Structure administrative et gestion de la population dans le département du Mbéré de 1983 à 2018par Léandre TASSONA Université de Ngaoundéré - Master 2 Histoire 2019 |
Chapitre III : Doléances/revendications des populations isolées et les nouveaux défis de l'administration camerounaiseLa raison d'être de l'administration publique dans tous les pays est d'assurer la gestion du service public et de veiller à l'intérêt général. C'est dans cette perspective, qu'il est impératif de mettre en place un plan d'ancrage territorial cohérent, efficace, transparente et compétente, capable d'offrir des services publics de qualité et d'appuyer l'épanouissement des administrés. Cependant, la démarcation des unités administratives dans le Département du Mbéré présente des formes irrégulières, déconnectant certaines localités de la chose administrative. Cette faillite est particulièrement visible dans le domaine de cohésion sociopolitique où l'offre de services du secteur public est fortement déficiente. L'administration est incapable de faire respecter les lois et les règlements qu'il édicte et n'est pas en mesure d'assurer la protection des biens et des personnes. De ce fait, la colère des habitants des localités isolées ne tardera pas à noircir les pages des cahiers de doléances. I- Conditions de vie des sinistrés de l'administration civile A- Dépouillement permanent des populations sur le plan financier La sous-administration territoriale fait que le plus souvent, les agents de l'État ne viennent que quand il faut réprimer et rançonner les populations197(*). Elle favorise de ce fait une administration publique où prédominent les fonctions de répression et de tracasserie. Par conséquent, il se crée entre les administrés frustrés et la lointaine administration un climat de méfiance et des relations « conflictuelles », car celle-ci se comporte comme une administration de type colonial, c'est-à-dire une administration de domination. La sous-administration fait donc que l'administration est perçue comme une organisation qui n'a que des droits (taxes et autres redevances à percevoir, prélèvements sur la production, ...) mais aucune obligation vis-à-vis des administrés, qui ne font que subir la loi du plus fort. Ainsi, les contrôles des agents de l'État sont souvent mal vécus par la population, car elles signifient pour elle, le plus souvent, répression, rançonnement et tracasserie de tout genre. C'est ce qui explique que dans certaines parties du département, les populations s'organisent pour s'opposer à des visites d'inspection et autres « descentes des fonctionnaires ». Cette opposition peut dans certains cas être organisée et encadrée par des organisations de la société civile (associations des paysans) et devenir hostile voire violente198(*). Malgré sa simplicité apparente, la littérature s'entend à peine quant à la définition de la pauvreté et parfois, le même auteur en propose plus d'une définition. Par exemple, selon Hagenaars, être pauvre c'est : manquer de biens essentiels à la vie ; avoir moins que les autres ; et sentir de ne pas avoir suffisamment pour se débrouiller199(*). Il faut revoir cette referenceSelon Townsend la pauvreté s'interprète sous un autre angle ainsi : les individus, les familles et les groupes peuvent être considérés en état de pauvreté lorsqu'ils manquent de ressources pour obtenir le régime alimentaire, pour participer aux activités et aux conditions de vie qui sont coutumières ou largement encouragées ou approuvées dans la société à laquelle ils appartiennent200(*). Au-delà de cette esquisse des différentes approches de la pauvreté, les travaux du Sommet Social de Copenhague ont tenté de clarifier et d'unifier le concept de pauvreté. Il est retenu que la pauvreté est multidimensionnelle. La pauvreté se manifeste sous diverses formes : absence de revenu et de ressources productives suffisantes pour assurer des moyens d'existence viables. Faim et malnutrition, mauvaise santé, morbidité et mortalité accrues du fait des maladies, absence ou insuffisance de logements, environnement insalubre, discrimination sociale et exclusion ; une autre caractéristique est que les pauvres ne participent pas à la prise de décision dans la vie civile, sociale et culturelle201(*). Cette définition permet de lire la pauvreté dans un cadre général touchant à la fois l'aspect politique, économique et social. La notion de pauvreté humaine élaborée par le PNUD s'appuie donc sur les acquis des définitions antérieures, en reprend les éléments fondamentaux et enrichit