1.1.1.3.- Les approches en termes de pauvreté
humaine ou sociale
Les approches en termes de pauvreté humaine ou sociale
intègrent dans les besoins fondamentaux un ensemble de biens et services
qui sont fournis sur une base collective tels
16
la santé, l'éducation, l'accès à
l'eau. Elles prennent en compte également l'alimentation, le
vêtement et l'habitat. On utilise comme indicateur de satisfaction ou
non-satisfaction de ces besoins, l'existence et l'accessibilité de ces
biens et services et leur impact sur la vie des personnes (en tant
qu'indicateurs sociaux, tels l'espérance de vie, la mortalité, la
scolarisation...) et non leurs potentialités monétaires (leur
revenu).
1.1.1.4.- Les approches en termes d'exclusion
Les approches de la pauvreté en termes d'exclusion ne
se réfèrent pas uniquement aux diverses formes de privation
matérielle ou de services sociaux, mais aussi à un processus de
désintégration sociale, fondé sur diverses dimensions
entretenant des liens étroits les unes avec les autres. On peut noter en
particulier la place accordée au travail non seulement comme mode
d'accès à des moyens d'existence, mais aussi comme principal
vecteur de lien social et d'identité sociale.
Les approches en termes d'exclusion ne cherchent pas en
premier lieu à mesurer la pauvreté, mais plutôt à
comprendre à la fois en quoi celle-ci est un processus dynamique qui se
produit et se reproduit, comment s'effectue l'entrée ou la sortie d'un
état de privation et de marginalisation sociale, et quelles sont les
institutions qui sont susceptibles de réguler l'exclusion.
1.2.- Approches théoriques sur la
fécondité
On entend par fécondité, l'action reproductrice
des femmes, des hommes ou, d'une manière générale, des
couples d'une population. C'est le mécanisme central à partir
duquel le phénomène de la croissance démographique prend
corps.
Lebenstein7 est considéré comme l'un
des pionniers de l'analyse économique de la fécondité. Il
fait essentiellement une analyse microéconomique, avec une balance
coûts-avantages dans laquelle l'enfant est considéré comme
un «bien durable » auquel sont liées des dépenses
directes et des avantages, donc des utilités au sens
économique.
7 Problèmes Economiques # 2875, mercredi 11 mai 2005, page
15
17
L'analyse de la fécondité a été
aussi un sujet d'intérêt chez le prix Nobel d'économie en
1992, l'économiste Gary Becker. Selon ce dernier, qui est allé
dans le même sens que Lebenstein, la décision d'avoir des enfants
ou bien de se marier, dans une société industrielle, est
simplement le résultat d'une analyse coûts-avantages. L'enfant,
dans une société industrielle, est assimilable à un bien
de consommation. Les parents feront face à des dépenses et
bénéficieront des satisfactions apportées par l'enfant. La
baisse de la taille moyenne de la famille s'expliquerait par l'augmentation du
coût relatif des enfants (éducation, soins, etc.).
Dans une société agricole, au contraire,
l'enfant est considéré, pour Gary Becker, comme un investissement
en capital dans la mesure où il peut travailler jeune et contribuer
à l'augmentation du revenu familial. L'analyse du mariage est ainsi
assimilée à celle de la constitution d'une firme.
Par ailleurs, pour R.A. Easterllin8, les variations
de la fécondité seraient liées aux conditions d'insertion
des jeunes entrants sur le marché du travail. R.A. Easterllin a
observé que la fécondité aux États-Unis, par
exemple, suit des cycles d'expansion et de dépression. Selon lui, une
cohorte à faible effectif permet une meilleure insertion sur le
marché du travail, un meilleur niveau de vie, et donc une plus grande
fécondité. Il en résulte vingt ans plus tard une cohorte
plus nombreuse, une insertion plus difficile et donc une moindre
fécondité. Cette théorie prédisait ainsi une
reprise de la fécondité dans les années quatre-vingt et un
nouveau baby-boom. La théorie d'Easterllin établit une relation
positive entre le niveau de vie et la fécondité. Une approche qui
est en contradiction avec le point de vue de Gary Becker concernant les
sociétés industrielles, selon lequel la décision d'avoir
un enfant est le résultat d'un arbitrage avantages-coûts.
