VI. Analyse
A.Préambule Analytique
Tout au long de la partie analytique, il sera mis en exergue
plusieurs points :
Dans un premier temps, notre préambule abordera l'une
des philosophies prépondérantes à Tinder : « Ne
pas se prendre la tête ». Nous verrons à ce sujet
qu'elle guide les daters dans l'élaboration de leur profil et dans
l'appréciation des profils. Tout au long de notre trame analytique, nous
développerons notre analyse autour de cette philosophie étant
donné qu'elle constitue selon nous une forme de cadre «
cérémoniel» (Goffman, 1998). Nous explorerons
également la perception des individus envers cette philosophie et
l'évaluation principalement scopique des profils par le concept de
Moralisation de Massumi (1992).
Nous verrons suite à cela comment les individus
réincorporent des logiques et normes sociales traditionnelles sur
Tinder. Nous explorerons dans cette partie la notion de hasard dans les
rencontres et comment celle-ci se réinvente sur Tinder. Après le
hasard qui, évidemment, fait les bonnes histoires, nous aborderons la
dimension du « naturelle» dans les aspects de la rencontre tant
revendiquée par les individus. Nous explorerons les différentes
stratégies mobilisées par les individus afin de se rapprocher
d'une forme d'authenticité ou de naturel sur Tinder. Cette
troisième partie explorera comment et en quoi l'originalité,
l'authenticité et l'humour constituent des valeurs pouvant être
associées à des formes de règles
cérémonielles. Tout comme notre cadre cérémoniel,
nous tenterons d'argumenter dans cette analyse de la pertinence de ces valeurs
en tant que règles cérémonielles.
La quatrième partie sera dédiée à
ce qui fait sens pour les individus dans la présentation visuelle du
profil. Nous verrons à ce sujet diverses stratégies de
présentation visant à se rapprocher du cadre et des règles
cérémoniels de Tinder. Après avoir exploré le sens
lié à la présentation visuelle, nous aborderons comment
les daters mobilisent la partie descriptive du profil et portent une
appréciation sur cette partie.
Nous explorerons ensuite comment les utilisateurs
dédramatisent la rencontre tout au long de la phase de séduction
en ligne et comment se passe l'après « match» pour les daters.
Il sera apporté ici une attention particulière au premier message
chez les genres similaires. La dernière partie abordera le rôle
des réseaux sociaux dans le processus de séduction et ce qu'ils
symbolisent pour les usagers.
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B.Ne pas se prendre la tête sur Tinder
Il semble nécessaire avant toute exploration au sujet
de Tinder de comprendre quelle est la perception des utilisateurs envers
Tinder. Contrairement à d'autres applications comme Fruitz ou Bumble, le
mode de fonctionnement et l'architecture de Tinder semblent fortement
influencer les manières de penser sur l'application. En raison de
l'architecture de ce réseau, les « daters » ont tendance
à évaluer un profil dont les photographies constituent une forme
de présélection. « Le premier critère pour
évaluer un profil très clairement c'est les photos. Après
voilà c'est une application basée sur l'apparence donc si la
fille me plaît physiquement je like! [...]. Les photos c'est le but de
l'appli après je peux comprendre les personnes qui n'aiment pas ce
principe où c'est un peu de la stratégie de consommation, car tu
juges à partir d'une photo donc ça peut être
«dégradant», car si la personne ne te like pas, c'est qu'elle
te trouve moche et c'est dur de se dire ça en vrai. Après
voilà, c'est le but de l'appli, c'est les risques, si tu mets Tinder tu
sais que tu vas devoir passer par là en fait ! Après voilà
c'est le jeu » [Extrait d'entretien avec Florent, le 04/02/2021].
Bien plus qu'une phase de présélection, on
retrouve une forme d'acceptation de ce processus d'évaluation qui se
base sur le physique, qui comme Florent et tant d'autres l'ont exprimé :
« c'est le jeu de Tinder ». Les enquêtés
semblent illustrer le processus de moralisation de Massumi (dans David et
Cambre, 2016) à travers une forme d'acceptation consentie entre «
évaluer et être évalué sur le capital scopique
». Les photographies étant le substrat essentiel du profil pour se
« vendre », les individus ont conscience que le « moi en
ligne» tend à être embelli : c'est pour cette raison que la
modification des informations visuelles n'est pas rédhibitoire mais
acceptable pour tous et toutes, car c'est le jeu de « Tinder ».
