E.Quand le naturel revient au galop
Comme nous l'avons vu dans la partie précédente,
de nombreux enquêtés revendiquent une forme de «
naturelle» dans la construction d'une relation. Nous allons voir dans
cette partie par quels biais se traduit la revendication du « naturelle et
de l'authenticité» à travers la construction du profil. Il
faut noter que dans cette partie, la mention à la fois du naturel et
l'authenticité n'est pas anodine, ce sont des deux
éléments interprètes de la même manière par
les individus. La construction du profil est le juste milieu entre «
être naturel et être vendable» pour convenir à l'aspect
volatil de l'évaluation des profils. C'est dans cette optique que nous
allons voir que les profils Tinder se construisent essentiellement sur 3
critères : l'authenticité, l'originalité et
l'humour. Nous verrons que les parties visuelles et descriptives du profil
ont des fonctionnalités différentes dans l'expression du «
moi ». Chacune des parties met en scène les critères
particuliers évoqués ci-dessus.
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On remarque que dans cette trilogie prônée par
les individus, chacun des éléments rejoint le socle fondamental
sur lequel se base la construction du profil et la philosophie des rencontres,
c'est-à-dire : « de ne pas se prendre la tête ».
« À travers mon profil, j'ai voulu renvoyer l'image d'un mec qui ne
se prend pas la tête qui vit intensément sa vie. La logique de ne
pas se prendre la tête s'est vraiment le centre de Tinder bien que
derrière je me suis clairement pris la tête pour élaborer
ce profil tu vois. C'est tout le paradoxe, tu te prends la tête pour
montrer que tu ne te prends pas la tête. C'est la
méta15 Tinder. L'important c'est de montrer que dans
l'idée globale, tu n'es pas là pour te prendre la tête et
que tu es une personne chill qui souhaite vivre des bons moments et puis
voilà... Et même dans les messages c'est pareil. [Extrait
d'entretien avec Michel, 09/03/2021].
Cette philosophie de « ne pas se prendre la tête
» constitue selon nous le socle « cérémoniel » sur
lequel va reposer un ensemble de règles cérémonielles
(Goffman, 1998) conduisant à guider l'individu dans sa figuration et
l'appréciation de l'autre. On tentera donc d'explorer dans cette partie
comment cette philosophie constitue ce socle « cérémoniel
» structurant la communication entre les individus. Nous verrons
l'importance des trois valeurs assujetties à ce cadre :
l'originalité, l'humour et l'authenticité qui prennent la forme
de règles cérémonielles (Goffman, 1998) à travers
lesquelles les daters orientent leur présentation de soi et structurent
leurs interactions. Selon Goffman (1998), une règle
cérémonielle semble d'apparence peu importante, mais elle
constitue néanmoins un moyen de communication conventionnel
mobilisé par l'individu pour qu'il exprime son personnage ou
évalue celui des autres (ibid.) Nous pensons donc que par que ces
règles communes et ce socle culturel, les individus alignent leur «
figuration ». L'hypothèse selon laquelle les individus construisent
une cohérence entre leur description et leurs photographies est
difficilement valable. En raison de la tendance de devoir montrer son «
moi social ou spirituel » de manière authentique, les individus
semblent ne pas construire de cohérence dans l'expression. Si toutefois
une cohérence dans les deux parties du profil figure, elle est
effectuée de manière inconsciente par les individus.
15 La « méta » est un terme
anglosaxon qui signifie « ce qui est au gout du jour ».
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Est-ce que tu essayais de faire un lien entre ta
description et tes photos ? [Enquêteur]
« Alors non, typiquement maintenant que tu me dis
ça je me rends compte que je n'ai pas du tout intellectualisé le
truc, mais en y pensant, c'est vrai que mes photos me représentent, mon
texte et mon Insta aussi et du coup ça fait un lien parce que tout
ça me représente, mais je n'ai pas fait de différence
où je n'ai pas posé une attention particulière
là-dessus. Ça correspond un peu à qui je suis du coup je
valide un peu mon « moi » entre les photos, les emojis, et la
musique. Je trouve ça assez cohérent en tout cas »
[Extrait d'entretien avec Valentin, 19/02/2021]. Il est intéressant
de noter que les individus intellectualisent très rarement la
cohérence dans l'expression de leur profil, mais ils recherchent en
priorité une expression du « moi » la plus correspondante
à celle de la réalité.
