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La mise en scène de soi sur Tinder: entre l'originalité et le conformisme


par Geoffrey MILLE
Université de bourgogne - Master 2 Sociologie 2021
  

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E.Quand le naturel revient au galop

Comme nous l'avons vu dans la partie précédente, de nombreux enquêtés revendiquent une forme de « naturelle» dans la construction d'une relation. Nous allons voir dans cette partie par quels biais se traduit la revendication du « naturelle et de l'authenticité» à travers la construction du profil. Il faut noter que dans cette partie, la mention à la fois du naturel et l'authenticité n'est pas anodine, ce sont des deux éléments interprètes de la même manière par les individus. La construction du profil est le juste milieu entre « être naturel et être vendable» pour convenir à l'aspect volatil de l'évaluation des profils. C'est dans cette optique que nous allons voir que les profils Tinder se construisent essentiellement sur 3 critères : l'authenticité, l'originalité et l'humour. Nous verrons que les parties visuelles et descriptives du profil ont des fonctionnalités différentes dans l'expression du « moi ». Chacune des parties met en scène les critères particuliers évoqués ci-dessus.

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On remarque que dans cette trilogie prônée par les individus, chacun des éléments rejoint le socle fondamental sur lequel se base la construction du profil et la philosophie des rencontres, c'est-à-dire : « de ne pas se prendre la tête ». « À travers mon profil, j'ai voulu renvoyer l'image d'un mec qui ne se prend pas la tête qui vit intensément sa vie. La logique de ne pas se prendre la tête s'est vraiment le centre de Tinder bien que derrière je me suis clairement pris la tête pour élaborer ce profil tu vois. C'est tout le paradoxe, tu te prends la tête pour montrer que tu ne te prends pas la tête. C'est la méta15 Tinder. L'important c'est de montrer que dans l'idée globale, tu n'es pas là pour te prendre la tête et que tu es une personne chill qui souhaite vivre des bons moments et puis voilà... Et même dans les messages c'est pareil. [Extrait d'entretien avec Michel, 09/03/2021].

Cette philosophie de « ne pas se prendre la tête » constitue selon nous le socle « cérémoniel » sur lequel va reposer un ensemble de règles cérémonielles (Goffman, 1998) conduisant à guider l'individu dans sa figuration et l'appréciation de l'autre. On tentera donc d'explorer dans cette partie comment cette philosophie constitue ce socle « cérémoniel » structurant la communication entre les individus. Nous verrons l'importance des trois valeurs assujetties à ce cadre : l'originalité, l'humour et l'authenticité qui prennent la forme de règles cérémonielles (Goffman, 1998) à travers lesquelles les daters orientent leur présentation de soi et structurent leurs interactions. Selon Goffman (1998), une règle cérémonielle semble d'apparence peu importante, mais elle constitue néanmoins un moyen de communication conventionnel mobilisé par l'individu pour qu'il exprime son personnage ou évalue celui des autres (ibid.) Nous pensons donc que par que ces règles communes et ce socle culturel, les individus alignent leur « figuration ». L'hypothèse selon laquelle les individus construisent une cohérence entre leur description et leurs photographies est difficilement valable. En raison de la tendance de devoir montrer son « moi social ou spirituel » de manière authentique, les individus semblent ne pas construire de cohérence dans l'expression. Si toutefois une cohérence dans les deux parties du profil figure, elle est effectuée de manière inconsciente par les individus.

15 La « méta » est un terme anglosaxon qui signifie « ce qui est au gout du jour ».

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Est-ce que tu essayais de faire un lien entre ta description et tes photos ? [Enquêteur]

« Alors non, typiquement maintenant que tu me dis ça je me rends compte que je n'ai pas du tout intellectualisé le truc, mais en y pensant, c'est vrai que mes photos me représentent, mon texte et mon Insta aussi et du coup ça fait un lien parce que tout ça me représente, mais je n'ai pas fait de différence où je n'ai pas posé une attention particulière là-dessus. Ça correspond un peu à qui je suis du coup je valide un peu mon « moi » entre les photos, les emojis, et la musique. Je trouve ça assez cohérent en tout cas » [Extrait d'entretien avec Valentin, 19/02/2021]. Il est intéressant de noter que les individus intellectualisent très rarement la cohérence dans l'expression de leur profil, mais ils recherchent en priorité une expression du « moi » la plus correspondante à celle de la réalité.

