Chapitre 1 : Cadre théorique et conceptuel
1.1.- Contour théorique du concept de
pauvreté
Il est difficile d'enfermer le concept de pauvreté dans
une définition unique. Les définitions dont elle fait l'objet
sont plutôt multiples. Selon les Nations Unies5, la
pauvreté est définie comme la privation de capacités
humaines, d'opportunités et de choix essentiels qui sont
nécessaires pour assurer le bien-être de l'individu, du
ménage ou de la communauté. Ainsi, la pauvreté, pour
l'ONU, ne se limite pas à la faiblesse des niveaux de revenus ou
à l'impossibilité de satisfaire des besoins fondamentaux, mais
aussi elle consiste en un manque de capacités humaines. De cette
façon, il faut entendre un manque d'accès au capital (capital
humain, physique, financier et social).
De son coté, Amartya Sen, cité par Van der Walt
(2004, p.5), est allé plus loin qu'une simple démarche de
définition de la pauvreté. Il essaie de déterminer les
conditions nécessaires pour mesurer la pauvreté. Amartya Sen
croit qu'il y a deux problèmes principaux en voulant mesurer la
pauvreté : identifier les personnes de la population qui sont pauvres et
construire un indice de pauvreté en utilisant les informations
disponibles sur les pauvres.
Sur la trace de la pensée de Sen, Van der Walt a abouti
à une conclusion selon laquelle, la définition de la
pauvreté diffère selon les peuples. Pour Van der Walt, la
pauvreté peut être considérée par certains comme le
fait de ne pas posséder une voiture ou un réfrigérateur
alors que pour d'autres, elle peut être synonyme de manque d'emploi ou
d'un logement confortable. En clair, la pauvreté serait un concept
vague.
Pour sa part, Joseph Wresinski, cité par Paul Makdissi
et Quentin Wodon (2004), est allé encore plus loin. Il estime que la
pauvreté, particulièrement l'extrême pauvreté, est
un concept multidimensionnel qui peut même inclure les violations de
droits humains. Une définition de la Banque Mondiale reprise par Van der
Walt atteste de cette multidimensionnalité. Cette définition
s'énonce comme suit : « La pauvreté, c'est la faim. La
pauvreté, c'est le manque de logements. La pauvreté, c'est
être malade et ne pas avoir les moyens de voir un médecin. La
pauvreté, c'est ne pas avoir la possibilité d'aller à
l'école et ne pas savoir lire. La pauvreté, c'est ne pas avoir un
emploi, c'est craindre pour son avenir, c'est vivre au jour le jour. La
pauvreté, c'est
12
5 PNUD, Rapport arabe sur le développement humain 2002,
page 103
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perdre un enfant à cause d'une maladie provoquée
par de l'eau non traitée. La pauvreté, c'est de l'impuissance, le
manque de représentation et de liberté. » (Van Der Walt,
2004, p.6)
Donc, dans la littérature, le débat est
très vaste. De plus, la pauvreté doit-elle être
considérée comme absolue ou relative ? Ou bien, doit-on la
considérer en terme de nécessités, de capacités ou
de fonctions ? Ou encore, est-elle spécifiquement un
phénomène monétaire ?
1.1.1.- Les différentes approches de la
pauvreté 1.1.1.1.- L'approche traditionnelle
Suivant l'approche traditionnelle utilisée pour mesurer
la pauvreté, les pauvres sont définis comme tous individus ou
ménages qui sont en dessous d'un niveau requis - la ligne de
pauvreté - pour maintenir un certain standard de vie. Les individus ou
ménages en dessus de cette ligne sont considérés comme
non-pauvres. Les seuils de pauvreté monétaires (1 dollar et 2
dollars) retenus par la Banque Mondiale se situent à travers cette
approche.
L'approche monétaire de la pauvreté, qui est
l'une des formes de l'approche traditionnelle, est centrée sur des
mesures de la pauvreté exprimées par un ratio d'individus ou de
ménages dont le revenu ou les dépenses sont donc
inférieurs à un seuil rapporté à une population
totale. La ligne de pauvreté représente l'équivalent
monétaire d'un panier de biens et de services considérés
comme étant le minimum nécessaire à l'existence dans un
pays donné. Il s'agit donc d'un seuil absolu.
Dans sa version la plus réductrice, l'approche en
termes de pauvreté monétaire suppose que les besoins sont
satisfaits essentiellement sur une base privée (individus ou
ménages) et sur les marchés du travail, des biens et des
services. Le principal moyen d'accès aux ressources nécessaires
est l'emploi. Celui-ci commande en effet l'accès à un revenu et,
selon le contexte, le droit à une assurance de santé ou à
une retraite. L'emploi permet également de mettre en oeuvre certains
fonctionnements sociaux.