Celle-ci est en mise en jeu majoritairement par les
éléments visuels. « Pourquoi cette photo au festival ?
» [Enquêteur]. Déjà parce que j'étais trop
bien maquillée, c'était frais comme maquillage et j'aime bien les
looks atypiques, je voulais montrer que je n'en ai pas honte et que je peux
sortir comme ça à tout moment ! Au moins ça montre bien
que je m'en fous. Ça montre un peu mon côté
relâché sur ça. Ça prépare la personne
psychologiquement sur ça. Sur le fait que je peux vraiment être
comme ça pour sortir en ville, etc. Il ne faut pas avoir honte si tu me
vois arriver, comme ça tu es au courant».
Tu revendiques pas mal ton authenticité par rapport
à ça ? [Enquêteur]
Ouais ouais, je préfère ça comme
ça les gens savent à quoi s'attendre ! [Extrait d'entretien
avec Amandine, le 26/02/2021]
Nos enquêtés essayent de montrer sur une base
photographique un « moi » de la vie quotidienne. Ils tentent à
travers ce principe de montrer une forme de « moi authentique» afin
que le futur « matché » puisse accepter le dater tel qu'il
« est ». Réduire la distance entre le « moi en
ligne» et le « moi réel» est donc un gage
d'authenticité, car l'utilisateur essaye de se vendre comme « il
est ». Il constitue également une forme de prévention visant
à avertir le futur dater de son « vrai moi» afin de limiter
toute surprise lors du rendez-vous. On voit ici que les photos peuvent
recouvrir un sens subtil à dégager : celui d'une « forme
d'authenticité revendiquée ».
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Si les individus tendent à vouloir montrer une forme
d'authenticité dans leur profil, ils opèrent tout de même
un consensus entre se montrer sous son meilleur moi et son vrai moi. «
Dans les photos il faut un peu d'originalité, de folie. Je n'ai pas
d'exemple, mais quelquefois tu as une photo qui a été prise au
bon endroit, au bon moment et sur le vif, et voilà faut pas que
ça fasse trop non plus ouais je suis la meuf trop fun et tout et
après faut avoir le juste milieu entre un truc orignal et l'authentique
! À vouloir trop être authentique aussi ça nique tout...
» [Extrait d'entretien avec Oscar le 08/02/2021]. C'est dans cette
forme de conciliation que la première photographie est celle où
les daters sont en avant afin de pouvoir se vendre au mieux. « La
première photo c'est celle où tu ne dois pas faire le con tu
vois. C'est celle qui fait que la personne va continuer ou non à
regarder tes photos ou le texte. C'est pour ça que c'est ma photo la
plus présentable » [Extrait d'entretien avec Martin le
29/01/2021].
Les enquêtés ont donc conscience qu'ils doivent
osciller entre être originaux et authentiques. Ainsi, Martin tout comme
de nombreux enquêtés tant à essayer d'avoir une
cohérence entre l'authenticité appliquée et
revendiquée. Comme l'introduit Antoine, « Le problème
avec l'authenticité c'est que les gens se donnent plus de lestes que les
autres ». Ce que nous observons à ce sujet entre en
convergence avec les hypothèses de Filter et Magyar (2017) qui
démontraient que les utilisateurs ne concèdent pas la même
flexibilité sur l'authenticité aux autres que sur leur propre
profil.
« Qu'est-ce que tu aimes dans un profil ? »
[Enquêteur]
« Déjà les choses authentiques, au
moins une photo de sa tête, de son corps. Pas maquillée et
maquillée ça serait bien on ne va pas se mentir comme ça
on voit la différence. [...]. Après au niveau des photos, je n'en
ai pas fait une sans maquillage même si je ne me maquille pas trop voire
quasiment jamais dans la vie de tous les jours ». [Extrait
d'entretien avec Luna, le 06/03/2021].
