CONCLUSION GÉNÉRALE
Au terme de cette belle randonnée philosophique portant
sur l'analyse critique de la crise de l'éducation scolaire selon Ivan
Illich, nous pouvons affirmer, non sans raison, que la philosophie de
l'éducation demeure l'une des disciplines indispensables pour le bien de
l'humanité, car elle réfléchit sur l'éducation qui
est la base fondamentale de tout homme. En parcourant ce travail,
subdivisé en trois chapitres, nous avons démontré sur les
traces du philosophe autrichien la teneur de la crise que subit
l'éducation scolaire moderne.
Dans le premier chapitre, intitulé Lectures de la
crise de l'éducation, il s'est agi d'analyser quelques facteurs
importants de l'éducation. Nous avons d'abord abordé l'aspect
historique en cherchant à déterminer la philosophie de
l'école conçue par les différentes époques. Ainsi,
dans l'antiquité grecque les sophistes avaient pour finalités de
savoir comment penser, comment vivre, comment parler, aux côtés
des sophistes, Socrate visait, à travers ses nombreuses discussions
à apprendre qu'à enseigner. L'époque
médiévale quant à elle a établi l'école
comme un milieu moral organisé. Sa philosophie était la
conversion religieuse. L'éducation de la Renaissance vise la
libération de l'homme, la réalisation d'un idéal d'action
combiné à un idéal de connaissance, l'instruction des
élèves dans les vérités de la religion.
Inspirée de nouvelles pédagogies, l'éducation
contemporaine vise la formation de personnes rationnelles, capables de penser
par elles-mêmes et dont les idées et actions s'appuient sur des
raisonnements et connaissances valides.
L'école africaine traditionnelle formait l'enfant pour
son intégration harmonieuse à son groupe, ce but sera
détrôné par l'arrivée de colonisateurs qui ont
apporté l'école occidentale en Afrique avec comme but de
civilisation qui amènerait les indigènes à mieux servir
les intérêts de la métropole. Après
l'indépendance l'école occidentale était maintenue dans le
but de former les ressources humaines de qualité qui auront pour
tâche de diriger et promouvoir le développement.
Le deuxième aspect abordé dans ce chapitre est
l'inventaire des manifestations de la crise scolaire, cette crise se manifeste
par la problématique de la mission et des finalités de
l'école qui nous amène à constater que l'école en
Afrique n'a pas encore atteint son but de clé du progrès
communautaire, ensuite le dysfonctionnement du système éducatif
qui garde un décalage entre lui et les exigences réelles de la
vie de la société africaine et enfin la baisse du niveau de
l'enseignement moderne ayant comme base la pauvreté, la corruption et le
mauvais fonctionnement des institutions scolaires africaines. Le
troisième point qui a étalé les différents constats
illichiens de la crise scolaire s'est d'abord penché sur la crise de
l'ère scolaire prônée par Illich, ensuite sur
l'anti-enseignement obligatoire qui n'est qu'une imposition qui divise
l'existence humaine en deux périodes distinctes et enfin les
méfaits que relève Illich engendrés par l'école qui
au lieu d'être un lieu de formation est devenue le lieu de
déformation en apprenant aux élèves à confondre les
méthodes d'acquisition du savoir et la matière de
l'enseignement.
Le deuxième chapitre quant à lui s'est
lancé à l'analyse critique illichienne de la crise de
l'éducation scolaire, en effet, l'école subit une crise interne
qu'externe, ainsi Ivan Illich passe en revue les différents aspects qui
démontrent la crise scolaire et du coup son inutilité pour la
société. Traitant de la politique, la société et le
rapport éducation-école, le premier point de ce chapitre, a
détaillé des éléments importants qui ternissent
l'image de l'école. Du point de vue politique, Illich pense que la
séparation de l'école et l'État serait d'un
bénéfice considérable pour une éducation
conviviale, l'État a échoué d'assumer
l'égalité des chances en éducation, créant une
absurdité économique, l'État devrait lutter à tout
prix la discrimination en protégeant les citoyens contre l'exigence des
diplômes pour trouver un emploi.
Traitant du rapport éducation-école, Illich nous
met en garde contre la confusion généralisée entre les
deux réalités suite au monopole de l'école sur les autres
formes d'éducation, or il existe une distinction formelle entre les
deux, l'école n'est qu'une composante de l'éducation, elle peut
même disparaître, mais l'éducation elle non, c'est le souci
même illichien de voir de nouvelles formes éducatives car
l'école n'est que manipulation oubliant que l'apprendre requiert le
moins l'intervention d'autrui. Quant au rapport
école-société, Illich constate que l'école ne
prépare pas à la vie, car elle apprend des réalités
qui n'ont rien à faire avec la vie réelle de la
société, il y a confusion entre l'instruction et le rôle
joué dans la société.
Entamant le deuxième point de ce chapitre sur le
monopole de l'école sur l'humanité, nous avons montré que
ce monopole se situe à deux niveaux, le premier monopole scolaire est
que l'école s'est érigée en une nouvelle religion
obligeant tout homme à la fréquenter, le deuxième niveau
est celui de l'aliénation. L'enseignement fait de l'aliénation la
préparation à la vie, séparant ainsi l'éducation de
la réalité et le travail de la créativité. Cette
situation est pire en Afrique subsaharienne, où l'école
héritée du colonialisme a été imposée et
implantée dans un contexte dominant-dominé, elle n'est qu'une
véritable domestication et aliénation des africains
perpétuant le sous-développement.
