Chapitre V- Les récades, les gou et les assen
A- Les récades
Le mot « récade » vient du portugais
recados qui veut dire « messager » ; en terme plus clair,
c'est un bâton de pouvoir, qui joue le rôle de signature, attestant
de l'authenticité du message royal. En fon, elle s'appelle mankpo
qui signifie « bâton de fureur ». Ces deux
définitions trouvent bien leur place dans le contexte du royaume de
Danxomè.
Avant de devenir un « bâton messager » dans ce
royaume, il était uniquement un « bâton de fureur ». En
effet, les guerriers du fondateur Houégbadja n'avaient pour arme qu'un
bâton légèrement recourbé à l'un des bouts
rebondi et doté d'un anneau de fer. De plus, sous ce même roi, des
cultivateurs furent surpris par des ennemis alors qu'ils travaillaient. Ils
durent se défendre avec les manches de houe, et parvinrent à les
chasser. C'est depuis cette prouesse que le manche de la houe est perçu
comme le bâton de la rage. Très vite, les rois l'ont
récupéré pour en faire un insigne de la force et du
commandement. Ils se faisaient alors sculpter à l'image de cette arme
improvisée, des bâtons, mais ceux-ci sont garnis d'armoiries ou de
petites sculptures allégoriques. Il existait au Danxomè,
plusieurs sortes de récades (récades militaires, récades
de Xêvioso, le dieu de la Foudre, etc.), mais les plus
célèbres sont ceux des rois.
La récade était généralement
sculptée dans du bois dur et une fois cette phase achevée, elle
était remise aux forgerons et/ou aux bijoutiers qui s'occupaient de
l'incrustation des symboles en métaux. Enveloppé, le produit
final était apporté au Mewu, ministre chargé de
la sécurité du royaume, qui ordonnait à l'artiste de se
l'accrocher au cou et à l'épaule afin de s'assurer que son
ouvrage n'était pas empoisonné. Le roi recevait la récade
après que son ministre l'admette. À cette occasion, le peuple
était rapidement appelé à se rendre à la place du
palais à lui réservé par le gandoto ou
l'informateur public muni d'un gong pour rythmer son message. Devant ses sujets
attentionnés, le roi se levait, prenait la récade de la main
droite, la brandissait en signe de détenteur. Il expliquait ensuite
chacun des symboles présents sur l'oeuvre. Le peuple s'inclinait alors
devant la récade qui devenait du coup un objet de
vénération exclusivement réservé au
roi23. Comme le montre l'image 8 ci-dessous, certaines
récades étaient réalisées en ivoire et garnies de
décorations diverses.
23 ADANDÉ Alexandre, Les Récades des
rois du Dahomey, Dakar, IFAN, 1962.
25
Image 8 : Récade en ivoire de Glèlè,
longueur : 54 cm, capture de la page 45 du Catalogue Art
d'Afrique, d'Océanie er d'Amérique du Nord
Les rois du Danxomè possédaient plusieurs
récades afin d'avoir la possibilité d'envoyer plusieurs
commissions à différents endroits à la fois. Pour porter
un message à
26
un personnage important du royaume ou à un
étranger, le roi remettait une de ses récades au messager qui
l'enveloppait dans un tissu. Arrivé à destination, celui-ci
devait s'accroupir et sortir le bâton royal de son enveloppe devant le
récepteur du message qui reconnaissait le commanditaire à travers
son emblème.
B- Les gou et les assen
Les gou et les assen sont des sculptures en
métaux qui font partie des oeuvres représentatives de l'art de
cour d'Agbomè. Elles figurent dans les grandes collections
européennes. Parmi les gou réalisés par les
artistes fon, il y en a un qui force l'admiration des professionnels et
amateurs d'art au plan international : c'est celui d'Ékplékendo
Akati. Cette sculpture entièrement en fer est représentée
en marche avec dans la main droite le goubassa24 et dans
l'autre, une cloche. La tunique et le visage sont faits de feuilles
métalliques, et la tête est coiffée d'un plateau auquel est
accrochée une chaîne et dans lequel on peut observer divers
symboles du panthéon vodoun. La statue tient debout grâce à
ses pieds en fer fondu. Donnant son appréciation sur cette oeuvre,
l'historienne d'art Marlène Biton (2010 : 92) affirme : « Son
originalité consiste dans les matériaux, les dimensions et le
travail du sculpteur. Elle a une taille humaine, avec environ 165 cm. »
(Image 9).
24 C'est le sabre de gou (dieu des
métaux et de la guerre) dont il se sert pour exécuter ceux qui
enfreignent à ses règles.
27
Image 9 : Gou d'Akati, Photo
musée du quai Branly
La pièce originale de cette sculpture
appartient au musée du quai Branly, mais est
actuellement exposée au pavillon des sessions du musée du
Louvre ; une copie est aujourd'hui installée au
musée historique d'Abomey.
Comme les gou, les assen
sont aussi célèbres. L'assen
ci-dessous est offert au musée
d'ethnographie du Trocadéro, en 1895, par le général Dodds
comme butin de la guerre coloniale
franco-dahoméenne.