1.3.- Revue de littérature
1.3.1.- Revue théorique
Plusieurs grandes idées dominent le débat autour
du lien entre la croissance l'économie et la démographie et de
l'impact de l'évolution de l'un sur l'autre. Jean Bodin fait partie des
tous premiers penseurs à aborder ce sujet. Au 16e
siècle déjà, il considérait les
8 Ibidem
18
hommes comme étant la richesse d'une nation, de sorte
que si leur nombre augmente, la production suivra automatiquement. Par sa
fameuse déclaration - « Il n'est de richesse que d'hommes »-
Jean Bodin9 présentait la croissance démographique
comme un facteur favorable à la croissance économique. Cependant,
il faut situer le point de vue de Jean Bodin dans son contexte, où la
puissance de l'État reposait sur la conquête de territoires. De
plus, au 16e siècle, la taxe sur les têtes
représentait une source de revenu importante pour les États. Il
est compréhensible que l'homme ait été la véritable
richesse aux yeux de Jean Bodin.
Par la suite, la pensée a évolué, compte
tenu de l'évolution aussi de certaines réalités à
l'échelle mondiale. Ainsi, Thomas Robert Malthus10, dans son
ouvrage intitulé « Essai sur le principe de population »
publié en 1798, soutient la thèse que la croissance
démographique est défavorable à la croissance
économique. C'est la position pessimiste. Selon Malthus, la
population croit selon les termes d'une suite géométrique, alors
que les substances croissent selon les termes d'une suite arithmétique.
D'où le fait qu'il y aura nécessairement pénurie s'il
n'existe aucun contrôle sur la croissance démographique. Malthus
s'inspire de la loi des rendements décroissants de la production
agricole pour expliquer cet écart entre les ressources et la population.
De l'avis de Malthus, l'un des arguments expliquant l'impact négatif de
la croissance démographique sur la croissance économique est que,
avec une forte croissance démographique, la population tend à
dépasser les ressources rares disponibles.
La thèse de Malthus avait surtout beaucoup de
mérite pour l'époque où elle a été
introduite, une période où la transition démographique
était à son paroxysme en Angleterre11, avec un
accroissement naturel considérable. Mais, elle s'est montrée
dépassée dans le temps avec le progrès technique et le
constat qu'un ensemble de pays sont parvenus à avoir une croissance
économique élevée, même avec une forte croissance
démographique. Le cas au vingtième siècle de certains pays
de l'Asie dont la Chine et l'Inde en est l'illustration. Karl Marx12
critiquant la thèse de Malthus, avait déjà insinué
que la surpopulation n'est que relative et qu'elle est la conséquence de
l'état des techniques à un moment donné.
9 Emilie Canalis, Corinne Ebert, Croissance et population,
Licence Analyse et Politiques économiques, Année 1999-2000, p
10.
10 Ibidem
11 Ibidem
12 Ibidem
19
D'un autre coté, au milieu des années soixante,
Esther Boserup13 est venue avec la thèse de la pression
créatrice, selon laquelle, ce n'est pas la richesse qui
détermine la population, mais la population qui détermine la
richesse. Car, avance cette thèse, la population fait pression sur
l'amélioration des techniques de production. Cette position est
qualifiée d'optimiste. Donc, la croissance démographique
jouerait un rôle moteur dans les changements techniques. Des auteurs
comme Simon Kuznets et Julian Simon14 abondent dans le même
sens que Boserup en soutenant que l'ingéniosité des hommes
s'améliore à mesure que la population croît. Kuznets et
Simon croient qu'une société plus large implique des
capacités d'avoir des avantages et des économies
d'échelles, donc un meilleur positionnement pour se
développer.
La thèse de Boserup est à l'opposé de
celle de Malthus, tout en admettant que plus d'un siècle et demi
sépare les deux auteurs qui ont dû fonder leurs analyses sur des
constats différents. Toutefois, ces deux thèses ont pour cadre
commun une économie dominée par l'agriculture (Doliger, s.d,
p.2). En clair, et Malthus, et Boserup avaient une certaine part de raison
chacun. Car, beaucoup de sociétés souffraient de surpopulation
alors que certaines sont parvenues à décoller en dépit
d'une pression démographique considérable. Alors comment trouver
le juste milieu ?
Alfred Sauvy, pour sa part, croit qu'il n'y a pas de
corrélation directe entre croissance démographique et croissance
économique, car tous les cas existent. Cette position est dite
neutraliste. D'après la thèse de Sauvy15, on
peut avoir une croissance démographique faible avec en parallèle
une croissance économique faible ou encore une forte croissance de la
population accompagnée d'une faible croissance économique ou bien
encore à la fois une faible croissance démographique et une forte
croissance économique. D'où l'on parle dans le cas de Sauvy de la
thèse de l'optimum de la population.