Luna illustre ici tout le paradoxe entre l'authenticité
pratiquée et celle revendiquée (Ibid). On s'aperçoit que
le concept « d'authenticité» est très maniable et
subjectif selon les individus. Nous verrons dans la partie suivante qu'il
existe de nombreuses stratégies pour mouvoir une authenticité
dans le profil. Les utilisateurs revendiquant une forme d'authenticité
construisent leur profil essentiellement avec des photos non issues
d'Instagram.
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Les photos d'Instagram constituent pour les
enquêtés l'apogée d'un profil non authentique où la
personne se met « trop» en scène. « Les photos
instagramables ça va me gêner, ces gens qui ne se
présentent pas comme la réalité. Elles sont toujours en
belle robe bimbo, à paris, en voyage, etc... Alors que la
réalité ce n'est pas aussi toujours les belles plages, les
voyages et compagnie». [Extrait d'entretien avec Imran le
18/03/21].
Les photographies dites « Instagramables » sont des
photographies de haute qualité mettant en valeur l'individu. Elles sont
donc de manière très paradoxale un argument de vente de «
soi» favorable, car la personne se montre sous son meilleur jour, mais
elles souffrent à la fois d'un stigmate : celui de ne pas se montrer
sous une « forme authentique ». On s'aperçoit que les
utilisateurs ont tout à fait conscience de ce paradoxe, mais
l'acceptent. Le fait de ne pas paraître sous une vraie forme de «
soi» constitue également un moyen de protéger son estime de
soi en maximisant « les likes ». « Sur Tinder, on a plus
tendance à ne pas se montrer authentique. C'est une manière de se
défendre tu vois, de ne pas trop se révéler à
l'autre. Ce n'est pas facile de se montrer de manière authentique. Se
mettre un peu en scène comme tu disais bah c'est une façon de
plaire à la majorité quoi».
Pourquoi ce n'est pas facile de se montrer authentique ?
[Enquêteur]
Bah y'a aussi l'égo qui rentre en jeu. Je pense que
si tu as peu de likes, ça doit être difficile à vivre.
[Extrait d'entretien avec Michel, 09/03/2021]
La confiance en soi sur Tinder peut-être fortement mise
à l'épreuve et tout particulièrement chez la gent
masculine où ils sont en concurrences. Le renforcement de celle-ci n'est
pas recherché par les individus bien que l'estime de soi est un facteur
contribuant à rendre l'expérience Tinder comme positive (Orosz et
al., 2018). « Les photos c'est le but de l'appli après je peux
comprendre les personnes qui n'aiment pas ce principe où c'est un peu de
la stratégie de consommation, car tu juges à partir d'une photo
donc ça peut être « dégradant ». Ça peut
être dégradant, car si la personne ne te like pas c'est qu'elle te
trouve moche, c'est dur de se dire ça en vrai. Après
voilà, c'est le but de l'appli, c'est les risques, si tu mets Tinder tu
sais que tu vas devoir passer par là en fait ! Après voilà
ça met en jeu ton estime de soi ». [Extrait d'entretien avec
Jean-Charles, le 11/02/2021]. Les utilisateurs perçoivent leur nombre de
« likes» comme un retour sur leur capital d'attractivité qui
se base essentiellement sur le physique. Le retour des utilisateurs à
travers les matchs et les messages reçus constitue un retour social
positif faisant fructifier l'estime de soi du dater (ibid.).
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Il faut tout de même rappeler ici que ce retour social
positif est issu d'une évaluation du profil d'ordre scopique (Illouz,
2020).
Les matchs ça fait du bien à l'égo ?
[Enquêteur]
Bah tout à fait ! Avoir quelques matchs, tu te sens
quand même mieux que si tu as zéro match. C'est surtout le fait de
devoir travailler sur soi, se mettre en avant et aller liker plein de gens. Si
en échange de ça tu ne reçois rien bah c'est dur quoi. Tu
te dis que t'es pas ouf, que tu n'es pas beau ou que tu ne plais pas donc ce
n'est pas facile ! [Extrait d'entretien avec Alexandre, le 07/03/21].