ce processus en basant plus particulièrement son analyse sur la privation des capacités. En règle générale, pour la plupart des pays africains, la pauvreté est généralement abordée en fonction des trois grandes préoccupations du PNUD : pauvreté monétaire et croissance économique, satisfaction des besoins essentiels et participation aux prises des décisions. Les résultats de la dernière enquête sur la pauvreté dévoilent la persistance des couches de pauvreté dans le Département du Mbéré et plus singulièrement dans les localités souffrantes d'un manque d'attention du pouvoir public. L'ampleur prise par ce fléau ne s'est pas vraiment atténuée. Ces zones vulnérables restent un espace où la proportion de pauvres est importante comparativement aux autres localités du Département. Les indicateurs de vulnérabilité qui prennent en considération le risque de tomber dans la trappe de la pauvreté quand survient un choc défavorable montrent que ces populations restent sensiblement exposées. Les indices de développement humain et de développement social élaborés récemment pour mieux cibler les populations à risque, ne sont pas non plus très favorables dans ces zones. La pauvreté, frappe durement l'ensemble du Département, mais le monde rural administrativement sinistré est le plus étranglé par la détérioration des conditions de vie. On n'est point pauvre parce qu'on n'a pas ou parce qu'on a peu d'argent ; on est démuni de ressources ou de revenus, parce que, « faute de santé, d'occupation rémunératrice, d'instruction, de relations, de capital négociable, ou intransmissible, on ne peut faire valoir des droits sur autrui, sur le travail des autres »202(*). La pauvreté est un phénomène multidimensionnel, caractérisé à la fois par une faible consommation de biens, mais aussi par la malnutrition, la maladie, une faible scolarisation, ou par un accès difficile aux services sociaux de base. Ces différents aspects de la pauvreté sont souvent combinés et interagissent, et ainsi, isolent ces villages sinistrés, dans une pauvreté persistante. Les populations rurales isolées, déjà défavorisées par le manque d'infrastructures se trouvent, du fait de leur incapacité économique, davantage marginalisées. L'insalubrité du milieu qui, par exemple, caractérise plus ces campagnes, est, à l'évidence, en bonne partie responsable pour une bonne part des mauvaises conditions de vie de ces populations. D'autre part, ces populations ne bénéficient pas d'un point l'approvisionnement en eau potable. Alors que l'eau potable est l'un des besoins les plus élémentaires pour l'homme et qu'elle doit faire l'objet des nombreux programmes d'investissements, elle reste encore une préoccupation pour plus de 40% de ces populations sinistrées. Ce qui peut exposer les populations non axées à des risques considérables à plusieurs maladies liées à la consommation de l'eau insalubre. Bon nombre de familles rurales sont, de ce fait, contraintes de parcourir quotidiennement des distances plus ou moins longues pour s'approvisionner en eau. Cette tâche ardue, qui revient le plus souvent aux femmes est de nature à consommer leur énergie, aggraver leur vulnérabilité et fragiliser davantage leur état de santé étant donné les multiples charges qu'elles sont tenues d'assumer en plus (maternité, éducation des enfants, travaux ménagers, corvée de l'eau, etc...)203(*). L'entassement, l'inconfort, le manque d'hygiène et l'absence des services essentiels sont d'autres conditions désavantageuses pour la santé des hommes, des femmes et des enfants. La pauvreté porte aussi atteinte à la citoyenneté des personnes. Dans le Département du Mbéré, les populations sinistrées ne sont pas seulement privées de ressources économiques, ils exercent aussi peu d'influence sur le pouvoir politique et leur respectabilité correspond généralement à leur position sociale « vulnérable ». Ces espaces ruraux souffrent d'une attention limitée des pouvoirs publics. Dans l'Observatoire des inégalités, Magali Reghezza-Zitt souligne l'inefficience des politiques de réduction des inégalités dans certaines zones rurales. Pour réduire les inégalités, les pouvoirs publics ont mis en place un ensemble de politiques publiques à travers les services publics du logement, de l'éducation et de la santé, qui contribuent à la réduction des inégalités. Leur disparition dans les zones rurales en déprise tend aussi à creuser des inégalités fortes à des échelles infra départementales204(*). Autrement-dit ces villages sinistrés souffrent de l'attention des politiques