Celle-ci est en mise en jeu majoritairement par les éléments visuels. « Pourquoi cette photo au festival ? » [Enquêteur]. Déjà parce que j'étais trop bien maquillée, c'était frais comme maquillage et j'aime bien les looks atypiques, je voulais montrer que je n'en ai pas honte et que je peux sortir comme ça à tout moment ! Au moins ça montre bien que je m'en fous. Ça montre un peu mon côté relâché sur ça. Ça prépare la personne psychologiquement sur ça. Sur le fait que je peux vraiment être comme ça pour sortir en ville, etc. Il ne faut pas avoir honte si tu me vois arriver, comme ça tu es au courant».

Tu revendiques pas mal ton authenticité par rapport à ça ? [Enquêteur]

Ouais ouais, je préfère ça comme ça les gens savent à quoi s'attendre ! [Extrait d'entretien avec Amandine, le 26/02/2021]

Nos enquêtés essayent de montrer sur une base photographique un « moi » de la vie quotidienne. Ils tentent à travers ce principe de montrer une forme de « moi authentique» afin que le futur « matché » puisse accepter le dater tel qu'il « est ». Réduire la distance entre le « moi en ligne» et le « moi réel» est donc un gage d'authenticité, car l'utilisateur essaye de se vendre comme « il est ». Il constitue également une forme de prévention visant à avertir le futur dater de son « vrai moi» afin de limiter toute surprise lors du rendez-vous. On voit ici que les photos peuvent recouvrir un sens subtil à dégager : celui d'une « forme d'authenticité revendiquée ».

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Si les individus tendent à vouloir montrer une forme d'authenticité dans leur profil, ils opèrent tout de même un consensus entre se montrer sous son meilleur moi et son vrai moi. « Dans les photos il faut un peu d'originalité, de folie. Je n'ai pas d'exemple, mais quelquefois tu as une photo qui a été prise au bon endroit, au bon moment et sur le vif, et voilà faut pas que ça fasse trop non plus ouais je suis la meuf trop fun et tout et après faut avoir le juste milieu entre un truc orignal et l'authentique ! À vouloir trop être authentique aussi ça nique tout... » [Extrait d'entretien avec Oscar le 08/02/2021]. C'est dans cette forme de conciliation que la première photographie est celle où les daters sont en avant afin de pouvoir se vendre au mieux. « La première photo c'est celle où tu ne dois pas faire le con tu vois. C'est celle qui fait que la personne va continuer ou non à regarder tes photos ou le texte. C'est pour ça que c'est ma photo la plus présentable » [Extrait d'entretien avec Martin le 29/01/2021].

Les enquêtés ont donc conscience qu'ils doivent osciller entre être originaux et authentiques. Ainsi, Martin tout comme de nombreux enquêtés tant à essayer d'avoir une cohérence entre l'authenticité appliquée et revendiquée. Comme l'introduit Antoine, « Le problème avec l'authenticité c'est que les gens se donnent plus de lestes que les autres ». Ce que nous observons à ce sujet entre en convergence avec les hypothèses de Filter et Magyar (2017) qui démontraient que les utilisateurs ne concèdent pas la même flexibilité sur l'authenticité aux autres que sur leur propre profil.

« Qu'est-ce que tu aimes dans un profil ? » [Enquêteur]

« Déjà les choses authentiques, au moins une photo de sa tête, de son corps. Pas maquillée et maquillée ça serait bien on ne va pas se mentir comme ça on voit la différence. [...]. Après au niveau des photos, je n'en ai pas fait une sans maquillage même si je ne me maquille pas trop voire quasiment jamais dans la vie de tous les jours ». [Extrait d'entretien avec Luna, le 06/03/2021].