Relativiser cette forme d'évaluation étant donné qu'elle
est essentiellement basée sur l'image permet aux daters de garder une
image positive de leur face puisqu'elle n'est pas considérée dans
sa totalité. « Tinder ce n'est pas la vraie vie de toute
façon, c'est un jeu où tu te mets en scène et voilà
quoi. On like tous au physique et pas vraiment pour ce qu'est l'autre de toute
façon. Je pense que Tinder peut être nocif par rapport à
ça et qu'il faut s'en foutre un peu de cette application »
[Extrait d'entretien avec Antoine, le 09/02/2021].
En considérant que les critères
d'évaluation sont essentiellement basés sur le physique, les
daters sont donc enclins à atténuer les retours assujettis
à leur face en ligne. Ainsi, cela constitue donc une forme de protection
de la face en revendiquant que celle-ci n'est pas évaluée sous
une forme ontologique, mais sous une forme scopique. Pour reprendre les mots de
Rémi, le délit de « faciès» est radical sur
Tinder contrairement aux rencontres en « physique» où les
individus considèrent que le cadre de ses rencontres permet davantage
une évaluation ontologique de la face. C'est aussi en opérant ce
parallèle bien qu'ils ont conscience que ce soit le « jeu » de
Tinder que les daters relativisent fortement les aspects négatifs de la
plateforme.
Tinder constitue aussi pour les personnes les plus timides un
réel tremplin pour mieux connaître son « moi », pour
affiner son identité et pour se développer. « Moi par
exemple, j'ai un complexe physique sur mon front. J'ai eu beaucoup de
commentaires sur mon front alors que moi je n'ai jamais rien demandé.
Ça fait que je porte tout le temps des bonnets et des chapeaux pour
ça. Et sur cette photo là je me trouve jolie je ne m'attarde pas
que sur mon front. Tu vois Tinder en me prenant en photo et montrant un peu mon
complexe bah ça m'a permis de m'accepter plus sur ça. Avant
j'étais vraiment tout le temps en bonnet je ne pouvais
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pas me voir et je ne voulais pas laisser voir mon grand
front ! J'arrive un peu plus à accepter l'image que je renvoie. La
deuxième photo tu vois je ressemble clairement à ça en
vrai. Je me dis que je suis jolie et le fait d'avoir des compliments sur ces
photos par les gars en mode « ouah t'es jolie sur la deuxième
photo, etc.. » ça me fait vraiment plaisir surtout que
j'étais persuadée de ne plaire à personne [Extrait
d'entretien avec Elsa, le 30/01/2021].
Est-ce que le fait que tu sois sur Tinder va modifier ta
perception sur les rencontres physiques ? [Enquêteur] Avant
j'étais d'une timidité extrême, mais avec Tinder j'ai
décidé de m'en foutre et d'être moi-même. J'ai
remarqué que les personnes continuent de me parler donc ça m'a
permis d'enlever ma timidité, etc. Avant je n'aurais jamais
invité un mec chez moi ou parlé à quelqu'un que je ne
connais pas forcément. En fait avec eux ça s'est super bien
passé j'ai compris que ça a changé des choses sur moi quoi
! Ça m'apporte aussi des choses quoi ! [Extrait d'entretien avec
Elsa, le 30/01/2021].
La présentation de soi régie par le paradoxe
entre être authentique et originale nécessite un dosage parfait
entre ses deux composants. L'originalité semble être la valeur qui
permet de « sortir des sentiers battus» comme dirait Oscar qui fait
le parallèle entre l'authenticité, l'originalité et
l'humour.
« Qu'est-ce qu'un profil authentique pour toi ?
» [Enquêteur]
« Déjà une photo marrante, un contexte
marrant dans la photo. Un profil authentique c'est un truc original.
L'originalité je trouve ça cool et ça permet de se
démarquer ! » [Extrait d'entretien avec Oscar, 08/02/2021]. La
valeur des variables présentées semble dépendre des
individus selon le degré d'investissement sur le profil. Comme nous
allons le voir ici, il existe différentes stratégies pour
accentuer ses éléments.