publiques en termes d'investissement. En effet, leurs centres administratifs ne se préoccupent beaucoup plus que des villages qui leur sont contigus ; et pensent difficilement aux populations sinistrées.On peut soutenir l'idée qu'une des causes de leur marginalisation est la sous-représentation des populations rurales isolées au sein des grands corps du pouvoir qu'ils soient politiques, économiques ou sociaux. La représentativité des campagnes dans ces groupes est souvent confondue avec le village d'origine de leurs membres. Or, ces derniers résident principalement dans les centres administratifs, loin des contraintes des campagnes isolées et perçoivent les problèmes de développement à travers la lorgnette du développement urbain205(*). Les populations rurales sinistrées ne se font pas beaucoup plus consulter dans les centres de santé formels par rapport aux centres informels. Le recours à un guérisseur/marabout est également observé dans une moindre mesure, surtout en milieu rural. Cette faible fréquentation des centres de santé est principalement due au coût de la consultation mais aussi du fait de l'éloignement des centres de santé pour la majorité des populations surtout rurales. Les consultations sont informelles lorsqu'elles sont faites par les tradipraticiens, les vendeurs informels de médicaments et les autres traitants non agréés. Les centres formels accueillent plus de personnes non pauvres, alors que les centres informels accueillent un peu plus de personnes pauvres. Les choix semblent donc guidés par le niveau de revenus ; ces pauvres choisissent le secteur informel à cause de son coût moins élevé. La part des consultations adressées au secteur informel est cependant particulièrement élevée dans ces zones.L'examen de l'accessibilité aux services de santé mesurée par la distance moyenne à parcourir et le temps moyen mis pour effectuer le trajet révèle qu'en moyenne dans ces milieux ruraux, le centre de santé le plus proche se trouve à environ 35 Km du domicile des ménages et que le temps moyen mis pour effectuer le trajet est à plus de 1 h. Selon le statut de pauvreté, les membres des ménages pauvres parcourent une distance moyenne plus longue et mettent plus de temps à effectuer les trajets de leurs domiciles aux centres de santé le plus proche206(*). Par conséquent, ces populations sont vulnérables à toute sorte de maladie. C- Vie et survie hors de l'État de droit positif Quoi qu'il en soit, l'une des causes principales du développement des différentes formes de délinquance, c'est l'anomie dans laquelle semble évoluer et se complaire une société exempte des législateurs. En effet, l'absence de règles ou de normes sociales, leur affaiblissement ou leur caractère contradictoire, de sorte que les acteurs sociaux ne savent plus comment diriger leurs conduites, ce qui est juste ou injuste, ce qui est permis ou interdit. Le développement anarchique des ces villages « sinistrés », l'occupation incongrue de ces espaces, participent de cette anomie qui a pour corollaires l'impunité et l'incivisme. Mr Issa Bago relève : « Il y a un malaise, nous vivons dans un système où les valeurs sont en crise. Et cette crise est entretenue par l'absence criarde de l'État. Il y a une complicité du pouvoir dans l'insécurité »207(*). L'expression vivante des contraintes culturelles de l'enclavement des zones rurales est la mentalité des populations qui y vivent. Elles développent très souvent des complexes par rapport aux autres peuples avoisinants208(*). Cela s'affirme davantage dans le cas des contrées qui finissent par se considérer comme les « oubliés de la nation ». Lorsqu'une règle édictée par l'autorité étatique reste sans effet dans une société, c'est une branche d'où se retire la sève ; elle se dessèche. En effet, une bonne marge de population interrogée rapporte que jamais le sous-préfet ne vient suivre les fêtes traditionnelles chez eux puisqu'il se contente de se rendre dans les villages facilement accessibles. D'autre part, le fait que dans ces zones parviennent difficilement les ondes radio, télé et le réseau de téléphonie, il est quasi impossible aux populations de s'informer sur l'actualité de leur pays209(*). Ils ont une faible capacité à s'informer, voir et entendre ce qui se passe autour d'eux et à saisir les opportunités de changement qui peuvent être à leur portée. II- Plaintes et voeux administratifs des populations en difficultés Le fonctionnement de l'administration dans ces villages enclavés ne pouvait continuer son cours sans susciter la réaction