Luna illustre ici tout le paradoxe entre l'authenticité pratiquée et celle revendiquée (Ibid). On s'aperçoit que le concept « d'authenticité» est très maniable et subjectif selon les individus. Nous verrons dans la partie suivante qu'il existe de nombreuses stratégies pour mouvoir une authenticité dans le profil. Les utilisateurs revendiquant une forme d'authenticité construisent leur profil essentiellement avec des photos non issues d'Instagram.

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Les photos d'Instagram constituent pour les enquêtés l'apogée d'un profil non authentique où la personne se met « trop» en scène. « Les photos instagramables ça va me gêner, ces gens qui ne se présentent pas comme la réalité. Elles sont toujours en belle robe bimbo, à paris, en voyage, etc... Alors que la réalité ce n'est pas aussi toujours les belles plages, les voyages et compagnie». [Extrait d'entretien avec Imran le 18/03/21].

Les photographies dites « Instagramables » sont des photographies de haute qualité mettant en valeur l'individu. Elles sont donc de manière très paradoxale un argument de vente de « soi» favorable, car la personne se montre sous son meilleur jour, mais elles souffrent à la fois d'un stigmate : celui de ne pas se montrer sous une « forme authentique ». On s'aperçoit que les utilisateurs ont tout à fait conscience de ce paradoxe, mais l'acceptent. Le fait de ne pas paraître sous une vraie forme de « soi» constitue également un moyen de protéger son estime de soi en maximisant « les likes ». « Sur Tinder, on a plus tendance à ne pas se montrer authentique. C'est une manière de se défendre tu vois, de ne pas trop se révéler à l'autre. Ce n'est pas facile de se montrer de manière authentique. Se mettre un peu en scène comme tu disais bah c'est une façon de plaire à la majorité quoi».

Pourquoi ce n'est pas facile de se montrer authentique ? [Enquêteur]

Bah y'a aussi l'égo qui rentre en jeu. Je pense que si tu as peu de likes, ça doit être difficile à vivre. [Extrait d'entretien avec Michel, 09/03/2021]

La confiance en soi sur Tinder peut-être fortement mise à l'épreuve et tout particulièrement chez la gent masculine où ils sont en concurrences. Le renforcement de celle-ci n'est pas recherché par les individus bien que l'estime de soi est un facteur contribuant à rendre l'expérience Tinder comme positive (Orosz et al., 2018). « Les photos c'est le but de l'appli après je peux comprendre les personnes qui n'aiment pas ce principe où c'est un peu de la stratégie de consommation, car tu juges à partir d'une photo donc ça peut être « dégradant ». Ça peut être dégradant, car si la personne ne te like pas c'est qu'elle te trouve moche, c'est dur de se dire ça en vrai. Après voilà, c'est le but de l'appli, c'est les risques, si tu mets Tinder tu sais que tu vas devoir passer par là en fait ! Après voilà ça met en jeu ton estime de soi ». [Extrait d'entretien avec Jean-Charles, le 11/02/2021]. Les utilisateurs perçoivent leur nombre de « likes» comme un retour sur leur capital d'attractivité qui se base essentiellement sur le physique. Le retour des utilisateurs à travers les matchs et les messages reçus constitue un retour social positif faisant fructifier l'estime de soi du dater (ibid.).

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Il faut tout de même rappeler ici que ce retour social positif est issu d'une évaluation du profil d'ordre scopique (Illouz, 2020).

