D.Entretien semi-directif et le principe de photo
élicitation
L'entretien semi-directif
L'enquête par entretien est pertinente lorsque l'on
souhaite retranscrire le sens que les individus donnent à leur pratique
(Blanchet et al., 2012). Selon Blanchet et al. (2012) : « L'entretien de
recherche se définit donc en second lieu par rapport à
l'activité même de la recherche, en ce sens qu'il est produit
à l'initiative de «A» (le chercheur) et au profit de sa
communauté, se distinguant en cela de l'entretien thérapeutique,
de la confession ou de la plainte de police, tous faits de paroles
sollicités par B et à son bénéfice» (ibid.,
p.17).
Abordant une thématique intrinsèquement
liée à l'intime de l'individu, l'intérêt de
mobiliser l'entretien semi-directif s'explique par le fait qu'il permet au
chercheur d'obtenir des informations à partir de points capitaux tout en
adoptant une démarche non directive favorisant l'instauration d'un
climat de confiance. La principale différence entre l'entretien
structuré et semi-directif et que, pour le premier, l'enquêteur
pose ses questions dans un ordre structuré tandis que dans l'autre, il
s'adapte au discours de l'individu pour poser ses questions en s'appuyant sur
ses thématiques (Quivy et Van Campenhoudt dans Sauvayre, 2013). Cela
brise davantage une vision structurée de l'échange où
l'enquêté a l'impression de répondre à une avalanche
de questions générant chez lui une tendance à raisonner
par des réponses courtes (Sauvayre, 2013).
Véritable pense-bête du chercheur (Berthier, dans
ibid.), le guide d'entretien apporte des éléments au sujet de
l'enquête en traduisant les hypothèses de recherche en question
d'enquête. Celui-ci évolue à travers le temps notamment au
cours des entretiens exploratoires où de nouvelles hypothèses
peuvent émerger. La composition du guide d'entretien doit être
avisée en fonction du type d'entretiens utilisé. Comme l'indique
Sauvayre (2013), la souplesse de l'entretien semi-directif se reflète
aussi dans la manière d'employer le guide d'entretien. Ipso facto, la
mémorisation de ce support consent une meilleure fluidité dans
l'échange avec l'interviewé. Bien que ce guide soit un
réservoir de questions permettant de ne jamais être «
à sec », l'exposé devant l'enquêté a tendance
à induire chez lui des comportements réticents. En sus, la
présence du guide limite les interactions avec l'interrogé et
peut marquer des ruptures dans la discussion (ibid.), d'où
l'intérêt de connaître son support pour en être
dépourvu dans l'entretien.
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Le principe de photo-élicitation
Nous associons dans notre étude les entretiens
semi-directifs au principe de photo-élicitation. Selon Bigando (2013
:14), « La photo élicitation interview est une méthode
d'enquête particulière, où l'entretien de recherche est
mené sur la base d'un support photographique considéré
comme susceptible de provoquer ou susciter (du latin elicerer, qui signifie
« tirer de ») des réactions verbales et émotionnelles
chez la personne interviewée. Les photographies utilisées lors de
l'entretien peuvent, soit correspondre à des documents photographiques
déjà existants, soit avoir été
réalisées pour l'occasion par l'enquêteur lui-même ou
directement par l'informant. ». Fondée par l'anthropologue John
collier en 1960, la « photo elicitation interview» a
été portée par les sociologues et anthropologues
anglo-saxons à l'effigie de Douglas Harper. Bien que cette pratique
s'étende à d'autres disciplines dans la sphère anglo-
saxonne, elle reste nouvelle dans la communauté
francophone. Selon nous, cette méthodologie comporte de nombreux
intérêts pour notre enquête que nous allons souligner
à présent. Dans cette pratique, la photographie est
considérée comme un moyen d'expression associé à
l'entretien (Bigando, 2013). En tant que support, elle facilite la relation
entre l'enquêteur et l'enquêté et favorise l'expression de
l'individu. Pour Collier (dans ibid.,), la relation triangulaire entre
l'enquêteur, la photographie et l'enquêté avilit la pression
que l'interviewé ressent dans une situation typique d'entretien, car il
se sent moins au coeur de celui-ci.
De plus, la photographie est un point de
référence sur lequel l'informant peut se baser qui, par son
aspect convivial, génère une ambiance propice à
l'échange (Duteil-Ogata dans ibid.,). Étant le fruit de
l'individu, le profil et ses photos de profil sont un moyen d'expression
à deux niveaux à l'effigie de l'enquête menée par
Bigando (2013). Construite par les individus, la photo de profil est une
production visuelle qui lors de l'entretien, sera aussi une production verbale,
car elle est l'objet d'un récit par le sujet (Bigando, 2013). En ce
sens, elle est un support sur lequel le sujet va préparer une
réflexion post photographique. Faire un entretien semi-directif en y
associant le profil et ses illustrations comme support facilite l'adaptation
d'une posture réflexive par l'interviewé. Par la « photo
interview » (ibid., 2013 : 11), l'interrogé est enclin à
fournir un discours construit et réfléchi sans interagir avec le
chercheur (ibid.). Avec la méthode de photo-élicitation
interview, nous comptons entrer dans le monde de l'enquêté
à travers ce qu'il donne à savoir par son profil. En outre, la
« photo interview » fonctionne comme une discussion où l'on
construit activement avec l'enquêté des significations (Schwartz,
dans ibid.)