« Après moi les modifications d'informations, je trouve que
c'est le jeu de se vendre. Je peux comprendre que tu mets une photo un peu
pimpée, un petit peu déviée, je ne suis pas retissant
là-dessus quoi. Je pense que je vais le juger plus ou moins, car
ça dégage une certaine honte de toi je n'en sais rien...
Après moi j'aime bien les filles naturelles qui s'assument, donc le fait
de ne pas s'assumer et de survendre tu peux le juger quoi. Dans un autre sens,
ça peut se comprendre, car c'est le jeu de Tinder. Après je sais
si je vais finalement le considérer, comme je te disais si je rencontre
une personne qui a une superbe photo, qui est moche en réalité,
mais super sympa, je vais quand même être content de la rencontre
que j'ai faite. Ça reste une application de rencontre après tout.
C'est le jeu, c'est les codes de l'application et si tu ne respectes pas les
codes, ça ne fonctionne pas. C'est un jeu social, en
réalité, ce n'est pas la réalité...[...]
» [Entretien avec Valentin, 19/02/2021]
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Beaucoup d'utilisateurs ont conscientisé le choc entre
le virtuel et le réel à travers un processus de moralisation
à trois niveaux :
1.L'approbation du fait d'évaluer et d'être
évalué essentiellement par le physique 2.L'acceptation d'un
« soi » de l'autre plus embelli que la réalité
3.La non-attente d'une cohérence entre « le soi en
ligne et le soi réel» par l'adaptation de la logique de ne pas se
prendre la tête.
C.I don't care, i love it!
La logique de « Wait and See », de « ne pas se
prendre la tête» fait sens pour beaucoup d'utilisateurs de la
plateforme puisqu'elle permet de dédramatiser les attentes envers
l'autre et de limiter les déceptions dues à une
représentation de ce dernier. « Est-ce qu'il y a des normes sur
Tinder? Nan je ne pense pas, je pense que sur Tinder tu peux faire un peu ce
que tu veux mais faut quand même montrer que tu es quelqu'un pas prise
tête et assez chill14 ». C'est important de montrer
ça ? [Enquêteur] « C'est beaucoup plus attirant pour une
meuf de savoir qu'un mec est assez ouvert d'esprit et pas prise de
tête». Qu'est-ce que ça signifie exactement « ne
pas de prendre la tête»? [Enquêteur]. « C'est le fait
de ne pas rechercher un truc particulier genre du sérieux tout de suite.
Faut être tranquille à propos de ça et aller au feeling et
puis advienne que pourra ! » [Extrait d'entretien avec Martin le
29/01/2021].
Allez au feeling en ne se prenant pas la tête consiste
à adopter une attitude dans laquelle les daters ne forgent pas
d'attentes dans tous les aspects du processus menant à la rencontre.
Cette forme de cadre suit l'individu dans l'évaluation profil jusqu'au
moment du date. Cette base incorpore en elle des caractéristiques du
« moi spirituel» reliant l'état d'esprit de ne pas se prendre
la tête. Se mouvoir comme « chill » ou montrer une
« ouverture d'esprit » par cette philosophie constitue des
caractéristiques du « moi spirituel» puisqu'ils sont le
résultat d'une manière de penser en être qu'être
subjectif (James, 1980). C'est autour de cet axe central que les profils Tinder
figurent dans l'optique de renvoyer cette image, comme l'explique Jean-Charles
: « À travers mon profil, je veux montrer que je suis un gars
chill, qui ne se prend pas la tête, qui a des centres
d'intérêt, une ouverture d'esprit [...] [Extrait d'entretien
avec Jean-Charles, le 11/02/2021].
14 Le mot « Chill» désigne quelqu'un
de détendu. Il a pour synonyme de mots tels que « tranquille, cool,
relaxé etc... »
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En l'absence de normes précises sur l'application, les
individus tendent à adopter un comportement restrictif sur Tinder.
Rejoignant l'une des valeurs principales qui est véhiculée sur
Tinder : « Ne pas se prendre la tête », les utilisateurs de
Tinder mentionnent peu leur recherche dans l'optique de convenir à un
public plus général. « Moi je n'ai rien mis et ça
ne me dérange pas de rien mettre. Quitte à être
discriminé ou perdre des points si on met une recherche, autant ne pas
la mettre ! » [Extrait d'entretien avec Antoine, le 09/02/2021].