des populations victimes. En effet, ces populations ne manquent pas de se plaindre dès que l'occasion se présente. A- Besoin d'une administration efficace L'établissement d'un acte d'état civil est le problème le plus cité, rapporté par près de huit personnes sur dix (80 %) ayant rencontré des difficultés dans ces zones enchevêtrées. Toutefois, l'administration territorialement compétente n'attache pas une attention particulière aux publics en situation d'éloignement des centres de prises de décisions. Ces publics sont particulièrement concernés par les différentes prestations géographiques, du point de vue des conditions raisonnables comme des besoins particuliers qui peuvent marquer certains moments de l'existence. De ce fait, ils pensent que les personnes en situation de précarité administrative sont donc susceptibles que les autres d'entamer des démarches auprès des services publics ou administrations et, par extension, sont plus exposées à des difficultés et des blocages potentiels210(*). De plus, ils réitèrent que leur éloignement est caractérisé par une moindre maîtrise des rouages administratifs, la non maitrise de la langue administrative et l'éloignement social et géographique par rapport aux administrations peuvent alourdir leurs difficultés, d'autant qu'ils subissent aussi plus fortement les effets de certaines évolutions du service public, comme le recul des services publics sur le territoire. Ainsi de par leurs conditions de vie et du fait des difficultés spécifiques qui peuvent caractériser leurs parcours administratifs, ces populations en situation de précarité constituent donc un public particulier auquel l'administration devrait prêter une attention renforcée. C'est pourquoi, ils recommandent à l'administration de briser des facteurs d'inégalité déjà existants, afin d'évacuer cette forme d'exclusion liée à la situation de précarité sociale et/ou géographique. B- Revendication de rattachement à la division territoriale la plus proche Les populations des villages enclavés dans le Département du Mbéré déplorent le calvaire dans lequel elles sont à cause de l'enclavement de leurs localités. Ces contrées tiennent toujours à alerter l'État sur la situation déplorable dans laquelle ils vivent. Selon eux, il est temps que le gouvernement se penche sur des politiques pouvant sortir leur localité de l'ornière sans quoi, les populations et les originaires de ces hameaux, qui commencent à rouspéter pourraient passer à une autre étape. Ces habitants fustigent aussi le découpage territorial qui les fait trimer pour obtenir des documents administratifs puisqu'ils sont obligés de rallier un centre administratif, loin d'au moins 50 kilomètres pour les obtenir. Ce qui, beaucoup plus en saison des pluies, leur cause énormément de difficultés. C'est d'ailleurs dans ce sens qu'ils réclament que leur contrée soit rattachée au chef-lieu de l'unité la plus proche d'autant plus que leur proximité avec certaine capitale administrative, faciliterait la procédure. De ce fait, les membres de certaines communautés administrativement sinistrées refusent de faire partie de leur unité de commandement. Ils se plaignent constamment de leur situation à travers des actes forts qui tombent malheureusement aux oreilles des sourds. En effet, une grande partie de la population de Yafounou désertent très souvent leur représentativité à Meiganga lors de la fête nationale211(*). Cette dernière s'organise en groupe pour aller plutôt fêter à la capitale administrative contigüe (Djohong) ; ce qui traduit un sentiment de désistement à leur division territoriale hôte. Pour eux, Djohong est plus proche de leur village à 10 kilomètres que de Meiganga à 80 kilomètres. Pour se faire, lors des visites de prise de contact du sous-préfet de Meiganga, très souvent les portes parole du village attirent l'attention de ce dernier sur leur situation212(*). De cette manière, ils espèrent trouver gain de cause auprès du sous-préfet dans l'espoir que celui en tant représentant du gouvernement, achemine leur doléance auprès des décideurs centraux. Mansourou de conclure : « en tant que camerounais, nous voudrions que la situation se décante. Nous ne sommes derrière personne. Nous nous adressons à l'État et nous aimerions qu'il fasse quelque chose pour qu'il nous donne ce dont nous avons droit »213(*). C- Réclamation d'érection de certaines zones sinistrées en unités administratives Les revendications des populations isolées créent en droit international un problème unique où entre en jeu le concept