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Plus concrètement, les enquêtés devront
expliquer et argumenter leur profil avec ses composantes textuelles et
visuelles. Nous avons recensé ici quelques axes essentiels :
-Décrire chaque photographie en précisant ce que
l'on doit y apercevoir.
-Argumenter le choix des photographies utilisées
(qu'est-ce qui est important, considéré
-Comme une plus-value? Que signifie telle photographie ? pourquoi
tel style ou figuration?
-Expliquer la description textuelle, les intentions et les
significations de celle-ci.
-Décrire le lien entre la description textuelle et
visuelle.
-Expliquer les difficultés la construction du profil.
-Justifier les choix de mise en scène (pourquoi telles
image, mentions, etc.).
La posture du chercheur
À l'effigie de tous les autres types d'entretien en
sociologie, il est nécessaire d'adopter une posture neutre
appelée « neutralité axiologique» (Weber, cité
dans Kaufmann, 2014). Encensée, la neutralité axiologique n'est
pas forcément une posture à adapter dans le sens stricto sensu du
terme, mais il est essentiel de s'en rapprocher le plus possible. Nonobstant,
nous pouvons pleinement tendre à adopter ce que Bethier (dans Sauvayre,
2013, p.61) nomme « la neutralité bienveillante ». Le substrat
sur lequel repose cette neutralité est la capacité
d'écoute, de compassion et de curiosité dont le chercheur fait
preuve pour stimuler et faciliter l'échange. Cette
nécessité d'écoute est centrale lorsque l'on mobilise le
principe de photo-élicitation, car il faut savoir entendre le discours
qui accompagne l'explication du profil et ce que celui-ci montre pour lui. Cela
est plus particulièrement juste pour la représentation des photos
de profil et le pourquoi de leur réalisation qui dans le cadre ce
mémoire nous importe beaucoup.
Pour conclure, nous mettons un point d'honneur à
rappeler que le recueil du discours de l'individu est le futur matériel
du chercheur. Cela lui impose d'adopter une posture reconnaissante envers
l'informateur et d'être à sa disposition, car il construit
à travers sa subjectivité, le sens que représente pour lui
l'objet étudié par l'enquêteur. In fine, c'est dans cette
optique de favoriser la parole de l'enquêté que nous comptons
mobiliser pleinement le rôle du « support photographique ».
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Définition de la population
Notre corpus d'enquêtés est constitué de
21 individus, dont 11 hommes et 10 femmes. Ils sont âgés entre 21
à 30 ans et la moyenne d'âge est de 23 ans (voir annexe A). Nous
avons au sein de ce corpus des femmes et des hommes ayant des orientations
sexuelles différentes ce qui nous permet de constater s'il y a une
variance selon l'orientation sexuelle. Notre population est majoritairement
constituée d'étudiants/de personnes en fin d'études. On
voit que dans notre tableau de présentation des enquêtés
(voir annexe A), la quasi-totalité d'entre-eux n'ont pas de recherches
structurées et optent pour « aller au feeling ». Pour
accéder aux interviewés, nous avons invité les
utilisateurs à participer par le biais d'un compte Tinder où nous
expliquons le cadre de la recherche. Il est aussi employé la
méthode de proche en proche qui consiste à mobiliser le
réseau des enquêtés pour obtenir d'autres personnes
souhaitant s'investir dans ce mémoire (Blanchet et al. 2012).
Dans un premier temps, nous allons explorer dans notre
état de l'art quelle est l'histoire des sites de rencontre et quels sont
les codes qui régissent leur création ? Nous nous focaliserons
particulièrement sur l'application Tinder qui est notre terrain
d'enquête puis nous explorerons qui sont les utilisateurs des services de
rencontre en ligne.
Le deuxième chapitre a pour objectif d'apporter des
éléments de compréhension sur l'histoire, le cadre de
l'amour et comment se traduit sa rencontre avec l'économie. Nous
explorerons ensuite l'impact d'un nouveau type de relation « les relations
éphémères » sur le « moi ».
Enfin, dans la dernière partie, il sera ici mis en
avant les logiques cognitives entraînées par l'architecture de
Tinder puis nous montrerons comment les individus se mettent en scène
sur les applications de rencontre et qu'est-ce que cela implique ?
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