Comme nous pouvons le voir ici, la logique de « ne pas se prendre la
tête» est au goût du jour sur Tinder ce qui ipso facto
connote la mention d'une recherche de manière péjorative chez les
utilisateurs. « Tout de suite, s'il a mis dans les centres
d'intérêt «relation sérieuse» tout ça
quoi, ça fait peur ! Moi je sais que ça me fait peur en tout cas.
Moi je ne suis pas dans cette optique et le fait qu'il s'avance un peu de trop
dans ce que la relation peut devenir je n'aime pas trop ».
Donc c'est quoi la meilleure solution pour toi?
[Enquêteur].
« Celle de pas s'avancer et de laisser voir où
la vie mène. Moi c'est pour ça que je n'ai pas de bio »
[Extrait d'entretien avec Elsa, le 30/01/2021]. La mention de ses
recherches sur Tinder semble être pour la grande majorité des
utilisateurs un élément ayant une appréciation
péjorative dont ils ont conscience. Les daters se sentent donc
contraints de respecter la norme « implicite» et opèrent un
processus d'évitement dans leur figuration (Goffman, 1998) en
renonçant à mentionner leur recherche pour respecter la tendance
générale.
Afficher que l'on souhaite des rencontres
éphémères est rédhibitoire pour de nombreuses
enquêtées et tout particulièrement chez les utilisatrices
dans une logique de « Wait and See» et cela même si certaines
n'y voient pas d'inconvénient à faire ce type de rencontre.
« Généralement quand quelqu'un affiche qu'il est
là pour du sexe... ça prend toute la place et il n'est pas
très ouvert à autre chose ». [Extrait d'entretien avec
Agathe, le 09/03/2021]. Aller au feeling dans la rencontre est donc une
perspective plus prise de tête qu'elle ne souhaiterait l'être pour
les usagers. Si la mention des recherches peut paraître comme un signe
d'honnêteté, elle génère un stigmate associé
au fait que la suite de la conversation sera prédéterminée
par la mention d'une recherche. Les femmes dans une logique de non prise de
tête trouvent que la mention d'une recherche
éphémère est rédhibitoire, car celle-ci ne laisse
pas présupposer la possibilité d'une poursuite sérieuse de
la rencontre bien que paradoxalement ce type de rencontre ne fait pas l'objet
d'une recherche en soit.
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Selon nous, ces propos tendent à confirmer que,
malgré l'ensemble des éléments faisant intérioriser
aux individus qu'il n'y a pas d'espoir de trouver une rencontre sérieuse
sur Tinder, les individus manifestent à travers une logique de
« wait and see » l'espoir de trouver leur futur conjoint sur
Tinder. À cet égard, les utilisateurs recherchant du
sérieux mais privilégiant un profil laissant paraître la
logique d'aller au feeling dans les rencontres réaffirment l'idée
selon laquelle les utilisateurs de Tinder subissent un processus de
moralisation tout au long de leur expérience. C'est au cours de ce
processus que les daters construisent leur figuration en opérant un
consensus entre « les normes implicites liées à Tinder et
leurs attentes ». Il résulte de ce processus de moralisation
(Massumi, dans David et Cambre, 2016) une figuration effectuée sous une
forme d'évitement, car « montrer ses attentes sur Tinder »,
c'est dévier de cette règle cérémonielle (Goffman,
1998) implicite. À cet égard, ne pas mentionner ses recherches
dans la relation future constitue une exigence sur laquelle l'individu doit se
baser pour construire son personnage en ligne et porter une appréciation
sur les autres. Comme on le voit ici, les rites de présentation visant
à déclarer comment le futur matché sera traité
viennent faire obstacle à ce qui selon nous sert de socle culturel sur
Tinder : la philosophie de « ne pas se prendre la tête ».
L'objet de notre prochaine partie sera donc d'explorer comment les individus
font le parallèle entre la recherche d'une rencontre potentiellement
sérieuse et les règles cérémonielles de Tinder.
