Chapitre Ier- Intégration des artistes dans les
arcanes du pouvoir royal
A- Origines sociogéographiques des
artistes
L'intérêt des souverains qui se sont
succédé sur le trône du Danxomè pour l'art les a
amenés à faire recours aux services des artistes
indépendamment de leurs origines sociales et géographiques. Ils
plaçaient le génie artistique au-dessus de toute
considération sociopolitique. Cependant, il faut reconnaitre qu'avant
l'agrandissement considérable du royaume, les artistes étaient
choisis parmi l'élite sociale. Ainsi, ne pouvaient travailler aux
alentours du palais que les artistes issus de lignées royales ou de
familles liées aux vodoun. Ce privilège leur était
accordé parce qu'on les trouvait plus dignes d'être proches du
monarque, et plus à même de traduire en langage artistique la
suprématie aladaxonou (fon)8.
Mais après de grandes conquêtes notamment celles
d'Alada, de Savi et de Djèkin dont Agadja fut l'instigateur entre 1724
et 1732, occasionnant la déportation sur le plateau d'Agbomè de
nombreux captifs parmi lesquels se trouvaient des artistes de grand talent, les
rigides principes d'antan finiront par s'assouplir. Ainsi, les artistes
provenaient désormais de toutes les couches sociales ; ils pouvaient
être princes, maîtres de culte, hommes libres, esclaves et
même captifs de guerre. Ironie du sort, nombre de ces derniers finiront
par hisser haut la renommée du Danxomè dans le domaine des
arts.
Un grand forgeron-sculpteur du nom d'Ékplékendo
Akati, était originaire d'Anago-Doumè, une région
située à environ 100 km d'Agbomè, à la
frontière entre le Bénin et le Togo actuels. La première
version de la tradition orale sur les origines de cet artiste dit qu'il
était yoruba et que la qualité de ses oeuvres avait atteint une
telle ampleur dans sa région d'origine que le roi Glèlè en
fut informé9. Par un concours de circonstances, celui-ci fit
la guerre à Anago-Doumè, dont les habitants, les Djaloku
ou Fennu l'auraient nargué alors qu'il venait de perdre sa
mère, bafouant ainsi le pacte de l'amitié jurée
scellé par leur
8 BALLT T. (dir.) et alï, Passé,
présent et futur des palais et sites royaux d'Abomey, Actes de
conférence, 1999, 167 p.
9 Cette information m'a été fournie
à Abomey, le 23-12-2015, par Bachalou NONDICHAO, historien
traditionnaliste et guide du musée d'Abomey à la retraite.
11
ancêtre Nukumoké et Houégbadja. On se
demande si la vraie raison de cette guerre n'était pas
l'enlèvement de l'artiste avec ses oeuvres, quand on sait que le
Danxomè faisait également des conquêtes d'ordres religieux
et culturel. Quant à la seconde version10, il aurait
été emmené comme captif de guerre, à l'issue d'une
bataille que le roi Ghézo, père de Glèlè, livra
contre les habitants d'Anago-Doumè. Et c'est bien après que le
roi se rendra compte que les talents de cet artiste surpassaient ceux des
autres forgerons. Il lui confiait tous ses travaux liés à la
forge et le nomma Gounon11.
Quoi qu'il en fût, le fait essentiel à retenir de
ces deux versions est que Ékplékendo Akati était
d'Anago-Doumè, et était venu à Agbomè comme captif
de guerre, mais a très tôt, grâce à son art,
intégré le cercle fermé des privilégiés du
royaume. Et aujourd'hui encore, ses oeuvres continuent de faire la
fierté des Aboméens et de tous les béninois par
extension.
B- Le recrutement et l'insertion des artistes dans le
paysage royal
Dans un système de royauté, il est difficile que
ceux qui n'appartiennent pas à l'élite sociale aient des
prérogatives. Et donc pour être recruté comme artiste de
cour, il fallait avoir des aptitudes supérieures à celles des
autres, qu'on peut considérer comme des artisans. Ce privilège
n'était ainsi offert qu'aux excellents dans leurs domaines respectifs.
Lorsque parmi les prisonniers de guerre, il y avait quelque artisan dont le
métier était inconnu dans le royaume et dont les oeuvres eussent
pu fasciner le roi, ce dernier le faisait quitter son statut de captif et le
traitait dès lors comme son protégé. On l'installait non
loin du palais, et on lui offrait tout ce dont il avait besoin pour
s'épanouir dans son travail. On lui trouvait une femme qu'on dotait
à sa place, lui déléguait des personnes commises à
ses services, et on s'assurait qu'il ne manque jamais de matière
première. Son atelier se situait dans l'arrière-cour de la maison
à lui donnée.
En revanche, si le captif de guerre pratiquait un
métier qui existait déjà à la cour, alors on le
mettait sous la coupe de la personne la plus douée dans le
métier. Il pouvait ainsi user de ses connaissances pour améliorer
la qualité des oeuvres. Cette personne dont on parle était le
responsable de tous les artisans exerçant le même métier.
Ainsi, il est le
10 Cette version est dite par Dodji ABIALA et
Marcelin HOUNTONDJI, deux artisans, membres de familles d'artistes.
11 Prêtre du culte de Gou.
12
seul qu'on peut qualifier d'artiste, celui à qui
Aziza12 accorde des révélations sur l'art
qu'il pratique ; et les autres n'étaient que de simples artisans, car ne
faisant que reproduire l'ouvrage de leur maître en employant sa
technique.
Il est à noter des mariages particuliers qui se
faisaient entre le roi et les artistes très cotés. En exemple, le
roi Agonglo (1789-1797), ayant été informé de la
renommée du tenturier Yèmandjè, fit tout le
nécessaire pour bénéficier de sa compétence. Il le
« dota et l'épousa » donc, faisant de lui une Ahossi
(reine, femme du roi). Ce pseudo-mariage n'était qu'un acte
symbolique, et est une preuve flagrante de la présence permanente du
symbolisme dans les faits et récits au Danxomè.
Yèmandjè bénéficiera ainsi d'énormes
avantages. Il avait accès à toutes les parties de la cour, y
compris celle réservée au roi et à ses épouses. Il
devint très tôt l'exécuteur des grands travaux de tenture
et l'habilleur spécial du roi, puisqu'il était très proche
de lui. D'autres artistes ont été aussi approchés et
installés comme ce dernier, même s'ils n'ont pas été
tous « dotés et épousés ».
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