Chapitre VIII- La musique
A- Les codes de la musique fon
La pratique de la musique était quotidienne au
Danxomè allant des simples amateurs aux professionnels. Ainsi, parmi les
artistes mandatés au service du roi, figurent des professionnels de la
musique. Ceux-ci, comme les autres, étaient recrutés sur la base
de leurs talents, et se regroupaient en différents orchestres. La
musique était au coeur des manifestations culturelles et cultuelles dans
le royaume. Des célébrations de victoires
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guerrières aux fêtes coutumières, en
passant par de nombreuses autres occasions, le roi assistait à de
véritables spectacles de musique. Les orchestres jouaient des heures
durant en se succédant. Par ailleurs si dans les arts plastiques, les
femmes ne jouaient pas des rôles de premier plan, elles étaient
très en vue dans le domaine de la musique. Ce sont elles qui formaient
les choeurs et dirigeaient parfois les orchestres.
Les instruments de musique étaient variés. Les
tambours, principaux instruments, étaient accompagnés de cloches
jumelles en fer, de castagnettes (sous forme de calebasses entourées de
cordes sur lesquelles sont fixés des cauris), de flûtes, de
gota (grosses calebasses dont on frappe l'embouchure avec un
éventail de cuir), etc. pour l'exécution de nombreux chants. Il y
avait différentes sortes de tam-tams adaptés à des
occasions spécifiques. Nous avons entre autres : le zinli qui
était incontournable pour les funérailles ; le dogba
pour annoncer la sortie du roi ainsi que sa mort ; l'agbadja pour
célébrer les victoires guerrières du royaume et les hauts
faits des dynasties régnantes ; le houngan, joué pour
accueillir un étranger de marque, lors de la visite du roi à un
chef ami, au retour d'une guerre victorieuse. Rappelons que le tam-tam et le
rythme qu'il exécute sont appelés du même nom.
Le zinli est uniquement sorti et battu quand un
décès survient dans la maison royale. Il est une jarre de
grès dont on tambourine l'embouchure avec un éventail en cuir, et
est accompagné du din, qui est un monocorde
réalisé avec une fibre de bambou détachée par le
milieu et tendue par deux chevalets en fragments de calebasse. L'orchestre
était souvent dirigé par une femme avec des hommes comme batteurs
et des jeunes filles forment la chorale. Se mettant au milieu de la
scène, la chef d'orchestre tient un bâton dont
l'extrémité recourbé est cerclée de boucles en
métal et bandée d'un mouchoir blanc. Ce bâton est transmis
à chaque chanteuse au moment où elle se lève pour entonner
son couplet de chant qui sera repris en choeur (A. S. Adandé, 1962).
Tout ceci était accompagné des
jérémiades des pleureuses professionnelles. Celles-ci parvenaient
à inciter des pleurs chez la foule. Le zinli donnait ainsi lieu
à une véritable partie de lamentations. Aujourd'hui, le zinli
se joue également lors des manifestations festives et sur les
places publiques, grâce notamment à l'artiste chanteur de culture
aboméenne Alèkpéhanwou qui a su révolutionner ce
rythme.
Le dogba, quant à lui, en bois et couvert de
peau d'animaux, est un tam-tam particulier ; il était entouré de
culte. De façon périodique, on organisait des
cérémonies en son honneur. On le posait sur des crânes
humains quand on voulait le battre. C'était le roi lui-même qui
choisissait son chef d'orchestre. Des tam-tams plus petits et des cris de
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jeunes filles l'accompagnaient. Lorsque le roi voulait
paraître en public, un coup de feu se faisait retentir depuis la
première cour du palais, après quoi les batteurs du dogba
se mettaient à l'oeuvre, accompagnés par les cris des jeunes
filles. Peu de temps après, le roi s'avançait lentement, avec
toute sa suite. À la vue du roi, en signe de vénération,
les sujets se jetaient face contre terre, se couvraient la tête de sable.
Le roi agitait sa récade en direction de ceux-ci comme pour les
bénir avant de les inviter à se relever.
Le dogba a le langage que voici : Kpo zon go
dé mè (bis), signifiant : La Panthère
marche élégamment (bis). À la mort du roi, le dogba
se faisait résonner, mais cette fois-ci, il ne fera pas sortir
l'illustre panthère. Et alors, le peuple réuni comprenait, avant
l'annonce officielle du décès, que leur monarque était
parti à Alada33.
En ce qui concerne le tam-tam Agbadja, il
était réservé à l'affirmation de la puissance du
royaume. Il est fait de tronc d'arbre travaillé et couvert de peau de
boeuf. Les chants rendaient hommage aux rois et aux intrépides soldats
qui ont remporté pour le Danxomè des victoires. Ainsi, les
amazones chantaient en choeur tout en dansant de toute leur fermeté. Le
Kpanligan entrait également en scène pour retracer la
généalogie des souverains, et invitait celui sur le trône
à perpétuer la grandeur du royaume des Aladaxonou afin
de rendre fiers ses prédécesseurs. L'agbadja donnait
lieu à une ambiance de gaieté. Les instruments nécessaires
pour l'exécution de l'agbadja étaient deux autres
tam-tams plus petits, un gan (gong à une ou deux notes) et une
paire d'assan (hochets). Les sons qu'ils produisent sont
accompagnés par des battements de mains d'hommes.