Les matchs ça fait du bien à l'égo ? [Enquêteur]

Bah tout à fait ! Avoir quelques matchs, tu te sens quand même mieux que si tu as zéro match. C'est surtout le fait de devoir travailler sur soi, se mettre en avant et aller liker plein de gens. Si en échange de ça tu ne reçois rien bah c'est dur quoi. Tu te dis que t'es pas ouf, que tu n'es pas beau ou que tu ne plais pas donc ce n'est pas facile ! [Extrait d'entretien avec Alexandre, le 07/03/21]. Relativiser cette forme d'évaluation étant donné qu'elle est essentiellement basée sur l'image permet aux daters de garder une image positive de leur face puisqu'elle n'est pas considérée dans sa totalité. « Tinder ce n'est pas la vraie vie de toute façon, c'est un jeu où tu te mets en scène et voilà quoi. On like tous au physique et pas vraiment pour ce qu'est l'autre de toute façon. Je pense que Tinder peut être nocif par rapport à ça et qu'il faut s'en foutre un peu de cette application » [Extrait d'entretien avec Antoine, le 09/02/2021].

En considérant que les critères d'évaluation sont essentiellement basés sur le physique, les daters sont donc enclins à atténuer les retours assujettis à leur face en ligne. Ainsi, cela constitue donc une forme de protection de la face en revendiquant que celle-ci n'est pas évaluée sous une forme ontologique, mais sous une forme scopique. Pour reprendre les mots de Rémi, le délit de « faciès» est radical sur Tinder contrairement aux rencontres en « physique» où les individus considèrent que le cadre de ses rencontres permet davantage une évaluation ontologique de la face. C'est aussi en opérant ce parallèle bien qu'ils ont conscience que ce soit le « jeu » de Tinder que les daters relativisent fortement les aspects négatifs de la plateforme.

Tinder constitue aussi pour les personnes les plus timides un réel tremplin pour mieux connaître son « moi », pour affiner son identité et pour se développer. « Moi par exemple, j'ai un complexe physique sur mon front. J'ai eu beaucoup de commentaires sur mon front alors que moi je n'ai jamais rien demandé. Ça fait que je porte tout le temps des bonnets et des chapeaux pour ça. Et sur cette photo là je me trouve jolie je ne m'attarde pas que sur mon front. Tu vois Tinder en me prenant en photo et montrant un peu mon complexe bah ça m'a permis de m'accepter plus sur ça. Avant j'étais vraiment tout le temps en bonnet je ne pouvais

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pas me voir et je ne voulais pas laisser voir mon grand front ! J'arrive un peu plus à accepter l'image que je renvoie. La deuxième photo tu vois je ressemble clairement à ça en vrai. Je me dis que je suis jolie et le fait d'avoir des compliments sur ces photos par les gars en mode « ouah t'es jolie sur la deuxième photo, etc.. » ça me fait vraiment plaisir surtout que j'étais persuadée de ne plaire à personne [Extrait d'entretien avec Elsa, le 30/01/2021].

Est-ce que le fait que tu sois sur Tinder va modifier ta perception sur les rencontres physiques ? [Enquêteur] Avant j'étais d'une timidité extrême, mais avec Tinder j'ai décidé de m'en foutre et d'être moi-même. J'ai remarqué que les personnes continuent de me parler donc ça m'a permis d'enlever ma timidité, etc. Avant je n'aurais jamais invité un mec chez moi ou parlé à quelqu'un que je ne connais pas forcément. En fait avec eux ça s'est super bien passé j'ai compris que ça a changé des choses sur moi quoi ! Ça m'apporte aussi des choses quoi ! [Extrait d'entretien avec Elsa, le 30/01/2021].

La présentation de soi régie par le paradoxe entre être authentique et originale nécessite un dosage parfait entre ses deux composants. L'originalité semble être la valeur qui permet de « sortir des sentiers battus» comme dirait Oscar qui fait le parallèle entre l'authenticité, l'originalité et l'humour.

« Qu'est-ce qu'un profil authentique pour toi ? » [Enquêteur]

« Déjà une photo marrante, un contexte marrant dans la photo. Un profil authentique c'est un truc original. L'originalité je trouve ça cool et ça permet de se démarquer ! » [Extrait d'entretien avec Oscar, 08/02/2021]. La valeur des variables présentées semble dépendre des individus selon le degré d'investissement sur le profil. Comme nous allons le voir ici, il existe différentes stratégies pour accentuer ses éléments.

