Chapitre VII- Les arts plastiques
A- La place du vodoun dans la création
artistique
Vincent Guézodjè avança en 1997 une
définition du vodoun dans les Actes de la conférence
internationale intitulée « Passé, présent et futur
des palais et sites royaux d'Abomey » organisée par l'Institut
Getty Conservation : « Le vodoun désigne à la fois la
grande divinité, l'esprit des anciens rois, l'esprit des ancêtres,
des forces naturelles habitant les eaux, les plantes, certains endroits
sacrés et enfin des objets ». Je me garde ici de la commenter.
Le vodoun est le socle sur lequel s'est bâti et s'est
développé le pouvoir au Danxomè. De nombreux vodoun qui
étaient inconnus au Danxomè, notamment dans la capitale,
Agbomè, y ont été importés de force à
l'initiative des rois. Ce qui fait qu'aujourd'hui la ville d'Abomey concentre
un nombre considérable de vodoun.
Le vodoun a été d'un grand intérêt
pour le développement des arts de cour au Danxomè. En effet, les
chefs de corporations d'artistes étaient souvent des chefs de culte ;
c'est le cas par exemple du forgeron Ékplékendo Akati, qui
était un Gounon (prêtre du culte de Gou). Ce
statut de chef de ce culte lui a permis de produire des oeuvres d'une grande
qualité, car il savait mieux comment matérialiser son vodoun.
À en croire certains adeptes vodoun, les divinités peuvent
être vues dans leur aspect physique lorsqu'on a atteint un certain niveau
d'initiation et de connaissances. Ce Gounon-sculpteur aurait-il
atteint ce niveau ?
Les bas-reliefs, représentatifs de l'art fon, sont
liés au vodoun Sakpata (incarnation de la Terre) et à la
forge. Les forgerons étaient les seuls chargés de les produire.
C'est ainsi que le roi Glèlè confia la réalisation des
bas-reliefs de son palais à Assogbakpé, un forgeron qui
travaillait avec la famille Hountondji30. Bien que n'ayant
apparemment aucun rapport avec la forge, la réalisation des bas-reliefs
était confiée aux professionnels de la
30 - BEAUJEAN-BALTZER G. et alï, Artistes
d'Abomey, Catalogue d'exposition, Fondation Zinsou, 2010,
pp. 80-85.
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forge parce que ce métier est présenté
comme celui de grandes connaissances, et est entouré de mythes. La
technique de la « cire perdue » pratiquée dans le travail du
fer implique, selon les Fon, une certaine maîtrise du travail de la
terre. La Terre ou Sakpata est un vodoun très craint, elle doit
donc être domptée et préparée selon certaines
procédures qu'on considère que seuls les forgerons sont en mesure
de maîtriser.
Il faut d'ailleurs rappeler que pour la sécurisation du
Danxomè, chaque roi établissait des temples et des couvents des
vodoun protecteurs dans les environs de son palais. Selon Gabin Djimassè
: « Les meilleures productions en matière d'art se retrouvent
dans le culte (vodoun), parce que l'adepte a été
éduqué pour ne offrir à son vodoun que ce qui est beau et
bon »31. Cette affirmation n'est pas gratuite, car
même aujourd'hui on se rend bien à l'évidence de la
qualité de l'art vodoun en observant les accoutrements des kouvito
ou égoungoun (revenants du pays des morts portants des
masques), des sakpatasi (adeptes du vodoun Sakpata), etc., en
voyant la finesse des sculptures à but cultuel et autres.
De ce point de vue, on se demande si cela n'a pas permis le
transfert des artistes des couvents à la cour royale. Et Jacob Agossou
semble bien nous répondre quand il écrivait en 1971 : «
L'art, sous ses différentes formes, prit d'abord naissance dans les
couvents et les bosquets vodoun avant de se réfugier par la suite dans
les palais des rois et princes ». Les responsables des corporations
d'artistes étaient pour la plupart de hauts dignitaires. Ceci leur
permettait de mettre leur double connaissance religieuse et artistique au
service du roi. Ce choix qui appartenait à celui-ci semble montrer que
dans son entendement les meilleurs artistes sont les plus proches du vodoun.