Le houngan (chef des tam-tams), comme son nom
l'indique, est un grand tam-tam qui pouvait atteindre 1,7 m de hauteur. Il
était accompagné d'une vingtaine de petits tam-tams.
L'exécution de ce rythme nécessitait un apprentissage de longue
haleine au préalable. En effet, chaque chef d'orchestre recevait
plusieurs apprenants, sur ordonnance du roi. Après la formation, ils
étaient examinés par un envoyé du roi. Ceux dont les
connaissances s'étaient avérées intégraient les
orchestres, et commençaient par faire leurs preuves. Le houngan
peut se jouer en déplacement. En fait, un homme le porte
horizontalement sur la tête de manière à permettre au
batteur de le jouer en étant derrière le porteur. Ce tam-tam ne
résonnait que lors d'événements heureux, à savoir :
annoncer la présence d'un invité prestigieux du roi ainsi que le
départ de ce dernier chez un
33 Alada étant la terre d'où est
parti Dogbagri, aïeul de Houégbadja, fondateur du Danxomè,
à la mort d'un roi de ce dernier royaume, on ne dit jamais qu'il est
décédé, mais qu'il est parti à Alada ; un peu comme
pour dire qu'il est retourné aux sources.
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homologue. Accompagné de chants à la gloire du
royaume, il recevait les soldats au retour d'une guerre victorieuse.
La musique était empreinte de codes à la cour
royale. La résonnance de tel ou tel tam-tam véhiculait des
messages clairs qui étaient compris de tous, ou du moins de tous ceux
qui sont de culture fon. Ceci répond parfaitement à la
spécificité des cultures africaines dans lesquelles tout ne se
dit pas ouvertement.
B- Les chants
Les chants varient selon le rythme de la musique, allant de
ceux destinés aux funérailles à ceux glorifiant les rois,
en passant par les chants religieux. Toutes les chanteuses professionnelles
avaient également des talents de danseuses. Il y avait des chansons qui
invitaient implicitement le roi à esquisser des pas de danse. À
l'entonnement des chants guerriers, les amazones se mettaient en
scène.
Ce sont les chants de victoire qui donnaient lieu à de
véritables liesses populaires dans la cour royale. En effet, à la
suite d'une bataille militaire, le peuple était appelé à
se réunir sur la place publique du palais. Le roi, du retour du front
avec son armée, raconte sa victoire à ses sujets en insistant sur
la bravoure et la force dont il a fait preuve. Même s'il avait perdu la
bataille, il ne le disait jamais. Il levait ensuite sa récade, et le
directeur de l'orchestre du houngan comprenait qu'il fallait commencer
le spectacle. Ainsi, tout le peuple reprenait en choeur les chants
entonnés. Le monarque entrait alors en scène, et effectuait des
pas de danse avec la récade tenue de la main droite. Il était
fortement ovationné. Pour permettre au roi de se retirer de la
scène, le directeur de l'orchestre changeait de gamme.
De même, l'exécution du rythme agbadja
pour célébrer les hauts faits du royaume mettait en branle
les amazones. Elles préparaient en amont leur ballet, et donnaient
l'occasion à tout le peuple de voir ce à quoi elles ressemblaient
sur les champs de bataille. Pour cela, elles se munissaient de leurs armes
à quoi elles ajoutaient des récades. Elles accouraient pour
attaquer dans un mouvement d'ensemble, des ennemis fictifs. Chacune brandissait
sa récade, l'agitait fortement, et faisait des gestes comme si elle
égorgeait un adversaire. Les amazones montraient assez de fougue dans
leurs danses. Elles arrivaient même à prendre leurs coutelas ou
encore leurs fusils. Toutes les scènes de guerres étaient ainsi
démontrées par ces femmes devenues célèbres par
leur bravoure. Le peuple,
enthousiasmé, les encourageait par des applaudissements
répétés. Voici le refrain d'une des chansons des amazones,
relevé par Alexandre Adandé : « Nous sommes
créées pour défendre le Danxomè, ce pot de miel,
objet de convoitise. Le pays où fleuri tant de courage peut-il
abandonner ses richesses aux étrangers ? Nous vivantes, bien fou le
peuple qui essaierait de lui imposer sa loi »34. De
nombreux chants étaient ainsi composés pour affirmer la force
militaire du Danxomè, comme celui devenu populaire rappelant les
victoires des soldats et anticipant sur une prise prochaine d'Abeokuta en pays
yoruba. En voici une séquence : « Nous avons défait
Kétou et Cana, il n'y a plus de pays qui puisse nous résister. Il
ne nous reste qu'Abeokuta à détruire ».
Les chants religieux et autres donnaient lieu à des
improvisations, des interférences de slogans, mais ceux
célébrant les souverains étaient exécutés
avec grand soin par des choeurs de femmes. Les chansons constituent une
importante source orale de l'historiographie de ce royaume.
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