Dans le cas d'Haïti, Nathalie Lamaute-Brisson6
a présenté, dans une étude parue en 2005, de nouveaux
seuils, selon les calculs de l'Institut d'Études Internationales
Appliquées de
6 Nathalie Lamaute-Brisson, Emploi et pauvreté en milieu
urbain en Haïti, CEPALC, Août 2005, p.35
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Norvège (FAFO), à partir des données de
l'Enquête Budget-Consommation des Ménages de 1999-2000
réalisée par l'Institut Haïtien de Statistique et
d'Informatique (IHSI). Calculé selon un panier alimentaire, le seuil
d'indigence est de 4243 gourdes per capita et par an, alors que le seuil de
pauvreté se situe à 5638 gourdes per capita et par an. Ce seuil
est calculé à partir de la variable « consommation »,
laquelle a été préférée aux dépens de
la variable « revenu » en raison des limites dans la mesure de ce
dernier tant au niveau de l'observabilité qu'au niveau du concept
même.
À partir de ces nouveaux seuils, la FAFO conclut que 48
% de la population haïtienne vivent en dessous du seuil de pauvreté
tandis que 31,4 % sont en situation d'extrême pauvreté. La
comparaison des données avancées par la FAFO avec celles
présentées par Mats Lundahl, qui a lui-même utilisé
le concept revenu et d'après lesquelles 76 % de la population vivent en
dessous du seuil de pauvreté et 56 % en situation d'indigence,
permettent de déduire une différence significative suivant les
méthodes.
Globalement, il y a deux traits fondamentaux qui
caractérisent l'approche traditionnelle pour mesurer la pauvreté
:
? Le premier trait est que cette approche est unidimensionnelle,
prenant en compte
seulement un indicateur ou une dimension de la
pauvreté. En ce sens, les dimensions de la pauvreté le plus
souvent utilisées sont celles basées sur une mesure
monétaire : revenu ou consommation/dépense. Le revenu
représente les moyens permettant d'acquérir les biens et services
nécessaires pour un standard de vie minimum, tandis que la consommation
indique si les besoins sont effectivement satisfaits.
? Le second trait de l'approche traditionnelle est le
classement distinct de la population
en deux groupes : pauvres et non-pauvres, suivant la ligne de
pauvreté. Cette ligne, en effet, peut être subjective, absolue,
relative ou une combinaison de ces dernières. La ligne de
pauvreté subjective peut être déterminée en
demandant aux pauvres où doit se situer le niveau critique entre pauvres
et non-pauvres. Dès le départ, cette approche pose
problème, car le fait de demander aux pauvres suppose que ces derniers
ont déjà été identifiés. La ligne de
pauvreté relative, elle-même, dépend de la distribution du
revenu de la population et peut être par exemple la moitié du
revenu moyen de la population. La ligne de pauvreté absolue,
15
par contre, est prédéterminée et est
indépendante du revenu de la population. Ce type de pauvreté peut
être basé sur un certain niveau de salaire minimum, le coût
d'un panier de biens considéré comme essentiel pour maintenir un
certain niveau de vie. Les seuils de pauvreté déterminés
pour Haïti à partir des calculs de la FAFO peuvent être
classés au niveau de la ligne de pauvreté absolue.
1.1.1.2.- L'approche multidimensionnelle
L'approche traditionnelle a été
développée pour répondre au besoin de mesurer la
pauvreté plus directement à travers ses multiples dimensions en
utilisant un seul indicateur. L'approche multidimensionnelle, par contre, prend
en compte plusieurs indicateurs ou dimensions pour mesurer le bien-être
d'un individu. Selon cette dernière approche, un individu est
considéré comme pauvre quand un certain nombre des besoins de
base ne sont pas satisfaits.
Comme pour l'approche traditionnelle, l'approche
multidimensionnelle, non plus, ne fait pas l'unanimité. Il n'y a pas un
consensus général concernant les dimensions du bien-être
qui doivent être incluses dans une analyse de la pauvreté. Le
problème est qu'il n'y a pas vraiment une méthode ou un standard
pour mesurer la pauvreté multidimensionnelle. Par exemple, Boltvinik,
cité par Van Der Walt (2004, p.12), établit une différence
entre les méthodes qui classifient de façon séparée
les différents indicateurs ou dimensions de la pauvreté (comme
les indicateurs de développement humain) et les méthodes qui
créent un indice composite pour toute la pauvreté (tels que l'IDH
et l'IPH). Le débat concernant ces indices composites tourne autour du
poids par lequel les différentes dimensions contribuent à la
pauvreté. Van Der Walt cite en exemple l'IDH qui assigne des poids
égaux aux trois dimensions prises en compte. Alors que chaque dimension
peut ne pas avoir la même importance, en passant d'un pays à
l'autre. Donc, au niveau de beaucoup d'indices de pauvreté
multidimensionnelle, la question revient à savoir quel est le seuil de
pauvreté pour chaque dimension.
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