Chapitre III- Les prémisses d'une école
d'art à Agbomè
A- La spécialisation dans les arts
Il y avait à Agbomè, la capitale du royaume, une
spécialisation nette dans les métiers d'art. Il existait des
quartiers de la capitale et des villages qui formaient des corporations
spécialisées, dont le chef recevait une dignité : il
était « maître d'un siège »15 (P. Mercier, 1962 :
198). C'est ainsi qu'on constate aujourd'hui à Abomey des quartiers dont
la toponymie est liée aux noms de familles d'artistes ; par exemple les
quartiers Hountondji, Yèmandjè,... En effet, afin de
concéder des avantages à des alliés et aux populations du
plateau nouvellement soumises, le roi Houégbadja, fondateur du royaume,
fit spécialiser chaque famille d'artiste dans un métier.
Ainsi, installés à proximité du palais
par Houégbadja au début de son règne, les Hountondji
étaient forgerons avant de se spécialiser dans la technique de la
cire perdue sous le règne de Ghézo notamment, devenant ainsi
bijoutiers. Parlant de forge, nous avons entre autres les Adjalian et les
Zounon, invités par Agadja, et qui étaient spécialistes du
travail du fer essentiellement, avec la fabrication des armes, des outils
agraires et des objets de culte. Doté et
«épousé» par le roi Kpengla, un talentueux forgeron du
nom de
15
15 C'est-à-dire que le chef de la corporation
d'artistes du même métier était élevé au rang
de dignitaire.
16
Déguénon Mongbo sera installé
auprès des Hountondji, et devint très tôt le premier
spécialiste de la fabrication du Gou. Il existait de nombreuses
autres familles spécialistes de la forge telles que celle Akati,
réputée dans la production du Gou, des récades,
des sabres ; la famille Agbo qui avait le monopole de la fabrication du gong
jumelé (Kpan) ; les Assogbakpé, grands producteurs
d'assen.
Le domaine de la tenture ne manquait pas non plus de
spécialistes. Ce métier a pris son envol sous le règne
d'Agadja. En effet, lors d'une prise de guerre à Agbozounmey, dans la
région d'Avrankou, au Sud-est du Bénin actuel, les tenturiers et
tisserands Hantan et Zinflou ont été capturés par les
soldats fon. Il est important de préciser que les appliqués sur
tissu réalisés par ces deux artistes l'étaient sur fond de
raphia et non de coton, comme il fut de mise après avec l'apparition des
toiles issues du commerce des esclaves. Ils sont les premiers
spécialistes de la tenture au Danxomè. Cette corporation
connaîtra un grand essor avec Yèmandjè, « doté
et épousé » par Agonglo pour s'attacher ses services. La
famille Yèmandjè finit par supplanter celles Zinflou et Hantan,
et son chef devait porter avant le roi tout vêtement produit en
appliqué. Il était le « miroir » du roi,
dit-on16.
La sculpture sur bois est une autre spécialité
des arts fon. D'origine yoruba, elle existait sur le plateau avant
l'arrivée des Agassouvi. Elle sera ensuite adoptée par des
habitants de Gbanamè dans la région d'Agonli, au Sud-est du
Bénin actuel. Le roi Agonglo a beaucoup oeuvré pour le
rayonnement de cet art, en se faisant sculpter des trônes de luxe
(Gandémè) en lieu et place des traditionnels
kataklè17. Les sculptures en bois consacrées
aux cultes vodoun étaient l'apanage de la famille Sossa
Dèdè. Quant aux Djotohou, ils étaient spécialistes
de la fabrication des chaussures, amulettes et autres objets en cuir du roi,
tandis que les Danhoungbé se chargeaient de la composition de chapeaux
et d'amulettes en perles.
La production des bas-reliefs qui constituent l'une des
caractéristiques fondamentales de l'art du Danxomè, a connu des
perfectionnements au fil des règnes. Elle nécessite plusieurs
aptitudes de la part de ses spécialistes : la forge, l'architecture, la
poterie, la décoration et la peinture. Sur le plan de la musique et de
la danse, des orchestres étaient bien établis. Chaque orchestre
était spécialiste d'un rythme précis.
16 Ainsi parla Fidèle YÈMANDJÈ,
tenturier et tisserand.
17 Tabourets à trois pieds qui servirent de
trônes pendant longtemps avant d'être utilisés comme
sièges d'intronisation avec la création des trônes de
luxe.
17
B- La pérennisation du savoir-faire
Les artistes de cour n'étaient pas qu'investis de
produire des oeuvres pour le roi et son entourage immédiat, ils
étaient aussi charger de perpétuer leur savoir-faire en formant
d'autres personnes. C'est alors que des apprentis étaient engagés
pour être formés afin d'assurer la relève. Ceux-ci
étaient des enfants d'artistes ou d'hommes de confiance ne pouvant
trahir le secret de la discrétion. Cette forme de transmission a
occasionné la floraison de familles d'artistes ; ce qui a permis la
conservation de certains métiers et techniques artistiques. Placé
dans un atelier familial dirigé par le chef de la famille ou l'artiste
le plus doué, chaque apprenti reproduisait suivant son talent des objets
créés par son maître. Apprenant le métier depuis sa
toute jeune enfance, l'apprenti ne finissait sa formation qu'à un
âge relativement mûr et après avoir prouvé tout son
talent.
Le roi-mécène ne se contentait pas uniquement
d'offrir de bonnes conditions de vie et de travail aux artistes. Il s'occupait
également de la formation de la relève. Des enfants de ministres
et des princes héritiers étaient aussi placés sous la
coupole des chefs des corporations d'artistes. C'est ainsi que des rois
arrivaient à séduire par leurs connaissances
artistiques18.
Une preuve de la pérennisation du savoir-faire est la
subsistance des familles d'artistes. Des membres de ces dernières sont
aujourd'hui installés au centre artisanal du musée historique
d'Abomey où ils tentent tant bien que mal de perpétuer la
tradition familiale. Un peu partout dans la ville d'Abomey nous pouvons
observer l'héritage de ces arts de cour à travers des ateliers de
tenture, de tissage, de bijouterie, de sculpture, etc.
Cependant, un membre de la famille Hountondji,
interrogé au centre artisanal, affirme qu'il est aujourd'hui très
difficile voire impossible de pratiquer certaines techniques qu'il a apprises
du fait de la pénurie de métaux nécessaires. À cela
s'ajoute le manque d'intégration des arts dans les politiques de
développement.
18 La plupart de mes informateurs ont
affirmé que le roi Agonglo avait sculpté lui-même un
trône, alors que le roi Ghézo a composé de nombreuses
chansons qu'il a laissées à la postérité. Quant
à Gbèhanzin, il excellait dans la danse.
18
Deuxième partie :
QUELQUES PRODUCTIONS DE
PORTÉE INTERNATIONALE DES ARTS
DE COUR DU DANXOMÈ
19
Deuxième partie :
QUELQUES PRODUCTIONS DE PORTÉE INTERNATIONALE DES ARTS
DE
COUR DU DANXOMÈ
|