Pour un auteur comme Allen C. Kelley16, la relation
entre démographie et pauvreté peut être observée
à deux niveaux : le niveau micro et le niveau macro.
13 Cédric Doliger, Démographie et croissance
économique en France après la seconde guerre mondiale : une
approche cliométrique, Faculté des Sciences économiques,
Université de Montpellier I, p.2
14 Allen C. Kelley, Population and Economic Development, s.d,
p.8
15 Emilie Canalis, Corinne Ebert, Croissance et population,
Licence Analyse et Politiques économiques, Année 1999-2000, p
11
16 Allen C. Kelley, The Impacts of Rapid Population growth on
Poverty, food provision, and the environnement; Duke University. 1998, 29 p
20
Au niveau micro, une expansion de la croissance de la
population contribuera à augmenter la force de travail. Dans un premier
temps, on assistera à une diminution relative du rendement du travail
(salaire) et une augmentation relative du rendement pour les
propriétaires de capitaux, terre et ressources naturelles.
Sur le plan macroéconomique, le plus important
déterminant de la pauvreté est l'allure et la vitesse de
l'activité économique dans son ensemble, et spécialement
l'emploi. Dans les pays où la terre et les ressources naturelles sont
relativement rares, où les ressources allouées à
l'éducation et à la santé sont insuffisantes, où
les marchés et les institutions gouvernementales sont faibles, un fort
taux de croissance démographique affectera négativement la
croissance économique et l'emploi, et par conséquent alimentera
la pauvreté dans le pays.
Au niveau des ménages, l'impact d'une augmentation de
la population sur la pauvreté est plus complexe. Au niveau le plus
simple, la naissance d'un enfant augmentera, selon Allen C. Kelley, la
probabilité d'appauvrissement du ménage par le fait que les
ressources, déjà limitées, devront être
distribuées entre plus de membres de la famille. Allen C. Kelley ne fait
pas de différence entre les sociétés industrielles et
agricoles.
Selon Borrce (1973), l'augmentation rapide de la population
dans les pays en développement (PED) est considérée comme
une importante barrière pour le processus de développement. Une
position que Allen C. Kelley a corroborée dans une étude
titrée « The impacts of rapid population growth on poverty
».
Thirlwal (1973) soutient de son coté, que la relation
entre croissance démographique et développement économique
est très complexe, particulièrement quand il s'agit de
déterminer les causes et les effets. Pour Thirlwal, l'augmentation
rapide de la population du Tiers-Monde n'est pas seulement synonyme d'obstacle
au développement. L'auteur croit qu'il y a beaucoup de situations dans
lesquelles, la croissance de la population peut être un stimulant au
progrès, et qu'il existe bien des raisons rationnelles expliquant
pourquoi les familles dans les pays en développement choisissent d'avoir
beaucoup d'enfants. Il a déclaré que la complexité du
sujet dépend du fait que le développement économique est
un concept multidimensionnel. Thirlwal cherche à adopter une position
relativiste dans la même lignée que Alfred Sauvy, à qui
l'on doit la paternité de la position dite neutraliste.
Le débat a depuis évolué pour laisser le
simple stade de la liaison entre croissance démographique et croissance
économique. Les néo-malthusiens abondent à peu près
dans ce
21
sens en étudiant de préférence la
relation entre croissance démographique et développement. Dans
les PED en particulier, la croissance économique est
considérée de plus en plus non pas comme une finalité en
soi mais comme un moyen pour arriver au développement. Car, leur
priorité - le développement - ne saurait être atteint sans
un niveau de croissance acceptable. Il en est de même pour arriver
à réduire la pauvreté. Il faut pouvoir produire a priori
une certaine quantité de richesses qu'il faudra répartir par la
suite en vue de satisfaire les besoins de la population. Dans le cas
d'Haïti, c'est à ce niveau que le problème est posé.
De 1980 à 2003, la production de richesses dans le pays n'a pas beaucoup
augmenté. Entre-temps, comment la situation a-t-elle
évolué sur le plan de la satisfaction des besoins de base ?
Ce travail se veut donc un effort d'aller au-delà d'une
simple comparaison entre croissance démographique et croissance
économique pour mieux comprendre plutôt les incidences de
l'augmentation de la population durant la période 1980-2003 sur le
niveau de pauvreté en Haïti, suivant l'approche en termes de
pauvreté humaine ou sociale.
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