Chapitre II- Rapports entre la royauté et les
artistes
A- Les contraintes du métier d'artiste de
cour
Comme nous l'avons vu plus haut, les souverains du
Danxomè accordaient assez de prérogatives aux artistes. Mais en
contrepartie, l'artiste devait faire preuve de sagesse et de reconnaissance en
mettant toute son intelligence et son génie au service du pouvoir
royal.
Il devait travailler en toute discrétion ; son atelier
était tenu secret. Il devait faire en sorte que personne ne
découvre avant le roi la finalité de son oeuvre. Lorsqu'il
finissait de réaliser les objets, il les gardait dans sa chambre
privée qui n'était pas accessible à tout le monde. Ces
objets étaient emballés avant d'être acheminés au
palais, afin de n'attirer aucune curiosité. L'une des raisons pour
lesquelles les artistes étaient installés à quelques
lieues du palais était la quête de confidentialité dont il
fallait entourer les oeuvres. On se rend ainsi compte que ceci pouvait susciter
la peur chez l'artiste, celle de perdre tous privilèges suite à
une absence de discrétion.
12 C'est le génie de l'art, selon une
croyance fon. Il a le pouvoir de délivrer aux personnes qu'il choisit le
don de produire de magnifiques oeuvres. Ainsi, est-il courant d'entendre dire
en fon d'un artiste qui se fait admirer à travers son ouvrage :
« Aziza wè nin » signifiant littéralement :
« C'est un don d'Aziza ».
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En outre, l'artiste se devait de réaliser
minutieusement la commande du roi. Les oeuvres produites ne devaient souffrir
d'aucune faille. Lorsque les objets étaient apportés au palais,
le souverain les examinait attentivement, puis donnait son verdict : il les
acceptait ou les rejetait. La salle de trésor était
réservée aux objets qui avaient reçu l'approbation du roi,
tandis que les objets rejetés étaient remis aux artistes qui
devaient les travailler à nouveau ; mais ces derniers perdaient de leur
crédibilité.
Par ailleurs, le titre de Djèhossu (roi des
perles) attribué au roi indique clairement qu'il ne peut accepter des
artistes que ce qui est beau, luxueux, reflétant toute sa grandeur. Les
oeuvres réalisées pour le roi étaient en modèle
unique. Il n'était donc pas possible de retrouver chez quelqu'un
d'autre, quel que soit son rang social, une oeuvre ressemblant à celle
du roi. Ainsi, à chaque commande, l'artiste avait l'obligation de
s'appliquer un peu plus afin de contenter le roi. Il était tout le temps
dans la création de nouvelles choses.
Les artistes devaient travailler durement et avec soin pour
mériter d'être proches du roi. Ce dernier ne faisait entrer dans
son environnement immédiat que l'artiste dont le talent supplante de
loin celui des autres. En fait, installés dans la salle de trésor
après avoir reçu le satisfécit du roi, les objets
étaient sortis et exposés dans les espaces publics du palais,
lors des festivités royales. Les hôtes de marque du roi
étaient amenés dans cette salle pour admirer les richesses
artistiques du royaume. Ainsi, pouvait aussi devenir protégé du
roi, l'artiste dont les oeuvres avaient été admirées par
des étrangers.
B- Le génie artistique au service de
l'impérialisme
La devise du royaume était : « Le Danxomè
toujours plus grand » ; et plus qu'un simple voeu, elle était un
devoir qui s'imposait à tout souverain qui accédait au
trône. Celui-ci se sentait dans l'obligation morale de repousser les
limites de son royaume, de faire quelque chose de plus grand que ses
prédécesseurs. Ainsi, il mettait tout en oeuvre pour y arriver.
L'art était d'un grand intérêt dans cette entreprise.
C'étaient en effet les artistes qui, à travers
leur savoir-faire, faisaient transparaître la puissance et la grandeur du
royaume, notamment du roi. Exclusivement adaptée à ce dernier, la
production artistique le célèbre, le magnifie, et valorise son
règne. Les artistes ont également participé indirectement
aux conquêtes en jouant sur l'esthétique, la
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psychologie et l'histoire . Le kpanligan
13 par exemple présente le roi comme
étant le détenteur de tous les trésors, le
Djèhossu, le Dokunnon, l'
Ayihihonnon 14... Ainsi jouait-il
sur la psychologie des sujets et surtout des peuples voisins.
De même, l'iconologie des bas - reliefs, a permis
de retracer, outre les sources orales et les
écrits d'administrateurs coloniaux, l a terreur que
voulaient imposer les souverains du Danxomè à leurs
ennemis. D'autres artistes comme les tenturiers ne faisaient pas le
contraire quand ils laissaient transparaître dans leurs
toiles le sort affreux réservé aux ennemis du royaume
comme l'illustre l'image 1 ci-dessous.
Image 1- Fragment d'une toile appliquée.
13 Il est employé à la cour à
réciter la généalogie du roi, son
panégyrique et à faire son éloge.
14 Ce sont trois des nombreux surnoms
donnés aux rois du Danxomè. Le premier signifie «
Le Roi des perles », le deuxième « Le Richard
» et le troisième « L'incarnation du Soleil».
Dans ce fragment de tenture par exemple, on aperçoit
une récade et un buffle de couleur rouge ; ce sont les armoiries de
Ghézo. Entre autres scènes, nous avons : un homme qui pile la
tête d'une victime dans un mortier avec pour pilon une jambe humaine ;
une personne est portée, bien qu'étant armée, vers un
arbre ; un autre homme est décapité et sa tête est
plantée sur une pique ; une femme a sur la tête un panier empli de
têtes humaines. Ces scènes laissent voir que des soldats des
royaumes rivaux à celui de Danxomè sont décapités
sans état d'âme. Elles présentent les Danxomènou
à travers leurs soldats comme des conquérants attitrés, et
qui éliminent tous ceux qui tentent de s'opposer à
l'impérialisme fon. Ainsi, le roi Ghézo se voit glorifié
par cette tenture pour sa politique d'expansion. Mais au-delà de leur
rôle dans l'impérialisme du Danxomè, ce sont aussi des
oeuvres qui ont permis de sauvegarder l'histoire de ce royaume.
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