Nous avons tout d'abord certains utilisateurs qui ne se prennent pas la tête pour construire leur profil afin de revendiquer le fait que leur figuration se rapproche du « réel ». Construire un profil « sans le réfléchir » constitue pour eux une véritable plus-value pour démontrer un moi « authentique et sans prise de tête ». « Je me suis pas du tout posé la question de comment construire mon profil. Je ne pose pas non plus la question de savoir si mon profil est bien et si je peux l'optimiser, car c'est comme ça et pas autrement. Il ne faut pas non plus se prendre la tête ça ne sert à rien de trop en faire. Je n'aime pas le surplus d'informations faut éviter » [Extrait d'entretien avec Alexandre, le 07/03/21].

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En créant un profil de manière spontanée, les utilisateurs évoquent qu'ils essayent d'afficher une image de soi authentique en rapport à la réalité. Cette revendication du naturel passe essentiellement par un nombre d'images faible (en moyenne ces utilisateurs disposent de trois photographies). « À travers mon profil, je veux montrer que j'ai deux photos, mais je suis authentique quoi. C'est un peu ce que je cherchai à montrer à travers mon truc. J'ai peu de photos de moi, c'est pour ça que j'ai mis ces photos-là, mais ça montre que je suis authentique ! ». Est-ce que tu peux développer pourquoi ? [Enquêteur] Bah... ça montre que déjà je ne prends pas beaucoup de photos de moi donc je vis ma vie et je ne suis pas tout le temps sur les réseaux et que je suis quelqu'un de simple. [Extrait d'entretien avec Gabriel, le 01/03/2021].

Que ce soit des photos de bonnes ou mauvaises qualités, l'enjeu de cette stratégie est de laisser paraître une forme d'authenticité à travers le fait que l'individu dispose de peu de photos et n'en a pas fait expressément pour l'application. « J'ai juste mis quelques photos de moi, en sport, en soirée et puis en mode normal je dirai. Après j'ai juste mis quelques centres d'intérêt et voilà on verra bien ! Je n'ai pas pris de photos juste pour Tinder comme ça au moins j'ai que des photos de moments de vie où c'est vraiment moi dessus » [Extrait d'entretien avec Jean-Charles, le 11/02/2021]. Cet aspect « stratégique» de la non-mise en scène de soi caractérise une typologie particulière d'enquêté. Elle figure chez les hommes ayant une utilisation très modérée de Tinder qui dans notre corpus d'enquêtés sont en majorités des individus inscrits en raison de la crise sanitaire actuelle.

Ce sont essentiellement des personnes exprimant être extraverties, avoir une forte sphère sociale et des facilités à faire des rencontres via les modes traditionnels de rencontre. « Je suis quelqu'un de très extraverti qui va un peu dans tous les sens et qui fait plein de choses. Je me satisfais de peu, je suis intéressé par tout. Comme une majorité de personnes pendant cette année, avec le confinement, j'ai eu des difficultés à rencontrer de nouvelles personnes comme d'habitude donc j'ai installé Tinder ». [Extrait d'entretien avec Valentin, 19/02/2021].

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Ne pas construire un profil élaboré, que ce soit au travers de la description ou des photographies constitue pour ces daters une stratégie de figuration permettant d'affirmer sa pleine d'adhésion au socle cérémoniel de Tinder. Avoir une « figuration» non travaillée constitue donc une réelle plus-value pour montrer qu'ils ne se prennent pas la tête, mais également convenir à la revendication de l'authenticité qui est une valeur régissant la figuration des individus et l'appréciation des profils. Nous allons maintenant explorer quelles sont les tendances visant à associer cette trilogie prépondérante sur Tinder.

