l'abandon, la question du
redoublement revêt un aspect particulier qui se traduit par une admission
à la dernière classe du cycle unique. C'est pour cette raison que
notre intérêt porte plutôt sur les cas d'abandon. Bien que
dans l'ensemble des résultats, le taux de déperdition soit
insignifiant par rapport au taux de réussite, les abandons demeurent une
réalité dans le dispositif des classes passerelles (03% pour les
classes NRC). Il convient d'en évoquer les raisons.
Notre étude montre que les enfants abandonnent les
classes passerelles pour des raisons aussi bien classiques (raisons similaires
aux écoles conventionnelles) que spécifiques auxdites classes.
Les raisons classiques sont d'ordre socioculturel, économique et
sanitaire (le besoin de travailler pour les parents, la longue maladie, les
cérémonies d'initiation, le mariage précoce). Quant aux
raisons spécifiques, elles sont endogènes à la classe
passerelle. Le statut de déplacé rend les élèves
instables. Ils pourraient, en fonction de la situation des parents, se rendre
dans une autre contrée. En outre, le fonctionnement en classe unique
fait que les élèves les plus âgés sont sujets
à moquerie de la part de leurs pairs.
258
Ces facteurs de la déperdition sont également
confirmés par une évaluation faite par CHELPI-DEN
(2015)295. Autant de raisons qui méritent d'être
analysées davantage pour estimer leur niveau d'impact sur la
scolarité. Cela permettra de mieux cerner la question de la
déperdition des classes passerelles. Pour ce faire, un monitoring
des abandons est nécessaire. Une autre question connexe à la
déperdition est le devenir des enfants qui abandonnent les classes
passerelles supposées être leur seconde chance de
scolarisation.
Les résultats montrent une amélioration de la
réussite chez les élèves des classes passerelles EPT au
fil des années. Des taux variant de 73,87% à 99,82%. C'est
l'expression d'une forte disparité entre élèves de
différentes zones au fil des années. L'on note que les plus bas
chiffres sont enregistrés pour les deux premières années
de la mise en oeuvre des classes passerelles dans la zone de Bouaké.
Cette situation traduit les difficultés liées au lancement du
projet. Il est important de dire qu'à cette période, les classes
passerelles sont mal connues et ne disposent pas d'un curriculum validé
par les acteurs. C'est l'atelier de Grand Bassam tenu en 2007 qui lança
les bases de la réflexion sur le concept « classe passerelle
». L'atelier réunit tous les acteurs concernés, notamment
les ONG et le MEN. Il déboucha en mai 2008 sur la validation des
curricula CPU et CEU à Abidjan. C'est à la suite de l'atelier de
Grand Bassam que NRC a ouvert ses classes.
La faible disparité des taux de réussite (de 90
à 98%) observée dans les résultats des
élèves des classes passerelles NRC par la suite pourrait
s'expliquer par le fait que cette organisation disposait déjà
d'un curriculum validé dès le départ. Les classes
passerelles NRC ont enregistré les plus faibles taux de réussite
pour les CMU qui se situent entre 92,04% et 92,66%. Cela s'explique par
l'inexistence d'un curriculum CMU validé jusqu'en 2011 à Guiglo.
Toutefois, l'adoption d'un guide de la mise en oeuvre des classes passerelles
en Côte d'Ivoire en 2013 par les acteurs dudit projet, devrait en
principe aider à mieux maîtriser les curricula et
295 M. H. CHELPI-DEN, 2015, op. cit., p. 28
259
améliorer les résultats. Il est vivement
souhaitable que le MEN, auprès duquel ledit guide attend d'être
certifié, fasse preuve de diligence.
En ce qui concerne les taux de réussite dans les
niveaux d'étude, on note que la tendance de réussite pour les CPU
et les CEU est à la hausse alors que celle des CMU est à la
baisse. Cela montre que le taux de réussite au niveau des CMU est plus
faible qu'au niveau des CPU et CEU d'une part, et que ce taux s'améliore
pour les CPU et CEU au fil des ans alors qu'il baisse pour les CMU d'autre
part. Cependant, cette disparité doit être minimisée quand
on considère les moyenne de taux de réussite par niveau (CPU=
93,68 ; CEU=92,95 ; CMU= 91,23). Même si l'on note de meilleurs taux de
réussite dans les CPU et CEU, les écarts sont insignifiants. On
pourrait dire que les classes passerelles tout comme les écoles
conventionnelles présentent des taux de réussites qui vont
decrescendo au fur et à mesure que le niveau d'étude augmente.
Le faible taux de réussite au niveau des CMU pourrait
être lié à l'âge déjà avancé des
élèves qui abandonnent souvent la classe à cause des
moqueries de leurs condisciples. En outre, on observe que ce niveau
d'étude reçoit moins d'effectifs que les deux premiers (CPU et
CEU). Nous en avons tout de même recensé au compte d'EPT lors de
nos enquêtes même si le cas est presqu'inexistant. La rareté
des élèves de ce niveau pourrait s'expliquer, d'après nos
enquêtes, par le fait que la plupart des élèves des classes
passerelles sont des déscolarisés précoces (n'ayant pas
dépassé les CE) ou des non scolarisés. Enfin, les parents
préfèrent occuper leurs enfants ayant l'âge avancé
à des travaux lucratifs puisqu'ils sont généralement issus
de milieux défavorisés.
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