Image 10 : Assen aux emblèmes
de Gbèhanzin, Argent et alliage cuivreux riveté et
martelé, Capture de la page 256 du Catalogue
Artistes d'Ahomey
Les assen des souverain s du
Danxomè étaient normalement
réalisé
Mais celui-ci, représentant
s après leur mort.
les symboles du roi Gbèhanzin ( deux mains
entourant un oeuf),
aujourd'hui pour
. La
est fabriqué avant le décès de ce
dernier, car l'année de donation de l'objet (1895) est
antérieure à celle du décès du roi (1906).
Deux hypothèses se confrontent l'explication de ce fait nouveau
intervenu dans l'histoire du célèbre roi du Danxomè
première est que le roi aurait commandé
cet objet réservé aux défunts, après que
son devin
lui aurait annoncé qu'il ne lui restait plus
assez de temps à passer sur la terre de ses aïeux. La
seconde hypothèse s'appuie sur les couteaux suspendus tout
autour du plateau réservé
28
aux libations. En effet, Gbèhanzin aurait
utilisé cet objet important de sa culture pour
29
déclarer la guerre aux colons français ; les
couteaux étant les armes les plus utilisées par son armée
ont été représentés.
Les assen, objets essentiels de la culture fon en ce
sens qu'étant des autels mobiles, ils permettent de rendre des cultes
aux défunts n'importe où, font aujourd'hui la fierté de
l'art du Danxomè dans le monde.
Chapitre VI- Les tentures et les bas-reliefs A- Les
tentures
« Une manifestation curieuse des arts graphiques a
atteint aussi son plus grand développement au Dahomey. C'est la
décoration d'étoffes par application de motifs d'étoffes
d'une autre couleur cousus sur celles qui servent de fond.
»25 ; Paul Mercier (1962 :198) écrivait ainsi des
tentures encore appelées toiles appliquées du Danxomè. La
technique de l'appliqué sur tissu est une invention attribuée au
roi Agadja (1711-1732), qui en aurait été inspiré
après avoir vu dans une région étrangère des
adeptes d'un culte vodoun danser avec des accoutrements multicolores. Il amena
plus tard dans son royaume les tenturiers et tisserands Hantan et Zinflou.
Présent également dans le pays ashanti (dans le Ghana actuel),
l'art de la toile appliquée aurait migré du pays fon à
celui-là26.
L'appliqué sur tissu fut pratiqué pour la
première fois à la cour d'Agbomè par Hantan et Zinflou sur
des tissus de raphia. Elle a été plus tard la
spécialité de la famille Yèmandjè. Avec les
échanges issus de la traite négrière, les toiles de coton
remplaceront celles de raphia. Comme me l'a confié M. Fidèle
Yèmandjè, un artisan installé au centre artisanal du
musée d'Abomey, les artistes « dessinaient les noms des
souverains sur les tissus, les bonnets, les hamacs, etc. ». Le
«dessin des noms des souverains» dont a parlé mon informateur
est en réalité la représentation imagée des
armoiries et allégories des
25 MERCIER P., Civilisations du Bénin,
Paris, quai des Grands-Augustins, 1962, p. 198.
26 ADANDÉ J. C. E., Les grandes tentures et
les Bas-reliefs du musée d'Abomey, Mémoire de
maîtrise, Abomey-Calavi, Université Nationale du Bénin,
1977.
30
souverains. En effet, l'usage des toiles appliquées
était réservé au roi, à certains ministres et aux
grands dignitaires religieux quand celui-là leur en donne
l'autorisation. Les toiles appliquées servaient à décorer
les palais, et à travers elles, la grandeur du Danxomè
était affichée. Les parasols royaux passaient également
chez les tenturiers qui les marquaient d'images diverses. Des tissus
appliqués apparaissaient aussi lors des cérémonies et
fêtes publiques.
La toile appliquée présente un fond uni sur
lequel se détachent, autres que les symboles des rois, des images
provenant d'allégories et de proverbes. Ces images sont
présentées comme étant dans un décor et non sur
terre, car celle-ci n'est aucunement matérialisée. Les
personnages se trouvent, en quelque sorte, flottants dans l'espace.
Image 11 : Tissu appliqué dédié à
Ghézo
Image 12 : Portion de toile appliquée, Capture de la page
30 du livre Restauration du palais de Gbèhanzin
31
Les images 11 et 12 sont des exemples de tissus
appliqués aux effigies des rois Ghézo et Gbèhanzin. Dans
le deuxième cas, le requin, symbole de Gbèhanzin, est
placé au haut de la toile, survolant deux personnages, l'un humain et
l'autre mi-homme mi-bête. Le personnage mi-homme mi-bête n'est
personne d'autre que Gbèhanzin, représenté en tenue de
guerre avec son fusil et un bâton sous forme de récade qui
pourrait aussi être perçu comme une arme. Il est suivi par un
homme tenant deux bâtons en mains dont l'un est surmonté de
tête humaine : c'est le butin de guerre. Le requin
représenté a la gueule grandement ouverte, ce qui évoque
le désir de conquête de ce roi. Cette toile célèbre
ainsi Gbèhanzin en racontant de façon imagée ses prouesses
guerrières. L'appliqué sur tissu est donc une forme d'art qui
nous présente aujourd'hui en tissus coloriés le passé de
ce royaume qui aura marqué l'histoire du golfe de Guinée.
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