Nous avons tout d'abord certains utilisateurs qui ne se
prennent pas la tête pour construire leur profil afin de revendiquer le
fait que leur figuration se rapproche du « réel ». Construire
un profil « sans le réfléchir » constitue pour eux une
véritable plus-value pour démontrer un moi « authentique et
sans prise de tête ». « Je me suis pas du tout posé
la question de comment construire mon profil. Je ne pose pas non plus la
question de savoir si mon profil est bien et si je peux l'optimiser, car c'est
comme ça et pas autrement. Il ne faut pas non plus se prendre la
tête ça ne sert à rien de trop en faire. Je n'aime pas le
surplus d'informations faut éviter » [Extrait d'entretien avec
Alexandre, le 07/03/21].
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En créant un profil de manière spontanée,
les utilisateurs évoquent qu'ils essayent d'afficher une image de soi
authentique en rapport à la réalité. Cette revendication
du naturel passe essentiellement par un nombre d'images faible (en moyenne ces
utilisateurs disposent de trois photographies). « À travers mon
profil, je veux montrer que j'ai deux photos, mais je suis authentique quoi.
C'est un peu ce que je cherchai à montrer à travers mon truc.
J'ai peu de photos de moi, c'est pour ça que j'ai mis ces
photos-là, mais ça montre que je suis authentique ! ».
Est-ce que tu peux développer pourquoi ? [Enquêteur] Bah...
ça montre que déjà je ne prends pas beaucoup de photos de
moi donc je vis ma vie et je ne suis pas tout le temps sur les réseaux
et que je suis quelqu'un de simple. [Extrait d'entretien avec Gabriel, le
01/03/2021].
Que ce soit des photos de bonnes ou mauvaises qualités,
l'enjeu de cette stratégie est de laisser paraître une forme
d'authenticité à travers le fait que l'individu dispose de peu de
photos et n'en a pas fait expressément pour l'application. «
J'ai juste mis quelques photos de moi, en sport, en soirée et puis en
mode normal je dirai. Après j'ai juste mis quelques centres
d'intérêt et voilà on verra bien ! Je n'ai pas pris de
photos juste pour Tinder comme ça au moins j'ai que des photos de
moments de vie où c'est vraiment moi dessus » [Extrait
d'entretien avec Jean-Charles, le 11/02/2021]. Cet aspect «
stratégique» de la non-mise en scène de soi
caractérise une typologie particulière d'enquêté.
Elle figure chez les hommes ayant une utilisation très
modérée de Tinder qui dans notre corpus d'enquêtés
sont en majorités des individus inscrits en raison de la crise sanitaire
actuelle.
Ce sont essentiellement des personnes exprimant être
extraverties, avoir une forte sphère sociale et des facilités
à faire des rencontres via les modes traditionnels de rencontre. «
Je suis quelqu'un de très extraverti qui va un peu dans tous les
sens et qui fait plein de choses. Je me satisfais de peu, je suis
intéressé par tout. Comme une majorité de personnes
pendant cette année, avec le confinement, j'ai eu des difficultés
à rencontrer de nouvelles personnes comme d'habitude donc j'ai
installé Tinder ». [Extrait d'entretien avec Valentin,
19/02/2021].
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Ne pas construire un profil élaboré, que ce soit
au travers de la description ou des photographies constitue pour ces daters une
stratégie de figuration permettant d'affirmer sa pleine
d'adhésion au socle cérémoniel de Tinder. Avoir une «
figuration» non travaillée constitue donc une réelle
plus-value pour montrer qu'ils ne se prennent pas la tête, mais
également convenir à la revendication de l'authenticité
qui est une valeur régissant la figuration des individus et
l'appréciation des profils. Nous allons maintenant explorer quelles sont
les tendances visant à associer cette trilogie
prépondérante sur Tinder.