de « souveraineté » au sein d'un État souverain. En effet, ces revendications sont fondées sur le peu d'attention du fief des collectivités décentralisées que déconcentrées à l'endroit des localités administrativement sinistrées. Une tranche des populations soit les 1/5e réclame l'érection de leur localité en unités administratives comportant des services à caractère éducatif, social et économique ou touchant la santé. Partie du fondement juridique de l'État, ces populations réitèrent à l'endroit de l'administration que l'État comporte les éléments suivants : en plus de posséder un territoire, une population et un gouvernement, l'administration publique doit se définir par une politique de proximité possible et vouloir survivre en tant que telle214(*).Le gouvernement doit refléter la volonté du peuple et doit agir ainsi en excluant toute domination « intérieure » ; de ce fait, tout citoyen quel que soit sa position géographique, doit avoir la capacité de poursuivre librement son développement économique social et culturel, et jouir de ses droits fondamentaux sans discrimination. De plus, le droit international stipule que le peuple soit gouverné selon sa volonté, ses moeurs et ses valeurs et qu'il soit représenté dans les institutions politiques215(*). En tant que population permanente d'un territoire étatique, elle souhaite avoir une unité de commandement officiel géographiquement séparé et culturellement distinct de la collectivité territoriale qui l'administre.Car les différentes situations dans lesquelles se trouvent ces populations administrativement sinistrées, s'inscrivent dans un contexte où il est politiquement difficile de reconnaître leur citoyenneté au même titre que les autres. Elles veulent l'établissement de leur propre point administratif, devant leur fournir des moyens de financement adéquats pour leur permettre d'atteindre leurs buts selon leurs priorités. Autrement dit, leur revendication définit la mise en place d'une structure qui doit refléter réellement la nature et les besoins de la collectivité dont elle émane. Cette exigence veut qu'on rende aux populations isolées, au moins, un territoire défini, et la compétence nécessaire à tirer un revenu de ce territoire et à assurer la préservation de leur culture. III- Accélération de la marche à l'inclusion sociale et à l'administration de proximité Le programme de lutte contre l'exclusion sociale dans le Département du Mbéré concerne les villages isolés de leurs capitales administratives. Ces villages présentent des indicateurs d'exclusion sociale liés principalement à la pauvreté qui affecte considérablement leur épanouissement. A- Administration de proximité plus adéquate Très dépendante de la mobilité des individus, la proximité d'un service en milieu rural est avant tout liée à sa fréquence d'utilisation. Elle varie aussi en fonction des besoins à satisfaire. Les individus, les familles que l'on retrouve en milieu rural répondent à une hiérarchie de besoins (allant des plus fréquents aux plus occasionnels) qui dicte leurs circuits de déplacement et encourage certains modes de consommation et de relation216(*). Ainsi, selon Gumuchian, la proximité est à la fois une notion géographique et relationnelle. Dans le premier cas, le service est localisé le plus près possible des personnes et adapté pour répondre à leurs besoins. Dans le deuxième, il est dispensé dans le but de favoriser un dialogue entre les individus et la collectivité217(*). La proximité d'un service fait également intervenir la notion d'accessibilité, un concept incontournable en analyse spatiale. Dès lors, les services de proximité se caractérisent par une accessibilité rapide au plan géographique ainsi que par un rapport personnalisé de la relation agent/usager. Ils visent à répondre à des besoins individuels et/ou collectifs à caractère physique, social, économique ou culturel. Il s'agit de mettre l'accent sur des services de désenclavement du territoire : les services garantissant les conditions matérielles de base et le maintien de la vie des individus ; les services répondant à des nécessités sociales ; les services contribuant à la qualité de vie etc. B- Décentralisation totale et effective L'espace politique local doit gagner en pouvoir et en autonomie et encourager par le processus de décentralisation du pouvoir, permettant aux collectivités territoriales d'affirmer progressivement leur identité locale à travers le sentiment (ou la volonté) d'appartenance locale de leurs populations, et une politique de