Pour les enquêtés revendiquant une forme d'authenticité dans le profil de l'autre, celle-ci passe essentiellement par des photos reflétant un moment de vie quotidienne plutôt que des photographies mettant trop en avant le « moi social ». « En fait l'authenticité pour moi c'est quelqu'un qui ne met pas de choses superflues dans son profil. Je n'aime pas les « m'as-tu vu » tu vois. Le côté m'as-tu vu, regarde comme j'ai l'air d'avoir une grande gueule ou regarde comme je voyage ou j'ai de la thune je n'aime pas ... Je pense que tu as plus ou moins deux types de profils quand même. Tu as ceux qui vont te mettre des photos d'eux dans la vie de tous les jours où ça n'essaye pas de t'induire quelque chose ou de te forcer le regard sur quelque chose contrairement au profil superficiel où c'est le cas » [Extrait d'entretien avec Lana, 04/03/2021].

C'est aussi ce que partage Amandine qui considère péjorativement les excès d'exposition du moi social ou matériel. « Les mecs qui sont accoudés à une voiture, il y en a trop. Même s'ils peuvent être en jogging et en slim, il y en a trop. Il n'y a pas davantage à montrer une voiture quoi. Ça fait un peu michto quoi. Je trouve que c'est vachement pour combler un truc quoi. Et, regarder la voiture ! Mais regardez-moi pas quoi ! C'est pour combler un manque. Pareil pour les voyages je ne trouve pas que ça donne de la plus-value. Ça montre un certain capital culturel en mode il fait des trucs. Je trouve que justement si tu ne mets pas de photos de voyage, mais comme ça, si ça vient dans la discussion, ça engendre une discussion qu'on ne s'attendait pas. [...] Tu ne te vends pas que dans le profil, il faut te vendre aussi dans les messages. Par exemple, s'il a voyagé, l'apprendre dans une discussion c'est mieux ! c'est plus naturel ! Après, certes ça c'est peut-être des éléments pour aborder la personne, mais ça fait que le sujet ne vient clairement pas naturellement quoi. Ça fait un peu « Et regarde j'ai voyagé, j'ai voyagé ! ». [Extrait d'entretien avec Amandine du 26/02/2021].. Les enquêté(e)s recherchent dans un profil essentiellement le « moi social» de l'individu, c'est-à-dire, prioritairement ses activités, ses intérêts et ses passions.

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Toute la complexité de la présentation de soi pour illustrer les formes du « moi social» est liée à cette réaffirmation de l'authenticité dans la figuration. Les daters priorisent dans leur profil et celui de l'autre des « tranches de vie» recensant sous une forme plus naturelle les aspects du moi présentés. « J'attends une certaine tranche de vie de la personne dans sa photo. De la voir à un moment donné dans un truc qu'elle aime bien. Je veux un certain dynamisme dans la photo et je ne veux pas que juste que ce soient des photos prises juste pour aller sur Tinder ou Instagram. Même si c'est des photos floues, je veux un petit truc qui te fasse regarder » [Extrait d'entretien avec Rémi, le 11/02/2021].

Les photos comme le dit Rémi sont donc privilégiées selon le fait qu'elles soient jugées plus ou moins comme naturelles. « Dans les photos, je recherche un peu d'originalité, de folie. Je n'ai pas d'exemple, des fois tu as une photo qui a été prise au bon endroit, au bon moment et sur le vif, et voilà ! Après faut pas que ça fasse trop non plus : « ouais je suis la meuf trop fun et tout». Il faut avoir le juste milieu entre un truc original et l'authenticité ! À vouloir trop être authentique aussi ça casse tout » [Extrait d'entretien avec Oscar, 08/02/2021]. On voit ici de manière très implicite que l'originalité et l'authenticité sont sans cesse interprétées de façon « complémentaire ». Cette difficulté à être « original» et à la fois pas « trop en faire» pour rester authentique démontre une réelle prise de conscience chez les individus des éléments pouvant paraître ou non « comme étant naturel» pour séduire son futur match (De singly, 1984).

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"Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots"   Martin Luther King