Pour les enquêtés revendiquant une forme
d'authenticité dans le profil de l'autre, celle-ci passe essentiellement
par des photos reflétant un moment de vie quotidienne plutôt que
des photographies mettant trop en avant le « moi social ». «
En fait l'authenticité pour moi c'est quelqu'un qui ne met pas de choses
superflues dans son profil. Je n'aime pas les « m'as-tu vu » tu vois.
Le côté m'as-tu vu, regarde comme j'ai l'air d'avoir une grande
gueule ou regarde comme je voyage ou j'ai de la thune je n'aime pas ... Je
pense que tu as plus ou moins deux types de profils quand même. Tu as
ceux qui vont te mettre des photos d'eux dans la vie de tous les jours
où ça n'essaye pas de t'induire quelque chose ou de te forcer le
regard sur quelque chose contrairement au profil superficiel où c'est le
cas » [Extrait d'entretien avec Lana, 04/03/2021].
C'est aussi ce que partage Amandine qui considère
péjorativement les excès d'exposition du moi social ou
matériel. « Les mecs qui sont accoudés à une
voiture, il y en a trop. Même s'ils peuvent être en jogging et en
slim, il y en a trop. Il n'y a pas davantage à montrer une voiture quoi.
Ça fait un peu michto quoi. Je trouve que c'est vachement pour combler
un truc quoi. Et, regarder la voiture ! Mais regardez-moi pas quoi ! C'est pour
combler un manque. Pareil pour les voyages je ne trouve pas que ça donne
de la plus-value. Ça montre un certain capital culturel en mode il fait
des trucs. Je trouve que justement si tu ne mets pas de photos de voyage, mais
comme ça, si ça vient dans la discussion, ça engendre une
discussion qu'on ne s'attendait pas. [...] Tu ne te vends pas que dans
le profil, il faut te vendre aussi dans les messages. Par exemple, s'il a
voyagé, l'apprendre dans une discussion c'est mieux ! c'est plus naturel
! Après, certes ça c'est peut-être des
éléments pour aborder la personne, mais ça fait que le
sujet ne vient clairement pas naturellement quoi. Ça fait un peu «
Et regarde j'ai voyagé, j'ai voyagé ! ». [Extrait
d'entretien avec Amandine du 26/02/2021].. Les enquêté(e)s
recherchent dans un profil essentiellement le « moi social» de
l'individu, c'est-à-dire, prioritairement ses activités, ses
intérêts et ses passions.
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Toute la complexité de la présentation de soi
pour illustrer les formes du « moi social» est liée à
cette réaffirmation de l'authenticité dans la figuration. Les
daters priorisent dans leur profil et celui de l'autre des « tranches de
vie» recensant sous une forme plus naturelle les aspects du moi
présentés. « J'attends une certaine tranche de vie de la
personne dans sa photo. De la voir à un moment donné dans un truc
qu'elle aime bien. Je veux un certain dynamisme dans la photo et je ne veux pas
que juste que ce soient des photos prises juste pour aller sur Tinder ou
Instagram. Même si c'est des photos floues, je veux un petit truc qui te
fasse regarder » [Extrait d'entretien avec Rémi, le
11/02/2021].
Les photos comme le dit Rémi sont donc
privilégiées selon le fait qu'elles soient jugées plus ou
moins comme naturelles. « Dans les photos, je recherche un peu
d'originalité, de folie. Je n'ai pas d'exemple, des fois tu as une photo
qui a été prise au bon endroit, au bon moment et sur le vif, et
voilà ! Après faut pas que ça fasse trop non plus : «
ouais je suis la meuf trop fun et tout». Il faut avoir le juste milieu
entre un truc original et l'authenticité ! À vouloir trop
être authentique aussi ça casse tout » [Extrait
d'entretien avec Oscar, 08/02/2021]. On voit ici de manière très
implicite que l'originalité et l'authenticité sont sans cesse
interprétées de façon « complémentaire ».
Cette difficulté à être « original» et à
la fois pas « trop en faire» pour rester authentique démontre
une réelle prise de conscience chez les individus des
éléments pouvant paraître ou non « comme étant
naturel» pour séduire son futur match (De singly, 1984).
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