Chapitre IV- Les trônes et les figurines de
jumeaux
A- Les trônes
L'une des formes les plus marquantes des arts fon, c'est la
sculpture sur bois dont quelques-unes des réalisations sont les
trônes des rois. Deux types de sièges royaux existaient dans le
royaume ; il s'agit du tripode de forme circulaire appelé
kataklè et du gandémè19, plus
complexe du point de vue de la structure. Le premier, selon la tradition orale,
servait à introniser les rois, et est aussi appelé Alada
zinkpo (siège d'Alada) ; ce qui évoque les relations
ancestrales entre les deux royaumes20. Les gandémè
sont aussi appelés djandémè, et ceux des
rois Ghézo et Glèlè se dénomment nukpewu
zinkpo, signifiant littéralement « siège du pouvoir
».
Les kataklè, même s'ils
présentent un aspect simple étaient monoxyle, c'est-à-dire
qu'ils étaient soigneusement sculptés dans un seul tronc d'arbre.
Ceci nécessitait une bonne maîtrise du travail du bois, ce qui
fait qu'il n'y avait pas assez de familles de sculpteurs de trônes. Quant
aux gandémè, leur élégance a fait parler
d'eux dans le paysage artistique mondial. Ils présentent
généralement une base rectangulaire supportant quatre piliers
massifs ou un cube évidé surmontés d'une surface concave
où s'assied le roi. Ceux de Ghézo et de Glèlè sont
faits de panneaux manufacturés et assemblés. Un autre de
Ghézo est plus frappant, car gigantesque et surmontant quatre
crânes humains21.
Les sièges de type gandémè
existent également au Togo et sont appelés Togbé
zinkpui ou Efio zinkpui, c'est-à-dire « sièges
des ancêtres » ou « sièges royaux », termes faisant
référence à son rôle sacré. Certains
chercheurs, à l'instar de l'historien d'art Joseph
19 ADANDÉ J. C. E., Les
sièges des rois d'Agbomè et le siège akan : analyse d'un
contexte de civilisation à partir de la culture matérielle et
artistique (1625-1890), Université de Paris I, Thèse de
doctorat, 1984.
20 Confère Introduction, p. 5.
21 BEAUJEAN-BALTZER G. et alï, Artistes
d'Abomey, Catalogue d'exposition, Fondation Zinsou, 2010, pp.
237-239.
Adandé, ayant travaillé sur ces
trônes s'accordent sur le fait qu'ils auraient pour origine
le
20
pays akan de la confédération ashanti, et
les dénomment
|
« sièges de type
|
akan »22.
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Image 2 : Schéma du trône
kataklè par H. Togo
Image 3 : Trône
gandémè
|
ou nukpewu zinkpo de Ghézo, posé
sur quatre crânes humains,
|
capture
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d'une page du catalogue «
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Artistes d'Abomey » du musée du quai
Branly
|
22 BEAUJEAN- BALTZER G. et alï,
Artistes d'Abomey , Catalogue d'exposition, Fondation
Zinsou, 2010, pp 237-243.
21
|
|
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Image 4 : Trône nukpewu
zinkpo
|
de Glèlè, capture d'une page du catalogue «
Artistes d'Abomey du quai Branly
|
» du musée
|
Image 5 : Trône nukpewu
zinkpo de Ghézo, Photo Musée du quai
Branly
22
B- Les figurines de jumeaux
Les statuettes de jumeaux des artistes du
Danxomè connaissent une grande renommée dans le
paysage artistique international. Elles sont de petites
sculptures en bois représentant en miniature des êtres humains,
en l'occurrence les jumeaux décédés. En
fon, on les appelle hoho du même nom que
les jumeaux et jumelles réels. Ces statuettes
jouent des rôles très importants lors des rituels
des cultes dédiés aux jumeaux.
Appelés ibeji dans l'aire culturelle yoruba,
ces statuettes sont une composante essentielle des religions
endogènes dans toute la baie du Bénin.
Il faut signaler que dans l'aire culturelle
aja-tado, on ne dit pas ouvertement qu'un
jumeau ou une jumelle est décédé(e),
on dit qu'il ou elle est allé(e) dans les bois.
est donc traité avec soin, il est respecté
comme une personne physique ; il est même appelé
second », c'est-à-dire le jumeau encore en
vie,
Le hoho
par le nom de celui qu'il symbolise. Son « le
porte sur lui et le protège de tous ceux qui pourraient tenter
de le profaner. Il est «nourri», «habillé» ;
certains le parent de perle s. Incarnant le jumeau
défunt, on le fait passer par toutes les étapes
des cérémonies effectuées lors du culte
des jumeaux, et certaines personnes le vénèrent
pour implorer sa bénédiction.
Image 6 : Hoho, Photo P. Gries, V.
Torre, Collection musée du quai Branly
|
Image 7 : Le voyage, exposition d'une pirogue
réalisée avec des ibeji par D.
Zinkpè, 350 cm x 300 x 300, capture d'une page de
Temps Modernes : La mémoire de
l'esclavage
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23
L'image 6 ci-dessus présente deux
des objets d'art fon pillés et exportés en hexagone par
les administrateurs coloniaux, et aujourd'hui catalogué sous
l'appellation « Trésor de Béhanzin »
au musée du quai Branly. Elle nous fait voir deux
hoho, une femme et un homme portant des bracelets,
des colliers, des perles à la hanche et des
pendentifs d'oreilles pour la femme. Lorsque tous les jumeaux sont
décédés, la garde des figurines qui les
représentent est assurée par leur maman ou à défaut
par leur père ou un parent proche.
Au-delà du caractère sacré du
hoho, il est d'une finesse et d'une esthétique
avérée. Sculpté dans un seul bois, il
est généralement de taille réduite,
d'environ quinze à vingt centimètres de
long, et surmonte un socle qui lui permet de tenir debout. La
représentation féminine et celle masculine se
différencient à vu d'oeil par la présence d'une poitrine
saillante chez l'une et le phallus chez l'autre. On perce
parfois les oreilles au hoho féminin afin d'y
accrocher des bouclettes. Celui masculin reçoit dans certains
cas, une raie dans ce qu'on peut appeler ses cheveux. Les hoho
sont polis et vernis au besoin ; c'est le cas de ceux
que nous montre l'image 6.
Aujourd'hui, dans une logique purement artistique,
l'artiste plasticien béninois Dominique Zinkpè
sculpte des hoho dont il part pour
réaliser de gigantesques oeuvres de diverses formes. De
culture fon, cet artiste qui a acquis une renommée
internationale a su sortir ces statuettes de leur cadre religieux pour leur
donner un autre espace d'installation outre les couvents et les chambres.
Ainsi les débarrasse-t-il peu à peu de
s idées négatives construites autour d'eux par le
discours colonial d'antan perpétué par les religions
exogènes. Loin d'être une sorte de
désacralisation de l'objet, cet élan de l'artiste est une preuve
que les objets de culte africains ne manquent pas
d'esthétique contrairement à ce qui était
dit d'eux.
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