Le troisième et dernier point de ce chapitre se penche
aux détails de la société déscolarisée,
d'abord il présente les caractéristiques de la
société déscolarisée qui prône plus de
liberté que dans une société scolarisée,
celle-là est caractérisée par une égalité
des chances d'éducation pour tous, la possibilité à chacun
de se développer et d'accéder à la situation pour laquelle
il est apte, plus de diplômes comme garantie d'un emploi, des rencontres
libres de partages des connaissances, pas de programme occulte de
l'école, non à la manipulation créant exploiteurs et
exploités, bref c'est une société conviviale. Ensuite, la
société déscolarisée opte pour une éducation
favorisant les réseaux éducatifs, les objets éducatifs
doivent être mis à la disposition du public pour
l'éducation formelle, l'échange libre des connaissances pour
l'éducation mutuelle. Enfin le dernier point de ce chapitre traite de
deux autres réseaux illichiens pour l'éducation conviviale, il
s'agit de l'appariement des égaux qui est un organisme facilitant les
rencontres entre pairs, où chacun choisit l'activité qui lui
plaît pour l'intérêt de la société ainsi que
l'émergence des éducateurs professionnels, qui rejetant
autorité et contrainte, favorisent confiance dans un système
d'éducation mutuelle.
Le troisième chapitre de notre travail a porté
essentiellement sur l'appréciation critique de la théorie
éducative illichienne, comme pour toute oeuvre humaine, la pensée
éducative développée a ses limites et ses mérites,
c'est ainsi que le premier point de ce chapitre a relevé trois grands
mérites : le premier mérite illichien est celui de
l'éveil de conscience pour une éducation juste, son oeuvre nous
interpelle, remet en question l'organisation de l'éducation afin que
l'État et les gestionnaires scolaires prennent conscience d'assurer les
chances égales d'enseignement à tous, le deuxième
mérite illichien est la valorisation du tiers milieu éducatif,
Illich, en bon philosophe de l'éducation nous force de reconnaître
que l'éducation ne doit pas être monopolisée par
l'école et la famille, il nous faut un troisième milieu beaucoup
plus important, question d'une éducation diversifiée et de la
promotion des capacités individuelles des jeunes pour le bien de la
société.
Le troisième mérite est celui du questionnement
sur le rôle de l'école et de l'éducation, tout en
distinguant l'école de l'éducation, le rôle de
l'école pour la société doit être clairement
défini, une occasion de fixer des finalités scolaires dignes en
élaborant des programmes suivant une politique scolaire s'inspirant
d'une philosophie de l'éducation visant à surmonter la crise des
systèmes scolaires tout en prônant une éducation
libératrice et conviviale.
Le deuxième point de ce troisième chapitre s'est
attelé sur les limites de la pensée éducative illichienne,
trois grandes limites ont été également maintenues, la
première limite est celle de considérer l'illichisme comme une
théorie utopique, Yao Assogba le qualifie même d'une utopie
monastique, car pour lui seule l'école peut garantir la qualification
des individus à des postes de travail ; la deuxième limite
relevée est la conception de sa pédagogie où il
prône les réseaux éducatifs comme moyen alternatif de
l'école, ces réseaux semblent limités, car ils sont
envisagés univoquement dans des applications pragmatiques et
immédiates. La troisième limite est celle du caractère
obligatoire de l'école, sans elle, estime Olivier Redoul, nous
assisterons à la perte de protection des enfants, en plus elle n'est
pas seulement une simple garderie, mais surtout elle transmet
l'apprentissage, elle assure non seulement le savoir à long terme pour
la vie en société, mais aussi la formation morale
spécifique.
Après une telle analyse, les réactions du
lecteur peuvent être légion et multiformes, nous subodorons que
l'effet produit aura peut-être été chez certains
réservé, teinté d'un sentiment utopique considérant
la théorie illichienne moins réaliste. Nous n'envisageons en
aucun cas, l'inspiration d'une telle perception,le but de ce modeste travail
philosophique n'a été que celui de susciter par la
réflexion illichienne le coeur de toutes les personnes qui ont la
responsabilité de l'éducation afin d'arriver à une
éducation qui puisse prendre conscience de ses limites pour le bien de
la communauté des hommes. Loin de nous la prétention d'avoir
exposé toute la pensée éducative illichienne, nous
espérons que d'autres chercheurs postérieurs pourront se lancer
dans cette aventure et pourront apporter plus d'éclaircissement
à l'agape scientifique de la philosophie de l'éducation, non
seulement pour l'éducation scolaire mais aussi et surtout pour le tiers
milieu éducatif. Deschooling society demeure une oeuvre
complexe qui permettra à chaque génération d'y trouver des
éléments importants pour une éducation conviviale. C'est
tout en laissant cette brèche que nous clôturons nos
investigations si perfectibles tout en prônant des recherches continues
en ce domaine si important pour la société, pour quiconque
désire une société conviviale qui donne
préséance à une humanité non-deshumanisante.
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