Nous allons voir que les daters réinvestissent les codes traditionnels
de rencontre et tout particulièrement la valeur du « hasard»
dans les rencontres. D.Le hasard fait les bonnes histoires
La quasi-totalité des personnes enquêtées
a émis le fait qu'elle ne recherche rien sur Tinder et qu'elle
fonctionne majoritairement au feeling. Comme nous avons pu le voir, les
individus ont conscience d'une différence entre le « moi
virtuel» et le « moi réel ». Les utilisateurs
revendiquant une forme d'authenticité dans les rencontres ne
perçoivent pas Tinder comme un mode éligible pour faire une
rencontre « sérieuse » en raison de cette « absence de
naturelle ». Si cette crise du naturel se traduit par une mise en
scène de soi, elle passe aussi par les premiers messages pour beaucoup
d'utilisatrices. « Je pense qu'il y avait une pression de mon
côté ou de l'autre qui faisait que c'était rarement de
l'honnêteté et des discussions 100 % honnêtes [...j ».
Qu'est-ce que tu entends par le manque de discussions honnêtes?
« Bah déjà les discussions qui commencent par les
questions supers classiques, à la fois je ne peux pas trop le reprocher,
mais à la fois je ne trouve pas ça honnête de la part des
gens, car ce n'est pas forcément ça qu'ils veulent demander
dès le début. C'est les questions du style, ça va ? tu
fais quoi? ou quel type de musique t'écoutes, qu'est-ce que tu regardes
comme série etc.. ? » [Extrait d'entretien avec Sarah, le
25/02/2021].
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Pour expliquer ce manque de « naturel », les
utilisateurs et utilisatrices opèrent un parallèle entre la
rencontre virtuelle et la rencontre en présentiel par le biais de lieux
de rencontre classiques.
[Enquêteur] Qu'est-ce que tu entends par relation
naturelle?
« Que les choses se fassent naturellement, en
soirée quand tu vois quelqu'un qui te plaît etc., tu vas engager
la conversation naturellement sans être obligé de te sentir
forcé et la conversation coule plus de sources alors que sur Tinder non.
C'est sûr qu'aussi les relations dans la vraie vie, bah tu les rencontres
plus par hasard c'est ça l'effet naturel alors que Tinder c'est un peu
programmé. Sur Tinder les personnes ne sont pas naturelles, ils se
mettent beaucoup trop en scène, car Tinder empêche un peu
d'être soi-même, car la base de Tinder, c'est un peu d'aller vers
la personne et au final tu ne l'as pas connue pas nécessairement alors
tu l'as like essentiellement sur le physique alors que l'aspect
caractère et personnalité ça peut vraiment jouer sur
ça aussi. Vu que je suis plus dans un aspect naturel de la relation, je
trouve que c'est moins naturel d'avoir une relation sérieuse sur Tinder,
la relation ne se crée pas naturellement, elle est forcée, je ne
sais pas » [Extrait d'entretien avec Elise, 30/01/2021].
On s'aperçoit via ce verbatim qu'il existe, comme
Bergström (2019) a tenté de le démontrer tout au long de sa
thèse, une revendication des codes du romantisme qui passe par la
revendication du « hasard dans la rencontre ». Ainsi, Elise
et tant d'autres enquêté(e) s avilissent la possibilité de
faire une rencontre amoureuse sur Tinder en raison de cette absence du
romantisme liée à la recherche d'autrui qui réfute la
valeur du hasard dans la rencontre. « Déjà je trouve
qu'une rencontre en physique est bien plus stylée qu'une rencontre
virtuelle. Il y a un contexte qui rend l'histoire sympa quoi. Par exemple tu
étais en soirée et tu as rencontré une pote de tes amis.
En fait, il y a un lien tu vois. Sur Tinder, le seul lien c'est le match quoi.
Je trouve ça fade. En réel, il y a une vraie question d'hasard,
c'est ça... c'est le hasard qui fait les bonnes histoires enfin
voilà quoi... Ce n'est pas quand tout est calculé par un
algorithme. Toute façon, la rencontre, elle est encore plus belle si
elle est imprévisible surtout si tu rencontres quelqu'un dans un
contexte un peu farfelu, ça va dans la philosophie d'aventure, de la vie
en fait. Je me sens plus vivant dans l'imprévu que dans le
prévu». [Extrait d'entretien avec Oscar le 08/02/2021].