communication volontariste qui met en avant, parfois en les construisant de toute pièce, des spécificités territoriales218(*). L'État doit se transformer au point de constituer des espaces suffisamment autonomes et centrés autour d'enjeux suffisamment spécifiques propres à chacun des territoires, ou encore proprement locaux, c'est à dire spécifiques à l'aspect local de tous les territoires infranationaux pour que l'on puisse parler d'émergence d'un « champ » politique local. Cette politique relève d'un enjeu pratique dont les conséquences non négligeables sur la compréhension des enjeux politiques locaux et sur l'interprétation de l'inflation du recours à la « participation » des citoyens pour justifier l'accroissement du pouvoir des élus locaux219(*). En outre, la décentralisation doit avoir des conséquences politiques et institutionnelles déterminantes : les niveaux territoriaux de décision doivent se multipliés; les règles électorales favorisant la concentration du pouvoir local sur une élite politique et sociale permettant d'attirer le plus de richesses sur un territoire. Il faut percevoir, à travers les règles de représentation qui sont au fondement de la démocratie au Cameroun, les premières raisons d'un attachement du pouvoir au territoire, par le biais de la dépendance des représentants du pouvoir à ceux qui habitent le territoire, qui y vivent ou du moins qui y sont rattachés sur le plan administratif en tant qu'électeurs potentiels220(*). En conservant la même structure politique et administrative quel que soit le nombre d'habitants dans la commune, le processus de décentralisation au Cameroun doit suivre une autre voie que dans la plupart des autres pays européens, à l'image des collectivités autonomes britanniques et italiennes221(*). Ainsi, chacune des communes du Département du Mbéré doit disposer d'un conseil municipal qui élit un maire ; celui-ci doit se doter d'adjoints et organiser le travail des élus sous la forme de commissions thématiques qui élaborent et discutent les projets soumis en dernier ressort à la décision du conseil. Cependant, tout au long du processus de décentralisation, il faut éviter que les élus locaux gagnent en pouvoir, en indemnités potentielles, en compétences et en responsabilités. Intéressons-nous à trois conséquences particulièrement importantes des modifications. La première est que l'essentiel du pouvoir local ne doit pas se concentrer sur quelques personnes seulement. Il faut écarter le « scrutin de liste bloquée », qui a pour effet de concentrer le pouvoir sur la tête de liste, tant avant les élections au moment de la composition de la liste que pendant celles-ci où l'image du futur maire potentiel incarne littéralement toute la liste, à tel point que l'on croit élire un maire et non des conseillers municipaux, et surtout après les élections, pendant toute la durée du mandat, où le maire et sa garde rapprochée (quelques adjoints et « hauts fonctionnaires locaux » de confiance) pourront régner222(*). Soutenus par une majorité silencieuse d'autant plus confortable qu'est attribuée, avant l'application de la règle proportionnelle, une « prime au vainqueur » de 50% des sièges, une règle qui réduit généralement les vaincus dans une opposition d'autant plus virulente qu'inefficace et sans autre pouvoir que celui apporté de temps à autre par des minorités locales, soucieuses de ne pas paraître trop chevillés au pouvoir en place. Par conséquent, la concentration du pouvoir sur le maire est telle que, même dans sa propre majorité, les voix dissonantes ne peuvent en pratique jamais s'exprimer : tous les colistiers sont aux ordres, parce que tous, en acceptant de mettre leur nom sur la liste, ont en quelque sorte fait voeu d'allégeance à leur tête de liste223(*). C- Mettre en place un projet de réforme sur d'échanges entre unités administratives des villages enclavésIl faut mettre en place une réforme territoriale qui vise à faire passer les villages enclavés sous la coupe des divisions territoriales les plus contigües, imposant en effet que les communautés de communes respectent la « continuité territoriale »224(*). Cette politique doit préconiser la primauté des critères de cohérence avancés à l'argument géographique de « continuité-territoriale », sur des questions d'appartenance historique, culturelle ou identitaire. Elle doit rappeler que le but du législateur est d'affirmer une cohérence territoriale qui soit le support pertinent de projets volontaires portés par une dynamique locale ; et non envisagé de créer des