Le vodoun était donc au centre de la création
artistique de cour au Danxomè, et la présence des aspects du
vodoun dans les oeuvres en témoignent. La plupart des héritiers
de l'art de cour du Danxomè admettent encore aujourd'hui qu'il existe un
être divin, appelé généralement Gou par les
travailleurs de métaux et Aziza par les autres artistes, qui
détient le don de la création artistique.
31 Entrevue eue avec Gabin Djimassè,
Directeur de l'Office du Tourisme d'Abomey et Région, le 22
décembre 2015, au siège de l'institution.
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B- Des artistes du Danxomè aujourd'hui
célèbres à titre posthume
Ici, nous parlerons de deux artistes qui sont aujourd'hui
reconnus comme les auteurs de chefs-d'oeuvre présents dans les
musées occidentaux, et dont la qualité esthétique a
été étudiée ; il s'agit d'Ékplékendo
Akati et de Sossa Dèdè. L'oeuvre étant
immédiatement et uniquement liée au roi, le nom de l'artiste
avait tendance du coup à disparaître devant celui de son
mécène. Les rares noms d'artistes qui sont restés
collés à leurs productions sont pour la plupart ceux qui
étaient déjà, du temps des souverains-mêmes, des
célébrités. Néanmoins, la pérennisation de
la tradition artistique dans les familles et la mémoire historique des
Houégbadjavi32 permettent aujourd'hui de
reconnaître les familles qui ont réalisé telles ou telles
oeuvres.
L'une des oeuvres d'art africain traditionnel qui ont fait
l'objet d'assez d'étude est la sculpture Gou d'Akati. En
août 1894 déjà, Maurice Delafosse écrivit dans la
revue scientifique La Nature, un article intitulé « Une statue
dahoméenne en fonte » consacré à cette statue
impressionnante. À sa suite, de nombreux autres chercheurs, notamment
historiens d'art, ont étudié l'objet ; nous pouvons citer entre
autres, Marlène Biton. Ceci pour montrer l'intérêt qu'une
telle oeuvre a suscité et continue d'éveiller dans le rang des
amateurs d'art. L'auteur de cette célèbre statue en fer que nous
avons présentée plus haut (Image 9) est Ékplékendo
Akati.
Ce dernier est un forgeron yoruba qui fut amené
à Agbomè comme prisonnier de guerre par les soldats du
Danxomè, suite à une guerre ayant opposé ce dernier
royaume à Anago-Doumè, sa région d'origine. C'était
un homme très grand qui fabriquait des armes, des Gou, des
goubassa, des récades des vodoun comme Xêvioso,
Sakpata, etc. Il était également Gounon (chef du
culte de Gou). Il faut souligner qu'il était déjà
bien célèbre à son époque, et c'est peut-être
ce qui a déterminé sa captivité.
Sculpteur, mais non pas sur fer comme Akati, mais sur bois,
Sossa Dèdè est lui aussi admiré jusqu'à ce jour
grâce à ses oeuvres dont la qualité esthétique n'est
point à démontrer. Des statues des rois aux portes de palais
royaux, il aura sculpté dans le bois la grandeur et la puissance des
monarques et, à travers eux, de tout le royaume. Sont illustrées
par les images 15, 16 et 17, trois de ses réalisations.
32 Au sens littéral du terme, signifie :
«Les enfants de Houégbadja». Ce sont les Agbomènou
(natifs d'Agbomè) ou Fon qui se nomment ainsi pour revendiquer la
descendance du fondateur du pays fon.
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Image 15 : Représentation sur bois de
Gbèhanzin sous forme d'un être mi-requin mi-homme, oeuvre
de Sossa Dèdè, Photo tirée du catalogue de l'exposition
« Artistes d'Abomey »
Image 16 : Sculpture de Glèlè par
Sossa Dèdè , musée du quai
Branly
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Image 17 : Porte de palais royal, décor attribué
à Sossa Dèdè, Photo tirée du catalogue de
l'exposition « Artistes d'Abomey »
Ce décor nous offre une palette d'objets et d'animaux.
On peut y voir entre autres un sabre de Migan (le ministre de la
justice), une récade, une arme à feu, des éléments
fondamentaux dans le Danxomè.
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