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Pour perpétuer une notion du hasard qui visiblement
fait les bonnes histoires, nous pensons que les individus réinvestissent
et revendiquent cette valeur du hasard en ne mentionnant pas dans leur
recherche la possibilité d'avoir une rencontre sérieuse. On
s'aperçoit à cet effet que la quasi-totalité de nos
enquêtés effectue des rencontres « au feeling» et ne
mentionnent pas la possibilité d'une rencontre sérieuse bien que
ce type de recherche reste néanmoins l'objet d'une certaine « lueur
d'espoir ». Cet espoir d'une belle histoire illustre les propos de
Bergström (2019) qui démontraient qu'être en couple reste un
idéal recherché par les individus et cela, même si le cadre
de la rencontre fait envisager d'autres perspectives de recherche.
Qu'est-ce que tu recherches sur Tinder? [Enquêteur] De
la compagnie, des relations sexuelles et voilà quoi...
Est-ce que tu as envisagé faire une rencontre
sérieuse via Tinder? [Enquêteur]
Au fond de moi ouais ! J'avais une lueur d'espoir de faire
une rencontre sérieuse. J'étais plus dans une logique, plus je me
multiplie les conquêtes, plus j'ai de chance de tomber sur la bonne
personne. C'est un peu ma logique! [Extrait d'entretien avec Michel]. En
partant de l'idée de Bergström (2019) selon laquelle les normes
sociales se réinvestissent sous de nouvelles formes sur les
applications, nous pensons que pour certains utilisateurs, notamment ceux
adhérant fortement aux codes du romantisme, ne pas clairement situer ses
recherches constitue une manière de réincorporer la dimension du
hasard dans la rencontre.
« Le fait de pas chercher du sérieux rend la
rencontre bien plus naturelle parce que tu n'as pas de pression, enfin bien
moins! Plus belle après je ne pense pas, mais en tout cas c'était
bien plus naturel! » [Extrait d'entretien avec Amandine le
26/02/2021]. Comme le dit Amandine, ne pas chercher du sérieux mais en
« trouver» rend la rencontre sérieuse plus naturelle. Cela
tend à supposer que les utilisatrices réinvestissent les codes et
logiques classiques de l'amour sous une nouvelle forme. Les individus
revalorisent donc la possibilité de faire une rencontre sérieuse
sur Tinder en ne recherchant pas de manière explicite ce type de
rencontre et en adoptant la logique de « Feeling ». Par ailleurs,
comme Michel le mentionne, ne pas évoquer ses recherches est une
manière d'ajouter une corde à son arc dans l'optique de
multiplier les « matchs» en respectant les règles
conventionnelles de Tinder.
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La mention de la recherche devient ipso facto un
élément positif pour augmenter ses matchs mais permet aussi de
rendre la rencontre plus naturelle en y réincorporant une valeur du
romantisme. C'est selon nous aussi une manière de recréer du
hasard dans la rencontre est d'atténuer le stigmate pour l'avoir
déclenchée. On rappelle ici que la provocation de la rencontre
peut avoir un effet dévalorisant sur la rencontre ou stigmatisant celle
ou celui qui l'a provoquée (Bergström, 2019).
Les résultats explorés tendent à
démontrer qu'en intériorisant et exposant cette logique d'aller
au feeling, l'individu joue avec « ses recherches» pour pouvoir se
laisser surprendre par une rencontre sérieuse venant au hasard. La
mécanique du « hasard» dans les rencontres et cela même
online, reste au centre de la représentation de l'amour des individus
(Ibid.). On voit cependant que la ré investigation de ces codes
apparaît sous une forme davantage flexible. Cette flexibilité
s'illustre par le fait que l'individu joue avec les codes rajouter une touche
de naturelle et de romantisme dans la rencontre mais aussi se vendre en
correspondant davantage aux attentes des daters. On peut voir à travers
cette forme de consensus une réponse des individus face à la
déstabilisation que provoquent les sites de rencontre envers les codes
du romantisme. Par ce biais, les daters sont enclins à présenter
davantage la poursuite d'une rencontre de longue de durée comme
étant l'oeuvre du hasard -- hasard qui selon Bergström (2019,
p.32), « est une manière de signifier l'union comme une relation
d'amour et de rendre l'expérience intelligible en tant que telle
».
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