situations qui bouleverseraient l'organisation des territoires225(*). Dans ces conditions très spéciales, doivent venir des réponses, cohérentes et humaines, qui consentiront à l'expression légitime des populations locales et de leurs élus. Même si des politiques qui relèvent de considérations historiques et humaines s'imposent bien évidemment aux considérations géographiques, la continuité physique doit être appréciée avec discernement, terme au combien important. L'objectif ici est la suppression des enclaves et des discontinuités territoriales affectant l'épanouissement des populations victimes226(*).La situation est désormais assez complexe pour procéder à une recomposition territoriale qui se sont constituées il y a plusieurs années sur des périmètres parfois incohérents et peu propices à la mise en oeuvre de compétences intégrées. Il faut, en effet, souligner que la suppression des discontinuités territoriales est liée à l'exercice de compétences qui ne pourraient être mises en oeuvre avec efficacité sur un territoire discontinu.Cela étant précisé, les solidarités historiques peuvent aussi s'exprimer autrement que par l'existence des mouvements associatifs. En conclusion, après étude des conditions de vies dans des localités administrativement isolées, force est de reconnaitre que le problème de la population est réel. De ce fait, inquiétude et colère noircissent les pages de doléances. Elles couchent sur le papier des revendications pêle-mêle et beaucoup de leur frustration, en s'adressant indirectement à l'administration centrale via les administrateurs locaux. Ainsi, la nécessité de rapprocher davantage l'administration publique des citoyens appelle des transformations dans le fonctionnement de l'appareil administratif existant. C'est dans ce contexte qu'une exigence prioritaire s'impose par les défis à relever pour instaurer une dynamique administrative qui offre des services plus accessibles et mieux adaptés aux besoins et aux réalités des citoyens. * 197 Entretien avec Daodou Pierre, Dadzer, le 19 août 2018. * 198Entretien avec Daodou Pierre, Dadzer, le 19 août 2018. * 199A.J.M. Hagenaars, 1986, The Perception of Poverty, Center of Research in Public Economics, Leyden University, P.12. * 200 P. Townsend, 1979, Poverty in the United Kingdom: A Survey of Household Resources and Standards of Living, University of California Press. Berkeley and Los Angeles, p.24. * 201 G. Chambas et A. Kerhuel, 1998, « La réforme de l'État : implications des Cadres stratégiques de réduction de la pauvreté », Afrique contemporaine, (200107/09) n0199, p.78. * 202J. Labbens, 1978, Sociologie de la pauvreté. Le tiers-monde et le quart-monde, Paris, Gallimard, p.98. * 203Entretien avec Hamidou Bagari, Dadzer,le 19 août 2018. * 204 R. Z. Magali, 2013, « «Le défi des inégalités» Observatoire des inégalités » http://www.inegalites.fr/spip.php?page=analyse&id_article=1877&id_rubrique=110&id_mot=74, consulté le 11 octobre 2018. * 205 Entretien avec Mansourou, Garga Pella,le 15 août 2018. * 206 PNDP, 2016, Plan communal de développement de Ngaoui, p.25. * 207Entretien avec Issa Bago, Laïde Mami,le 08 août 2018. * 208Entretien avec Koulagna Alain, Yafounou,le 11 août 2018. * 209Entretien avec Oumarou Bouba, Gandinang,le 17 août 2018. * 210Entretien avec Aba Emmanuel, Gari, le 18 août 2018. * 211Entretien avec Ten Edouard, Ngam,le 17 août 2018. * 212Entretien avec Ten Edouard, Ngam,le 17 août 2018. * 213Entretien Mansourou, Garga-pella, le 18 août 2018. * 214 Discours du porte-parole de la population de Gbatoua lors de la tournée économique de la délégation préfectorale du Mbéré le 18 mars 2016. * 215 A. Cassesse, 1981, «The Self-Determination of Peoples », in L. Henkin (dir.), The International Bill of Rights, the Covenant on Civil and Political Rights, p.92. * 216 Rosenbaum,1998, p.15. * 217Ibid. * 218 J. Owona, 2011, la décentralisation Camerounaise, Paris, L'Harmattan, p.23. * 219Bourdieu, 1984, « Quelques propriétés des champs », in Questions de sociologie, Paris, Minuit, p. 113. * 220 M. Ondoua, 2010, l'administration publique camerounaise à l'heure des reformes, Paris, L'Harmattan, p.16. * 221Ibid. * 222D. Gaxie, 2000, La démocratie représentative, Paris, Montchrestien (3e éd.), p.23. * 223M. Koebel, 2008, « Les élections municipales sont-elles politiques ? Enjeux locaux, enjeux nationaux »,Revue Savoir/Agir, n°3, p. 103. * 224 Le JO Sénat du 02/06/2011, pp.14-19. * 225Le JO Sénat du 02/06/2011, pp.14-19. * 226Ibid. |
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